Traduire le spanglish ou la ‘fabrique du lecteur’ en question

Résumés

Nous nous proposons d’examiner dans une perspective linguistique et essentiellement traductologique certains problèmes théoriques que pose la traduction du spanglish, considéré en tant qu’expression artistique et esthétique plurilingue mettant en contact deux langues majeures du monde d'aujourd'hui, l’anglais et l’espagnol du continent américain. Nous verrons que le spanglish – compte tenu de la diversité des pratiques et des situations dans lesquelles il se manifeste, mais aussi des lecteurs potentiels auxquels il s’adresse – apparaît à cet égard comme un condensé de problèmes traductologiques qui, loin de décourager les traducteurs, semble précisément susciter leur intérêt croissant. Nous soulignerons le lien de cette langue avec l’oralité en général et avec l’argot en particulier, le spanglish étant une langue en mouvement permanent, en pleine création, en évolution constante. La traduction reproduit cette instantanéité du spanglish avec un lexique de la langue parlée, temporel et transitoire, pleinement inscrit dans son époque, et évoluant avec elle.

Our purpose is to study from a linguistic and essentially a translation perspective some theoretical problems which are produced by the translation of Spanglish, considered as an artistic and aesthetic plurilingual expression which puts in contact two major languages, American English and Spanish. We will observe that Spanglish – because of the different practices and situations in which it is expressed, but also as a result of the potential readers it is speaking to – seems to be a digest of translation problems though it does not dissuade translators but seems quite on the opposite to arouse their growing interest. We will underline the relationship between this language and orality in general and slang in particular. Spanglish is continually changing, it is in perpetual creation and constant evolution. Translation recreates this instantaneousness of Spanglish, with its spoken language vocabulary, which is temporal and transitory, fully anchored in its times and evolving with them.

Texte

In un placete de La Mancha of which nombre no quiero remembrearme, vivía, not so long ago, uno de esos gentlemen who always tienen una lanza in the rack, una buckler antigua, a skinny caballo y un grayhound para el chase. 

Vous aurez sans doute reconnu dans cette phrase la trace du prestigieux texte source cervantin, dont le premier chapitre a été traduit en spanglish par Ilan Stavans, professeur de cultures et langues latino-américaines à l'Université d’Amherst (Massachsetts) qui a étudié ce phénomène linguistique dont il est l'un des plus fervents militants et qu'il compare au Yiddish. Il a publié en 2003 un ouvrage sur le sujet, Spanglish : The Making of a New American Language (STAVANS, 2003), d'où est extraite cette traduction spanglish du premier chapitre du Quichotte.

Nous nous proposons d’examiner dans une perspective linguistique et essentiellement traductologique certains problèmes théoriques que pose la traduction du spanglish, considéré en tant qu’expression artistique et esthétique plurilingue mettant en contact deux langues majeures du monde d'aujourd'hui, l’anglais et l’espagnol du continent américain. Afin de tenter de dégager les enjeux posés par la traduction du spanglish qui apparaît à différents égard comme un véritable défi lancé aux traducteurs (et qu'en est-il des lecteurs ?), nous présenterons quelques extraits de textes littéraires ou de productions artistiques représentatifs s'inscrivant dans des genres et des registres variés et illustrant diverses modalités d'une véritable « poétique plurilingue » (pour reprendre l'expression d'Agnès Surbezy et Fabrice Corrons) du spanglish et nous essaierons d'en dégager des questions qui nous semblent cruciales au moment d'engager le processus traductif ; nous verrons que le spanglish – compte tenu de la diversité des pratiques et des situations dans lesquelles il se manifeste, mais aussi des lecteurs potentiels auxquels il s’adresse – apparaît à cet égard comme un condensé de problèmes traductologiques qui, loin de décourager les traducteurs, semble précisément susciter leur intérêt croissant.

Mais qu'entend-on au juste par spanglish ? Nous ne reviendrons pas ici sur les différents cas de figure qui peuvent se présenter d'un point de vue sociologique et linguistique, le but n'étant pas d'examiner les situations quotidiennes diverses dans lesquelles deux locuteurs sont amenés à choisir ce code de communication, l’objectif étant plutôt d’explorer les traductions des productions discursives esthétiques et artistiques de cette langue mixte, considérée par certains comme un créole (langue mixte relativement standardisée issue d'au moins deux codes différents, mêlant dans des proportions diverses leur morphologie, leur syntaxe et leur lexique), par d'autres encore comme un pidgin (c'est-à-dire un mélange de codes plus rudimentaire, ponctuel, destiné à assurer une communication minimale entre deux locuteurs appartenant à deux sphères linguistiques distinctes). A priori, le spanglish se présenterait à l’origine sous la forme d’une base hispanique plus ou moins fortement influencée par l’anglais du point de vue lexical et morphosyntaxique.

Le mot-valise qui le désigne le plus souvent, spanglish, est un néologisme lexicalisé aujourd'hui qui inscrit le principe d'hybridation au cœur de son signifiant anglais (spanish/english) -même si on rencontre plusieurs autres façons d'y référer1. Le mot spanglish affiche implicitement son champ d'application à une aire géographique et culturelle spécifique (bien que non-exclusive) : les États-Unis2, terre d'immigration et de melting-pot culturel et linguistique vanté au siècle dernier, ce melting-pot promouvant le principe d'assimilation progressive des différentes populations, remplacé aujourd'hui par l'image elle aussi évocatrice du salad bowl, insistant cette fois sur le caractère mutuellement complémentaire des diverses communautés dont le dessein n'est plus de se fondre à toute force dans un modèle culturel et linguistique unique comme gage de leur volonté d'intégration.

Le spanglish est essentiellement au départ un phénomène linguistique né de l'immigration hispanique sur le territoire états-unien et réfère en priorité (bien que non-exclusivement) aux populations d'origine hispano-américaine qui ont développé, en raison de leur appartenance à une double culture et à leur connaissance et leur pratique de deux langues au quotidien, un code d'expression complexe qui suscite de nombreux débats aujourd'hui (tant politiques que linguistiques), fondé sur le principe de juxtaposition et/ou d'hybridation du lexique et des structures morphosyntaxiques de l'anglais et de l'espagnol d'Amérique. Il s'agit au départ d'une langue de communication orale, non standardisée, particulièrement créative, mouvante, fluctuante, et dévalorisée (régulièrement qualifiée de bastard jargon), alimentée par les deux langues dans des proportions très variables, le passage d’un code à l’autre (ou code-switching) étant parfois dicté par l’humeur du sujet parlant, sa volonté d’instaurer un rapport de complicité avec le récepteur, par les « manques », les « blancs » lexicaux et syntaxiques du locuteur, mais aussi par les références culturelles et affectives, ou par la capacité suggestive d’un signe et la matérialité sonore de son signifiant. Le phénomène est toutefois assez difficile à analyser dans sa globalité : le spanglish n'est plus cantonné depuis de nombreuses années à l’intercommunication orale entre hispanophones et anglophones ou entre deux hispanophones installés aux États-Unis et maîtrisant plus ou moins l'anglais. Emblème d'une population qui ne cherche plus forcément à se fondre dans la masse et à faire oublier ses origines, mais qui aspire à la reconnaissance d'une identité complexe, riche des interférences entre deux langues et deux cultures, il devient depuis plusieurs années un outil poétique (au sens étymologique du terme), esthétique, et « militant », apte à porter dans sa matérialité linguistique même la volonté d'être reconnu, accepté de l'Autre dans sa différence et dans son hétérogénéité. Promu objet poétique dans un éventail très hétéroclite de « produits culturels » (romans, pièces de théâtres, poésie, rap, pop, variété, reggaeton…), le spanglish littéraire, musical, voire publicitaire3, n’est plus un mode de communication spontané et éphémère qui permet une intercompréhension minimale ponctuelle (en fonction des deux locuteurs qui le pratiquent et de leur maîtrise respective de l’anglais et de l’espagnol), mais devient une langue ludique et créative qui s’offre à un public plus vaste (son usage dans des slogans publicitaires ou dans le rap en apporte la démonstration), public qui n’est pas nécessairement bilingue, ce qui change radicalement la donne. Nous aborderons en effet  plus en détail la question de l’essor du spanglish qui semble être le vecteur d’un nouveau « marché » potentiel, comme en témoignent plusieurs productions artistiques et culturelles (dans le cinéma ou la musique) qui en assurent la promotion, ce qui n’est évidemment pas anodin pour l’avenir de ce code qui est, au départ, rappelons-le, oral et populaire, non standardisé et spontané. Songeons par exemple au film Spanglish destiné au grand public, voire même, dans un autre registre, à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui un film-culte tel que Usual suspect (qui propose une réflexion magistrale sur la manipulation des codes et des signes) et à la séquence initiale de l’interrogatoire où le personnage incarné par Benicio del Toro, au centre des cinq suspects, suscite l’incompréhension moqueuse des présents alors qu’il est simplement censé lire une phrase en américain. La lecture spanglish qu’il en propose déclenche les rires des autres suspects et contraint le policier à lui intimer l’ordre de recommencer.

Si, donc, l’émetteur du spanglish poétique (écrivain, dramaturge, publicitaire, auteur-compositeur…) entend exploiter ce code comme un outil de diffusion plus vaste susceptible d’accompagner une reconnaissance identitaire, il doit parfois composer entre une forme d’hybridation qui est sa « marque de fabrique » et le recours à une (très) relative tentative de standardisation4, en privilégiant souvent un lexique supposé maîtrisé de la majorité des deux communautés et des différentes communautés hispaniques pratiquant chacune une variété particulière de spanglish, et en développant parallèlement des stratégies spécifiques visant à « compenser » les éventuelles ignorances ou méconnaissances des récepteurs non-bilingues.

S’agissant des problèmes posés par la traduction du spanglish, il s’agit essentiellement d’examiner le passage d’un texte mixte constitué des deux cultures et des deux codes anglais et espagnol à une langue autre, en l’occurrence le français. (Nous laissons de côté la question de la traduction d’un spanglish plus ou moins complexe dans ses procédures d’hybridation et susceptible de poser des problèmes de compréhension à un anglophone, voire à un hispanophone, auquel cas on pourra trouver des traductions homogénéisantes en anglais ou en espagnol.) La question posée ici est celle de la traduction du spanglish vers le français et, en particulier, celle du choix qui se présente au traducteur de conserver ou non une forme d’hybridation linguistique.

Traduire en français un texte spanglish conduit d’abord à prendre en compte – comme c’est toujours le cas en traduction – la situation de communication initiale et à identifier la nature du rapport qui s’instaure entre l’émetteur spanglish et le public auquel il s’adresse (bilingue ou monolingue, restreint ou élargi…) : s’il s’agit d’un texte littéraire « engagé » adressé à un public élargi où il importe que le(s) récepteur(s), bilingues ou monolingues, comprennent l’ensemble de la production, il est probable que le traducteur s’oriente plutôt vers une traduction monolingue, bien qu’il semble impossible d’ériger ne serait-ce qu’un principe de traduction en la matière. En effet, chaque texte spanglish instaure une forme de mixité linguistique qui lui est propre et qui est la plus apte à exprimer le « message », entremêlant qui plus est différents référents culturels dont il faudra bien rendre compte dans la langue d’arrivée. En fonction des contraintes esthétiques et éditoriales, le traducteur pourra donc opter pour une homogénéisation monolingue du texte source (quitte à recourir à une typographie indiquant le passage d’un code à l’autre et/ou à la fameuse « Note du traducteur » – figure repoussoir pour certains traducteurs lorsqu’elle est perçue comme un contournement de l’acte traductif –, si l’édition retenue s’y prête), ou comme une re-création mixte et ludique, exigeante, engageant pleinement le lecteur, en appelant à sa curiosité et à sa capacité à « jouer », mêlant le français à chacune des deux langues, ou à l’une des deux selon les cas de figure, en fonction de la maîtrise linguistique supposée du public attendu.

On peut considérer le fromlostiano (LOPEZ SOCASAU, 1995) comme une création littéraire de spanglish, particulièrement ludique et humoristique, se présentant comme une réflexion d’ordre traductologique : créée par Colin (pseudonyme de Federico López Socasau) et Güéster (pseudonyme de Ignacio Ochoa Santamaría) dans le livre From lost to the river (dont le titre a donné, par agglutination et dérivation, le terme fromlostiano), publié en 1995, la langue s'y construit – comme l’annonce le titre, lui-même fondé sur ce principe – en traduisant littéralement de l'espagnol à l'anglais (ou inversement), sans tenter de conserver la cohérence ni le sens de la version source. Au-delà du jeu littéraire et de la caricature qui pousse à l’extrême le principe de l’« étranger dans la langue » et de l’approche « littéraliste sourcière », il s’avère que ce livre construit aussi une réflexion sur la traduction (celle des expressions imagées, des références culturelles…) et l’acte de réécriture qu’elle sous-tend, moins caricaturale qu’il n’y paraît. L’expression espagnole De perdidos al río, signifiant que, dans une situation désespérée, autant se résoudre à tenter le tout pour le tout, est ici littéralement traduite en anglais et placée en titre du livre, affichant d’emblée le principe d’écriture (et de lecture) littérale, abondamment exploité dans le spanglish populaire oral (on pense aux calques lexico-syntaxiques fréquents : Te llamo para atrás (I’ll call you back) = je te rappelle ; Él va a correr para presidente (he’s going to run for President) = il va se présenter comme Président ; Tuve un buen tiempo (I had a good time) = J’ai passé un bon moment).

La dimension ludique, humoristique et parfois subversive du spanglish apparaît également comme un trait caractéristique de cette interlangue qui se présente comme une véritable réflexion métalinguistique en action, s’interrogeant sur les fonctions du langage et de la communication et qui, par là même, ne peut qu’intriguer et intéresser le traducteur et le lecteur désireux de relier des communautés linguistiques appartenant à des aires géographiques et culturelles a priori distinctes.

Si le spanglish se présente comme un défi pour le traducteur, il ne saurait pour autant constituer une forme d’intraduisibilité, si l’on se réfère à cet éternel leitmotiv qui accompagne l’histoire des problèmes théoriques de la traduction, tout comme l’éternelle (vraie/fausse) question de la « fidélité ». On ne se pose plus guère la question aujourd’hui de savoir si l’on peut traduire la poésie, résolument portée à promouvoir la matérialité sonore (voire visuelle) du signifiant et l’harmonie des combinaisons phoniques et rythmiques entre les signes de la langue source. Dès lors, on peut formuler l’hypothèse que le spanglish, en ce qu’il explore lui aussi le pouvoir suggestif des signes de chacune des deux langues et la musicalité (volontairement dissonante parfois) de leur agencement, n’est pas plus « intraduisible » que tout discours poétique, au sens large du terme ; si l’on songe par exemple à certains auteurs poètes et dramaturges réputés intraduisibles et pourtant traduits dans le monde entier comme Valère Novarina, dont la langue néologique, allitérante, singulière, réinvente et questionne l’identité et le rapport à l’Autre, alors on peut considérer que la mixité linguistique et culturelle du spanglish, loin d’être « intraduisible », se contente peut-être simplement de cumuler les contraintes…

Les textes bilingues ou multilingues prévoient parfois (je serais tentée de dire souvent) une « poétique » particulière visant à ne pas exiger nécessairement de leur récepteur qu’il maîtrise parfaitement les différentes langues exploitées. Cela semble bien être le cas de certains textes en spanglish littéraire ou musical qui offrent au récepteur diverses stratégies de « compensation » qui fonctionnent comme des forme particulières d’auto-traduction ou d’accompagnement à la transposition au sein d’un même texte (ou d’une chanson).

Selon les cas, il est possible de tirer profit des possibilités offertes par le genre (en l’occurrence le théâtre, qui exploite lui-même simultanément plusieurs codes), les figures stylistiques de la reformulation (en poésie ou dans la chanson, essentiellement), ou encore, de compter sur le pouvoir significatif de l’environnement contextuel pour éclairer le sens du ou des fragment(s) de discours qui pourraient échapper au(x) récepteur(s). Genre multimodal, le théâtre est, par exemple, un discours sémiotiquement riche et complexe qui fait intervenir simultanément plusieurs systèmes de signes susceptibles de « traduire » – au sens de « traduction intersémiotique » telle que la définit Jakobson – un code dans un autre ; le code visuel et la communication gestuelle entre personnages sont souvent suffisamment explicites pour compenser et « traduire » l’échange verbal, permettant ainsi au spectateur de suivre la scène sans risque d’incompréhension. Dans de nombreuses poésies de la littérature chicana, il est assez fréquent que les différentes figures autour de la répétition (anaphore, parasynonymie, etc.) constituent pour le lecteur des procédés compensatoires permettant une forme d’auto-traduction. Dans le même ordre d’idée (mais, encore une fois, chaque texte construit sa propre poétique en la matière), on peut s’intéresser à la traduction des emprunts isolés, ponctuels, au sein d’un texte ayant pour base l’une des deux langues (très fréquents dans le spanglish du quotidien) : « Voy al mall a ver una movie » (on note d’ailleurs l’article féminin associé au substantif anglais a-générique, par analogie avec le substantif película auquel il se substitue). En général, les traducteurs conservent le(s) mot(s) concerné(s), prenant également en compte l’éventuelle connaissance que le récepteur peut en avoir. Qui plus est, le plus souvent, ces hapax bénéficient, du fait de l’alternance de codes, d’une mise en relief spectaculaire, et sont soit connus des récepteurs, soit aisément intelligibles en fonction du contexte linguistique au sein duquel ils s’insèrent tout en y provoquant une rupture elle-même significative (ex. : « Mi mamá fue a la marketa para comprar el lonche de la semana »).

Le spanglish est également repris en littérature romanesque par des auteurs tels que les portoricaines Giannina Braschi ou Ana Lydia Vega. Le roman Yo-Yo Boing! de Giannina Braschi (BRASCHI, 1998) contient ainsi de nombreux exemples de spanglish et d'alternance codique.

Le terme spanglish, qui désigne très généralement, comme nous venons de le voir, une langue mêlant l’anglais et l’espagnol, recouvre et englobe des réalités linguistiques et culturelles très différentes, selon que le métissage s’opère à partir de deux langues européennes, l’anglais du Royaume-Uni et l’espagnol de la péninsule ibérique – c’est le cas du spanglish de Gibraltar que nous n’étudions pas ici –, ou bien que ce terme renvoie au mélange de l’anglais américain (et plus généralement celui du sud des États-Unis) avec l’espagnol parlé dans l’un des pays d’Amérique centrale, voire d’Amérique Latine, ou de la Grande Caraïbe tels que le Mexique, Porto Rico, Cuba ou la République Dominicaine, sans que la liste soit exhaustive (Pérou, Costa Rica…). En effet, selon nos recherches, et d’après ce que nous avons pu repérer dans la littérature ou la chanson populaire en spanglish, l’espagnol emprunté  pour le métissage a, le plus souvent, une de ces quatre origines.

On peut donc observer dans le texte original en spanglish au moins deux niveaux différents et complémentaires : un premier niveau qui serait un niveau lexical (avec une observation ou un repérage du registre utilisé et de l’origine des mots utilisés, origine mexicaine, portoricaine, cubaine ou encore dominicaine… – le traducteur verra s’il y a exclusivité d’un espagnol portoricain, dominicain, mexicain… ou bien si deux ou plus de ces langues sont mêlées, métissées, ce qui engendrerait un deuxième niveau de métissage, à l’intérieur même de la langue espagnole) ; en second lieu, comme cela a déjà été souligné, un niveau syntaxique (pour savoir si la syntaxe d’une des deux langues domine - anglais ou espagnol - ou bien si nous assistons un métissage syntaxique, qui par conséquent traduirait un « métissage » plus profond de la langue spanglish, allant bien au-delà du simple recours, plus « superficiel » si l’on peut dire, à l’emprunt lexical superposé à la syntaxe d’une langue précise).

Ces deux niveaux d’observation ou de repérage nous semblent significatifs dans la mesure où, s’ils ne révèlent pas l’intention de l’auteur, ils donnent pour le moins des informations sur celui-ci. En effet, ils peuvent mettre à jour des revendications identitaires de la part de l’auteur, à travers, par exemple, la recherche d’une connivence avec un public restreint, très ciblé, qui partage la variété d’espagnol de l’auteur, notamment à travers un registre et/ou un vocabulaire très précis, voire « codé ». Dans ce cas, la variété pourrait être ici assimilée à un code qui exclurait en quelque sorte tous les lecteurs qui ne le partagent pas et pour qui la lecture resterait une barrière, sinon infranchissable, du moins opaque, hermétique, que seule la traduction permettrait de surmonter, en allant, pour ainsi dire, à l’encontre du « projet », du « pacte » établi par l’auteur, qui privilégierait essentiellement un public avec une compétence linguistique et culturelle définie. L’anglais reste alors la langue universelle, compréhensible et comprise par la majorité, et la variante espagnole de la Caraïbe (ou d’Amérique centrale) est la clef d’un univers spécifique que le traducteur élucidera non seulement par la traduction mais également par des notes, le mot renvoyant à la référence culturelle. La traduction à elle seule ne pouvant pas, dans certains cas, apporter la compréhension du concept ou de la référence cachée.

Deux stratégies peuvent donc se confronter : soit la variété espagnole (dominicain, cubain, portoricain, etc.) constitue une sorte de « code », soit le spanglish constitue au contraire une ouverture et facilite la compréhension interlinguistique, translinguistique et transculturelle. Pour la traduction, le résultat est le même mais, en ce qui concerne l’écriture cryptée, codée, si l’on peut dire, de la variété espagnole (si cette stratégie est choisie), la traduction soit effacera ce « code », soit le retranscrira en notes.

Certains auteurs devancent, anticipent le problème de la traduction, comme nous pouvons le voir dans La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao de Junot Díaz qui a reçu le prix Pulitzer en 2008. Dans ce livre, par exemple, le narrateur s’adresse directement au(x) lecteur(s) pour expliquer et expliciter toutes les références linguistiques et culturelles dominicaines, soit directement dans le cours du récit, soit par des notes, plus ou moins longues. Il est à souligner que l’auteur comme le narrateur et le protagoniste viennent tous trois d’un quartier dominicain du New Jersey. Ainsi, le terme fukú apparaît dès la première page et est aussitôt défini par le narrateur : la traduction suit le simple fil de l’écriture et, en même temps qu’elle transcode, elle décode la référence qui, dans ce cas, ne nécessite aucun travail préparatoire, aucune note de la part de la traductrice. Nous avons donc un processus de compensation de l’auteur qui désamorce tout, fait le « traducteur culturel » en quelque sorte par l’explicitation, l’explication des références culturelles, comme si le spanglish, en lui-même, impliquait, d’une façon ou d’une autre, une procédure traductive. Voici le texte en spanglish puis la traduction en français5 :

Fukú Americanus, or more colloquially, fukú – generally a curse or a doom of some kind; specifically the Curse and the Doom of the New World. Also called the fukú of the Admiral because the Admiral was both its midwife and one of its great European victims (…). No matter what its name or provenance, it is believed that the arrival of Europeans on Hispaniola unleashed the fukú on the world, and we’ve all been in the shit ever since. Santo Domingo might be fukú’s Kilometer Zero, its port of entry, but we are all of us its children, whether we know it or not.6 (JUNOT DIAZ, 2007, 1-2)

Fukú Americanus, ou, plus familièrement, fukú – en général une sorte de malédiction ou de fatalité ; ici la Malédiction et la Fatalité du Nouveau Monde. Egalement appelé fukú de l’Amiral car l’Amiral en fut à la fois l’accoucheur et l’une de ses illustres victimes européennes (…). Qu’importe son nom ou son origine, il paraît que l’arrivée des Européens en Hispaniola libéra le fukú dans la nature et que, depuis, on est tous dans la merde. Santo Domingo, c’est peut-être le Kilomètre Zéro du fukú, son port d’entrée, mais nous sommes tous ses enfants, qu’on le veuille ou non. (JUNOT DIAZ, 2009, 13)

Nous pouvons remarquer plusieurs choses : tout d’abord, la définition du terme fukú commence comme la définition tirée d’un dictionnaire avec son étymologie mais très vite bascule dans la fiction et la subjectivité du narrateur qui nous donne à voir son point de vue de façon très frontale, orale et familière : « on est tous dans la merde ». Il semble d’ailleurs paradoxal que le narrateur explicite ce qu’est le fukú (intention de l’auteur) alors même qu’il englobe son public dans cette référence partagée et par conséquent connue et reconnue par ce public (« on est tous dans la merde (…) nous sommes tous ses enfants qu’on le veuille ou non », avec la redondance de « tous » et l’utilisation de l’indéfini « on », collectif, puis de la première personne du pluriel). Par ailleurs, on peut souligner le choix de la traductrice de ne pas traduire les noms propres (Santo Domingo), ni les noms indiens (fukú), tout comme dans le texte original. De même, un peu plus loin dans le récit, l’auteur spanglish continue à nous montrer sa préoccupation pour la réception de son œuvre, pour la compréhension du lecteur : il ne le quitte pas, ne le lâche pas et lui balise le chemin avec des notes parfois très longues et métalinguistiques :

Les Gardiens s’accordent à dire que le terme péjoratif parigüayo est une altération du néologisme anglais «  party watcher » [celui qui regarde la fête N.d.T.]7. Le mot commença à être communément employé pendant la Première Occupation Américaine de la RD, de 1916 à 19248. (Vous ignoriez qu’on a été occupés deux fois au cours du XXe siècle ? Vous en faites pas, quand vous aurez des gosses, eux non plus ne sauront pas que les États-Unis ont occupé l’Irak9). Pendant la Première occupation, on signala que les membres des Forces d’Occupation Américaines se rendaient fréquemment à des fêtes dominicaines, mais au lieu d’y participer, de s’amuser comme les autochtones, ils se contentaient de rester au bord de la piste de danse pour regarder. Ce qui, évidemment, dut paraître complètement dingue. Qui va à une fête pour regarder ? Donc, les Marines étaient des parigüayos – un mot qui, dans la langue contemporaine, décrit quiconque se tient sur les côtés pour regarder les autres serrer de la meuf. Le keum qui danse pas, que les filles kiffent pas, qui se fait traiter de bouffon – c’est un parïguayo.

Si vous ouvriez le Dictionnaire des Choses Dominicaines, vous verriez que l’entrée pour parigüayo inclut une sculpture en bois d’Oscar. Ce qualificatif allait le hanter pour le restant de ses jours et le conduirait vers un autre Gardien, celui qui réside dans la Zone Bleue de la Lune. (JUNOT DIAZ, 2009, 28)

Cet exemple semble intéressant à plusieurs titres : non seulement il montre clairement l’anticipation de l’auteur sur la méconnaissance de ses lecteurs quant aux termes dominicains employés dans son roman, mais il donne également à voir un autre aspect tout aussi significatif du spanglish, à savoir son lien avec l’oralité en général et avec l’argot en particulier. Nous avons donc un double niveau de métissage : métissage entre l’anglais nord-américain et le dominicain d’un côté, mais également entre la recherche d’une langue littéraire écrite et la langue orale, argotique de l’autre. Cette dernière, la langue orale, argotique, donne à voir la première de façon distanciée, humoristique, ironique, comme le montre l’expression « Si vous ouvriez le Dictionnaire des Choses Dominicaines » ou bien, et surtout, la mise à distance entre le début de la définition – « le terme péjoratif parigüayo est une altération du néologisme anglais « party watcher ». Le mot commença à être communément employé pendant la Première Occupation Américaine de la RD, de 1916 à 1924 » – et la fin de celle-ci axée entièrement sur l’argot parlé :

Ce qui, évidemment, dut paraître complètement dingue. Qui va à une fête pour regarder ? Donc, les Marines étaient des parigüayos – un mot qui, dans la langue contemporaine, décrit quiconque se tient sur les côtés pour regarder les autres serrer de la meuf. Le keum qui danse pas, que les filles kiffent pas, qui se fait traiter de bouffon – c’est un parïguayo.

Nous avons donc avec le spanglish, qui s’appuie à la fois sur l’hybridation des langues, l’hybridation des cultures et l’hybridation des registres, des niveaux de langue, une double fonction identitaire et une double visée cryptique. L’hybridation des langues comme l’hybridation des registres et sociolectes, avec l’utilisation de l’argot, peuvent jouer sur les deux tableaux, avoir deux fonctions distinctes dans l’œuvre : soit la visée cryptique, soit la visée expressive, qui traduit l’affect, les émotions, l’auteur et le narrateur pouvant également jouer avec ces deux fonctions à la fois. Le spanglish repose sur une hybridation, une hybridation matrice en quelque sorte entre une variété espagnole et l’anglais américain, qui génère d’autres hybridations à différents niveaux, comme une sorte de mise en abyme d’hybridations, de métissages. Mais l’intention de l’auteur est, elle, toujours ambivalente.

On pourrait penser, de façon erronée, qu’un des problèmes de la traduction peut résider ici dans l’aspect très évolutif et mouvant de la langue parlée en général et argotique en particulier, les mots changeant de génération en génération, et parfois même plus vite. Ici, « kiffer », « meuf » et « keum » paraîtront sans doute vieillis dans quelques années. Le problème n’en est pas vraiment un puisque le processus créatif du spanglish se construit sur cette évolution constante et quotidienne, sur cet aspect changeant et éphémère de la langue qui est créée jour après jour par différents individus de différentes communautés latino-américaines vivant dans différentes régions des États-Unis. La variation fait partie intégrante du spanglish, langue en mouvement permanent et en pleine création et créativité. L’aspect changeant, évolutif, ponctuel du lexique argotique est par conséquent en plein accord avec la langue spanglish, lui correspond et respecte même son aspect « fugace, fugitif ». Il semblerait juste de considérer la langue et la littérature spanglish comme la langue et la littérature du « moment », qui nous donne à voir une photographie d’une langue en constante évolution et une création à un moment donné. En ce sens, la traduction reproduit cette instantanéité de la langue spanglish avec un lexique argotique de la langue parlée, temporel et transitoire, pleinement inscrit dans son époque, dans son temps et évoluant avec lui.

Néanmoins, il ne faut pas oublier, comme cela a déjà été souligné, que la littérature, comme la chanson spanglish, tentent de fixer certains traits, certains éléments, certaines structures qui représentent cette langue et cette culture : le processus d’uniformisation et de standardisation a bien commencé afin de pérenniser cette langue et sa littérature, ses arts, et s’est opéré à travers eux. Par exemple, au niveau linguistique, un phénomène de standardisation, par sa récurrence sur les panneaux d’affichage, les publicités, etc., est l’utilisation la plus basique, la plus simple du spanglish, à savoir l’article d’une des deux langues qui accompagne le substantif de l’autre langue comme en atteste le titre d’une autre œuvre de Junot Díaz, Los Boys, par exemple (JUNOT DIAZ, 2009).

À un niveau plus social et culturel, la standardisation est également manifeste depuis l’essor des chansons ou de la pop dite « latino », avec différents « tubes » qui ont déferlé sur les États-Unis et le monde entier, dont la fameuse chanson María de Ricky Martín ou bien encore certaines chansons de Jennifer López : leurs pseudonymes étant eux-mêmes une marque déposée de cette double identité, de cette double appartenance (dans les deux cas, c’est le prénom qui est américain, signe de l’adoption identitaire, de l’intégration et de l’éducation, et le patronyme qui est latino-américain, montrant bien la parenté et la filiation à l’Amérique Latine).

De même, le genre du reggaeton traduit ce processus de standardisation de la langue et de la culture spanglish, comme son propre nom l’indique avec le métissage d’un mot jamaïcain (Caraïbes côté États-Unis) et le suffixe -tón, hérité de la Caraïbe de langue espagnole. Dans ce genre, comme dans la pop latino-américaine, le processus de standardisation linguistique passe très clairement par un processus de standardisation culturelle en jouant sur les clichés, sur les représentations traditionnelles et caricaturales de la culture latino-américaine ou de la culture caribéenne avec une propension à mettre en avant, à exhiber ou exposer les clichés ayant trait au corps, à la sexualité, à la sensualité virile ou féminine, et aux musiques typiquement latino-américaines ou caribéennes tels que le chacha, la salsa, la rumba, etc. Junot Díaz reprend ces clichés pour décrire son anti-héros :

N’avait aucun des Super-Pouvoirs du mâle dominicain de base, aurait été incapable de pécho une meuf, même si sa vie en avait dépendu. Infoutu de faire du sport ou de jouer aux dominos, moins coordonnée tu meurs, lançait la balle comme une gonzesse. Pigeait rien à la zik, au biz, à la danse, pas de bagout, pas de tchatche, pas de leust. Et pire que tout : pas bogosse. (JUNOT DIAZ, 2009, 28)

S’il n’est pas certain que ce recul ait lieu dans la stratégie marketing de certains produits musicaux issus de l’industrie du disque, très souvent en revanche les écrivains de littérature spanglish mettent clairement à distance ces représentations et ces clichés, par le biais de l’humour et de l’ironie.

Pour conclure, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, le public immigré aux États-Unis provenant d’Amérique centrale, d’Amérique Latine ou des Caraïbes hispaniques constitue la première communauté minoritaire du pays, devant la communauté afro-américaine, et donc le premier consommateur et le premier électeur à séduire, comme en témoigne encore dernièrement la campagne en espagnol de Barack Obama. On peut donc penser que la littérature et la musique spanglish ont encore un long chemin devant elles et que le processus de standardisation en cours n’en est qu’à ses débuts. D’autres phénomènes parallèles voient le jour, tels que le japoñol au Japon, étonnant mélange entre le japonais et l’espagnol qui est surtout liée à l’Histoire entre le Pérou et le Japon. On pourrait penser, à l’instar de Derek Walcott, cité au début de La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, de Junot Díaz, que dès que deux langues et deux cultures sont dans un contact et un échange permanents, la création d’une interlangue apparaît comme une nécessité linguistique et poétique prenant en compte les deux faces d’une même monnaie, une double identité qui naît, prend vie dans la rue et prend corps et voix dans la littérature et la musique : « J’ai du Hollandais en moi, du nègre, et de l’Anglais, / Et soit je ne suis personne, soit je suis une nation »10 (JUNOT DIAZ, 2009, 11).

Ici, c’est l’individu qui est représentatif d’une communauté culturelle et linguistique, et s’oppose au marketing qui uniformise toutes les langues. C’est la différence initiale dont nous parlions entre melting pot et salad bowl, où chaque élément, chaque langue et chaque culture existe de façon à part entière en se mêlant aux autres. À partir de cette citation, on peut se demander à quel lecteur imaginaire Junot Díaz pense-t-il en écrivant ? Quel lecteur fabrique-t-il ?

Note de fin

1 J'en citerai simplement deux : sa traduction espagnole (le mot ingleñol étant lui aussi le résultat du croisement inglés/español), ou encore dans un mot-valise bilingue, le mot engliñol, mêlant quant à lui les noms des deux langues, chacun étant énoncé dans la langue qu'il désigne.

2 On peut citer l’exemple d’une publicité humoristique pour les assurances « Pelayo », avec un slogan segmentant le mot « bienvenidos » en « bien-ven-y-dos » – particulièrement adapté à une communauté d’immigrants –, ce dernier élément [-dos-] étant repris et explicité par « 2 meses "baidefeis" » à la place du mot espagnol « gratis » (gratuit). « Baidefeis » est la transcription phonétique hispanique de la locution anglaise « by the face » amalgamée – espagnol : « por la cara » (gratuit).

3 Ilan STAVANS, 2003, cite par exemple le cas d’une variété écrite, instituée, de spanglish dans la presse new-yorkaise : le journal hispanophone El Diario - La Prensa, basé à New York, dans lequel la langue espagnole semble clairement influencée par l'anglais, concourant aussi parallèlement à un travail de standardisation progressive des variétés d’espagnol ou de spanglish sur le territoire nord-américain

4 On peut citer à titre d’exemple le spanglish chicano (Mexicains en Floride et au Texas), le mayamero (Cubains à Miami), le nuyorican (les Portoricains à New-York)…

5 Voici la traduction en espagnol :

Fukú Americanus, mejor conocido como fukú – en términos generales, una maldición o condena de algún tipo; en particular, la Maldición y Condena del Nuevo Mundo. También denominado el fukú del Almirante, porque el Almirante fue su partero principal y una de sus principales víctimas europeas (…). Cualquiera que sea su nombre o procedencia, se cree que fue la llegada de los europeos a La Española lo que desencadenó el fukú en el mundo, y desde ese momento todo se ha vuelto una tremenda cagada. Puede que Santo Domingo sea el Kilómetro Cero del fukú, su puerto de entrada, pero todos nosotros somos sus hijos, nos demos cuenta o no. (JUNOT DIAZ, 2008, 1-2)

6 Dans cet extrait, représentatif de l’ensemble du récit, on voit bien que la syntaxe et la langue dominantes sont l’anglais nord-américain : seul le lexique peut être affecté de mots en espagnol dominicain (le texte est parsemé de références culturelles et de noms propres qui, eux, restent en espagnol dominicain ou bien de locutions et noms communs en espagnol dominicain issus de la langue parlée, voire argotique, quotidienne). Sophie SARRAZIN fait le constat suivant à propos de la langue dans cette œuvre de Junot Diaz (cependant, il nous faut préciser que le constat de Sophie Sarrazin renvoie exclusivement à la langue, pas aux références culturelles) : « Lauréat du prix Pulitzer 2008, le roman a été unanimement salué par la critique qui a chanté les louanges d’un écrivain génial, maître d’un style hors du commun, d’une langue savoureuse, métissée : il marque pour Ilan Stavans l’« apogée du spanglish » […]. L’« échange syntaxique », la « langue hybride » qu’évoque I. Stavans se résument de fait à des bribes de discours noyées dans un texte écrit avant tout en anglais et destiné à des anglophones. En somme, le spanglish ici ne serait que de l’anglais coloré de quelques touches d’exotisme caribéen, un anglais légèrement hispanisé » (SARRAZIN, 2010, 127-128).

7 Il est intéressant de souligner que la traductrice traduit ici l’expression en anglais « party watcher ».

8 L’utilisation d’un langage didactique est à noter : explicitation de la culture et de l’histoire (Histoire du pays et histoire culturelle, populaire, qui se juxtaposent dans le récit)

9 Nous avons ici un « décrochage » : le lecteur bascule dans l’univers du narrateur et son langage personnel, familier et oral.

10 WALCOTT, 1986.

Citer cet article

Référence électronique

Dominique Breton et Sabine Tinchant-Benrahho, « Traduire le spanglish ou la ‘fabrique du lecteur’ en question », La main de Thôt [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 11 mai 2017, consulté le 18 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/270

Auteurs

Dominique Breton

Université de Bordeaux Montaigne

Professeure

dbreton@u-bordeaux-montaigne.fr

Sabine Tinchant-Benrahho

Université de Bordeaux Montaigne

Maîtresse de Conférences

Sabine.Tinchant-Benrahho@u-bordeaux-montaigne.fr