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Les tablettes de Thôt

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Au cours de l'année universitaire 2014 - 2015, nous avons eu le plaisir de prendre part au projet de traduction collective du catalogue d’exposition du Musée des Augustins 2015 et avons choisi de traduire l'essai de Petra Chu, « Pathos and mystery: the sleeping fantasy figure ». À ce titre, nous avons été encadrées par Madame Catherine Delyfer et Madame Laurence Roussillon-Constanty, enseignantes au sein du Département d'Études du Monde Anglophone, qui relisaient les différentes versions de notre travail et nous faisaient part de leurs commentaires pour améliorer notre traduction. Nous avons tenté de nous mettre en situation de traduction en milieu professionnel, tant par l'utilisation de certains outils que par le respect des délais que nous nous étions fixés.

Nous proposons ici un retour d’expérience, dans lequel nous expliquerons nos méthodes de travail pour cette traduction en particulier, les difficultés rencontrées, et les questions soulevées par la traduction de ce type de document.

Avant toute chose, nous avions établi un planning, en nous fixant une date limite pour chaque étape du processus de traduction, à savoir la documentation, la traduction, la mise en commun et la relecture. Ceci nous a permis de hiérarchiser les difficultés et de pouvoir respecter les échéances fixées en accord avec Mesdames Delyfer et Roussillon-Constanty.

En amont de la traduction proprement dite, nous avons effectué un travail de documentation sur le sujet traité dans l'essai. En effet, cette thématique était tout à fait nouvelle pour nous, n'étant pas spécialistes en histoire des arts en général et des figures de fantaisie en particulier. Nous avons parcouru le web en quête d'articles, en anglais et en français, sur des thématiques abordant de près ou de loin le sujet qui nous intéressait, et ce dans le but d'acquérir des connaissances et de nous familiariser avec la terminologie à employer. Pour ce faire, nous avons sélectionné des articles spécialisés parus dans des revues d'actualité de l'histoire des arts. Notre principal objectif dans cette démarche était de pouvoir nous documenter sur les différents éléments contenus dans l'essai, par exemple sur les figures de fantaisie en consultant l'article « Une nouvelle Figure de fantaisie de Fragonard » paru dans L'objet d'art de juin 2013 (pp. 52-57). Puis, nous avons décidé de constituer un glossaire et un référentiel que nous alimentions à mesure que nous avancions dans notre travail.

Dans un premier temps, nous avons construit un glossaire chacune, qui recensait les termes en anglais, leur définition, les sources des définitions, les contextes d'utilisation et d'éventuels commentaires associés, par exemple s'il existait des variantes orthographiques. Ensuite, nous procédions exactement de la même manière pour les équivalents en français que nous trouvions via des dictionnaires unilingues et bilingues (Larousse, CNRTL, Oxford Dictionary, Collins Dictionary...), des lexiques (par exemple celui de la National Gallery de Londres) ou des documents de spécialité. La constitution de cet outil nous a permis de confronter les définitions dans les deux langues afin d'être sûres que les deux termes désignaient le même concept, mais aussi de pouvoir justifier nos choix et, dans le cas où nous trouvions des solutions de traduction différentes, de choisir celle qui nous semblait le plus à propos. En effet, le fait de traduire en binôme exige d'harmoniser notre production afin de donner l'illusion qu'elle a été écrite par une seule et même personne.

Pour ce qui est du référentiel, il nous a été très utile de compiler dans un document les différentes œuvres mentionnées dans l'essai de Petra Chu, notamment pour les passages descriptifs. Il nous semblait impensable, voire impossible, de traduire une description sans avoir vu nous-mêmes l'œuvre dont il était question. C'est aussi par l'examen de ces créations que nous avons pu prendre du recul vis-à-vis du texte source et ainsi éviter une traduction trop littérale. Nous avons donc constitué un document dans lequel figuraient une reproduction pour chaque œuvre citée, leur auteur, leur époque, le mouvement artistique associé et le pays d'origine.

Nous nous sommes imposé un délai de trois semaines pour envoyer une première version de notre traduction à Madame Delyfer : deux semaines pour la traduction et une semaine pour la mise en commun et la relecture. Cela représentait un peu plus de 400 mots à traduire par jour, ce qui nous semblait raisonnable et tout à fait confortable dans la mesure où dans le monde professionnel, la moyenne de mots à traduire quotidiennement peut s'avérer largement supérieure : il n'est pas rare qu'un traducteur doive traduire 2 000 mots par jour. Nous avons donc traduit le document en entier chacune de son côté et, avant la mise en commun, nous nous sommes envoyé nos versions respectives par courriel. Cela nous a fait gagner du temps dans la mesure où nous avons pu réfléchir à la traduction que nous relisions et effectuer de nouvelles recherches en cas de désaccord évident. Afin de faire cette mise en commun, nous nous sommes vues quotidiennement, puisqu'il nous semblait plus facile d'argumenter en faveur de nos choix de vive voix plutôt que par ordinateurs interposés. Ce fut un labeur relativement intense dans la mesure où nous nous sommes donc rencontrées tous les après-midis pendant une semaine afin de produire une version commune de nos écrits. Cette démarche nous a appris à justifier nos choix et à faire preuve de rigueur quant à la cohérence de notre travail. Ayant déjà eu l'opportunité de travailler ensemble tout au long de nos deux années de Master, nous savions déjà en amont qu'effectuer cette traduction en binôme ne nous poserait pas de problème majeur, tant sur le plan de la méthode de travail à employer que par l'honnêteté dont nous avons fait preuve l'une envers l'autre. En effet, nous n'hésitions pas à défendre nos points de vue respectifs, nous tentions de communiquer de manière franche afin d’optimiser la qualité de notre traduction finale.

Les enseignantes qui encadraient notre travail ont fait preuve d’une grande réactivité puisque nous avons reçu notre première relecture seulement deux jours après avoir envoyé notre proposition de traduction initiale. Nous avons ainsi reçu un fichier de Word annoté grâce à la fonction « suivi des modifications ». En toute honnêteté, nous avons été quelque peu déstabilisées par le nombre de commentaires et de remarques contenues dans le document. Notre premier réflexe a été de penser que notre traduction était mauvaise, mais Madame Delyfer nous a tout de suite rassurées en nous rappelant qu’apporter autant d’éléments de réflexion était tout à fait normal dans ce type de travail collaboratif. Nous nous sommes donc vues confrontées à des remarques de type terminologique et stylistique. Une fois encore, nous nous sommes rencontrées afin d’apporter les modifications suggérées, et lorsque nous n’étions pas d’accord, nous avons nous-mêmes apporté des commentaires. Nous avons fortement apprécié de pouvoir dialoguer de manière si ouverte avec les enseignantes et de ce fait, nous nous sommes senties valorisées parce que nous avions le sentiment d’être considérées comme de véritables traductrices, des futures professionnelles.

Une fois les modifications validées par Madame Delyfer, nous avons transmis cette nouvelle version à Madame Roussillon-Constanty, qui nous a fait part de ses remarques et commentaires. Nous avons procédé exactement de la même manière que précédemment : nous nous sommes rencontrées afin d’apporter des modifications en fonction des commentaires. Après nous être mises d’accord avec Madame Roussillon-Constanty sur la traduction finale à présenter, nous avons soumis notre travail à Madame Adrien pour validation. Pour ce qui est de la communication au sein de l’équipe, nous avons privilégié les courriels en tâchant de mettre en copie tous les membres afin que chacune d’entre nous puisse savoir où nous en étions dans ce processus, qui aura duré un peu plus d’un mois.

Cette traduction nous a permis de nous confronter à deux éléments majeurs : la traduction spécialisée dans le domaine artistique et la traduction collective. Nous allons donc tenter d’expliquer ce que cette expérience a pu nous apporter à ces égards.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce travail regroupait plusieurs intervenants, trouver un commun accord sur les différents choix de traduction était donc l’un des principaux enjeux de ce projet. La traduction de groupe peut représenter un exercice difficile, permettant cependant d’observer à quel point la traduction, comme toute forme de rédaction, reste à la fois personnelle et subjective. Nous n’avons pas tous la même appréhension et connaissance de notre langue, de la même façon que l’on ne voit pas la langue étrangère, langue source, de la même manière. Pour ce projet précis, l’essentiel du débat a porté sur des problèmes de formulation, de stylistique. Lors de la mise en commun de nos traductions, nous avons sans cesse dû choisir entre deux propositions. Il était très intéressant d’observer comme une même phrase pouvait se décliner et produire des traductions différentes. Nous avons chaque fois choisi l’une des deux options, les avons combinées ou bien encore créé une version complètement nouvelle lorsque nos productions ne nous satisfaisaient pas. Il était très enrichissant d’échanger nos points de vue sur les différents choix et le fait de débattre nous permettait de nous rapprocher au maximum du sens, du vouloir-dire du texte source. En assemblant nos différents éléments de compréhension, nous pouvions balayer un plus grand nombre de possibilités de sens pour ainsi trouver la solution répondant au mieux à chaque idée. C’est ainsi que nous avons pu constater que travailler ensemble et non à distance facilite énormément la tâche. Travailler en virtuel comme c’était ensuite le cas pour la relecture fait perdre plus de temps et rend le travail moins fluide. Il est parfois compliqué de s’expliquer dans un mail ou dans un commentaire de document Word, nous l’avons clairement constaté lors de ce projet. Sur certains points, il fallait se faire une raison et se conformer au choix d’un relecteur par exemple, en abandonnant son choix initial. Cela a été le cas pour la traduction de la première phrase de l’essai que nous avons dû reformuler à plusieurs reprises. Ceci étant, ce mode de travail permet aussi de faire avancer le projet de manière plus rapide et plus efficace, même si les débats sur un point de traduction peuvent également s’avérer très chronophages.

Ce projet nous a permis de constater à quel point un choix de traduction est subjectif, mais aussi combien il est difficile de s’en détacher parfois. Lorsque l’on est convaincu que sa traduction est juste et qu’une autre option nous semble moins pertinente, cela peut être frustrant de se résoudre à modifier sa propre traduction pour opter pour un choix qui n’est pas le sien. Mais ce travail permet également de lâcher prise en apprenant à accepter que la phrase ne soit pas le reflet parfait de ce que l’on imaginait, pour obtenir un résultat global final plus intéressant, toujours grâce à cette confrontation des points de vue et des propositions. Traduire ensemble peut donc être synonyme de déchirement mais apporter ses fruits lorsque l’on combine les compétences de chacun.

Il est également difficile, lorsque l’on est étudiant, d’évaluer la légitimité de notre traduction. Les professeurs sont plus expérimentés, il est donc tentant d’abandonner son premier choix pour se plier à un point de vue plus expérimenté, plus sage peut-être. Or, il est parfois important de ne pas renoncer à son idée initiale, d’autant que l’expérience ne permet pas d’avoir une connaissance sur chaque point. C’est pourquoi il est essentiel de faire un travail important de documentation sur les points les plus glissants, à savoir l'utilisation d'une terminologie adaptée ainsi que des recherches sur les différentes œuvres mentionnées, afin de pouvoir justifier nos choix grâce à une source fiable. Une bonne recherche et un exemple précis et concret peuvent parfois compenser un manque de connaissances initial. Le passage traitant d’une œuvre de Philippe Galle, Acedia, nous décrit une femme endormie sur son bras « a woman has dozed off, her head leaning on her arm » alors que l’image du tableau nous montre que sa tête repose en fait sur sa main.

Ce travail nous a permis de nous confronter à la traduction d'un essai artistique, sans pour autant être spécialistes en la matière. Chaque domaine de traduction présente ses codes, ses spécificités et sa terminologie propre. Le traducteur, au cours de sa carrière, se spécialise dans certains domaines, que ce soit le médical, le tourisme ou le juridique par exemple. Au cours de ce projet, nous avons réalisé une traduction spécialisée dans le domaine de l’histoire des arts, avec, comme nous l’avons vu plus tôt, des conditions réelles de travail : respect des délais, donneurs d’ordres, texte source, logiciel de traduction (SDL Trados en l'occurrence)… Or nous ne sommes pas spécialisées dans la traduction d’essais artistiques. D’où l’importance de la relecture de nos encadrantes plus expertes en la matière. Ce projet nous a donc amené à nous demander : est-il réellement nécessaire d’être spécialisé dans un domaine pour le traduire ? La réponse à cette question semble encore une fois se trouver dans la documentation. Nous avons rencontré plusieurs difficultés liées au domaine des arts. Tout d’abord, la terminologie employée n’était pas toujours évidente pour nous, nous ne savions pas par exemple ce à quoi correspondait la mention « transverse oblong ». À plusieurs, reprises dans le document source en anglais, les tableaux sont comparés et qualifiés de « pendant », nous ne savions pas vraiment ce que ce terme désignait. Après nos recherches, nous avons pu constater qu’il existait en français également. Nous l’avons donc conservé dans notre traduction mais n’avons pas su directement comment l’employer. Nous avons réussi à trouver une définition pour ce terme mais la recherche d’occurrences était plus compliquée : nous n’arrivions pas à comprendre si le terme « pendant » désignait deux œuvres comparées, simplement accrochées côte à côte, ou si ces deux œuvres étaient réalisées intentionnellement en tant que pendants. L’ extrait « they were hung as pendants in Lalive’s collection » pouvait vouloir dire l’une ou l’autre de ces deux possibilités.

Ensuite, comme cet essai traitait des différentes œuvres de l’exposition, il comprenait de nombreuses références. Nous avons donc dû trouver les équivalents des titres d’œuvres ainsi que des reproductions, des visuels, afin d’avoir une idée précise du contenu du tableau, ou de la représentation de la sculpture, pour ne pas commettre de faux-sens dans notre traduction. La traduction des verbes par exemple (« show » ou « present » très fréquemment utilisés) est délicate dans ces cas-là car l’anglais peut parfois se montrer plus elliptique que le français. C’est notamment le cas dans la description des gestes ou la façon dont est posé un élément du tableau (une position de la main par exemple). Pour prendre un exemple montrant combien il est utile de se référer à l’œuvre dont il est question, l’auteure de l’essai décrivait une jeune fille « Sleeping on a half mattress and a pillow ». À quel objet peut correspondre en français un « demi-matelas » ? L’image du tableau que nous avons trouvée nous a aidées à comprendre qu’il s’agissait d’un « matelas grossier ». De la même façon, il était question dans le document source d’un tableau représentant une jeune fille endormie, à côté de « A sewing kit and a pair of scissors », nous avons alors eu un débat sur la traduction de « sewing kit ». En effet, nous proposions « une paire de ciseaux et du matériel de couture », s’est alors posée la question de savoir si « un nécessaire de couture » était préférable ici. L’image tranchait clairement entre ces deux solutions : ce n’était pas un kit, ni l’image que l’on se fait d’un nécessaire qui se trouvait à côté de la jeune fille, mais quelques outils permettant de coudre. C’est pourquoi nous avons choisi de conserver notre proposition initiale plus générale du « matériel de couture ».

Ce projet de traduction s’est donc avéré très enrichissant, tant par les difficultés que celui-ci nous a amenées à surmonter que par l’échange qu’il a permis. Nous avons pu suivre et participer à un projet complet de traduction d’un essai et avoir des retours sur notre travail, ce qui est une grande chance. Nos recherches et notre travail en binôme ont renforcé la qualité de nos propositions et nous ont permis de nous affirmer, tout en ayant ensuite l’opportunité de réaliser une relecture collaborative. Nous pouvions en effet donner notre avis après chacune des relectures. Ce travail, bien que réalisé dans un cadre universitaire nous a donc offert la possibilité de nous confronter aux enjeux réels du métier de traductrice et de mettre ainsi un pied dans ce que sera sûrement notre futur professionnel.

Citer cet article

Référence électronique

Maya Coelho et Olivia Mur, « Traduire pour le Musée des Augustins », La main de Thôt [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 19 décembre 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/522

Auteurs

Maya Coelho

Université de Toulouse 2 – Jean Jaurès

Etudiante de M2 au CeTIM

may.coelho@laposte.net

Olivia Mur

Université de Toulouse 2 – Jean Jaurès

Etudiante de M2 au CeTIM

olivia.mur@laposte.net