Aphorismes²

Sélection et traduction de « métaphorismes » de Ramón Eder

Résumé

Les quelques 60 fragments et aphorismes sélectionnés ici sont issus du recueil Ironías, publié en 2016 par Renacimiento, dans la collection « A la Mínima. Ramón Eder », leur auteur, est l’un des plus grands faiseurs d’aphorismes de notre époque. Méconnu en France, il propose un travail humble et ironique de fragmentation langagière du réel et de réflexion sur l’essence du bref contenue dans la formule aphoristique.

La traduction que je vous propose aujourd’hui s’intéresse aux aphorismes réflexifs, aux aphorismes sur les aphorismes. C’est pour leur teneur « métaphoristique », néologisme qui m’est apparu à les fréquenter, que j’ai choisi de vous les présenter sous le titre d’« Aphorismes2 ».

Texte

Un aphorisme est tout le contraire d’un pavé.

Un livre d’aphorismes doit être comme une de ces plages brésiliennes couvertes de sirènes, jolies et même parfois belles, mais où seule une douzaine d’entre elles nous coupent le souffle.

Les maximes sont comme les vestes : elles peuvent être très belles, mais ne pas nous aller. Il ne faut utiliser que les plus seyantes.

Faire des aphorismes, c’est s’éloigner du singe.

L’aphorisme es un genre littéraire qui ne plaît pas aux lecteurs passifs.

Les bons aphorismes ne pardonnent rien.

Un livre d’aphorismes doit être comme l’une de ces fêtes où l’on voit des femmes sensationnelles, mais où il n’y en a qu’une de littéralement inoubliable.

Un bon aphorisme est un éclair dans l’obscurité.

Les aphorismes, en vérité, ressemblent parfois à de fats chants de coq.

L’auteur d’aphorismes, s’il ne prend pas garde, peut finir par énoncer des vérités d’almanach.

Dans un livre d’aphorismes, chaque aphorisme est un coup de pinceau et l’ensemble forme l’autoportrait de l’auteur.

Écrire, c’est construire des phrases dont l’existence surpasse l’inexistence.

L’aphorisme, depuis l’« Ecclésiaste », a tendu à la solennité et même à la gravité, tel un requiem. Pendant des siècles, sous forme de maxime, il a tendu à énoncer des vérités tristes comme des sépulcres. Mais il y a aussi des vérités joyeuses et l’aphorisme moderne préfère les intégrer pour ne pas accabler le lecteur. Il est bon de lire les grands auteurs d’aphorismes lugubres, tels La Rochefoucauld, Schopenhauer ou Cioran, et beaucoup d’autres encore, dont les excellents aphorismes sonnent comme des clous fermant un cercueil. Mais il faut aussi lire les grands ironistes, moins nombreux, comme Lichtenberg, Oscar Wilde, S. J. Lec ou Jules Renard, qui donnaient à leurs aphorismes un air de comédie, ce dont nous devons leur savoir gré. Car eux aussi disent la vérité, mais en provoquant le sourire. Les aphorismes humoristiques peuvent être aussi lucides que les aphorismes sépulcraux. Et, parfois, c’est ce genre d’aphorismes que nous avons envie de lire pour fuir la prison de la mélancolie.
Prologue « Aire de comédie » du recueil Aire de Comedia

Il est bon que dans les livres d’aphorismes l’on trouve à chaque page, pour le moins, un aphorisme qui nous fasse sourire.

Contre la confusion baroque postmoderne, il n’y a peut-être rien de mieux qu’un néoclassicisme ironique.

Le défi de l’aphorisme est d’écrire une petite grande phrase.

Chesterton : un Apôtre humoriste, brillant et buveur qui a écrit le Cinquième Évangile.

Les aphorismes sans pointe sont comme des décolletés puritains.

Ces phrases qui dorénavant nous accompagnerons toujours.

Les aphorismes « douche froide » peuvent être très bons.

Nombreux sont les grands livres que j’adore qui sont petits.

Généralement, l’auteur d’aphorismes n’a d’autre solution que de tailler en pointe une pierre fine, car il n’a pas de pierre précieuse à sertir.

Le désordre thématique d’un livre d’aphorismes ne doit être qu’apparent.

Un halluciné apocalyptique surgira bientôt et nous dira que l’aphorisme est mort.

Toute ressemblance de ce livre avec la réalité n’est pas une simple coïncidence, c’est une simple observation.

L’aphorisme, quand il excelle, commence où il termine.

Faire d’un malheur personnel un mot heureux est le privilège de l’aphoriste.

Il est bon d’introduire le « je » dans les aphorismes pour savoir que quelqu’un qui nous parle, et pas seulement la sagesse frigide.

N’importe qui peut écrire un bon aphorisme s’il s’y met, ce qui est difficile c’est d’écrire un bon livre d’aphorismes.

L’aphorisme est tout simplement alléger une page de ce qui la surcharge.

L’humour espagnol est excellent dans l’art de nous faire rire en nous prenant au cœur.

Lorsque la pensée et son expression vont de pair, alors surgissent les meilleurs aphorismes.

L’aphorisme, lorsqu’il est bon, c’est un mot heureux, c’est une vérité ironique, c’est un concentré de philosophie, c’est une flèche qui frappe dans le mille, c’est l’intelligence qui cherche une issue et qui la trouve, c’est de l’humour raffiné, c’est un énorme détail, c’est la drôlerie du bref, c’est de l’éthique subtile, c’est la légèreté de la grammaire, c’est du cynisme surplombant, c’est un vers irréfutable, c’est un fragment lucide, c’est l’élégance de la syntaxe, c’est un tour archaïque et moderne à la fois, c’est tout le contraire d’un pavé, c’est une blague sublime, c’est un conte synthétique, c’est de l’esprit scientifique, c’est une pointe mémorable, c’est un jeu de mots révélateur, c’est un paradoxe inquiétant, c’est une autobiographie d’une ligne, c’est une définition inoubliable, c’est de la sagesse lapidaire, c’est de la joie instantanée, c’est un spectacle subversif, c’est la nostalgie du latin, l’aphorisme, lorsqu’il est bon, c’est l’érotisme de l’intelligence.
Prologue « L’érotisme de l’intelligence » du recueil El Cuaderno Francés
Caractéristique d’une époque explosive : le fragment.

L’amour, la mort, le temps qui passe, les voyages, l’injustice, le destin, le pouvoir, les paradis perdus, l’égoïsme, le sens de la vie, l’amitié, l’ambition, la beauté… Voilà les grands sujets de la littérature. Et l’auteur d’aphorismes ose écrire sur tous ces sujets car le genre est ainsi fait, superficiel et profond à la fois. Avec la plus grande brièveté, l’aphoriste tente de dire ce qui mérite la peine d’être lu et retenu. Perfection formelle, pointe, lucidité, ironie et drôlerie sont quelques-unes des caractéristiques qui sauvent le genre aphoristique. Sans elles, on tombe dans l’astuce idiote, dans les simples trouvailles ou dans la grandiloquence stérile. Mais quand l’aphoriste réussit/l’aphorisme est réussi, le miracle a lieu. Les bons aphorismes sont comme des éclairs dans l’obscurité.
Prologue « L’aphorisme comme éclair » du recueil Relámpagos.

L’étrange ambition d’écrire une phrase parfaite.

Dans les recueils d’aphorismes, entre deux aphorismes, il faut un certain espace pour que l’air circule.

La “citabilité” est la qualité principale de l’auteur d’aphorismes.

Cioran, le comte Dracula de l’aphorisme.

L’aphorisme doit imiter les étoiles, qui nous semblent minuscules alors qu’elles sont immenses.

La fonction de l’ironie est de désamorcer les clichés.

Maintenant que tout le monde est ironique, il faudra différencier la fine ironie de l’ironie au kilo, qui est son exacte opposée.

Les recueils d’aphorismes sont des journaux non datés.

Dans les aphorismes que l’on ne retient pas, quelque chose cloche.

Dans les textes qui sont très longs, quelque chose manque.

Certains aphorismes insupportables sont des lapalissades écrites avec une grandiloquence fumeuse.

En tant qu’écrivain, choisir un genre mineur c’est succomber à la tentation de l’échec.

Les trouvailles ne sont pas malvenues dans le genre aphoristique, à condition qu’elles soient bienvenues comme chez Lichtenberg.

Le sens de l’humour nous hisse à la hauteur des grands philosophes pessimistes.

Derrière chaque excellent aphorisme se cache un échec transformé en succès.

L’aphorisme doit nous surprendre, non parce qu’il dit une chose étonnante, mais parce qu’il dit une chose évidente que l’on ne voyait pas.

Il y a dans le ciel des aphorismes à chasser comme si c’étaient des papillons.

Lorsque les vérités sont oubliées il faut les redire sous forme de paradoxes.

L’ironie est ma patrie.

Le meilleur de l’aphorisme, c’est que la première phrase soit aussi la seule.

Un bon aphorisme est une serrure dont on a trouvé la clé.

Un excellent aphorisme est une œuvre d’art laconique.

Un mauvais aphorisme n’enlaidit pas un bon recueil d’aphorismes, mais il est telle une tâche de café sur une chemise blanche.

Nulla die sine aphorismus.

Même le mauvais aphoriste, s’il est constant, parvient à faire chanter parfois par hasard son instrument.

Citer cet article

Référence électronique

Carole Fillière, « Aphorismes² », La main de Thôt [En ligne], 6 | 2018, mis en ligne le 15 février 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/718

Auteur

Carole Fillière

Maître de conférences
Université Toulouse Jean Jaurès

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