Vouloir traduire l’intraduisible : de l’interprétation à la traduction. Visions of Johanna de Bob Dylan dans « la cohérence réversible du monde »

Plan

Texte

« On se fait une idée de la vie dans Desolation Row mais une carte de l’endroit dans Visions of Johanna » 
Greil Marcus

« On s'y promène comme dans une nuit brumeuse, avec pour seule lumière celle d'une allumette ! »
Lola

« Une œuvre est belle si elle est forte ».
« Si l’on comprend tout de suite, c’est que la peinture est mauvaise ».
David Oppenheim

Présenter une chanson insolite depuis sa traduction, partir sur son itinéraire au cœur d’une nuit déroutante et dans un monde disloqué et urbain est une Odyssée en soi. S’abandonner à une quête de sens dans une chanson d’abord baptisée Freeze out puis Seems like a freeze (« On dirait qu’il va geler / dégeler) avant de connaître la gloire sous le titre de Visions of Johanna, parue il y a 55 ans, dans un Tennessee traditionnaliste – sa date de création elle-même remontant, selon Greil Marcus, à la grande panne d’électricité de novembre 1965 dans l’Est américain – est une gageure. Sa traduction, dans le but d'être chantée afin de respecter le rythme interne propre à Dylan, a demandé un dur labeur, et cela juste pour une proposition– sans être certain d’en avoir dépassé le seuil – car Visions of Johanna génère en son sein tous les possibles. La problématique et provocatrice idée de départ étant que de l’intraduisible de tant de signifiés pouvait germer une cohérence française d’une des œuvres les plus obscures et les plus emblématiques de Bob Dylan.

Pour ce travail, nous avons lu et étudié plusieurs traductions officielles - toutes acceptées par le bureau de Bob Dylan - depuis leurs mécanismes, sur tout ce que cette chanson  a généré d’écrits, de réflexions… et ce, depuis les ouvrages de référence à disposition (cf. bibliographie finale). Tout ce qui pouvait s’appréhender dans l’univers musicologique en tant qu’analyses, perceptions, sensations, émotions depuis la gestuelle jusqu’aux diverses prestations vocales voire et enfin depuis un héritage de visions (que les traducteurs se doivent de faire leurs) pour se fondre dans la chanson même. Approcher le travail de Bob Dylan, c’est vouloir tenter de se faire maître de l’art de l’esquive. Il avoue à une amie de l’époque être circonspect des sens cachés que les exégèses extraient de son corpus de chansons, ne sachant pas lui-même toujours ce qu’il voulait dire ou entendait dire (SHAIN, 2016).

Après avoir décrit l’album Blonde on Blonde et la période cruciale 1965-1966 dans le parcours de Bob Dylan, nous nous emploierons à mettre en lumière la foisonnante littérature déployée par le texte du chanteur depuis ses premières interprétations sur scène en novembre 1965. Dans la troisième et la quatrième partie et afin d’éclairer les choix du traductologue confronté au corpus Dylanien de cette époque, nous tenterons de décrire la poïétique en œuvre chez Dylan, sa pensée créatrice et originale à travers un anarchisme apparent et pourtant tourné vers une cohérence fluide ; ce qui nous amène à nous poser la question du sens mais aussi la question de la voix dans le champ des possibles de la traduction

1. Blonde on Blonde et le son des routes

Quelques mots d’abord sur l’album paru en mai 1966. « Visions of Johanna » paraît sur Blonde on Blonde (DYLAN, 1966). C’est le troisième LP de la fameuse trilogie Rock – et sans doute le point culminant de la carrière de Bob Dylan – qui fait suite à « Bringing It All Back Home » et à « Highway 61 Revisited», deux recueils de 1965. L’album ouvre une modernité. Il représente ce que Carmelo Bene résume dans sa théorie de la radicalité à savoir les «  trois I : irréparable, irreprésentable, irréversible » (BENE, 2013). Blonde on Blonde est le premier double album de l’histoire du rock (juste avant celui de Frank Zappa), la pochette y est floue. Une chanson dure 12 minutes et contient toute la face 4 du recueil. On n’y trouve ni le nom de l'artiste, ni le titre du disque. L’album est enregistré à Nashville, après un essai infructueux à New York. C’est le septième album de Dylan en moins de 4 ans et c’est un savant mélange de culture rock et de littérature (William Shakespeare s’y promène avec ses chaussures à clochettes dans l’allée et Ode à un rossignol de John Keats pourrait être à l’origine de notre chanson source). Les structures musicales que Bob Dylan donne aux chansons de cette période, tissent le mystère à l’étrangeté. Ici, rien de linéaire ou de carré. Les géométries sont variables, les rythmes perméables, un jeu fluide de forces répétera-t-il encore en 1978 dans le magazine Playboy (COTT, 2018, 301-357) : « J’ai presque rejoint la musique que j’imaginais : un son subtil, sauvage. Métallique et luisant avec ce que les paroles évoquent » … Un son libre et naturel, non domestiqué… le son des routes, fin comme le mercure, ce corps dangereux et fuyant... mais qui génère tous les autres, selon la définition qu’en donne le savant et alchimiste anglais Roger Bacon (1214-1294) dans sa graduation des métaux.

Le critique Greil Marcus affirmait que le Bob Dylan de l’époque était instantanément capable de produire « des mots destinés à prendre vie à l’instant où ils étaient joués et chantés » (MARCUS, 2013). Dans le film « No Direction Home » (SCORSESE, 2005) de Martin Scorsese, Allen Ginsberg décrit la poésie comme « des mots que vous reconnaissez instantanément, comme étant une forme de vérité subjective qui prend une réalité objective, parce que quelqu’un l’a réalisée ». Quand pour la première fois, l’écrivain de Howl a entendu A Hard Rain’s a Gonna Fall quelques années auparavant, il confessa avoir pleuré ; le témoin de la poésie avait été transmis à la génération d’après.

2. Des interprétations à foison

L’auteur compositeur interprète qu’est Dylan en 1966 ressemble aux poètes maudits de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Que n’a-t-on pas dit de la très visuelle Visions of Johanna ? Elle offre une pluralité d’interprétations. Et elle est dotée d’innombrables vies. L’expérience ressemble à une sorte de seuil affirme John Hughes dans Invisible Now (HUGHES, 2016, 143) : Toutes les exégèses sont et font d’intarissables œuvres ouvertes. Celles qu’Umberto Eco expose comme l’effet poétique : « d’une capacité d’exhumer, de générer des lectures toujours différentes sans en épuiser les possibilités. » (ECO, 2006), proposant « une expérience de transformation, faite de mouvements coopératifs, cohérents ». Une pluralité de sens s’étend et vit dans le texte. L’auteur n’a pas plus « la clé de compréhension que nous-même », dit Alessandro Carrera (CARRERA, 2001, 259). Pêle-mêle, la chanson viendrait de la technique du Cut-up de la Beat Génération. Ron Rosenbaum affirme que Dylan « mine et sape le langage » (COUTURIER, 2016) ; méthodes employées par les poètes de la Beat. Dans cette perspective, ce serait une Drug Song onirique cherchant à reproduire des visions dues aux hallucinogènes. Lawrence Ferlinghetti louait – entre césure et continuité – la capacité de Dylan à mélanger un langage rythmique et poétique du jazz, rapportée à une imagination et une imagerie brillantes, basée sur la non-reproductibilité des interprétations qui se feraient « performances » (CARRERA, 2001, 76). Ne serait-ce pas une merveille symboliste  : « qui balance sur les rivages ses mots et images par vagues et marées » comme le dit Stéphane Kœchlin (KOECHLIN, 2004, 268). Ou bien une chanson expressionniste sur le thème du piège parsemée de visions rimbaldiennes pour Robert Shelton (SHELTON, 1986, 334), laissant entrevoir alors des bouts de vérité par un surcroît d’acuité visuelle : « il va là-bas et il y voit » dit Rimbaud et dont le mécanisme amène : « l’esprit captif de l’auditeur à trouver ses propres pouvoirs visionnaires » (HUGHES, 2016, 25-33). Dans la même logique, mais adossé à la peinture, Alessandro Carrera dépeint le morceau comme une expérimentation expressionniste digne de Jackson Pollock (CARRERA, 2001, 53). Pour certains spécialistes du chanteur, la chanson serait d’ambiance impressionniste. Ce serait une plongée encore dans le Spleen baudelairien pour le poète et romancier Andrew Motion (SOUNES, 2001, 477). On évoque çà et là une chanson cubiste aux personnages fragmentés ou bien une ambiance de « champs magnétiques urbains » convoquant l’évanescence surréaliste.

Nous proposons, depuis cette somme d’interprétations un rapprochement entre cette période de la carrière de Dylan et les thèses Lettristes et Situationnistes de Guy Debord : l’insubordination des mots et l’insubordination aux mots, « se matérialisant dans la pièce comme des objets étranges » (GORIN, 2012, 97-98) qui empruntent le « passage du Nord-Ouest, de la géographie de la vraie vie » (MARCUS, 1998, 209-210), là où se situe la « cohérence réversible du monde ». La ville devenant « Situations » est « perçue ressentie dans un champ de psycho-géographie » (MARCUS, 2018, 423]. En esquissant un monde théâtre ou plutôt d’un cirque urbain piétinant dans un présent éternel, le chanteur du Middle West connecte l’individu à sa société, ce qu’Iván Fónagy nomme « affectivité indicible exprimée par la prosodie » c'est-à-dire : « Les intonations émotives révélant surtout des secrets collectifs » (AMBLARD, 2016, 24). Les mots de Dylan, attrapés au vol, dans ce temps décousu que l’on trouve chez Antonin Artaud, nous apprivoisent, nous ravissent, nous sollicitent, que l’on comprenne l’anglais ou pas : « dans le raffinement subtil d’une poésie de son rythme particulier… [Là où domine]  un langage tout à fait nouveau ». Ce travail sur le langage fait l’admiration du poète Gérard Malanga (GROSS, 1980, 77). Dans cette chanson et d’autres, comme Mister Tambourine Man, « la vie courante » est niée. On tend à chercher de la rupture d’avec l’ennui, « pour se sauver d’une vie tracée réglée d’avance » [ 209-210]. On entrevoit une ville fouriériste, avec « des corps flottants », expression du musicien Steve Strauss (MARCUS, 2013, 545), des slogans sur les murs de la cité : « Trouvez-moi quelqu’un qui n’en soit pas un parasite, et j’irais dire une prière pour lui » .... On s’affirme dans « des micros-climats » ; « on s’invente des nouveaux décors mouvants » (MARCUS, 1998, 209-210). C’est envoûtant, même si dans ce sfumato de Léonard (RAINAUD, 2015, 146), on est coincés, désillusionnés et ravis ; de ce ravissement qui nous entraîne dans notre propre conscience nocturne.

Il y a d’autres lectures possibles encore, une lecture sémiologique par exemple : la chanson regorge de sons urbains du dedans et du dehors « Un son qui dérive même par les fenêtres ouvertes que l’on entend », explique encore Dylan à Nat Hendoff en 1978 (COTT, 2018, 316). Le chanteur liste d’ailleurs les intentions de l’album - et on peut convoquer Williams Burroughs, Céline et Dos Passos, qui eux aussi voulaient faire entendre les sonorités de la ville – ce « son lointain des voies ferrées, des disputes dans les appartements, les bruits de l’argenterie… ».

À la fin du texte, les images désaxées de la ville tiennent d’un certain Naturalisme ou Réalisme : les bruits du dehors remplaçant ceux du dedans, lesquels précipitent la chanson dans l’aube. Le camion du poissonnier, un musicien de rue insomniaque ou désabusé, dans Une zone de Guillaume Apollinaire car à la fin « tu es las de ce monde ancien ! » (APOLLINAIRE, 2001, 7-10)

On peut encore également évoquer le mysticisme de Dylan sous trois formes. D’abord avec le musicologue Alain Weber, lequel dévoile une analyse fine de l’univers dylanien, le  « seul parmi les artistes occidentaux à écrire ses chansons comme on les écrit encore en Orient… Il est le plus connecté à cet univers à travers les images qu’il utilise, les sous-entendus, les anecdotes, les symboles, la multiplicité de discours à l’intérieur d’une même chanson » (MINIMUN, 2013, 32-33). Plus précis, dans la première autobiographie sur Robert Zimmerman, Anthony Scaduto (SCADUTO, 1982, 288-289), évoque la philosophie Zen qui hanterait l’album. L’homme, pourtant parfait, s’est laissé convaincre que le corps et l’esprit sont séparés, laissant la place à l’obsession du moi. La vérité passe par les illuminations, dites encore Vérité ou Visions dans l’espoir d’entrevoir la beauté et qui porte à un niveau de conscience autre … là où cette dernière explose dans le dernier couplet de la chanson. Une dernière composante mystique apparaît pour Wilfried Mellers (CARRERA, 2001, 228), lequel observe que Dylan a incorporé quelques traits de la culture amérindienne comme, par exemple, le peu d’intérêt pour la compréhensibilité du texte au profit de l’arc mélodique du vers. Il dit encore que la voix de Dylan – de manière hyperbolique – est une voix Jewish Amerindian and white, Negro, à la fois blanche et noire, hébraïque et peau-rouge.

Se dessine enfin, au sein de son universalité, une imagerie féminine que l’on peut voir régner sur l’autobiographie. Bono, dans le magazine (BONO, 2000), souligne avec une grande finesse : « Il écrit une chanson entière apparemment consacrée à une seule fille. On y retrouve cette exceptionnelle description d’elle mais ce n’est pas la personne qu’il a en tête. C’est quelqu’un d’autre ». La présence de l’une sublime l’absence de l’autre. Alessandro Carrera dessine Johanna, cette femme du poète dont parle Leopardi … celle introuvable dans son essence et non pas celle difficile à avoir, celle dont on parle pour ne pas parler de celle que l’on ne trouve pas (CARRERA, 2001, 248). Louise pourrait suggérer Joan Baez lorsque sous les traits de Johanna transparaît Sara, l’épouse depuis peu. Navigue-t-on de l’une à l’autre comme dans un jeu de dupe ou d’approche surréelle de la réalité humaine ? Chaque auditeur peut en décider.

A la lumière de cette somme d’indications énoncées précédemment, si riches, parfois discordantes, proposer une traduction de la chanson, en respectant la scansion si particulière que Bob Dylan lui confère, requiert une véritable attention. Il faut tenter de conserver la synchronicité entre les notes, les mots et la déclamation. Ainsi dans Visions of Johanna, plusieurs problématiques s’entrechoquent. Celle que développe le traducteur Michel Delarche dans son ouvrage Trahisons multiples : « l’impossible fidélité sémantique, symbolique et rythmique » (DELARCHE, 2018). Il convient dès lors d’insister sur les difficultés dues à cette phraséologie tellement singulière. Cela dit, comment se fait-il que la claire obscure Visions of Johanna, si peu traduisible mais si peu compréhensible, fonctionne-t-elle aussi bien ? Qu’est-ce qui fait que l’on comble les blancs dans la voix de Dylan pour fomenter son propre récit littéraire ? Comment joue-t-on le jeu de la fiction ? Comment s’y prend-on pour interpréter les signes, le tiraillement entre le paysage et la société urbaine et y entendre une nouvelle critique sociale ? Comment discerner et rendre palpable la part autobiographique au sein de son universalité ? Comment traiter cette étrange chanson d’amour dans son langage nouveau ? Enfin, comment s’approprier ces rythmes internes, l’essence de cette poésie pour lui offrir une présence convenable dans la langue d’arrivée ? Vouloir traduire Bob Dylan, c’est se poser toutes ces questions et cela paraît bien insuffisant. Car instinctivement, on sait que le traducteur a le même défi à relever que l’interprète. Les choix de la traduction ou de l’interprétation se frottent à cette sentence de Dylan « La plupart des reprises semblent mettre mes chansons en jachère » (DYLAN, 2004, 97), visant les quelques 6000 enregistrements issus de ses chansons.

3. AnArchitecture : anarchisme apparent et cohérence fluide

Clive James (CARRERA, 2001, 56-57) affirme que Bob Dylan fait des incohérences ou de la déconnexion sémantique, de la « non-connaissance exacte de ce qu’il dit une vertu ». Par ailleurs, les textes de cette époque sont liberticides des formes normées. Les géométries sont variables, les rythmes perméables. Les chansons jouent de l’irrégularité et pourtant les rythmes internes, les assonances et les couleurs affirment toutes les nuances de la régularité dans une recherche perpétuelle de sophistication. Les albums de 1965-1966 deviennent incompréhensibles pour partie de son public des Droits Civiques accroché à la pureté de la musique Folk, qui le lui fait bien comprendre en retour, en huant la partie électrique de ses concerts. À l’intérieur, les points de vue changent et on se demande qui parle et qui est parlé, ce qui est véritablement prononcé. Dylan brouille les pistes depuis un « lointain si proche » (BENJAMIN, 2000, 278) selon l’expression de Walter Benjamin pour qualifier l’Aura de l’œuvre d’art.

Visions of Johanna dure 7 minutes 30, se compose de cinq strophes irrégulières. Elle se termine par une coda, c'est-à-dire une strophe plus longue. Si les couplets sont de longueurs inégales, les vers sont disparates avec des pieds supplémentaires ou retranchés. Cette quête de compression ou de décompression permet à Dylan de faire : « tenir cinq mots dans un vers de dix et dix dans un vers de cinq » (MARCUS, 2013, 50-51). Il pousse ses paroles dans tous les sens. Il crée de la tension, de l’impact et des lignes de variations. Et si l’on rajoute la fragmentation de la linéarité narrative, la sensation d’un ruissellement de mots, de phrases, de vers ne se dément jamais. L’historienne américaine Alice Kaplan valorise « ces longues phrases plates, ponctuées par quelques extravagantes diphtongues … Louiiise… » (KAPLAN, 2016). Bien entendu, Visions of Johanna peut se lire comme un long poème dans une lecture lente pour essayer de se familiariser avec la signification, de se frayer un chemin du vu à l’in-vu. Elle s’affirme dans une imprécision souhaitée : « Je voulais quelque chose qui aille au-delà de la technique et qui arrive au but avant que la technique ne se soit rendu compte de ce qu’elle faisait » (COTT, 2018, 601-603). En 1966, Kenneth Rexroth déclara que Dylan a ce mérite de proposer des vers d’une « surprenante grande qualité », même dans une lecture « froide et dans une attitude hypercritique » (CARRERA, 2001, 53). Le romancier Britannique Will Self défend l’idée que les paroles « se prêtent à une analyse interprétative tout aussi riche que les poèmes les plus complexes » (SELF, 2011, 89-90). Robert Cristgau pense que si Dylan n’a pas rénové la poésie américaine, il a rénové l’univers de la chanson. Alexandre Carrera (CARRERA, 2001, 53), tempère quelque peu en notant que certains vers ne résisteraient pas à une analyse littéraire mais que la logique et la scansion de la voix – creusée par chaque parole – permettent de ne pas trébucher sur des problèmes de compréhension.

Pour le traducteur, tout peut faire écueil. À titre d’exemple, les deux premiers vers des cinq strophes sont tellement longs qu’ils déforment l’espace tout en parvenant à l’occuper noblement et entièrement. Cette entame organise et met le récit en apesanteur. Dylan impose une élocution lente, joue avec et sur les silences, puis accélère ou casse le débit pour correspondre parfaitement à la phrase musicale. Il ralentit ; et ça devient presque méditatif. Il prive ou augmente sa narration ; et ça foisonne. C’est assez déconcertant à traduire, surtout si l’on tient à respecter le rythme indispensable à l’onirique narration. Il faut rajouter des pieds ou en ôter (strophe 3) dans la traduction pour rendre visible le lien et l’harmonie qui prévaut à la phrase musicale et celle écrite. Les strophes 5 et 6 donnent une idée de la difficulté à tenir le pari de s’en tenir à la cohérence du phrasé : lean en anglais : « effilée » (« mince, effilé comme un couteau, maigre mais aussi difficile, dégraissée épurée…) une voix qui perce » comme la décrit Pascal Bouaziz (BOUAZIZ, 2012, 40-41) du Dylan de l’époque.

Bien entendu, on ne peut choisir une seule approche de traduction. La seule traduction linguistique serait bien trop réductrice : le texte en dit bien trop. La chanson s’offre aux auditeurs par de multiples canaux, par de nombreuses possibilités cognitives. Plusieurs méthodes sont donc nécessaires afin de mettre en valeur les strates de coprésences : une approche respectant la valeur littéraire de l’œuvre traduite tient compte de « l’énergie » de la langue. Cela permet dès lors de conserver cette « équivalence dynamique » produisant le même effet que dans la langue cible, comme l’a théorisé Eugene E. Nida (NIDA, 1964). La célèbre formule de Jakobson : « La poésie, par définition, est intraduisible. Seule est possible la transposition créatrice » paraît tout à fait adéquate (JAKOBSON, 1986, 86). Nous pouvons également appréhender la pièce chantée depuis sa charge sémiotique car elle regorge de bruits du dedans puis du dehors : « de froissements et de chuchotements, de radio à bas volume » (MARCUS, 2013). Dans la coda, les images désaxées s’estompent dans les bruits de l’aube urbaine. D’autres signes encore s’étalent presque picturalement : la Gioconda de Léonard puis de Duchamp ou de Dali en incarnations vivantes ou asséchées accrochées aux cimaises des musées ou sur les routes américaines : « Mona Lisa a le blues des routes » et « le fantôme de l’électricité hurle dans les os de son visage », celui de Louise (notre traduction).

Il est paradoxalement aussi difficile de traduire lorsque le texte se fait presque intelligible. Notamment, quand il s’agit de placer la loupe sur les deux héroïnes, Louise et Johanna. Dylan joue sur les identités, de manière ambiguë et subtile, en présentant la tangible et très accessible Louise et/à son pendant idéal absent Johanna. On dévale ce paysage urbain en leur compagnie et avec celle de « gens dérangeants » : « d’une parade d’exclus de snobs condescendants » (MARCUS, 2013), d’un veilleur de nuit inquiétant avec son instrument dysfonctionnant (image que lui confère Arnaud Maisetti) (MAISETTI, 2016), d’un camelot ( est-ce un vendeur ambulant/ camelot / dealer, on ne sait trop), d’une comtesse à la morgue certaine, des filles de la nuit qui rêvent d’ailleurs même si pas très loin dans le D train, d’un petit garçon perdu qui ressasse ses caprices (peut-être le narrateur lui-même dans une entreprise d’auto dénigrement ou de lucidité). « Les gens qui nous entourent sont irréels si on les observe à distance » dit Scaduto (SCADUTO, 1982, 288-289) à propos des chansons de l’album dans la première biographie autorisée. Cette multitude de signifiés impose au traducteur de devoir choisir en fonction de ses perceptions (ce que demande de fait l’originalité de la formulation caméléon du langage de l’écrivain Dylan entre 1964 et 1968). Se pose ainsi de savoir comment éviter l’écueil des pronoms, de l’usage qu’en fait Dylan, des points de vue qui changent continuellement et perdent ou confondent l’auditeur dans le récit. Les personnages s’esquissent dans une sorte de dissolution cubiste, aux identités brouillées par l’alternance des pronoms des première, deuxième et troisième personnes (qui anticipent la narration non linéaire de Tangled up in Blue (DYLAN, 1975). À ce même Anthony Scaduto, il avoua, qu’avant d’écrire l’album John Wesley Harding (DYLAN, 1968), il avait découvert quelque chose de surprenant à ses yeux, à propos des chansons écrites précédemment… sur le fait qu’il utilisait des mots comme « lui, et celui-là, ils, eux », que croyant attaquer ou critiquer les autres, en fait il ne parlait que de lui.

En traduisant Visions of Johanna, en l’interprétant, il y a la place qui nous revient de droit car nous ne pouvons –ni ne devons- nous extraire de cette participation. La chanson commence comme conversation informelle, par une question rhétorique inoffensive. L'utilisation du « you » impersonnel, nous attirant dans l'univers de la chanson, et ce avant que le chanteur nous identifie à un des échoués « we » du deuxième vers (HUGHES, 2016, 143).

« Ain’t it just like the night to play tricks when you’re tryin to be so quiet?
We sit here stranded, though were all doin our best to deny it »

« C’est bien de la nuit de nous la jouer quand tu voudrais pouvoir seulement te poser
Nous sommes échoués ici mais on fait au mieux pour vouloir simplement le nier »

Ces personnages/pronoms sont piégés dans cette pièce « lugubre, froide et humide, fétide » (MARCUS, 2013, p. 546). Nous demeurons enfermés dans la structure libre de la chanson et dans sa lassitude. On comprend ce qui s’y passe, sans pour autant se l’expliquer. A-t-on envie d’en sortir ? Certainement pas. On veut explorer la scène nous-aussi filmés : « par effraction à l’aide d’une caméra pivotante » (SHELTON, 1986, p. 334). C’est tout l’art de Dylan de nous rendre sujets. On est dans « l’économie émotionnelle », selon le concept de Marie José Mondzain : « On fait commerce de soi » (MONDZAIN, 2003), en soi : on en prend, on en laisse. Son imagerie creuse en nous. On dérive avec elle tout en habitant « notre cathédrale personnelle » (MARCUS, 2018, 423-435). Par exemple, dans la traduction du verbe to Strand, être coincé, il est préférable d’utiliser le verbe échouer ou piéger. Cela sous-tend le marquage d’un temps désopprimé (que l’on retrouve souvent dans le corpus Dylanien ; ce choix se faisant par la comparaison de ce verbe ou d’autres proches sémantiquement dans plusieurs chansons de la période citée) et implique une situation que l'on ne contrôle pas. Derrière le paradoxe d’être coincé, il y a l’idée d’en sortir, de s’en sortir pourtant la curiosité d’être là est plus importante que l’échappatoire.

4. Question du sens, question de voix

George Steiner insistait sur l’homogénéité (STEINER, 1978), la forme étant indissociable du sens. Toutefois, il convient de s’interroger sur une définition qui conviendrait à l’univers de Bob Dylan. Ce qui est certain, c’est que cette quête de sens est loin d’être suffisante dans le corpus des 600 chansons. C’est un paramètre parmi d’autres : « Les musiciens ont toujours compris que mes chansons sont plus que des paroles » écrit Dylan dans Chroniques (DYLAN, 2004, 132). Les structures sont tellement malléables qu’il faut presque oublier le littéral et le rationnel au risque de passer à côté.  La voix de Dylan détruit, ou dissout, les formes de la norme. La voix projette des visions, va vers le futur et crée du cinéma intérieur. Le visible est soumis à l’audible selon Jacques Rancière et dès lors, bridé par le pouvoir de la parole. Pourtant Dylan libère le langage ! La définition d’Alessandro Carrera : « Bob Dylan est avant tout un poète de la voix » (CARRERA, 2001) correspond parfaitement aux enjeux. « Mais, contrairement à la littérature, les chansons sont destinées à être chantées et non pas lues », affirme Dylan (DYLAN, 2017, p. 32). Son geste créateur, sa poïesis entre « invention » et « travail », c’est sa voix, ce sont ses voix, – polymorphes – cette capacité à faire passer mille choses entre : « le non-sens, l’autodérision, l’ironie (…). Les « éléments de sarcasme que seule, sa manière de chanter ou de déclamer rend perceptibles. » (KAPLAN, 2016). Plus que ce qui est dit, c’est la manière de le dire à l’aide si besoin de transformations abruptes du timbre et qui dit tout. A-t-on besoin de comprendre absolument tout pour être subjugués ou accompagner le récit? Non. La voix de Dylan dit elle-même et c’est suffisant parce qu’elle occupe tout l’espace. Cette voix démonétise ou abolit le temps car elle sait : « instinctivement quelle syllabe accentuer et celle à faire danser » (MARCUS, 2013). Cela rend plus ardu ou finalement plus aisé le travail du traductologue par cette libération et occupation de l’espace. Le fait qu’il ait su trouver ce ton de voix au milieu des années soixante constitue la véritable innovation de Bob Dylan.

D’ailleurs, on accepte d’entrer dans ses mots à lui, des mots qui nous explorent, des « mots-matière » comme dit Simenon (SIMENON, 1965) « équivalents à des couleurs pures » qui enfantent des figures dynamiques. Robert Shelton prête aux mots du texte « une valeur musicale au-delà de l’identifiable » (SHELTON, 1986, p. 334). Au cours de leur conversation, Dylan lui dit : « Ce que je fais est en couleur !» (SHELTON, 1986, 353-368). Là, se tisse alors un récit de sons autant que d’images, ce que Janacek soumet comme des : « mélodies du discours ayant des lignes d’évolution intérieure, restées secrètes » (AMBLARD, 2016, 24). Trop décortiquer, ce serait faire fi des jeux que Dylan impose à ses narrations.  « Réduire Dylan aux mots est un non-sens » pour le professeur Christopher Ricks (RICKS, 2016) : « Dylan cherche à faire jouer le rythme contre la métrique. Les cadences, le phrasé ou le jeu subtil … modifient les lieux où se cachent les pouvoirs du texte ». Il rajoute : « La voix et la musique viennent se surajouter aux paroles pour donner aux mots une dérive et une direction encore différentes ». Ces « rythmes, le souffle, l’accentuation rendent ses textes difficiles à dire » pour Thomas Karsenty-Ricard (KARSENTY-RICARD, 2016). Chaque note chantée peut être altérée, digne d’un mélisme1, d’une distorsion de la hauteur, d’un retard ou d’une anticipation. La magie ne peut opérer que si l’on obtempère aux injonctions de Dylan – dans l’interprétation comme dans la traduction. Les rythmes internes, le débit, le phrasé font l’essence de ces chansons et travaillent l’universel : une voix et un récit ou « la voix se promenant dans le récit ». Une voix qui s’étire, parfois les cordes vocales comme évidées par l’esprit qu’elles distillent, le tout dans une poésie très visuelle ; alliance d’un langage nouveau et d’un phrasé unique. Tout passe par l’oreille, d’une intimité brouillée nous éloignant du monde : comme le dit Alice Kaplan, « sa poésie n’est pas dans le signifié, elle est quelque part dans cette façon unique de dire, de déclamer » (KAPLAN, 2016).

D’autres raisons peuvent expliquer l’originalité de cette époque charnière. La première, c’est l’extraordinaire facilité du chanteur, capable de se focaliser sur sa respiration, maîtrisant sa cohérence cardiaque qui pourrait expliquer cette écriture, « Le souffle étant étroitement lié à l’émotion » pour Yoshi Ioda (IODA, 1998, 119-138). La deuxième, c’est le documentariste Pennebaker qui la donne comme clé de compréhension. Il lie le phrasé de Dylan à ses origines du Middle West. Il était fasciné par ses manières de « parler, par sa façon très singulière d’inverser les mots et par ses intonations qui le rendaient très différent des autres » (RIGOULET, 2012, 78-80). Enfin, raccrocher son écriture – et ça pourrait être un angle de recherche – à la pensée des Situationnistes permet d’interpréter ce Dylan-là, de transposer, entre sonorités et couleurs des mots, une dérive à partir d’une immobilité. Interpréter, c’est vouloir traduire en cherchant les micro- climats et les décors mouvants à s’inventer d’où « la beauté nouvelle serait provisoire mais vécue » (MARCUS, 2018, 413) (comme au hasard dans ce vers : «  Louise, elle tient une poignée de pluie, elle voudrait que tu la défies ») depuis l’idéal du Lettriste Ivan Chtcheglov. Toutes les grandes chansons de Bob Dylan sont dans ces interstices. Alors, le plus grand mystère de sa musique est de savoir comment entrer dans les sons, les silences, le phrasé, les significations, les rythmes inhérents pour paraphraser le compositeur Arvo Pärt (ARTOZQUI, 2015, 18-19). Le grand mystère du langage génère la question de savoir comment entrer dans les mots.

Conclusion

L’art Dada « détournait le monde du désir humain de refaire le monde » (MARCUS, 1998, 262). Bob Dylan a des côtés Dadaïstes, selon certains observateurs. Il s’est comparé plus d’une fois à un trapéziste. Clive James nous dit qu’il rêve de  « grands édifices, même si les murs ne sont pas soutenus par des poutres et que les toits restent à ciel ouvert » (CARRERA, 2001, 57). Citons encore une fois le remarquable travail de Greil Marcus pour conclure : « Quand le langage de la société aura été oublié, les gens essaieront encore d’apprendre celui de l’artiste, pour parler aussi étrangement que lui, avec le même indéchiffrable pouvoir. Voilà l’idée. » (MARCUS, 2005, 195).

Mais traduire Dylan n’est-ce pas tenter de construire, une astucieuse imposture selon les mots de Santiago Artozqui (ARTOZQUI, 2015, 18-19). Visions of Johanna naît d’une atmosphère. Pour en respecter les règles, le traducteur finalement, comme l’interprète, a besoin de redessiner un espace pour tenter de recréer ce qu’a produit la langue cible. Le texte n’étant qu’une des matrices de la chanson, en respectant sa phraséologie interne, entre rythme et débit, on peut tenter de s’emparer modestement et à partir de mots des « situations indansées…qui coulent librement sur ma lèvre et ma langue, pour créer », selon la philosophie existentielle de Woody Guthrie (GUTHRIE, 1978, 41). Les vers de Bob Dylan sont des muscles comme ceux des chats d’une élasticité étonnante qui se raccourcissent ou s’étirent selon ses besoins. Il faut s’en saisir pour traduire. Une lisibilité finalement se fait jour dans l’in-lisible depuis la surface de nos perceptions et c’est à cela qu’il faut s’attacher pour approcher quelque peu les manières d’écrire, de dire, de faire de Bob Dylan.

Les derniers mots à Jean Giono (GIONO, 1990) et à Adorno (ADORNO, 2004, 381-382). Dans un entretien à Jean Amrouche, Jean Giono donne sa définition de la réalité : « La réalité est une matière presque inutilisable pour moi. J'en reçois des exemples et des reflets que je transforme après. La réalité ne me sert que par reflets ». Entre esthétisme et empirisme, Adorno appelle « atmosphère des œuvres d’art le mélange de leur effet et de leur constitution interne en tant que dépassant leurs éléments particuliers ». La perméabilité de Visions of Johanna reflète le processus de découverte esthétique qui semble agir sur Dylan ainsi qu’une nouvelle conception d’affronter la morale dominante à travers la main provocatrice de Louise et sa poignée de pluie. Dans la nudité des accoutrements de plateau en 1966 et depuis, l’artiste américain suspend le temps, réinvente les territoires, précise les incertitudes, condense et critique les logiques quotidiennes et les attitudes irrationnelles, s’éloigne des pièges que les chansons s’auto-fabriquent. Le traducteur dans cet espace libre et confiné doit suivre la logique qui s’impose à lui, que lui impose quelque part la machinerie de la chanson. Enfin, les pistes se brouillent à 55 ans de distance… Je vous invite à découvrir les différentes versions qui permettent d’appréhender au mieux cette œuvre déroutante, élastique au fil des décennies. Ces transformations déclenchent de nouvelles problématiques dans l’univers de la traduction, chaque performance modifiant les inflexions du texte. La version de l’album Blonde on Blonde et surtout les performances exceptionnelles de fin 1965 à mai 1966, lorsque Dylan savait occuper chaque mètre carré de l’espace avec trois accords, des mots foisonnants et une voix sans pareille. Ensuite la chanson se fait sporadique jusqu’en 1999… Elle est réinterprétée une fois en 1974 puis deux fois en 1976 durant le spectacle itinérant Rolling Thunder Review (dont une des sources d’inspiration est  Les enfants du Paradis). La chanson disparaît jusqu’en 1989 (à San Diego), puis retourne au répertoire en 1992 (à Minneapolis), Deux fois en 1996 (à Portland et Differdange) puis elle s’inscrit au répertoire de manière durable à partir des années 2000 – versions superbes d’Akron en 2013 et d’Eastlake en 2005. On ne peut espérer traduire Bob Dylan qu’à partir d’une dérive, en s’affranchissant de la rigidité de la pensée, pour laisser libre court, en se soumettant au flot de son régime esthétique.

Note de fin

1 Répartition d'une durée musicale longue en un groupe de notes de valeur brève (Larousse)

Visions of Johanna Blonde on Blonde 1966

1. C’est bien de la nuit de nous jouer des tours quand tu voudrais pouvoir seulement te poser

Nous sommes échoués ici mais on fait au mieux pour vouloir simplement le nier

Louise, elle tient une poignée de pluie, elle voudrait que tu la défies

Les lumières grelottent dans le loft d'en face

Dans la pièce, la tuyauterie  tousse ses râles

La station country joue frêle ce qui passe (variante. sous le masque)

Mais il n’est rien, vraiment rien à éteindre

Juste Louise et son amant perdus dans leur étreinte

Et ces visions de Johanna, dans mon esprit, qui m’ interpellent (var. à ma conquête)

2. De la parcelle vide où  les dames jouent à colin Maillard avec le porte clé

Où les filles de la nuit murmurent leurs envies de fugue dans le train lancé

Au cliquetis de sa torche, le veilleur de nuit

S’interroge qui est fou, elles ou lui

Louise, pour elle ça va, elle est juste là

Fine comme le miroir, délicate à tout va

Mais elle rend si concrète, elle rend si nette l’absence de Johanna

Le spectre de l électricité hurle dans les os de son visage

Où ces  visions de Johanna ont désormais pris ma place.

3. Petit enfant perdu, c’est qu’il se prend tellement au sérieux

Il brandit sa détresse, il apprécie tout ce qui est périlleux

Et lorsqu’ il parle d’elle

Il évoque un baiser d’adieu qui m’était destiné.

Il est gonflé, il ne manque pas d’air ; quel toupet, inutile comme il est

Quand il cancane avec les murs et que je fais antichambre

Oh Comment expliquer

Oh c’est si dur, si difficile de s’accrocher

Et ces visions de Johanna qui me tenaillent à l’aube en allée. (Var. Dépassée)

4. A l’intérieur des musées, l’infini passe en jugement (var. l’éternité)

Un écho de voix … ce doit être ça le salut au bout d’un moment

Mais Mona Lisa … le blues des routes, elle le vit

Suffit de voir comme elle sourit

Vois les giroflées sur les murs se figer

Lorsque les femmes aux visages gélatine éternuent. (Var. aux visages de conserve)

Et celle à la moustache de dire : « Doux Jésus, mes genoux, je ne les sens plus »

Oh à la tête de la mule, pendent joyau et jumelles

Mais ces visions de Johanna rendent la chose bien cruelle

5. Maintenant le camelot s’adresse à la comtesse qui fait mine de s’occuper de lui

Qui dit : « Montrez-moi quelqu’un qui ne soit pas un parasite

J’irai dire une prière pour lui »

Mais comme dit Louise à l’envi :

« On a ce qu’on mérite ! » Alors qu’elle s’apprête pour lui. (Var. on est ce qu’on mérite)

Et Madone ne s’est toujours pas pointée

On voit la cage désertée qui se corrode

Là où sa cape de parade s’était jadis écoulée

Le violoneux reprend la route pour voir autre chose

Sur la custode du mareyeur qui s’approvisionne

Il tague : «  ce qui est dû, a été rendu » Pendant que ma conscience explose

Les harmonicas récitent la pluie et les clés squelettes

Et ces visions de Johanna sont maintenant tout ce qui reste.

Notre traduction a été réalisée après consultation des traductions suivantes :

DYLAN, 1975, Écrits et dessins: mars 1962-décembre 1970 ; DYLAN, 2017, Lyrics/ chansons 1961-2012, POUILLET, MAISETTI, et BON.

Citer cet article

Référence électronique

Philippe Usseglio, « Vouloir traduire l’intraduisible : de l’interprétation à la traduction. Visions of Johanna de Bob Dylan dans « la cohérence réversible du monde » », La main de Thôt [En ligne], 8 | 2020, mis en ligne le 22 janvier 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/840

Auteur

Philippe Usseglio

Aix-Marseille Université
philippe.usseglio@hotmail.fr