Le Moorsoldatenlied : analyse traductologique et musicale d’un hymne international

Plan

Texte

Tout n’est que reprise, d’une version à une autre, d’un transport à un autre ; pas seulement comme variation autour de « thèmes éternels » – mais comme vol à tire d’aile, souffle qui porte plus loin, et fait remonter plus avant. La frénésie d’emprunts et de pillages réciproques qui caractérise les musiques populaires, n’est qu’une tentative pour attraper au vol cette chanson d’origine, respirer un temps dans son souffle (MARTIN, 2010).

Le Moorsoldatenlied, Börgermoorlied ou Lied der Moorsoldaten, plus connu en France comme Le Chant des Marais ou Chant des déportés, est né à Börgermoor, l’un des premiers camps de répression du IIIe Reich, durant l’été 1933. « Exfiltré » du camp, il est rapidement traduit dans plusieurs langues en fonction du parcours d’exilés politiques, et ce dès 1933. Alors que le chant se propage en dehors de l’Allemagne, il connaît également nombre de traductions par des détenu·e·s à l’intérieur même du système concentrationnaire, en français, italien, russe, tchèque ou encore en polonais. C’est ce destin remarquable du Moorsoldatenlied, pendant et après la guerre, ainsi que ses nombreuses versions musicales qui font l’objet de cet article. Pourquoi et comment un chant composé par des artistes amateurs a-t-il pu connaître un tel engouement et une telle diffusion ? Il existe aujourd’hui près de deux-cents traductions du poème, mais toutes ne respectent pas la versification, toutes ne sont pas destinées à être chantées. Nous nous intéresserons ici uniquement aux cas de « traduction musicale », c’est-à-dire de l’appropriation du chant considéré comme une entité où fusionnent musique et texte, pour en proposer une nouvelle à un public. Diverses approches d’appropriation ou de reprises du chant seront abordées, entre « tradaptation », interprétation, « foreignization » et « domestication », de l’esthétique du Kampflied communiste allemand au chant polyphonique corse a cappella.

Naissance du premier hymne concentrationnaire

Situé dans le Pays de l’Ems en Basse-Saxe, Börgermoor est en 1933 un Schutzhaftslager (« camp de détention préventive ») qui renferme des opposants politiques ou religieux du Rhin et de la Ruhr, sous la surveillance de recrues SS. Les détenus sont chargés d’assécher les marais alentour et d’achever la construction du camp, six jours par semaine. Les mauvais traitements y sont quotidiens et, sous couvert de « rééduquer » politiquement des détenus majoritairement communistes, les SS y exercent une discipline qui vise à briser physiquement et psychologiquement ceux qui sont emprisonnés1. Quelques heures de « temps libre » sont accordées les dimanches et servent avant tout à reprendre des forces ou, pour ceux qui le peuvent, écrire aux proches. Deux heures d’autorisation de fumer sont parfois octroyées. C’est ce qui se produit un dimanche d’août 1933, lorsque les détenus reçoivent le tabac qui leur avait été saisi à leur arrivée au camp, à condition de restituer ce qui n’aura pas été fumé. Renouant avec un plaisir qui leur avait été interdit, ils oublient momentanément les semaines de traitements dégradants et de terreur exercée par les SS ; on parle de son foyer, de ses proches, on tisse des liens d’amitié. Certains réfléchissent même à la possibilité d’organiser des activités sportives ou artistiques tous les dimanches pour consolider ces liens et conserver une dignité humaine indispensable à leur survie. Des contacts sont pris entre prisonniers de différentes baraques, dans une véritable émulation. Le comédien Wolfgang Langhoff est présenté à Johann Esser, mineur dans la Ruhr et militant du parti communiste allemand (KPD), auteur de poésies et de chansons ouvrières publiées dans le journal local Ruhr-Echo, l’un des organes du parti. L’idée de la composition d’une chanson voit déjà le jour ; faisant office d’« hymne » du camp, elle aurait également pour vocation de remplacer les traditionnels chants de soldats entonnés par les détenus, sur ordre des SS, lors des déplacements quotidiens à l’extérieur du camp.

L’euphorie de ces deux heures de semblant de retour à une réalité oubliée prend fin avec la restitution du tabac non consommé, que les détenus décident de cacher. Les SS fouillent sans succès. Ils reviennent dans la nuit, après une soirée de beuverie, mettent à sac deux baraques et retrouvent du tabac. Armés de lattes trouvées dans le camp, ils frappent alors aveuglément, provoquant un état de panique générale. Cette « Nuit des longues lattes », ainsi que la surnommera Langhoff dans son témoignage publié en 1935, se soldera par plusieurs blessés graves et des dizaines de blessés légers.

Quelques jours après l’événement, Johann Esser remet à Langhoff un poème en six quatrains hétérométriques, dénonçant les conditions de vie des détenus et exprimant l’espoir d’une libération future. Les prisonniers y sont désignés comme « soldats du marais » (Moorsoldaten), par allusion à l’allure militaire que leur donne leur bêche portée sur l’épaule tel un fusil lors de leurs déplacements hors du camp. Chaque quatrain fait alterner octosyllabes et heptasyllabes, en rimes croisées majoritairement parfaites :

1- Wohin auch das Auge blicket,
Moor und Heide nur ringsum,
Vogelsang uns nicht erquicket,
Eichen stehen kahl und krumm.

2- Hier in dieser öden Heide
Ist das Lager aufgebaut.
Wo wir fern von jeder Freude
Hinter Stacheldraht verstaut.

3- Morgens ziehen die Kolonnen
In das Moor zur Arbeit hin.
Graben bei dem Brand der Sonne,
Doch zur Heimat steht der Sinn.

4- Heimwärts, heimwärts jeder sehnet,
Nach den Eltern, Weib und Kind.
Manche Brust ein Seufzer dehnet,
Weil wir hier gefangen sind.

5- Auf und nieder geh’n die Posten,
Keiner, keiner kann hindurch.
Flucht wird nur das Leben kosten
Vierfach ist umzäunt die Burg.


6- Doch für uns gibt es kein Klagen,

Ewig kann’s nicht Winter sein.

Einmal werden froh wir sagen:

Heimat, du bist wieder mein!

1- Où que le regard se porte

Rien que la lande et des marais 

Aucun chant d’oiseau ne nous revigore

Les chênes se dressent, dépouillés et tordus

2- Ici, dans cette lande déserte

Est construit le camp,

Où, loin de toute réjouissance, nous

Sommes parqués derrière des barbelés.

3- Au matin, les colonnes s’acheminent

Vers le travail dans le marais.

Creusent sous un soleil de plomb

Mais à leur foyer leur esprit songe.


4- À la maison, à la maison chacun songe

À ses parents, sa femme et son enfant

Plus d’une poitrine pousse des soupirs

Car nous sommes prisonniers ici.


5- Les gardiens vont et viennent,

Personne, personne ne peut passer.

La fuite ne ferait que nous coûter la vie,

Cette forteresse est close par quatre murs.

6- Mais pour nous pas de plainte,

L’hiver ne peut être éternel.

Un jour, joyeusement nous dirons :

Ma patrie, te voilà mienne à nouveau !

Ce poème ayant connu une remarquable « tradaptation » française, que nous aborderons ultérieurement, nous avons choisi ici de proposer notre propre traduction littérale « utilitaire » à destination du lectorat non germanophone pour en restituer au mieux le contenu, au détriment d’une forme versifiée ou littéraire qui rendrait il est vrai davantage honneur à la qualité poétique de l’original.

Poursuivant l’idée de composition d’un hymne du camp, Langhoff ajoute à ce poème deux refrains, plus descriptifs que poétiques, en octosyllabes : un qui ponctue les cinq premières strophes, et un refrain final concluant l’hymne.

Refrain : Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!!

Refrain final : Dann ziehn die Moorsoldaten

Nicht mehr mit dem Spaten ins Moor!

Refrain : Nous sommes les soldats du marais et

Nous partons avec notre bêche dans le marais !

Refrain final : Alors les soldats du marais ne partiront

Plus avec leur bêche dans le marais !

Il se met ensuite en quête d’un compositeur susceptible de mettre le poème en musique. L’une de ses accointances politiques Rudi Goguel, représentant de commerce et bon musicien amateur âgé de vingt-cinq ans, se propose d’en réaliser une version à quatre voix. À la faveur d’un séjour clandestin à l’infirmerie du camp, il parvient à composer la musique en trois jours.

Fig. 1 Das Moorsoldatenlied, version originale pour chœur d’hommes à quatre voix

Fig. 1 Das Moorsoldatenlied, version originale pour chœur d’hommes à quatre voix

Extrait n°1 : interprétation par l’ensemble ARGUS (1997)
https://www.youtube.com/watch?v=86-VZDFi_Y8&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=1

L’esthétique générale du chant et son écriture à quatre voix trahissent une forte influence du répertoire des chants de travailleurs communistes des années Weimar (Arbeiterlieder). Les nombreuses fautes de contrepoint – quintes et octaves directes ou parallèles notamment – révèlent pour leur part le niveau amateur de Goguel en matière d’harmonisation.

Un cirque à Börgermoor

La violence de la répression SS conforte Langhoff et certains co-détenus dans la volonté d’organiser des événements fédérateurs le dimanche. Peu après la « Nuit des longues lattes », ils demandent et obtiennent l’autorisation auprès de la Kommandantur d’organiser un spectacle de cirque. Au sein de la population du camp, les avis sont partagés face à cette initiative. Certains craignent que l’événement soit utilisé par le ministère de la Propagande pour minimiser les mauvais traitements dans les camps. Pour d’autres en revanche, cet événement constitue une occasion décisive de prouver aux SS que les détenus ne sont pas des « sous-hommes » (Untermenschen), avec l’espoir que certains s’interrogent sur le bien-fondé des maltraitances qu’ils infligent. Enfin, l’organisation de répétitions le soir fournirait aux participants une occasion inespérée de rassemblement, strictement interdit habituellement. Langhoff lance un appel à volontaires à l’intérieur du camp et reçoit de nombreuses propositions. À partir de la convergence des talents, il met en place le Zirkus Konzentrazani, en référence au cirque Sarrasani qui jouit alors en Allemagne d’une grande popularité. Tandis que Langhoff supervise la préparation du spectacle de cirque, Rudi Goguel se charge de l’apprentissage du Moorsoldatenlied, destiné à en être le numéro final. Il réunit seize choristes, issus majoritairement d’un chœur ouvrier de Solingen, et organise des répétitions quotidiennes clandestines dans une baraque après le travail.

La représentation a lieu le 27 août 1933. Tous les détenus mais aussi l’ensemble des SS doivent y assister. Le spectacle, qui dure près de trois heures, bénéficie d’un dispositif d’envergure. Un grand espace sableux est dégagé entre les baraques et transformé en piste. Tout autour, des emplacements sont délimités pour les occupants de chaque baraque. Vingt prisonniers sont désignés pour placer les spectateurs ; pour l’occasion, on a cousu sur leurs uniformes de longues rangées de boutons brillants. Le Directeur Konzentrazani fait son entrée, fouet à la main, un tube en carton en guise de chapeau, l’habit couvert de décorations faites avec des morceaux de bois et des rondelles de caoutchouc. Il annonce les numéros et ponctue le spectacle. Au programme : des gymnastes, deux clowns, des jongleurs de massue, un comique, les Moor’ Girls – cinq prisonniers travestis –, des lutteurs, des acrobates, un combat de boxe humoristique, un numéro avec une cigogne faite d’un balai et d’un drap, qui répond aux questions du public par des hochements de tête, ainsi que deux « soldats du marais » parodiant l’obligation continuelle pour les détenus de se compter ou de chanter en toute occasion. Des interludes musicaux sont joués par un accordéon diatonique, des violons de fortune fabriqués par les détenus et un Teufelsgeige, ensemble de petites assiettes et boîtes de conserve clouées sur un manche de bois. Les numéros finaux sont des chansons à quatre voix entonnées a cappella par un chœur. La dernière est le Moorsoldatenlied, dont le succès remporté auprès des détenus confirme son rôle d’hymne du camp.

Voici le récit que fait Goguel de la représentation du Moorsoldatenlied et de sa mise en scène :

Après les paroles [du dernier refrain] « Alors les soldats du marais ne partiront / Plus avec leur bêche dans le marais ! », les seize chanteurs plantèrent leur bêche dans le sable et quittèrent la piste ; les bêches laissées dans cette terre des marais ressemblaient à des croix tombales (Lammel et Hofmeyer, 1962, 17).

Pour Langhoff, le spectacle en lui-même est une victoire, celle de la résistance spirituelle au processus de déshumanisation :

Les SS étaient, pour ainsi dire, nos invités. Nous autres, qui ne menions plus une vie d’hommes, nous avions osé, pendant quelques heures, décider nous-mêmes de nos actes, sans avoir à obéir à des ordres ou à des instructions, exactement comme si nous avions été nos propres maîtres et si le camp de concentration n’avait jamais existé (Langhoff, 1935, 185).

Le Moorsoldatenlied remporte également un succès inattendu auprès des SS, ainsi que le rapporte Goguel :

Nous chantions, et dès la deuxième strophe, les quelque mille prisonniers commencèrent à fredonner le refrain avec nous. De strophe en strophe, le refrain s’intensifiait et, à la dernière strophe les SS, qui étaient là avec leur commandant, chantaient, en harmonie avec nous, parce qu’ils se sentaient manifestement interpellés eux aussi comme « soldats du marais » (Lammel et Hofmeyer, 1962, 17).

Dans les jours qui suivent, certains SS commandent à Goguel et Langhoff une copie de la partition afin de l’envoyer à leur famille ou leur fiancée (Langhoff, 1935, 186). Le chant semble tout désigné pour devenir l’hymne du camp (Lagerlied), mais il est finalement interdit par la Kommandantur. Malgré l’interdiction, sa vocation hymnique est implicitement entérinée et il continue à être chanté par les détenus, parfois même lors des déplacements hors du camp, sur demande de certains SS. Il est par ailleurs entonné – à voix basse – pour les nouveaux arrivants dans certaines baraques.

Le succès du Moorsoldatenlied peut s’expliquer de diverses manières. Le pouvoir fédérateur du texte poétique en est une des raisons principales : n’évoquant aucun lieu particulier, il provoque une résonance immédiate chez celui qui pense « à ses parents, sa femme et son enfant » (couplet 4) mais aussi chez les « soldats » et chez ceux qui se sentent prisonniers en général. C’est d’ailleurs ce qui explique l’enthousiasme des SS, dont Langhoff rapporte que certains avaient déclaré se sentir comme des « prisonniers au second degré » (1935, 179) à Börgermoor. Le texte est donc tout à la fois précis – il évoque le quotidien concentrationnaire d’un des camps de l’Emsland – et générique. Une autre raison pourrait être les circonstances de sa création : le chant est une réponse artistique à une situation de violence inhumaine et à un besoin de fédération d’une masse d’anonymes. Il y a dans le Moorsoldatenlied quelque chose de ce que l’article de Nicolas Froeliger évoque à propos de Blowing in the Wind, citant Neil Marcus : « a song that the times seem to call for » (Naylor, 2000).

Il y a donc le contexte ayant mené à la création, et par conséquent la fonction qu’exerce cette « poésie orale » :

La fonction d’une poésie orale se manifeste par rapport à l’horizon d’attente des auditeurs. Indépendamment de tout jugement rationnel, et dans l’immédiateté de la communication, le texte entendu répond à une question que se pose l’auditeur […]. Il se produit une sorte d’identification entre l’auditeur, le texte, son interprète, son auteur : identification accélérée lorsque l’audition a lieu dans le contexte de quelque grand mouvement de passion collective. Si les circonstances se dramatisent, l’œuvre communiquée peut susciter la participation chorale des auditeurs, qui en deviennent ainsi les interprètes » (Zumthor, 2008, 191).

Il est évident que le poème d’Esser fait partie de ceux que la musique sublime, autrement dit : « Their transmutation into a musical domain supplements their capacity to project meaning » (Newmark, 2013, 60). Le chant est conçu comme une complainte par Goguel ; les trois premières notes, répétées, introduisent d’emblée l’ambiance morne qui règne à Börgermoor et « Où que le regard se porte ». Ce procédé se retrouve à la troisième mesure : « rien que la lande et des marais ». La métrique binaire peut évoquer une marche, mais la mesure à quatre temps évite une scansion et une accentuation trop systématiques, tandis que le mode mineur et le tempo lent visent à traduire la fatigue des détenus contraints à la discipline militaire. Seule l’évocation du « chant d’oiseau » permet une brève incursion dans le mode relatif majeur, avant un retour au mineur pour l’implacable silence des chênes. Dans un semblant de contraste, le refrain débute sur un saut de sixte et utilise le mode majeur ainsi que des rythmes pointés pour proclamer la cohésion « Nous sommes les soldats du marais » (« Wir sind die Moorsoldaten »), avant de revenir au mineur peu après sur « et nous partons avec notre bêche dans le marais » (« und ziehen mit dem Spaten ins Moor »). Le dernier refrain doit être chanté plus rapidement et annonce la libération future. Le temps fort de la deuxième phrase, qui tombe sur nicht [mehr] (« plus »), incite à une accentuation dans l’interprétation. La mise en musique par Goguel du texte d’Esser constitue un exemple réussi de « non-verbal message that is compatible with the verbal one » (Low, 2005, 187).

Circulation du chant

Le Moorsoldatenlied connaît une diffusion remarquablement rapide en Allemagne, en Europe et outre-Atlantique. Dans un premier temps, nombre de détenus recopient les paroles ou la partition sur du papier dès le lendemain du spectacle Zirkus Konzentrazani. Certains, comme l’artiste communiste Hanns Kralik, l’illustrent d’un soldat avec sa bêche dans le sol. Ces documents sont parfois cachés dans des chaussures, dans la doublure d’une veste, ou encore dissimulés derrière des dessins offerts à leur famille à l’occasion d’une rare visite autorisée au camp. Ils sont ainsi « exfiltrés » de Börgermoor mais aussi plus tard d’Esterwegen, le camp voisin, et connaissent immédiatement une diffusion dans les milieux opposés au régime. Le 14 novembre 1933, le journal néerlandais Het Volk publie en première page une traduction des paroles. Le 14 avril 1934, l’hebdomadaire Der Gegen-Angriff reproduit les paroles originales dans son édition parisienne. Autre fait notable : Börgermoor est, en 1933, un camp de « détention préventive » (Schutzhaftslager). Une partie des détenus est donc libérée après avoir purgé une peine allant de quelques semaines à plusieurs mois. Erich Mirek, ancien membre de la troupe d’Agit-Prop Das rote Sprachrohr, est ainsi libéré d’Oranienburg en 1934 et s’exile à Prague, où il la fait connaître. Une version illustrée réalisée à Börgermoor est reproduite en fac-simile dans le journal pragois Arbeiter-Illustrierte-Zeitung le 8 mars 1935. Après un passage dans le camp de concentration de Lichtenburg, Wolfgang Langhoff est lui aussi libéré en 1934 et émigre en Suisse. L’année suivante paraît à Zurich son témoignage intitulé Die Moorsoldaten. 13 Monate Konzentrationslager. Unpolitischer Tatsachenbericht. L’ouvrage connaît le succès et est immédiatement traduit dans plusieurs langues, dont le français. Langhoff y restitue de mémoire la partition, avec de très nombreuses fautes néanmoins.

La popularité dont jouit le Moorsoldatenlied parmi les détenus de Börgermoor, mais aussi et surtout la circulation des détenu·e·s à l’intérieur du système concentrationnaire expliquent sa diffusion dans nombre de camps, allemands tout d’abord : Rudi Goguel est ainsi envoyé dès 1933 pour participer aux travaux de construction du camp voisin d’Esterwegen, où le chant est adopté. D’autres, non libérés sont transférés à Oranienburg, Buchenwald, Dachau, ou à Auschwitz après 1940. Dans ces divers camps, le Moorsoldatenlied est entonné lors de soirées ou de réunions musicales, qu’elles soient clandestines ou tolérées par les SS (GEVE, 2011, 164). Il figure par ailleurs dans de nombreux « recueils de chants des camps » (Lagerliederbücher), élaborés par des détenus à partir de 1940 à Sachsenhausen. Le Moorsoldatenlied ouvre également la voie à la composition de Lagerlieder propres aux autres camps. C’est surtout la trame poétique qui sert de modèle : description du camp, du quotidien des détenus et des conditions de survie laissent place, à la dernière strophe, à l’espoir de la libération et du retour au foyer. Cette structure se retrouve dans la quasi-totalité des Lagerlieder qui naissent dans la majorité des camps, et dont les exemples les plus connus sont Esterwegenlied (1934-35), Sachsenhausenlied (1936-37), Buchenwaldlied (1938) ou encore Dachaulied (1938). Les mises en musique varient en fonction de la qualité des musiciens sur place ; certains se fondent sur des mélodies existantes, d’autres sont des créations originales.

Appropriation musicale : la transcription de Hanns Eisler

Alors que c’est tout d’abord le texte qui fait l’objet de traductions et de diffusions, la mélodie connaît au fil des années nombre de « traductions musicales », de la transcription à la reprise. Arrêtons-nous tout d’abord sur l’adaptation la plus notable, qui constitue d’emblée un cas remarquable d’appropriation musicale : celle du compositeur autrichien Hanns Eisler (1898-1962). En 1935, alors qu’il est à Londres avec le chanteur Ernst Busch, Eisler rencontre un Allemand « libéré » de Börgermoor qui leur transmet les paroles et leur chante la mélodie, probablement avec quelques approximations (Lammel et Hofmeyer, 1962, 18)2. Eisler la décrit comme « l’une des plus belles chansons révolutionnaires du mouvement international des travailleurs » (Eisler, 1973, 275). Persuadé qu’il s’agit d’une œuvre collective, il suppose que les auteurs ont adapté un texte nouveau sur une mélodie préexistante, un mode de composition effectivement largement répandu dans les camps, où les musiciens professionnels étaient rares. La première phrase musicale lui rappelle immédiatement une chanson de la Guerre de Trente ans dont il ne reste à l’heure actuelle aucune trace3. Quant au refrain modulant en majeur sur des paroles emplies d’espoir, il est caractéristique selon lui des marches funèbres soviétiques composées en l’honneur des révolutionnaires de 1905 (Eisler, 1973, 276).

Eisler ignore alors que la musique a été composée à partir du texte et non l’inverse, mais son intuition quant à l’esthétique musicale est juste : en tant que jeune militant communiste, Rudi Goguel s’est formé l’oreille musicale grâce au répertoire habituel des chœurs ouvriers : les « chants de travailleurs » (Arbeiterlieder) et surtout les plus martiaux « chants de combat » (Kampflieder), imprégnés de cette influence soviétique qui est également celle qui innerve le répertoire d’Eisler. De la version a cappella qu’on lui a chantée, Eisler conserve quatre couplets (1, 2, 5 et 6)4. N’ayant entendu qu’une seule des quatre voix, et ignorant peut-être que la chanson avait été écrite pour chœur, il compose pour son effectif de prédilection : une voix soliste (Ernst Busch) destinée à être accompagnée par lui-même au piano, avec un contrechant au refrain destiné à un chœur d’hommes. Composée pour s’adapter à la tessiture de Busch, sa version est dans un ton plus grave que l’originale. Eisler ne consigne que la mélodie, l’accompagnement harmonique pouvant sembler évident ; de fait, dans la version enregistrée par Busch, elle se cantonne à l’utilisation du ton principal mi mineur, du ton relatif sol majeur et de leurs tons voisins (la mineur et si majeur, majeur), soit cinq accords au total.

On retrouve dans cette « appropriation » musicale les caractéristiques des Kampflieder chers à Eisler : dans un langage harmonique très simple, la métrique à 2 temps (et non 4) accentue le caractère de marche, tout comme les nombreux sauts d’intervalles descendants (quarte au début de la mélodie, tierces aux mesures 5-6 et 13-14, quinte mesures 7 et 15). Enfin, le refrain, chanté deux fois consécutives accompagné par un chœur, fait un usage plus systématique des rythmes pointés. En cela son Moorsoldatenlied est comparable à ses Solidaritätslied (1929-31) et Einheitsfrontlied (1934), deux chants de combats communistes composés sur des textes de Bertolt Brecht et interprétés par Busch. Eisler est parti d’une volonté de transcription – de mise sur le papier – pour aboutir à une appropriation dans laquelle son génie s’exprime. Malgré toutes leurs différences, les deux versions du Moorsoldatenlied restent proches. Nous rejoignons ici, mais à propos de la « langue musicale », Marianne Lederer (1994, 63), qui écrivait pour le domaine de la littérature : « Un texte écrit dans une langue conforme à son “génie appelle dans l’autre langue un texte écrit lui aussi dans son “génie. […] S’agissant du génie de la langue, toutes les inventions individuelles restent possibles tant que l’autochtone reconnaît le texte comme étant dans sa langue. »

Fig. 2 Die Moorsoldaten, mélodie arrangée par Eisler.

Fig. 2 Die Moorsoldaten, mélodie arrangée par Eisler.

Extrait n°2 : Ernst Busch (DIZ, 2008), version enregistrée à Barcelone en 1937
https://www.youtube.com/watch?v=Gdx1fXbCB_0&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=2

La première exécution publique de la version d’Eisler a lieu à Paris le 13 juin 1935, soit moins de deux ans après la création de l’original : à l’invitation de la Bibliothèque allemande des Livres brûlés et de la Société allemande des Gens de lettres, Busch donne un récital de « chants et ballades révolutionnaires », accompagné par Eisler au piano. Peu après, toujours à l’initiative d’Eisler, le Moorsoldatenlied résonne aux États-Unis à l’occasion d’un concert dont les bénéfices étaient destinés aux enfants victimes du régime nazi. Une traduction anglaise, « The Peat Bog Soldiers », figure dès 1937 dans le recueil Songs of the people édité à New York par Workers Library Publishers, sans mention du nom du traducteur. Elle respecte au mieux le sens du poème et la versification. Deux ans plus tard, le compositeur britannique Alan Bush écrit une harmonisation de la chanson pour quatre voix d’hommes, qui sera donnée sous sa direction au Royal Albert Hall de Londres en avril 1939 à l’occasion du Festival for Music and the People (PETIT, 2018, 75).

Ernst Busch lui-même réalisera trois enregistrements de cette chanson, toujours en allemand. Le premier a lieu en 1935 en Union Soviétique. Les couplets (1, 2, 5, 6) sont accompagnés par un chœur d’hommes bouche fermée, tandis que le refrain est chanté collectivement. Une traduction en russe est effectuée peu après. Cette même version ponctue le film Борцы (Les Combattants, 1935-1936) du scénariste exilé Gustav von Wagenheim. En 1937, durant la guerre civile espagnole, Busch part rejoindre les Brigades Internationales et s’engage musicalement à leurs côtés. Il enregistre à Barcelone le disque Seis canciones para la democracia. L’interprétation, toujours en allemand5, ne comporte que les couplets 1, 5 et 6, dans une interprétation plus lente et proche de la complainte. Le chœur intervient pour le refrain et chante à l’unisson le dernier couplet. Peu après, la radio 29.8, basée à Barcelone, le diffuse. Au sein des divers bataillons des Brigades Internationales, le chant connaît dès lors de nombreuses traductions. Le ténor états-unien Paul Robeson, brigadiste et militant du mouvement pour les droits civiques, le popularise dans son pays sous le titre « Song of the Peat Bog Soldiers ». Busch effectue un dernier enregistrement à Paris en 1939. En 1940, il est arrêté à Anvers et interné dans divers camps français, notamment à Gurs. La version d’Eisler fait ainsi son entrée au sein du système concentrationnaire. Sa diffusion dans les camps français sera également assurée par les brigadistes espagnols à partir de la Retirada de 1939. De cette époque date la version anonyme intitulée Le Chant des Marais.

Le Chant des marais : une « tradaptation »

Le Chant des marais constitue selon nous l’une des traductions les plus réussies du Moorsoldatenlied, et l’on pourrait même parler, dans ce cas précis, de « tradaptation », mot-valise déjà évoqué et défini dans l’article de Nicolas Froeliger. Ce chant ne comporte que les quatre couplets choisis par Eisler, et les témoignages sonores collectés auprès de détenu·e·s politiques français·e·s après la guerre reprennent tous sa mélodie et non celle de Goguel.

1- Loin, vers l’infini, s’étendent
De grands prés marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante
Dans les arbres secs et creux.

Refrain : Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher !
 

2- Dans ce camp morne et sauvage,
Entouré de murs de fer,
Il nous semble vivre en cage,
Au milieu d’un grand désert.
 

5- Bruit des pas et bruit des armes,
Sentinelles jour et nuit,
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.
 

6- Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira,
Liberté, Liberté chérie6
Je dirai : tu es à moi.

Refrain final : Ô terre enfin libre
Où nous pourrons revivre,
Aimer !

Extrait n° 3 : César Geoffray, Chorale nationale du scoutisme français, 1946 (Marianne Mélodie 2007)
https://www.youtube.com/watch?v=OX3yiIYkwOM&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=3

Pourquoi parler de « tradaptation » à propos du « Chant des Marais » ? Parce qu’il s’agit ici, selon nous, d’une version « créatrice » respectueuse de l’original, une véritable appropriation de grande qualité prenant certaines libertés avec le poème, mais de manière fructueuse et pour mieux en souligner l’intertextualité. Les termes « infini », « cage », « désert », « sang », « cris », « larmes », « mort », « printemps », et surtout « liberté » sont totalement absents de l’original allemand, mais pourtant ils en imprègnent l’atmosphère. Comme le formule Antoine Guillemain (2019, 113) :

Recréer pour produire une tradaptation consiste justement à exploiter des éléments tangibles de la chanson originale pour façonner de nouvelles idées ou images, absentes de l’original en l’état, mais gravitant dans les mêmes champs lexicaux et reproduisant sa logique interne.

C’est non seulement la « logique interne » du poème original qui est conservée dans Le Chant des marais, mais aussi adaptée à la situation des détenu·e·s politiques français·e·s à partir de 1941. Ainsi, ce n’est pas la condition des « soldats du marais » qui prime dans le refrain, mais plutôt le sentiment de détresse et la fatigue liée aux travaux forcés. De l’Emsland, il ne reste plus que les marais du titre ; les « grands prés marécageux » (couplet 1), plus génériques, pourraient tout aussi bien désigner les alentours de Dachau que de Ravensbrück ou la campagne environnant de nombreux autres camps, particulièrement en automne ou en hiver. Le troisième couplet – cinquième dans la version originale – insiste pour sa part sur la politique de violence et de terreur généralisée dans les « camps de concentration », qui ne visent plus la « rééducation » politique comme en 1933 mais l’anéantissement par le travail. Si l’auteur·e de cette tradaptation est resté·e anonyme, sa qualité révèle à la fois une fine connaissance de l’allemand et un talent littéraire qui le distinguent des multiples traductions effectuées dans d’autres langues au même moment ou ultérieurement. L’auteur·e de ce poème en français réussit également à intégrer et dépasser la dimension « contrainte » de la traduction, ce que Titford (1982, 113) appelait constrained translation, dans laquelle la musique imposerait ses propres lois sur le texte. Les choix opérés ici épousent au mieux la mélodie et la musicalité de la langue française, respectant l’accentuation tonique et musicale, évitant également toute accentuation sur des voyelles en fin de mots. Le premier couplet respecte quant à lui parfaitement le phrasé musical dans le choix des mots : groupement lié pour les premier (« loin vers l’infini ») et troisième (« pas un seul oiseau ») vers, mots brefs se prêtant au détaché pour les autres (« de grands prés », « dans les ar-bres secs et creux »). En définitive, cette tradaptation est une recréation tellement réussie que, si le Chant des marais est aujourd’hui largement connu en France, le public ignore généralement son origine allemande.

Le Chant des Marais entre dès 1945 au répertoire du mouvement choral « À Cœur Joie » fondé par le maître de chant des Scouts de France César Geoffray, dans une version pour quatre voix mixtes harmonisée par lui-même, avec quelques modifications par rapport à la composition d’Eisler et seulement trois couplets. Dans cette version, le dernier mot des refrains est répété pour ajouter un écho emphatique aux verbes « piocher » et « aimer ». Geoffray l’enregistre dès 1946 avec la Chorale Nationale du scoutisme français et l’intègre dans le recueil Dix Chants de Liberté. L’amour de la liberté et l’appel à surmonter les difficultés sans perdre espoir font écho aux valeurs du scoutisme et fédèrent bien au-delà, et il est à ce titre révélateur de constater par exemple la présence du chant dans le répertoire de la majorité des divisions militaires françaises. Il est également fréquemment appris lors de colonies de vacances, et c’est ainsi qu’en 1971, l’air est proposé par Josée Contreras lors d’une réunion du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), visant à enrichir son répertoire militant :

Pour l’Hymne, c’est moi (du moins me semble-t-il) qui ai proposé un air que j’avais appris ado en colonie de vacances et que j’ignorais être Le Chant des marais. Plusieurs participantes le connaissaient également et, la musique étant facile à retenir, nous avons aussitôt entrepris de lui donner un texte. Je ne crois pas qu’à ce moment-là aucune de nous ait su que nous étions en train de détourner un chant (Le chant des marais) qui portait une tragique charge d’histoire […]. Car, si opprimées que nous estimions être, il ne nous serait pas venu à l’esprit de nous identifier aux résistants antinazis et juifs, aux défenseurs de la république espagnole ou aux millions de victimes des totalitarismes (citée par Storti, 2010).

Les paroles sont modifiées et le chant est baptisé Nous qui sommes sans passé, les femmes. 

1- Nous qui sommes sans passé, les femmes,
Nous qui n’avons pas d’histoire,
Depuis la nuit des temps, les femmes,
Nous sommes le continent noir.
 

Refrain :
Levons-nous femmes esclaves
Et brisons nos entraves
Debout, debout !
 

2- Asservies, humiliées, les femmes,
Achetées, vendues, violées,
Dans toutes les maisons, les femmes,
Hors du monde reléguées.

3- Seules dans notre malheur, les femmes,
L’une de l’autre ignorée,
Ils nous ont divisées, les femmes,
Et de nos sœurs séparées.
 

4- Reconnaissons-nous, les femmes,
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble, on nous opprime, les femmes,
Ensemble, Révoltons-nous !
 

5- Le temps de la colère, les femmes,
Notre temps est arrivé,
Connaissons notre force, les femmes,
Découvrons-nous des milliers !

Si la répétition d’un intervalle de quarte aux premier et troisième vers a bien été intériorisée, donnant lieu aux paroles structurantes « les femmes », cette version dénote un travail à partir d’un décompte des syllabes uniquement (octosyllabes et heptasyllabes en alternance), sans préoccupation pour la musicalité du texte ; nombreuses sont les aberrations d’accentuation tonique : « toutes les maisons », « hors du monde », « notre malheur », « l’une de l’autre », etc. Mais ici il s’agit d’un travail de « parodie », c’est-à-dire la reprise d’une mélodie conçue comme un « timbre », avec de nouvelles paroles répondant à un besoin immédiat, ce que confirme d’ailleurs Josée Contreras :

Comme ce sera toujours la façon de faire au Mouvement, quand nous préparions des chansons, des slogans ou des tracts pour une manifestation, nous le faisions à toute allure. On était assises par terre, tout le monde parlait en même temps, certaines notaient, les propositions fusaient dans le brouhaha, étaient reprises, transformées, complétées, ou abandonnées (citée par Storti, 2010).

Chanté pour la première fois à l’occasion de la première grande manifestation du MLF le 20 novembre 1971, il devient finalement l’hymne du mouvement – il se nomme aujourd’hui Hymne des femmes – et la partition est imprimée dans le troisième numéro du journal du mouvement, Le Torchon brûle.

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Partition de l’Hymne, Le Torchon brûle, n° 3, s.d., p. 2

Interprétations et foreignization

Nombreuses sont les versions du Moorsoldatenlied dans lesquelles la seule liberté prise est celle de changer certains accords seulement, de choisir l’instrumentation ou d’opter pour un tempo plus ou moins rapide ; autrement dit des modifications mineures relevant de l’interprétation. Mais le fait que ces modifications soient minimes est bien souvent un choix volontaire, qui prend en considération des éléments étrangers au domaine musical, notamment le contexte politique, dans une approche « culturelle » de la traduction musicale. C’est notamment le cas, dans les années 1970, des interprétations d’auteur·e·s de protest songs ou d’artistes se revendiquant du revival de la musique folk, notamment Pete Seeger qui popularise la version anglaise (The Peat Bog Soldiers) à la Schaubühne de Berlin-Ouest en 1967. À propos de ces artistes folk, Christophe Kihm écrit :

Leur geste consiste avant tout à inscrire de nouvelles chansons (certes déjà enregistrées, certes « déjà jouées » ailleurs, par d’autres musiciens) à leur répertoire, sans heurts, en marquant même une déférence qui assure une continuité entre l’original et la nouvelle version proposée. S’ils reparamètrent l’interprétation d’une chanson donnée dans une version singulière, marquée par une nouvelle configuration musicale, ils se saisissent d’un texte dans le respect et l’observance de lois qui inscrivent leur performance d’interprète dans les traces de celles du musicien savant (compréhension et justesse vis-à-vis de la source originaire) (Kihm, 2010).

Il nous semble pertinent ici d’évoquer, en l’appliquant à la traduction musicale, l’idée de foreignization, une approche qui « vise au contraire à faire voyager le lecteur, en l’éloignant de sa zone de confort et en le confrontant à l’altérité d’un texte produit dans un contexte culturel autre que le sien » (Baddeley, 2017, 254-255), ce que Meschonnic (1972, 50) qualifie de « décentrement » : les versions musicales concernées se veulent davantage « restitution » d’une expérience culturelle que « recréation » artistique, elles invitent l’auditoire à apprendre sur l’Autre, en formant un espace symbolique de communication. L’interprétation de Pete Seeger, enregistrée pour la première fois en 1961, fait entendre le banjo pour unique accompagnement, comme dans toutes ses autres chansons, mais d’emblée le refrain est chanté en allemand ; les enchaînements harmoniques choisis sont ceux de la version enregistrée par Busch et la chanson est traitée comme un folk song allemand. La traduction du poème est celle publiée en 1937 et, tout en respectant la versification, elle est une quasi-traduction littérale de l’original allemand ; le choix du poème et de la mise en musique actent ici, selon nous, une certaine « invisibilité » (Venuti, 2002), sinon un « effacement » du traducteur musical. D’autres interprétations se rapprochent encore davantage de celle de Busch, notamment celles enregistrées en ex-Allemagne de l’Est par divers ensembles ; le Moorsoldatenlied y est intégré au répertoire des Volkslieder (« chants populaires » du patrimoine allemand) dès les années 1960 et connaîtra de très nombreuses interprétations dans le cadre du Festival annuel de la chanson politique (Festival des politischen Liedes), organisé à Berlin-Est de 1970 à 1990.

Extrait n° 4 : Pete Seeger (1961), The Peat Bog Soldiers
https://www.youtube.com/watch?v=LJQyVHEqDdw&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=4

Arrêtons-nous ici sur un autre exemple de foreignization, entre interprétation et recréation ; il s’agit de la version que le chansonnier polonais Aleksander Kulisiewicz entreprend dans le camp de concentration de Sachsenhausen à la fin de l’année 1941. Dans cette version, Kulisiewicz, qui suit la mélodie telle que composée par Goguel, conserve intacte la première strophe originale en allemand et modifie les paroles des deux suivantes, utilisant le polonais. Ces couplets, qui nomment de nombreux autres camps, appellent la communauté des détenus à continuer le combat contre le nazisme et à ne pas se laisser tenter par l’envie de mourir.

1- Wohin auch das Auge blicket

Moor und Heide nur ringsum.

Vogelsang uns nicht erquicket

Eichen stehen kahl und krumm.


Wir sind die Moorsoldaten

und ziehen mit dem Spaten

ins Moor!


2- Sachsenhausen, Stutthof, Dachau,

ponad wamy boży gniew

choćbym sto lat nawet zdychał

mocny, straszny jest mój śpiew


Pójdziemy, niewolnicy,

rycerze w ból zakuci

na bój!

3- Hej, Treblinko, Auschwitz, Gusen,

serca w górę, w górę pięść!

Niech na druty idą tchórze

Nam nie wolno śmierci chcieć!


I dla nas, niewolnicy,

to samo słonce świeci

co dzień!

1- Où que le regard se porte

Rien que la lande et des marais 

Aucun chant d’oiseau ne nous revigore

Les chênes se dressent, dépouillés et tordus

Nous sommes les soldats des marais

Et partons avec notre bêche

Dans le marais !

2- Sachsenhausen, Stutthof, Dachau,

La colère de Dieu s’est abattue sur vous

Même si je dois crever dans cent ans

Mon chant reste fort et puissant

Nous, les esclaves

Enchaînés par la douleur

Partons au combat !


3- Hé, Treblinka, Auschwitz, Gusen,

Haut les cœurs, levez le poing !

Laissez les lâches se jeter sur les fils électriques

Nous ne devons pas désirer la mort !


Pour nous, les esclaves,

Le même soleil brille

Tous les jours !

Sous le titre symbolique Hymn, la version de Kulisiewicz connaît à son tour une traduction en tchèque à Sachsenhausen, par le détenu Jiří Maleček en 1943. En 1944, Kulisiewicz ajoute un dernier couplet à sa chanson, comme un condensé des nombreuses variantes existantes : la version tchèque de Maleček et les versions anonymes française, russe et italienne, qui annoncent la liberté à venir, le retour à la maison et le retour de l’amour.

4- Bergen-Belsen, Ebensee,

Hlavu vzhůru, vzhůru pěst!

Liberté, liberté chérie,

мы пойдём домой, oh yes!


Dai campi del dolore

rinascerà l’amore,

doman’!

4- Bergen-Belsen, Ebensee,

Relevez la tête, levez le poing !

Liberté, liberté chérie,

Nous rentrerons chez nous, oh oui !


Du camp de la douleur

Renaîtra l’amour

Demain !

Cette version est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, elle constitue un précieux témoignage concernant les traductions déjà connues à l’intérieur du système concentrationnaire, notamment la française et l’italienne qui n’apparaissent qu’en 1944 ; elle confirme ensuite le parcours remarquable et unique du chant, de Börgermoor à l’Europe libre puis au système concentrationnaire à nouveau. Enfin, elle constitue un exemple inédit de recréation polyglotte à visée universelle, une « Tour de Babel » musicale qui procède tout à la fois, selon nous, d’une entreprise création et de foreignization.

Extrait n° 5 : Alexander Kulisiewicz (1979), Hymn
https://www.youtube.com/watch?v=BE63O3aTU1A&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=5

Reprises : trois exemples de « domestication musicale »

La « domestication » ou « naturalisation » en traduction est définie par l’Encyclopedia Universalis comme l’« acclimatation d’un mot, d’une coutume, d’une façon d’être, de faire, d’un art de vivre, venus de l’étranger », ce que Meschonnic qualifia d’« annexion » (1972, 50). Pour le domaine musical, on parlera ici de « reprise », au sens défini par Christophe KIHM (2010) :

L’opération de la reprise portant sur l’interprète, on doit alors la considérer comme interprétation d’une interprétation première, qui configure l’exécution. On n’évaluera donc pas le respect d’un texte par la scientificité, l’historicité, la rationalité ou encore la justesse d’une interprétation dans son rapport à la compréhension d’une source unique (selon le système de valeurs de la musique savante), on goûtera l’inscription singulière de l’exécutant dans des dispositifs techniques et culturels de production de la musique. La reprise participe alors de la construction de l’interprète en tant que sujet-exécutant, c’est-à-dire comme exécutant singulier.

Respecter l’idiomaticité de la langue musicale d’arrivée permet à la chanson reprise d’être, comme un texte, « the site where a different culture emerges, where a reader gets a glimpse of a cultural other » (Venuti, 2002, 306). Ce qui nous intéresse dans les trois exemples qui vont suivre, c’est l’intégration, et même la quasi-dissolution du chant dans un répertoire traditionnel dont l’esthétique très particulière lui est a priori lointaine.

En 1972, l’acteur grec Kostas Papanastasiou enregistre Gyáros, qu’il interprète dans sa taverne-concert « Terzo Mondo » de Berlin. Si le refrain évoque toujours le jour où viendra la liberté, le texte du Moorsoldatenlied est entièrement modifié pour évoquer le sort des dizaines de milliers d’opposants politiques à la dictature militaire grecque (1967-1974), incarcérés dans divers camps parmi lesquels celui de l’île de Gyáros.

1- Von den Stadien in Jaros

Und von Jaros in Laki

In den KZ’s von Leros

Mit gefesselter Seele.

Die Freiheit wird doch

Eines Tages weit und breit strahlen,

Aufrecht.

2- Mit Ketten an Händen,

aber mit funkelndem Schwert

sie gehen los mit ungebrochenem Glauben

Königsadler des neuen Kampfes.

Und eines Tages wird die Freicheit

Weit und breit strahlen,

Aufrecht.

3- Entstanden aus den Skeletten,

die in den Bergen verstreut

beginnt tapfer der neue Widerstand

Und eines Tages wird die Freiheit

Weit und breit strahlen

Aufrecht.

1- Des stades de Gyáros

Et de Gyáros à Laki

Dans les camps de concentration de Leros,

Avec des âmes enchaînées.

La liberté pourtant

Un jour rayonnera à la ronde

Debout !

2- Avec des chaînes aux poignets,

Mais avec une épée étincelante

Ils partent, avec des convictions intactes,

Aigles royaux du nouveau combat.

Et un jour la liberté

Rayonnera à la ronde

Debout !

3- Née des squelettes

Éparpillés dans les montagnes

Commence, courageuse, la nouvelle résistance

Et un jour la liberté

Rayonnera à la ronde

Debout7 !

L’instrumentation fait entendre une flûte traversière et une mandoline, mais dont le mode de jeu évoque un bouzouki. La présence de paroles à teneur politique, le mélange voulu entre l’utilisation d’instruments européens savants et la musique traditionnelle grecque, notamment dans le mode d’émission de la voix, empruntent directement à un style musical contestataire grec, έντεχνο (« éntekhno »), que l’on pourrait traduire par « chanson savante » grecque, alors en plein essor. Cette version offre ainsi un exemple réussi de ce que l’on pourrait qualifier de « traduction-recréation » en musique, au sens où l’entendait Edmond Cary pour le domaine de la traduction littéraire :

Alors que l’écrivain travaille sur des mots, des idées, des images, des sentiments, etc., le traducteur travaille à établir des rapports d’équivalence entre mots, idées, images, etc. Travail difficile et périlleux, passionnant travail d’artiste, qui n’est ni une répétition servile, ni une stérile virtuosité, ni une transposition mécanique. Au travers des mots et des expressions en quoi se cristallise un monde de pensée, d’émotion, d’existence, le traducteur mène son lecteur à la découverte d’un monde nouveau et l’y fait pénétrer (Cary, 1956, 17-18).

Extrait n° 6 : Kostas Papanastasiou (DIZ, 2008), Gyáros, 1972
https://www.youtube.com/watch?v=1OKv6MsXhU4&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=6

Abordons ici un autre exemple contrastant relevant de cette même démarche, dans le domaine de la musique de fanfare allemande. En 1951, Werner Thiel compose un arrangement instrumental pour un ensemble de trompettes Martin, également appelées « trompettes-klaxons » ou martinophones (Martin-Trompete ou Schalmei en allemand). Cet instrument particulier est né en 1895 dans l’Allemagne impériale mais est devenu emblématique, dans les années 1920, des fanfares communistes. Ignoré dans l’ex-RFA, il a continué à être utilisé et même promu en ex-RDA, jusqu’à connaître une résurgence dans les années 1990. Ses caractéristiques techniques font que la trompette Martin, instrument diatonique, ne peut jouer que les notes de la gamme de fa majeur, d’où un répertoire très uniforme à l’oreille, consistant quasi-exclusivement en marches entraînantes et autres chants révolutionnaires des pays communistes européens. Elle est parfois accompagnée de carillons doublant la mélodie et de caisses claires scandant chaque pulsation, et le chant est absent. Comment dès lors adapter cette complainte qu’est le Moorsoldatenlied, avec son alternance entre modes majeur et mineur ? La solution choisie par Thiel est de modifier la structure harmonique de la chanson : bien que la mélodie débute en ré mineur, l’accompagnement fait alterner uniquement des accords de fa majeur et de do majeur. Pas d’incursion dans le mode mineur dans l’ensemble de la pièce, qui sonne finalement comme les autres marches au répertoire de la fanfare. Pour qu’elle ait la longueur habituellement requise pour des morceaux de parade, Thiel l’adosse à une autre marche qu’il compose dans l’esprit du répertoire habituel des ensembles de trompettes Martin. L’idée d’une domestication dans ce cas peut être interrogée, dans la mesure où les contextes géographique et politique sont similaires ; il n’en reste pas moins que l’époque est différente et que, sur le plan esthétique, le résultat est fondamentalement autre. Outre les choix harmoniques simplistes et contestables, on ne peut que regretter l’absence du chant car, ainsi que le précisait Peter Newmark (2013, 67) : « The partnership in word-music relations brings new meaning which neither alone can hold, convey or generate. »

Extrait n° 7 : Schalmeienorchester Fritz Weineck (DIZ, 2008), Die Moorsoldaten, 1982 (le Moorsoldatenlied commence à 1’19)
https://www.youtube.com/watch?v=R5B2-B_zMpk&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=7

Dernier exemple, parmi d’autres de domestication : en 1996, le groupe corse Cinqui Sò arrange et enregistre U Cantu di i pantani, d’après la traduction du Chant des marais par Ghjuvan Ghjaseppu Franchi, dans la tradition du style Cantu in paghjella, chant polyphonique corse a cappella. La voix principale (« a seconda ») énonce les premières mesures, bientôt rejointe par la voix de basse (« a bassu »), principalement en tierces ou sixtes parallèles ; une troisième voix plus aiguë (« a terza ») complète l’espace harmonique et est chargée des ornementations. Le parcours harmonique et tonal est cette fois-ci principalement mineur, avec quelques incursions dans le mode majeur au refrain seulement ; il évoque celui de l’hymne national corse Dio vi Salvi Regina. De l’originelle forme rondo du Moorsoldatenlied, le Cantu di i pantani passe à une forme strophique en additionnant les vers des couplets et du refrain, ce qui lui permet de se conformer à la tradition du Cantu in paghjella, composition strophique de six vers en octosyllabes. Une fois encore, le Moorsoldatenlied prouve sa ductilité.

Extrait n° 8 : Cinqui Sò (1996), Cantu di i pantani
https://www.youtube.com/watch?v=fg5wWibBcsY&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=8


*
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Le Moorsoldatenlied, aujourd’hui unanimement reconnu comme hymne concentrationnaire fédérant toutes les victimes du nazisme, a connu un destin remarquable et particulier en raison d’une synergie entre un poème de qualité puisant dans l’imagerie de la complainte, une musique facilement chantable et mémorisable, et des circonstances historiques et politiques qui l’« appelaient » véritablement. Les versions musicales se comptent aujourd’hui par dizaines, les traductions du poème par centaines. Entre « tradaptation », interprétation, recréation ou encore reprise, les quelques exemples de réappropriation musicale abordés dans notre article montrent le succès de l’entreprise de « traduction musicale », que l’on pourrait comparer à ce que Meschonnic (1972, 50) constatait dans le domaine de la traduction littéraire : « Si la traduction d’un texte est structurée-reçue comme un texte, elle fonctionne comme texte, elle est l’écriture d’une lecture-écriture, aventure historique d’un sujet ».

Bibliographie

Liste des liens vidéos

Extrait 1 : https://www.youtube.com/watch?v=86-VZDFi_Y8&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=1

Extrait 2 : https://www.youtube.com/watch?v=Gdx1fXbCB_0&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=2

Extrait 3 : https://www.youtube.com/watch?v=OX3yiIYkwOM&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=3

Extrait 4 : https://www.youtube.com/watch?v=LJQyVHEqDdw&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=4

Extrait 5 : https://www.youtube.com/watch?v=BE63O3aTU1A&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=5

Extrait 6 : https://www.youtube.com/watch?v=1OKv6MsXhU4&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=6

Extrait 7 : https://www.youtube.com/watch?v=R5B2-B_zMpk&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=7

Extrait 8 : https://www.youtube.com/watch?v=fg5wWibBcsY&list=PL5AX2CUW-RkYxHA8PegjplGXpmH2VsCWM&index=8

Notes

1 La description des conditions de survie à Börgermoor, des événements menant à la création du cirque et de la genèse du chant jusqu’à sa représentation provient du témoignage de Wolfgang Langhoff, Les Soldats du Marais. Sous la schlague des nazis, trad. fr. Armand Pierhal, Paris, Plon, 1935, et de celui de Rudi Goguel retranscrit dans l’étude d’Inge Lammel et Günter Hofmeyer (éd.), Lieder aus den faschistischen Konzentrationslagern, Leipzig, Hofmeister, 1962. Retour au texte

2 Selon Busch, interrogé par Lammel et Hofmeyer, il se serait en fait agi d’un informateur de la Gestapo. Retour au texte

3 Les paroles que cite Eisler sont : « Kinder hört wie der Sturmwind brauset / Brauset ins Fenster / Kinder wo der Tilly hauset / Hausen Gespenster ». Inge Lammel croit y reconnaître une reprise de la chanson Horch, Kind, horch, dont les deux premières mesures présentent effectivement une forte similarité avec la version d’Eisler. Retour au texte

4 Dans les versions ultérieures, le deuxième couplet sera le plus souvent absent. Retour au texte

5 La première traduction en espagnol a été faite par Pi de la Serra et Pere Camps en 1997 seulement, pour l’album ¡No pasarán! Canciones de guerra contra el fascismo (1936-1939). Retour au texte

6 Certaines versions mentionnent ici « Libre alors, ô ma Patrie ! » Retour au texte

7 Ne disposant pas de l’original en grec, nous proposons ici une traduction littérale par nos soins, depuis la version allemande réalisée par Papanastasiou. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Élise Petit, « Le Moorsoldatenlied : analyse traductologique et musicale d’un hymne international », La main de Thôt [En ligne], 8 | 2020, mis en ligne le 02 décembre 2020, consulté le 25 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/850

Auteur

Élise Petit

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