Génocides et B.D. : l’intermédialité, une manière de transmettre l’indicible

Résumés

De plus en plus de bandes dessinées et romans graphiques sont consacrés aux génocides (Shoah, génocide des Arméniens, génocide des Tutsi). Dans ces productions, différentes formes d’intermédialité (le dessin, la superposition, l’adaptation) permettent de renforcer les objectifs des auteurs et dessinateurs, qui sont de transmettre au lecteur des émotions, mais aussi de l’informer et de le conscientiser sur ces drames.

Genocides (Shoah, Armenian genocide, Rwandan genocide) are increasingly dealt with in comic books and graphic novels. In these productions, different forms of intermediality (drawing, superposition, adaptation) help to reinforce the objectives of the authors and drawers. Besides transmitting emotions to the reader, these works try to inform about genocides and raise awareness for these tragedies.

Plan

Texte

S’exprimer sur les crimes de génocide est un devoir important et exigeant1. Il arrive d’ailleurs que certaines initiatives suscitent le débat et soient jugées déplacées2. On pourrait dès lors s’étonner que la bande dessinée, média3 encore largement considéré comme mineur et essentiellement divertissant4, se soit, notamment dans la dernière décennie, autorisée à explorer ce sujet particulièrement douloureux. À la lecture des albums, on constate que les auteurs et dessinateurs sont loin de répondre au stéréotype du média de divertissement : ils livrent des témoignages de victimes, informent sur les horreurs des génocides, présentent des liens entre le passé et le présent, conscientisent leurs lecteurs5. Dans cette production de bandes dessinées et de romans graphiques6, par ailleurs très diversifiée en termes de graphismes et de publics, un élément récurrent est l’ancrage fort dans les relations intermédiales. Le lecteur est en effet largement confronté à la présence d’autres médias : des scènes de cinéma, des livres, des fonds musicaux, des articles de journaux, des affiches, des photographies, des peintures, des téléphones, des radios, des ordinateurs, des machines à écrire, Internet, des cartes et plans, d’autres B.D., des dossiers historiques, … Au sein de cet enchevêtrement de médias, plusieurs interprétations de cette volonté de mettre en relation des relations sont perceptibles7. On rencontre par exemple de l’intermédialité dessinée, dans laquelle la présence d’un autre média se perçoit par l’entremise du dessin ; l’intermédialité superposée, c’est-à-dire qui ajoute un média exogène et clairement différenciable du reste de l’album ; et l’intermédialité d’adaptation, lorsqu’un média (livre, film, …) est transposé en bande dessinée. Dans les vingt-cinq albums analysés, ces trois formes d’intermédialité sont sollicitées selon des objectifs spécifiques. Un auteur va avoir recours à l’une ou l’autre forme d’intermédialité en fonction de ce qu’il veut transmettre, par exemples des connaissances historiques, mais aussi de l’impact qu’il veut produire chez son lecteur : de l’empathie, de l’indignation, de la réflexion, …

Transmettre des émotions

Dans un album, le dessin d’un média peut favoriser l’avancée de l’intrigue et influencer le comportement des protagonistes de l’histoire. Il peut aussi agir sur la réception et la compréhension du lecteur. C’est par exemple une photographie qui permet l’avancée de l’histoire dans la B.D. Varto8. Cet album sur le génocide arménien raconte l’histoire de deux enfants, Varto et sa sœur Maryam, qui tentent de fuir les massacres. Dans leur périple, ils sont aidés par Hassan, un jeune garçon turc. Maryam, trop affaiblie par les monstruosités qu’elle a vécues, n’arrive pas à traverser une rivière. Frère et sœur sont alors séparés : Varto part en exil en France tandis que Maryam reste avec Hassan. Cette histoire de 1915 se double d’une seconde intrigue se déroulant à notre époque : la petite-fille de Maryam et son fils Yavrum sont à Paris et cherchent à renouer le contact avec le descendant de Varto. Mais ce dernier refuse tout contact. La jeune femme glisse alors sous la porte une vieille photo de famille représentant Varto et Maryam enfants. C’est après avoir vu cette photographie que le petit-fils de Varto accepte de rencontrer la petite-fille de Maryam. Ensemble, ils découvrent leur passé commun autour de cette photo de famille qui s’impose comme la clé de compréhension de l’histoire. L’album se clôt sur le personnage du jeune Yavrum. S’il avait suivi sa mère en France, c’était à contrecœur. Au début de l’album, il qualifie même d’ennemis les Arméniens, car dans son école en Turquie, on lui a expliqué que le génocide arménien était une invention. La dernière planche le montre immobile et silencieux devant un miroir : il se regarde en même temps qu’il examine la vieille photographie de ses aïeux. Il est l’exact portrait du garçon sur la photo, son grand-oncle arménien Varto. Ces images et ce silence semblent témoigner de la compréhension, peut-être même de l’acceptation de ce passé. En effet, trois taches grises sur la photo pourraient être des larmes de Yavrum. Cette photographie a donc permis de nouer toute l’histoire, depuis la situation initiale de rejet des descendants de Varto et Maryam jusqu’à celle de leur communication et même – peut-être – de la reconnaissance de Yavrum.

Mémé d’Arménie9, également sur le génocide arménien, raconte l’histoire d’une grand-mère, discrète et souriante, arrivée d’Arménie en France. Sans que jamais elle n’utilise le terme de génocide ou n’en explique les horreurs, Mémé vit et ressent chacune des scènes de l’album avec les traumatismes d’une survivante. Dans une sorte de connivence avec elle, puisqu’il connaît la dure réalité du passé de Mémé, le lecteur suit cette histoire à travers son regard. Lorsque ses petits-enfants veulent lui faire découvrir le cinéma, on voit Mémé sourire de cette petite aventure. Le lecteur éprouve alors de la compassion quand, à la page suivante, la grand-mère est montrée en pleurs et quittant la salle de cinéma. Sur l’écran derrière elle, des Mongols s’entretuent sauvagement. Cette scène forte, d’ailleurs dessinée sur une double page, rappelle l’impossible oubli mais aussi l’incompréhension des nouvelles générations puisque les petits-enfants, eux, sont fascinés par cette violence fictive. Cette scène du cinéma marque un moment d’empathie du lecteur pour Mémé. Ce sentiment revient à la fin de l’album, quand Mémé montre l’album photo de la famille aux petits-enfants. Chaque portrait souriant s’accompagne du même commentaire de la grand-mère : il est mort. Si le lecteur a compris que toute la famille arménienne avait été décimée durant le génocide, la grand-mère n’en dit rien. Devant l’incompréhension de ses petits-enfants qui s’étonnent que toutes ces personnes soient mortes et qui l’interrogent Qui c’est qui est encore vivant ? elle répond sobrement : moi. Son visage, dessiné dans une case de mêmes dimensions que celles des autres photos, l’inscrit comme la dernière photographie de l’album. En couleur et souriante, elle transmet au lecteur une dernière note d’espoir et même de joie, même si ce dernier est devenu au fil des pages le complice du lourd et bien gardé passé de Mémé.

Dans À l’ombre du convoi10, bande dessinée en deux tomes consacrée au génocide juif, la même scène de lecture initie puis clôture l’histoire. Au début du premier album, une case montre Wilhelm, un jeune allemand forcé par son père d’intégrer les jeunesses hitlériennes, lisant La guerre des mondes de Wells. Une jeune fille juive, Olya, vient lui parler et les deux enfants deviennent amis. À la fin du second tome, Wilhelm, devenu soldat, tue Olya. Une case montre le visage de Wilhelm, effondré par ce qu’il vient de faire. Alors que le lecteur compatit au désarroi de Wilhelm, la case suivante reprend en flash-back l’image des deux enfants sympathisant autour du livre de Wells. Ce rappel du passé heureux suscite alors chez le lecteur une indignation face à la barbarie nazie, qui a eu raison de l’innocence de l’enfance et de cette amitié sincère.

Dans la B.D. pour enfant Irena11, qui raconte comment Irena Sendlerowa sauva 2500 enfants juifs du ghetto de Varsovie pendant la deuxième guerre mondiale, une photographie d’Irena enfant et de son papa apparaît de nombreuses fois dans les albums. Au fil de sa lecture, le lecteur comprend qu’Irena tient son courage du souvenir de son père. La récurrence de cette photo est importante pour l’héroïne qui se raccroche durant cette longue période de tourments à cet élément rassurant, symbole de l’amour familial et rappel des moments heureux12. Elle l’est également pour le jeune lecteur dans cette lecture difficile.

La présence dessinée d’un autre média va donc être utilisée pour permettre l’avancée interne de l’histoire et influer sur la réception du lecteur. L’intrusion, l’utilisation d’un autre média peut produire une résonnance chez le lecteur en jouant sur ses émotions, comme l’empathie, le courage, la culpabilité. Parfois, c’est un sentiment de malaise qui est volontairement communiqué. Dans un album traitant du génocide rwandais, La fantaisie des dieux13, une scène montre trois hommes écoutant grâce à un ordinateur un ancien enregistrement de la radio rwandaise 1000 collines, laquelle diffusa des messages de haine contre les Tutsi14. Les dernières planches de l’album sont la traduction de cet enregistrement qui décrit la remise de décorations à des soldats français. Ce qui rend ces dernières pages particulièrement troublantes, c’est que toute cette description s’écoule sur la chanson des Champs Élysées de Joe Dassin, dont les notes et les paroles s’insinuent dans les cases. C’est très déroutant car le lecteur « entend » Joe Dassin chanter en lisant. Les protagonistes expliquent que cette chanson fait partie de l’enregistrement radio. La dernière image, particulièrement forte, montre une barque vide sur un fleuve apaisé avec des notes et une phrase de la chanson : Tu m’as dit j’ai rendez-vous dans un sous-sol avec des fous. Pour le lecteur, après s’être plongé pendant plus de quatre-vingt-dix pages dans l’horreur du génocide rwandais et avoir lu les critiques de l’auteur face à l’inaction coupable de Paris15, cette phrase enjouée de la culture populaire française dénote une portée tout à coup particulièrement sinistre et crée chez lui un sentiment de malaise. Et c’est de ce sentiment dérangeant que l’auteur veut faire naître l’indignation mais aussi la réflexion de son lecteur.

Transmettre une incitation à la critique

Les médias sont souvent représentés dans leur utilisation, c’est-à-dire que le dessin montre l’appareil de transmission allumé, l’image ou le discours diffusé et le récepteur du message. Confronté à ce type d’images, le lecteur va donc percevoir l’influence que les médias ont sur les acteurs de l’histoire.

Un album sur le génocide arménien, Le cahier à fleurs met ainsi en garde contre les médias d’aujourd’hui. L’intrigue débute à notre époque par une interview télévisée d’un prodige du violon turc auquel un présentateur TV pose la question du génocide arménien. Sur un ton un peu désinvolte, le virtuose parle de massacres mutuels et défend son négationnisme grâce à l’autorité des livres d’histoire nationaux.

Sur trois cases de la B.D. Kz Dora16, une radio diffuse un message invitant les allemands à se recueillir suite au décès d’Adolph Hitler. Dans la troisième case, un homme boit son café et écoute silencieusement ce message.

Stassen, qui signe deux albums sur le génocide des Tutsi, Deogratias et Les enfants17, exprime puissamment l’inefficacité et même les dangers des médias. Chez lui, le maître d’école tient un manuel scolaire mais qui stigmatise les Tutsi. Un prêtre européen est montré souriant et lisant avec avidité un dictionnaire pour apprendre au plus vite la langue de ses nouvelles ouailles. Mais cette connaissance de la langue sera largement insuffisante que pour surmonter le choc de toutes les atrocités vues et vécues par celui-ci. Les européens venus sur place comme aide internationale possèdent télévision, ordinateur, … mais ces artéfacts sont inutiles lorsqu’il s’agit d’aider véritablement les enfants rwandais. Ces derniers sont aussi montrés confrontés à des médias : ils sont soit abrutis devant un film d’action ou rêvassent en lisant un magazine people. Les moyens de communication évoqués par Stassen sont donc soit largement inopérants, soit dangereux puisqu’ils servent à abêtir et à conditionner des enfants qui vont bientôt devenir pour certains bourreaux, pour d’autres victimes d’un génocide.

Rwanda 199418 s’ouvre sur les images télévisées de discours de Nicolas Sarkosy et de François Mitterand s’exprimant sur l’opération turquoise19. On voit les images qui mettent en avant l’action française, on lit les commentaires cinglants qui dénonce l’inaction cachée dans ces images. De manière générale dans les albums, c’est donc une prise de position critique par rapport aux objectifs de communication des médias, à leurs éventuels dangers et à leurs mensonges qui est proposée par les auteurs aux lecteurs.

Transmettre une réalité historique

À côté de cette première forme d’intermédialité qui intègre à un média un média étranger par le biais du dessin, une deuxième manière d’exprimer la rencontre entre médias est de les faire co-exister. C’est ainsi que dans les albums, des corpus documentaires et historiques comprenant des cartes et des copies de documents officiels permettent de rappeler le contexte large des tragédies évoquées20.

Karagoz et Hacivat, deux marionnettes emblématiques du théâtre d’ombre turc, prennent la réplique le temps de quelques cases dans Le fantôme arménien 21. Dans Un sac de billes22, deux pages aux dessins et coloris différents racontent la vie de l’aïeul de la famille et insistent sur sa fuite pour échapper aux pogroms de Russie. Véritable mise en abîme de l’histoire du jeune Joseph Joffo, cette B.D. insérée dans la B.D. est un moyen percutant de rappeler au lecteur l’ancienneté de l’antisémitisme. Dans Maus23, une des premières réalisations du genre publiée entre 1986 et 1991, Art Spiegelman insère un de ses anciens comics, Prisonnier sur la planète Enfer, datant de 1972. Sur quatre planches, il rappelle sa détresse suite au suicide de sa mère Anja Zylberberg en 196824. Une page de journal traitant du génocide rwandais a été ajoutée à la B.D. La fantaisie des dieux.

La superposition médiatique peut donc être variée. C’est toutefois par le biais de la photographie que ces relations intermédiales sont les plus manifestes. D’ailleurs, plus de la moitié des albums consultés contiennent des photographies montrant les abominations des génocides, mais aussi des clichés antérieurs aux drames ou encore des photos de notre époque25. Parfois, photographies et dessins alternent. Dans Le fantôme arménien, photographies et dessins se superposent26. Dans cette dernière B.D., on suit Brigitte Balian et Varoujan Artin dans leur voyage vers Diyarbakir en Turquie pour une exposition de photographies. Toute la phase préparatoire de cette exposition est uniquement traitée par le biais de dessins. Tout à coup, le lecteur se retrouve confronté, non plus à des dessins de photos, mais à de véritables photographies. L’esthétique du rendu est particulièrement forte et l’impact saisissant. Il l’est d’autant plus que le lecteur est face aux regards de victimes du génocide arménien.

Plus loin, le même album propose des montages photos mêlant d’anciennes photographies du premier président de la république de Turquie Mustafa Kemal Atatürk à celles du dirigeant actuel Recep Tayyip Erdogan. L’un d’eux montre le président Erdogan exprimant son mépris des Arméniens à Atatürk. Sur un autre, le président Erdogan tient une caméra et diffuse un discours tentant de justifier les agissements de 1915.

Les Rescapés de la Shoah27 relate les témoignages de cinq survivants, enfants pendant la Shoah. En fin d’album, des photographies de ces personnes ont été ajoutées. Les enfants, auxquels cet album s’adresse, voient ce que sont devenus les personnages de l’album, prennent conscience de la réalité des faits et de la distance historique qui les sépare de ces événements passés28.

Cette immixtion de la photographie n’est pas récente. Dès 1972, Art Spiegelman apposa une photo de sa mère à côté du titre du comics : Prisonnier sur la planète Enfer. Dans Maus, il ajouta des photographies de son père et de son frère Richieu29. Déjà dans Mickey au camp de Gurs, petit album illustré rédigé en 1940 par un prisonnier du camp qui y raconte sa détention et les conditions de vie (il s’agit probablement d’un des plus anciens documents du genre), l’auteur, Horst Rosenthal, colla une photographie des baraquements30.

La superposition de médias produit des contrastes à différents niveaux. Insérer dans un album un média étranger va avoir un impact, non pas sur les personnages de fiction de l’album, mais sur le lecteur, qui se voit extrait, de manière abrupte parfois, de l’univers de la fiction pour un retour désemparant à la réalité. La superposition médiatique amène le lecteur à dépasser les codes du média d’origine et à tendre vers un ancrage dans la réalité du passé. Par de telles insertions, les auteurs veulent rappeler à leurs lecteurs qu’ils ne sont pas devant une histoire fictive, mais face à un récit portant la mémoire d’un crime contre l’humanité. Les photographies, cartes, extraits de discours, références culturelles et autres documents d’archives veulent démontrer la réalité des faits historiques. Ils apportent une forme d’authenticité et sont autant de preuves de la véracité de l’histoire racontée. Davantage, il s’agit aussi d’endiguer la négation des génocides. Ce procédé se veut pédagogique, surtout lorsque les destinataires sont des enfants, mais aussi il contribue à ancrer l’album de bande dessinée dans le champ des productions « sérieuses » et à légitimer l’œuvre.

Dans la majorité des cas, les médias insérés sont « conservateurs » puisqu’ils contiennent et préservent la trace d’un moment du passé31. Leur apparition dans une bande dessinée crée donc un contraste entre ce média animé qui se déroule au rythme des cases et des planches, et un média statique qui y est inséré. L’insertion d’un média étranger dans un album devient dès lors porteuse d’un message. Dans le cas des photographies, on perçoit qu’elles sont désormais davantage que de simples photographies, elles deviennent l’illustration d’un propos32. La bande dessinée dans son entièreté devient quant à elle en cadre explicatif permettant de pénétrer ces photographies et de poser sur elles un regard éclairé. Le texte de l’album aide à lire la photographie et la photo soutient la véracité du texte : la rencontre des deux produit non seulement un regard nouveau sur chacun33, mais encore un regard optimisé.

Retransmettre

L’intermédialité peut aussi se manifester sous la forme de l’adaptation, c’est-à-dire la transposition d’un média d’origine vers un autre34. Plusieurs albums sont ainsi des adaptations en bande dessinée d’œuvres préexistantes. Citons par exemple le Prince de Sassoun35 qui reprend un conte traditionnel arménien dans lequel David de Sassoun lutte victorieusement pour défendre son peuple face aux envahisseurs36.

Concernant la Shoah, une adaptation en bande dessinée est celle, par Kris et Bailly, du roman de Joseph Joffo Un sac de billes37. Dans une interview38, Kris explique que cette transposition du roman vers la bande dessinée tient à deux éléments. D’abord, son lien personnel avec l’ouvrage de Joseph Joffo : ce livre était l’un des romans préférés de sa jeunesse. Ensuite, sa volonté de transmettre à son tour cette histoire, ce qui l’orienta vers l’adaptation du roman vers la bande dessinée. À la fin de l’album Primo Levi39, Mastragostino exprime le même rapport initial avec l’œuvre de départ. L’auteur confesse avoir livré « mon Primo Levi, ce que j’ai compris de lui et la façon dont il se serait comporté selon moi dans certaines circonstances »40. Cette adaptation est toutefois particulière puisque, non seulement il ne s’agit pas d’une adaptation d’un roman de Primo Levi, mais encore le scénario de l’histoire est fictif puisque Primo Levi n’a jamais rencontré les élèves de cette école de Turin. N’ayant pas trouvé de photographies d’époque des bâtiments du Lager de Monowitz-Buna, le dessinateur les a copiées sur ceux d’Auschwitz. Ces libertés prises par Mastragostino ne l’empêchent pas d’avoir voulu rester fidèle à Primo Levi. S’il livre son interprétation personnelle, subjective et fictive du personnage, il cherche à rester cohérent et crédible, autant avec la psychologie de son héros qu’avec les éléments historiques. C’est donc la résonnance d’une œuvre sur un lecteur, portée ici à un niveau presque intimiste, qui suscite chez lui la volonté de l’adapter, avec plus ou moins de libertés, sur un autre support médiatique.

L’adaptation d’un média vers un autre ne touche plus le lecteur dans un sens individualisé, mais le lectorat. Elle est envisagée si le support d’origine a su porter efficacement le message de ses auteurs, mais aussi susciter émotion et empathie41. La transposition en bande dessinée permet donc de prolonger et de renforcer la transmission du témoignage initial, chaque média venant contribuer à sa manière au succès global de la transmission de l’œuvre42. Cette idée de succès, de réussite renvoie également à celle de plus-value, notamment marchande43. En effet, les manières de (re)transmettre les témoignages et de sensibiliser le plus grand nombre au devoir de mémoire font débat (cfr. Infra), parfois même pour les auteurs. Dans Maus, Art Spiegelman confesse une gêne à s’exprimer sur le génocide juif à travers le dessin de souris et la bande dessinée, mais aussi son mal-être face au succès de son roman graphique. Ce malaise, il l’exprime à ses lecteurs par le recours à l’intermédialité. Dans une case très forte, il se dessine affalé sur sa table de dessin44. En dessous, une montagne de cadavres de victimes de la Shoah. Une voix extérieure informe alors Art Spiegelman qu’ils sont prêts à commencer à tourner comme si cette scène se passait sur un lieu de tournage. Dans cette case et dans les suivantes, Art Spiegelman refuse une adaptation cinématographique de son roman graphique. On le voit ensuite sur le plateau d’une émission de télévision. Il doit se défendre et repousser des propositions commerciales de produits dérivés. L’adaptation nourrit donc le risque de dénaturer et même de dévoyer le témoignage d’origine.

Concernant le génocide rwandais, l’album La fantaisie des dieux d’Hyppolite et de Patrick de Saint-Exupéry est l’adaptation en bande dessinée des deux livres, mais aussi d’articles de presse de Patrick de Saint-Exupéry. Ce dernier, journaliste au Rwanda en 1994, fut en effet le témoin des événements tragiques qu’il commenta dans diverses productions. La page de journal qu’il insère dans la bande dessiné est celle d’un article qu’il signa en 1994. Dix ans plus tard, il publie un ouvrage qui revient sur ce qu’il a vu au Rwanda : L’Inavouable. La France au Rwanda45. En 2014, il reprend à nouveau le même message dans un article pour la revue Cités46. La même année, c’est au travers de la parution d’une B.D. qu’il continue à exprimer son opinion sur le génocide rwandais et l’inaction française47. On est donc en présence d’une multi-médialité proposée par un auteur qui use de différents moyens à sa disposition pour diffuser le un message lequel, par ailleurs, se transmet selon les mêmes expressions,48.

Conclusion

Dans les bandes dessinées et romans graphiques consacrés aux génocides, la relation aux autres médias est très présente car la définition du média prend ici tout son sens : c’est un moyen, un outil qui permet d’assurer la communication, la transmission entre individus. Et c’est bien là l’objectif des auteurs : transmettre, qu’il s’agisse de transmettre des témoignages, la mémoire des génocides ou encore des clés de compréhension d’hier mais aussi d’aujourd’hui.

Pour parvenir à réaliser de tels objectifs, l’utilisation de la B.D. est pertinente, mais elle n’est pas suffisante. Pertinente car les albums permettent d’instaurer une relation, de créer un lien entre un lecteur et une histoire, de le faire se projeter dans une fiction et dès lors de susciter chez lui de l’empathie, autant d’éléments qu’un cours d’histoire, qu’une vieille photo de famille, que des cartes ou des statistiques ne réunissent pas. De plus, la lecture d’un album est aisée, ce qui permet une bonne compréhension et donc une bonne réception auprès du public49. Ces atouts pourraient expliquer que la B.D. soit devenue un support de plus en plus prisé dans la transmission de sujets sérieux et même graves, notamment, mais pas exclusivement, auprès du jeune public. Mais ceux-ci n’effacent pas les limites du genre, toujours qualifié de mineur et cantonné dans l’univers de la fiction50. C’est même parfois plus profondément la question de la légitimité de transmettre des sujets si graves dans une simple bande dessinée qui est posée51. Ceci renvoie également à la critique de Paul Ricoeur qui rappelait qu’il « devient urgent de spécifier le moment référentiel qui sépare l’histoire de la fiction. Or cette discrimination ne peut se faire si l’on reste dans l’enceinte des formes littéraires »52. L’enrichissante confrontation de la B.D. avec d’autres médias, notamment par le biais de la superposition, vient apporter une (partie de) réponse à cette exigence et confère davantage de légitimité aux albums. Il reste également que la B.D. consacrée aux génocides ne se présente nullement comme une somme exhaustive de connaissances ou comme l’Histoire d’un génocide. Les destins individuels qui sont racontés veulent aussi inciter le lecteur à dépasser l’album.

Face au défi d’informer les nouvelles générations et de transmettre la mémoire des génocides, les auteurs et dessinateurs de bandes dessinées ont répondu avec leurs convictions et leur talent. Bien que fictionnelles, leurs productions ne banalisent nullement les horreurs des génocides. Comme le rappelait Hans Ulrich Thamer53, c’est d’ailleurs à travers des films, des livres, des témoignages d’époque que les destins individuels des victimes ont été perçus et que l’holocauste est devenu dans la conscience collective une rupture de civilisation. Lorsque la bande dessinée se confronte aux génocides c’est pour s’inscrire dans ce travail de mémoire et de transmission. Pour y parvenir, les auteurs ont pensé les relations intermédiales en fonction des atouts de chaque support mais aussi de l’efficacité de l’impact – et même des impacts – que leur rencontre allait produire chez le lecteur. Les relations intermédiales se présentent ici comme une volonté de compléter, d’agréger entre eux des médias pour que de leur confrontation constructive et de leur enrichissement mutuel puisse découler le véritable enjeu : le devoir de mémoire.

Note de fin

1 BIENENSTOCK Myriam (dir), Devoir de mémoire ? Les lois mémorielles et l’Histoire, Paris, éditions de l’éclat, 2014 ; KATTAN Emmanuel, Penser le devoir de mémoire, Paris, PUF, coll. Questions d’éthique, 2002.

2 Je pense ici au projet du président Nicolas Sarkosi de faire adopter, par chaque écolier français, la mémoire d’un enfant juif tué durant l’Holocauste, mais aussi aux critiques de Claude Lanzmann face à la Liste de Schindler de Steven Spielberg. LANZMANN Claude, « Holocauste, la représentation impossible » inLe Monde, 3-III-1994 ou à celles de Gérard Wajcman et Elisabeth Pagnoux contre Georges Didi-Hubermann au sujet des photographies des victimes de la Shoah. WAJCMAN Gérard, « De la croyance photographique », in, Les Temps modernes, 2001, 56-613, p. 47-83 et PAGNOUX Elisabeth, « Reporter photographe à Auschwitz » in, Ibid., p. 84-107.

3 Sur la notion de média, voir par exemple ELLESTRÖM Lars (éd), Media Borders, Multimodality and Intermediality, Basingstoke, New-York, Palgrave Macmillan, 2010, p. 12 qui définit ainsi un produit médiatique : « tout type d’artéfact et phénomène matériel, et donc concret – par exemple livres, films, chansons – fabriqué pour transmettre un contenu communicationnel ».

4 FRESNAULT-DERUELLE Pierre, La bande dessinée, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2009, partie 1.

5 MICHEL Johann, Le devoir de mémoire, PUF, coll. Que sais-je ?, 2018.

6 Cette recherche se base sur un corpus de vingt-cinq bandes dessinées et romans graphiques (les références seront données au fur et à mesure du texte) et s’inscrit dans le cadre d’un projet didactique mené avec une classe de première du secondaire artistique en Belgique. Dans ce projet, nous nous intéressions à la manière dont trois génocides du XXe siècle (génocide arménien, Shoah, génocide rwandais) avaient été représentés dans la bande dessinée. La présence récurrente de médias dans ces albums a nourri cette recherche.

Sur l’intermédialité, on consultera les travaux de MARINIELLO Silvestra, « Commencements », in, Intermédialités, 2003, n° 1, p. 47-62 et « L’intermédialité : un concept polymorphe », in, VIEIRA, Célia et RIO NOVO, Isabel (dirs), Intermedia. Etudes en intermédialité, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 11-29 ; de RAJEWSKY Irina, « Intermediality, Intertextuality, and Remediation: A Literary Perspective on Intermediality », in, Intermédialités, 2005, n° 6, p. 43-66 et Intermedialität, Tübingen-Basel, Francke, UTB 2261, 2002 ; de MECHOULAN Eric, « Intermédialité, ou comment penser les transmissions » (30 mars 2020) URL : http://www.fabula.org/colloques/document4278.php ; de MÜLLER, Jürgen E., « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision » (30 mars 2020) URL : https://doi.org/10.7202/024818ar

7 Sur la typologie des relations intermédiales, nous renvoyons à Werner Wolff qui distingue les relations intermédiales intracompositionnelles (rencontres de médias différents dans une œuvre) et extracompositionnelles (c’est-à-dire liées à la transposition et l’adaptation). WOLFF Werner, « Intermediality revisited : Reflections on word and music relations in the context of a general typology of intermediality », in, LODATO Suzanne M., ASPDEN Suzanne, BERNHART Walter (éds), Essays in Honor of Steven Paul Scher and on Cultural Identity and the Musical Stage, Amsterdam, New York, Rodopi, 2002, p. 13-34. Voir aussi ELLESTRÖM Lars, Media Transformation: The Transfer of Media Characteristics among Media, London, Palgrave Pivot, 2014, p. 11 qui distingue « media transformation » (c’est-à-dire l’adaptation, la nouvelle médiation par un autre type de média) de « media representation » (la représentation d’un média dans un autre). ROBERT Jörg, Einführung in die Intermedialität, Darmstadt, WBG, 2013, p. 77.

8 APRIKIAN Gorune, TOROSSIAN Stéphane, Varto. 1915 deux enfants dans la tourmente du génocide des Arméniens, Paris, Steinkis, 2015.

9 BOUDJELLAL Farid, Mémé d’Arménie, Paris, Futuropolis, 2006.

10 TOUSSAINT Kid, BEROY José Maria, À l’ombre du convoi, Bruxelles, Tournai, Casterman, t.1 Le poids du passé, 2012 et t. 2 L’espoir d’un lendemain, 2013.

11 MORVAN Jean-David, TREFOUËL Séverine, EVRARD David, Irena, Grenoble, Glénat, t. 1 Le Ghetto, 2017, et t. 2 Les Justes, 2017.

12 On trouve la même présence d’une photographie dessinée dans l’album L’enfant cachée. DAUVILLIER Loïc, LIZANO Marc, L’enfant cachée, Bruxelles, Le Lombard, 2012, p. 72 et couverture.

13 HIPPOLYTE, SAINT-EXUPERY (de) Patrick, La fantaisie des dieux. Rwanda 1994, Paris, Les Arènes, 2014.

14 GRAGG Théo, « Manipulating the Present to Recall the Past and Foretell the Future: Radio Télévision Libre des Milles Collines Broadcasts in Pre-Genocide Rwanda » (30 mars 2020) https://escholarship.org/uc/item/9hv7z2vw

BAISLEY Elisabeth, «Genocide and constructions of Hutu and Tutsi in radio propaganda», in, Race & Class, 55-3, 2014, p. 38-59.

15 Voir note 44.

16 WALTER Robin, Kz Dora, Paris, Des ronds dans l’O, 2010.

17 STASSEN Jean-Philippe, Deogratias, Charleroi, Dupuis, 2000 et STASSEN Jean-Philippe, Les enfants, Charleroi, Dupuis, 2004.

18 AUSTINI Alain, GRENIER Cécile, MASIONI, Pat, Rwanda 1994, Grenoble, Glénat, 2009.

19 L’opération turquoise est une opération militaire française, autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 juin 1994. Elle avait pour mission de mettre fin au génocide des Tutsi au Rwanda.

20 Voir par exemple COSSI Paolo, Medz Yeghern. Le grand mal, Paris, Dargaud, 2009. Cet album, non paginé, retranscrit plusieurs extraits de discours ou de documents émanant du ministre de l’intérieur Mehmet Talaat Pacha, leader du mouvement Jeunes-Turcs et organisateur du génocide des Arméniens. À la fin du même album, des cartes montrent la situation des Arméniens avant et après le génocide. Voir aussi les albums de Le HENANFF Patrice, Waansee, Bruxelles, Casterman, 2018 ; LE GALLI Michaël, BETEND Arnaud, Batchalo, Paris, Delcourt, 2012 et DENOËL Vivier, Maximilien Kolbe. Un saint à Auschwitz, Perpignan, Artège, 2019.

21 MARCHAND Laure, PERIER Guillaume, AZUELOS Thomas, Le fantôme arménien, Paris, Futuropolis, 2015.

22 BAILLY Vincent, KRIS, Un sac de billes, Paris, Futuropolis, 2017, 2 tomes.

23 SPIEGELMAN Art, Maus, Paris, Flammarion, 2012, t. 1, Mon père saigne l’histoire, p. 102-105. Sur le roman graphique Maus, on consultera THEOPHILAKIS-BENDAHAN Marie, « Maus, le graphisme du désastre », in, Revue d’Histoire de la Shoah, 2009-2, n° 191 : La Shoah dans la littérature américaine, p. 265-292. Voir aussi DELANNOY Pierre-Alban, « Spiegelman, dans le pays de personne », in, Ibid., p. 293-302.

24 Id.; SPIEGELMAN Art, MetaMaus, Paris, Flammarion, 2012.

25 Sur les rapports entre photographie et littérature en lien avec la Shoah, voir GERSTNER Jan, Das andere Gedächtnis. Fotografie in der Literatur des 20. Jahrhunderts, Verlag, Bielefeld, 2013, p. 228- 286.

26 Voir aussi, sur le génocide juif, LEMELMAN Martin et Gusta, La fille de Mendel, Paris, Éditions ça et là, 2007, p. 14, 17, 37, 40-41, 44, 53, 56, 68, 73, 85, 103, 107, 115, 131, 199, 203-206, 215, 218-221.

27 WHITTINGHAM Zane, JONES Ryan, Les rescapés de la Shoah, Paris, Flammarion, 2017.

28 Ces photos s’accompagnent d’une brève biographie de chacun mais aussi d’une sitographie invitant les jeunes lecteurs à des recherches sur Internet.

29 Voir notamment au sujet des trois photographies insérées dans Maus : DELANNOY Pierre-Alban, Maus d’Art Spiegelman. Bande dessinée et Shoah, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 116-119.

30 KOTEK Joël, PASAMONIK Didier, Mickey à Gurs. Les carnets de dessins de Horst Rosenthal, Paris, Calmann-Lévy, coll. Mémorial de la Shoah, 2014 ; ROSENBERG, Pnina, «Mickey Mouse in Gurs – humour, irony and criticism in works of art produced in the Gurs internment camp», in, Rethinking History: The Journal of Theory and Practice, 2002, 6-3, p. 273-292.

31 ROBERT Jörg, Einführung in die Intermedialität, op. cit., p. 50.

32 Les photographies sont ainsi choisies pour « leur place dans ce que l’auteur voulait exprimer ». MANGOUA FOTSING Robert, « De l’intermédialité comme approche féconde du texte francophone », in, Synergie Afrique des Grands Lacs, 2014, n° 3, p. 131 (30 mars 2020) https://gerflint.fr/Base/Afrique_GrandsLacs3/Robert_Fotsing_Mangoua.pdf

33 Comme le suggère Robert Fotsing Mangoua, l’intermédialité relève aussi de choix esthétiques conscients. Ainsi, la rencontre de média, par exemple de la photo et de la bande dessinée va permettre la création d’un nouveau regard sur les deux. Ibid., p. 130, 136.

34 Voir ELLESTRÖM Lars, Transmedial Narration Narratives and Stories in Different Media, Palgrave Macmillan, 2019, p. 12 « transmedial narration can be understood as transmediation of narratives; the characteristics of narratives can be represented again by dissimilar media types and yet be perceived to be the same despite the transfer ».

35 GUILLEMOIS Alban, BARTORELLO Yvon, Prince de Sassoun, Grenoble, 12bis, 2011.

36 Si les origines de cette tradition orale pourraient remonter au Xe siècle, ce n’est qu’au XIXe siècle que les premières transcriptions écrites sont réalisées. FEYDIT Frédéric (trad), David de Sassoun : épopée en vers, Paris, Gallimard/Unesco, 1989. Dans l’adaptation d’Alban Guillemois en 2011, l’univers de l’épopée devient un mélange d’éléments disparates : les armures et chevaliers évoquent le Moyen-Âge, des engins volants rappellent la modernité et semblent faire référence aux modalités du steampunk tandis que les personnages et décors des envahisseurs sont aux couleurs du drapeau turc. L’intrigue de l’histoire est celle du conte traditionnel, la forme celle de la bande dessinée et les codes visuels un mélange d’époques historiques. Cette superposition d’éléments confère un caractère anhistorique à la réalisation : l’absence de date, de décors cohérents avec le début du XXe siècle et d’une terminologie claire évoquant des personnages ou faits historiques.

37 BAILLY Vincent, KRIS, Un sac de billes, op. cit.

38 « C’était l’un des romans préférés de ma jeunesse. J’ai toujours su que cette histoire méritait d’être racontée différemment, sur un autre support. En 2008, j’ai relu ce livre. Je ressentais le même plaisir de lecture qu’avant, et surtout la même nécessité à transposer cette histoire en BD» - Kris, interview mise en ligne le 13-IV-2011 (consultation le 30 mars 2020) https://www.actuabd.com/Kris-Un-Sac-de-billes-Aujourd-hui

39 MASTRAGOSTINO Matteo, RANGHIASCI Alessandro, Primo Levi, Paris, Steinkis, 2017, p. 105-108.

40 Ibid., p. 107.

41 La volonté de toucher un public car on a soi-même été touché par un témoignage émerge également de la correspondance de Stefani Kampmann, qui adapta en roman graphique le roman Die Welle en 2007. Ce livre retraçait l’expérience menée dans une classe par un professeur à qui ses élèves assuraient que les jeunes allemands ne retomberaient pas dans les pièges du nazisme. Il leur fit alors adhérer à un groupe de plus en plus clivant pour leur démontrer le contraire. Voir par exemple l’extrait d’une lettre de Stefani Kampmann du 13 août 2010 citée dans ASLANGUL Claire, « Du roman américain sur le nazisme à la BD allemande : transferts, adaptations et jeux d’intermédialité – à propos de Die Welle. Eine Graphic Novel de Stefani Kampmann », in, Germanica, 2010, t. 47, p.161-176 : « L’éditeur m’a demandé si j’aimerais adapter La Vague sous forme de roman graphique. Je ne connaissais le livre que par ouï-dire mais en le lisant, j’ai vite remarqué que le thème était passionnant et surtout fondamental. Aujourd’hui encore, il y a des accès de violence contre des minorités. Les groupes d’extrême droite sont toujours très actifs et tentent de séduire les jeunes. Il faut faire quelque chose contre ça. Par ailleurs, je pense qu’il est important que les jeunes se confrontent avec la dynamique de groupe et les pressions qui peuvent en découler. Si ce livre, grâce à la forme de la bande dessinée, peut toucher encore plus de lecteurs, alors c’est tant mieux ».

42 Voir JENKINS Henry, Convergence Culture: where old and new media collide, New-York-London, New-York University Press, 2006, p. 95-96: « A transmedia story unfolds across multiple media platforms with each new text making a distinctive and valuable contribution to the whole ».

43 Voir notamment l’exemple du roman Die Welle de Tod Strasser en 1981 adapté en « produits dérivés » : en B.D. (2007), en film (2008) et aujourd’hui en série Netflix (2019). ASLANGUL Claire , « Du roman américain sur le nazisme à la BD allemande », op. cit.

44 SPIEGELMAN Art, Maus, op. cit., t. 2, p. 41.

45 SAINT-EXUPERY (de) Patrick, L’Inavouable. La France au Rwanda, Paris, Les Arènes, 2004. Réédition en 2009 sous le titre Complices de l’inavouable. La France au Rwanda.

46 SAINT-EXUPERY (de) Patrick, « Lever le voile », in, Cités. Philosophie, politique, histoire, 2014, n°57 : Génocides des Tutsi au Rwanda, un négationnisme français, p. 111-119.

47 Suite à ses différentes parutions, Patrick de Saint-Exupéry fut d’ailleurs accusé par des militaires français pour diffamation. Voir lexpress.fr, 29 mai 2015 (consulté le 30-03-2020) https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/livre-sur-le-rwanda-attaque-par-des-militaires-francais-le-marathon-judiciaire-se-poursuit_1684616.html

48 On remarque l’utilisation d’expressions similaires. Dans l’article on peut lire « un génocide est une absence, un trou. Là où il y avait des hommes, il ne reste rien, que du silence » Ibid., p. 112. Dans la bande dessinée «  (…) du silence, il n’y avait que du silence et des tués. Les tués ne parlent pas. Il n’y avait plus de mots, juste ce silence, épais, lourd ». HIPPOLYTE, SAINT-EXUPERY (de) Patrick, La fantaisie des dieux, op.cit., p. 10-11.

49 ASLANGUL Claire , « Du roman américain », op. cit.

50 À propos du genre de la bande dessinée, voir Dubreuil Laurent et Pasquier Renaud, « Du Voyou au Critique : parler de la Bande Dessinée », (consultée le 30 mars 2020) https://journals.openedition.org/labyrinthe/4071

51 ASLANGUL Claire , « Du roman américain », op. cit., reprend dans son article des témoignages d’universitaires, mais aussi de blog de jeunes, qui se montrent tantôt critiques, tantôt choqués qu’un sujet si grave soit transposé dans une « simple » B.D. Cette question de la pertinence, de la légitimité du media B.D. est déjà posée de manière brutale par Art Spiegelman dans Maus, op. cit., t.2, p. 201.

52 RICOEUR Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 328.

53 THAMER Hans Ulrich, « Débats intellectuels et pratiques culturelles », in, BIENENSTOCK Myriam (dir), Devoir de mémoire ?, op. cit., p. 133.

Citer cet article

Référence électronique

Marie-Cécile CHARLES, « Génocides et B.D. : l’intermédialité, une manière de transmettre l’indicible », Plasticité [En ligne], 3 | 2021, mis en ligne le 27 juin 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/plasticite/422

Auteur

Marie-Cécile CHARLES

Haute Ecole Robert Schuman – Virton (Belgique)