De A Year in the Merde à God save la France

Résumés

Le roman de Stephen Clarke, A Year in the Merde, publié en anglais en 2004 ne nous intéresse que par sa traduction de Léon Mercadet, God Save la France, (2006). La mise en discours des tribulations d’un jeune cadre anglais venu travailler à Paris et sa traduction s’annoncent comme un vrai défi dès la première page. L’expérience du narrateur à la première personne pose au traducteur des questions innombrables de périlinguistique civilisationnelle qui ne sauraient être traitées de manière exhaustive. Il s’agit ici surtout d’en éclairer les principaux enjeux : comment passer de l’anglo-français au franglais en privilégiant, à chaque phrase, l’importance de l’humour et de la raillerie.

Stephen Clarke’s novel, A Year in the Merde, published in English in 2004 is of interest to us only through its translation into French by Léon Mercadet, God save la France (2006). Turning into a text the life and misfortunes of a young English executive coming to work for a year in a Paris bank and subsequently translating it into French are a true challenge. The narrator’s experience produced in the first person gives rise to endless questions connected to the languages and cultures of both countries—they cannot be dealt with exhaustively in this paper. And this paper only means to highlight the main points, i.e. how to turn the narrative from “Engrench” into “Franglais”, never overlooking the heart of the matter: humour and mockery.

Plan

Texte

C’est en 2004 que Stephen Clarkei publie lui-même A Year in The Merde. Ce journaliste installé en France en vend 200 exemplaires sur internet. Son succès remarqué par Bantam Press la même année lui vaut une publication à grande échelle et ouvre la voie à d’autres romans plurilingues de l’auteur. En 2005, NiL Éditions confie la traduction à Léon Mercadet, journaliste qui a déjà traduit de nombreux romans. God save la France, qui connaît un succès tout aussi retentissant qu’en Grande-Bretagne. Dans ce roman où l’humour est synonyme d’incompréhension, d’erreur et de quiproquo, la tâche de LM était surtout de conserver le plurilinguisme originel. Si LM juge sa tâche facileii, la comparaison du TS et du TCiii, qui fait l’objet de cet article, ne saurait être exhaustive tant les entrelacements abondent entre les deux langues et les deux cultures. Après une présentation de la Situation imageiv, il s’agira de donner un panorama du défi qu’a relevé LM pour traduire sans expliciter, au risque de gâcher l’humour que le plurilinguisme génère. Nous analyserons les deux traits saillants du plurilinguisme réinvestis dans le TC. Sur le plan lexical figurent d’abord les gallicismes, les anglicismes et les faux amis. Le titre de l’ouvrage éclaire sur la méthode de construction du roman à cet égard. Vient ensuite la dimension polylectale (Rosier : 16) car SC comme LM doivent rendre aussi fidèlement que possible un accent désastreux. L’étude sera jalonnée de multiples questions de périlinguistique civilisationnelle puisqu’elles sous-tendent toute la construction diégétique et poétique du roman.

1. Situation image

La question de la traduction du texte bilingue s’inscrit en fond dans la SI de A Year in the Merde. Septembre 2002. Paul West, le narrateur homodiégétique de ce roman sous forme de journal débarque à Paris où il a été engagé par Jean-Marie Martin, PDG de VD, une entreprise agro-alimentaire. Ce dernier a remarqué le succès de « Voulez-Vous Café Avec Moi », la chaîne de cafés à la française créée par Paul en Angleterre. Ce jeune cadre anglais doit lancer en France une chaîne de salons de thé à l’anglaise. Le roman raconte les aventures de Paul à Paris et la gestation de « My Tea Is Rich ». Les deux enseignes sont des clichés respectifs de la langue française pour les britanniques et de la langue anglaise pour les français. Leur construction plurilingue, entre pastiche et parodie annonce la méthode d’écriture de SC, qui repose sur une alchimie hilarante entre l’anglais et le français.

Au fil d’une diégèse sur fond de grèves, de la deuxième guerre en Irak et des scandales liés aux OGM, Paul rit des habitudes parisiennes. Avec un niveau de français rudimentaire, il va devoir s’adapter à son entreprise, chercher un appartement et adopter le rythme de vie parisien. S’il raille généreusement la maîtrise médiocre de l’anglais par les Français, c’est que la plupart de ses interlocuteurs sont capables de dialoguer avec lui « en anglais », à commencer par ses collègues de travail.

Dans le TS, le lecteur rencontre souvent des mots en français qui sont étrangers au narrateur plongé dans un nouvel imput linguistique. L’humour se fonde donc sur le choc des cultures, des langues, des systèmes phonologiques qui se mêlent parfois aussi bien que l’huile et l’eau. Aussi, les faux amis et les références culturelles différentes du narrateur le mettent-ils dans des situations ubuesques.

Le lecteur sera plus ou moins complice du narrateur selon sa maîtrise des deux langues et son expérience des deux côtés de la Manche. Pour les anglicistes et les francistes confirmés, surtout s’ils ont vécu en Grande-Bretagne, la complicité avec le narrateur se trouve accrue et les occasions de rire multipliées. Les lecteurs non initiés éprouveront toutefois du plaisir à la lecture de ce roman traduit :

Oddly enough, the French are buying it, even if they don't entirely understand the raunchy humor. As the book disappears from Paris's English bookstores such as WH Smith and Brentanos, supermarket Leclerc and Fnac, France's mega bookstore chain, have got in on the act and placed their orders. (Goodman: 2004)

Lorsque le lecteur n’est pas initié, l’humour est généré par l’incompréhension de Paul West qui regarde les français comme des extraterrestres. Aussi incombe-t-il à LM de représenter dans le TC tous les décalages entre les deux langues et les deux cultures et reproduire l’humour, qui, côté-français, doit tourner à l’autodérision, voire rendre quelques politesses aux Anglais. Ce phénomène appelle des techniques de traduction précises qui seront ici mises au jour à travers quelques exemples édifiants. Parmi elles, la compensation, témoin de la difficulté à trouver un équivalent pour chaque occurrence de plurilinguisme, sera souvent soulignée.

2. Les titres de l’ouvrage

La composition du titre du roman et des titres de chapitres donne un aperçu du fonctionnement de tout le texte. Il s’agit de marier les deux langues en projetant une vision critique de la France en Grande-Bretagne. « A Year in The merde » se veut un cliché négatif et humoristique de la France. Or, avec le célèbre titre « Voulez-vous coucher avec moi ? », « merde » manque rarement au français des Britanniques, fût-il des plus indigents. Pour Paul, « merde » est aussi la métonymie d’une mésaventure récurrente puisque les déjections canines, qui jonchent les trottoirs parisiens, souillent régulièrement ses chaussures. Enfin, chaque moquerie est doublée d’une note affective pour la France. Paul apprend que « merde » est un signe de chance, ce qui annonce déjà qu’au bout de toutes ses infortunes, il va trouver une équipe solide pour monter sa chaîne de cafés à l’écart de VD. Notons enfin que si le titre cible est très différent, la couverture de God save la France traduit cette SI ; on y voit un homme en costume tenant sous son bras un parapluie à la toile imprimée du Union Jack, qui découvre une crotte de chien sous sa semelle.

L’expression « to be in the shit » ne saurait traduire « être dans la merde ». Afin de produire un effet similaire au TS, LM parodie « God Save The Queen ». Popularisé par le sport, l’hymne connu des Français incarne le patriotisme d’une nation insulaire autrefois conquérante, ennemie jurée de la France sur laquelle le narrateur porte son regard.

3. Les titres des chapitres

Chaque chapitre correspond à un mois entre septembre et mai. Dans le TS comme dans le TC, ils sont écrits en français car ils signalent la scansion du temps en France dont Paul West fait l’expérience. Paul relate donc une année scolaire, les huit mois les plus actifs de l’année et il peut donc taxer les Français de fainéanter le reste de l’année.

Pour que le plurilinguisme ne rende pas la lecture opaque dès le titre, SC mêle à l’anglais des termes français communs pour les anglophones : « merde, deux, cuisine, maison, amour ». LM recourt au même type de procédé en ajoutant des mots transparents que le lecteur pourra lire avec un accent français : « Never the deux shall meet »/« Nous deux is not possible ». C’est une occurrence rare dans les titres, mais plus fréquente dans le corps du texte, nous y reviendrons. Parallèlement, il traduit toujours les structures et les mots auxquels les francophones risquent de ne pas avoir accès et use de paronymes : « Make yourself chez moi »/« Je cherche un home ».

En outre, LM conserve des titres franglais, mais, alors que le calque peut sembler le plus simple et le meilleur procédé de traduction, il ne traduit pas les termes français du TS par les mêmes termes anglais dans le TC. L’humour de ce roman étant en grande partie catalysé par les lacunes du narrateur en français et surtout par ses moqueries contre les Français à l’anglais réputé désastreux, LM choisit parfois d’ajouter dans le TS, les erreurs de linguistiques les plus récurrentes, étant elles-mêmes des clichés de l’expression anglaise par des Français. Ainsi, alors que SC fait un retour à la notion dans « Make amour, not war », LM choisit de recourir volontairement à une détermination maximale « Faites the love, not the war ». A l’évidence, ce genre d’humour sera saisi par les lecteurs qui auront relevé la faute. Le réinvestissement des erreurs linguistiques permet à LM de compenser d’autres effets de l’humour générés par le plurilinguisme, mais difficilement traductibles. Il met ainsi le TC à la portée de tous les récepteurs, même les non anglicistes, et accroît le plaisir de la lecture des francophones anglicistes.

4. Lexique : gallicismes, anglicismes et faux-amis

Les confusions lexico-sémantiques figurent parmi les principaux aspects plurilingues qui génèrent l’humour dans A Year in the Merde. Les faux amis, les anglicismes et les gallicismes correspondent globalement aux trois catégories venant chacune illustrer une cause différente de l’opacité communicationnelle émanant soit du narrateur, soit de ses interlocuteurs francophones. A charge ensuite à LM de trouver un équivalent afin d’éviter un éclaircissement sémantique qui aplanirait l’expression du TS emportant avec lui son caractère humoristique.

Les faux amis et les anglicismes sont employés par les interlocuteurs francophones de Paul. Le lexique de l’immobilier avec ses « cave », « salon », « living » et autres « dressing » se prête facilement à ce genre de confusions que les commentaires du narrateur suffisent parfois à expliciter : « “Er, separate salon ?” the guy asked. Now he thinks I’m one of a couple of gay hairdressers, I thought » (118) / « Euh, separate salon ? tenta-t-il. Bon, le voilà qui me prend pour un coiffeur homosexuel dépacsév, me dis-je » (96). Dans le domaine de la cuisine, on trouve encore : « In French, the word “self” means self-service restaurant » (147) / « En français, « self » veut dire restaurant self-service » (121).

Les remarques dont Paul jalonnent sont récit ne sont pourtant pas toujours adaptées à un lectorat francophone et le traducteur doit alors étoffer l’énoncé source. Dans l’exemple suivant, le narrateur imprégné de la langue française au fil des semaines, finit même par jouer avec le sens des mots dans les deux langues : « The second place was a cave. Strictly speaking, in French “cave” means “cellar”. But this place really was a cave » (118) / « La deuxième visite me conduisit dans une cave. En français, cave désigne le cellier, l’endroit où l’on range le vin. En anglais, cave signifie grotte. Là c’était une grotte » (97).

L’étoffement s’avère opportun pour expliciter les emprunts lexicaux à l’anglais ou le sens des faux-amis, mais la lecture du TC deviendrait fastidieuse si tous les anglicismes devaient être relevés comme tels. Certains sont donc signalés dans le TS, mais ne le sont plus dans le TC. Le traducteur reprend l’anglicisme comme si le terme adéquat avait été utilisé en anglais. Aussi l’achoppement du narrateur signalé par les guillemets dans le TS disparaît-il dans le TC : « they seemed to be arguing about “le dressing” » (137) / « Le débat semblait porter sur le dressing » (114). Certaines occurrences de français traduites en anglais dans le TS permettent cependant une compensation puisqu’il n’est nul besoin de donner une traduction du terme français dans le TC : « The grand magasinvi (department store) near Élodie’s place » (149) / « Le grand magasin près de chez Élodie » (123).

La tâche de LM se complique encore lorsque le narrateur emploie des gallicismes. Paul West en fait largement usage pour ajouter une « French touch » au récit de sa vie à Paris. La fréquence de ces mots français en anglais courant conduit soit au calque, soit à l’emploi du mot spécifique en français, à ceci près que les italiques qui signalent le plurilinguisme et l’exotisme de ces gallicismes dans le TS sont supprimées dans le TC : « Madame objected in French » (129) / « objecta Madame en français » (107) ; « décor accessories » (131) / « des accessoires de déco » (109) ; « France sees itself as a huge gourmet restaurant » (147) / « un pays qui se voit comme un énorme restaurant gastronomique » (121) ; « “I am making a wonderful Raclette and you are not interested.” » (149) / « Je fais une raclette géniale et ça ne t’intéresse pas. » (122).

LM trouve parfois des compensations en récupérant l’effacement d’un gallicisme par l’incursion d’un anglicisme dans le TC : « Now, at four o’clock, it was quiet in the lull between the mid-day rush and the apéritif crowd » (156) / « Là, sur le coup des 4 heures, on profitait de l’accalmie entre le rush du déjeuner et la volubilité des amateurs d’apéritifs » (128). Si « apéritif » n’est signalé par aucune typologie particulière dans le TS, LM ne fait pas non plus de distinction typologique dans sa traduction. En revanche, il conserve « rush » pour désigner les heures de grande affluence dans les restaurants, un emprunt lexical du français à l’anglais.

LM doit également prendre en compte les évolutions culturelles et linguistiques du narrateur au fil de son séjour en France. Progressivement, Paul West découvre la culture française et recourt davantage à l’incursion de termes français pour donner une représentation plus réaliste de son immersion culturelle. A nouveau, ces touches d’exotisme disparaissent en langue cible : « when they go to the boulangerie to buy bread » (147) / « quand ils vont à la boulangerie acheter du pain » (121) ; « they do it in the queue to buy cigarettes at the tabac » (148) / « au tabac aussi ils respectent la file indienne » (121). Le lecteur francophone ne perçoit dès lors pas que l’achat du pain dessine dans l’esprit d’un Britannique une métonymie de la France.

En outre, les progrès de Paul sont très inégaux. Lorsqu’il s’agit des plaisirs du palais ou de la chair, sa progression est fulgurante et se lit dans les premiers chapitres du roman. Au fil du temps, Paul comprend le sens de certains anglicismes et en fait personnellement usage comme tels. SC et LM les signalent par des italiques indiquant que Paul emploie le terme pour être compris par Élodie, la fille de son patron, qui se promène toujours à moitié nue : « “I’ll go and get your clothes from the dressingvii, shall I ?” » (152) / « Tu veux que j’aille chercher tes habits dans le dressingviii ? » (125).

En revanche, quand il se retrouve au milieu d’un conflit d’intérêts politico-économiques, il éprouve plus de difficultés. L’emploi de termes français dans son discours participe de la représentation de ces zones d’ombre dans son esprit : « blue overalled drivers yelling something about bœuf anglais » (163) / « des types en bleu de travail, l’air fâché, qui hurlaient quelque chose à propos de bœuf anglais » (135). En réalité, le lexique lui pose moins problème que la SI elle-même. LM fait disparaître le plurilinguisme et le lecteur francophone ne perçoit pas l’incompréhension de Paul West comme ici dans le scandale du bœuf anglais illégalement importé en France. Dans le TC, la SI, si elle n’est pas complètement inversée, se trouve quelque peu modifiée.

De la confusion lexicale, Paul progresse vers le multilinguisme. Imprégné de son expérience à Paris, il incorpore à présent dans son récit des mots français qui ne figurent dans aucune des trois catégories étudiées jusqu’ici. Pour le traducteur, il devient alors ardu de rendre en langue cible l’irruption de l’étranger : « I avoided committing the social gaffe of cutting the points off the dribbling wedges of Camembert and Brie with a small rounded knife » (128). / « Je ne commis pas la gaffe de couper par la pointe les triangles suintants de brie et de camembert, avec le petit couteau à bout rond » (106).

Nombreuses sont les autres occurrences de ce type que LM choisit de passer sous silence. Une incursion de l’anglais dans le français de type « blunder » aurait été envisageable, mais aurait modifié la SI dans laquelle Paul West emploie « gaffe » justement pour souligner son attitude précautionneuse lorsqu’il partage le repas d’une famille française. La distinction typographique n’a pas été non plus conservée alors qu’elle aurait signalé l’achoppement du narrateur pour qui se servir du fromage chez son PDG français devient un enjeu diplomatique.

Malgré des trouvailles multiples de compensations lexicales, on observe un plus grand nombre d’occurrences de franglais dans le TS que dans le TC car de tels jeux de mots s’adressent directement à un public britannique. La compensation du plurilinguisme de A Year in the Merde se joue sur le terrain de la représentation de l’accent des francophones qui s’expriment en anglais. God Save la France déploie dans ce champ des techniques de transfert qui parlent si bien à un public francophone qu’elles supplantent parfois le TS.

5. L’écriture polylectale: un casse-tête favorable au français

L’expérience de Paul West est représentée de manière beaucoup plus réaliste lorsqu’il s’agit pour LM de transcrire l’accent des francophones qui parlent anglais. En effet, si l’intonation, le débit de la chaîne parlée ou l’accentuation des mots ne sont perceptibles qu’à l’oral, les sons vocaliques et consonantiques présentent un spectre de représentations écrites bien plus large en français qu’en anglais. L’erreur du francophone vient de son emploi des phonèmes du français pour produire un énoncé en anglais. Ainsi, lorsque LM transcrit l’accent médiocre des Français, il a davantage d’outils graphiques pour représenter les phonèmes impropres en anglais. En revanche, dans le TS, SC donne une vague idée de ce que Paul entend, mais il ne saurait utiliser une graphie française, qui sera interprétée différemment par un anglophone.

Paul montre d’ailleurs l’impossible recouvrement graphie/phonie pour transcrire l’accent français en anglais lorsqu’il tente d’écrire « lingerie » phonétiquement. « lingerie is not pronounced the way we think it is at all. It’s not “lon-je-ree” or “lon-je-ray”. It’s “lan-jree” » (249) / « le mot « lingerie » ne se prononce pas comme nous le croyons » (205). Dans le TC la dernière phrase est éludée ; la deuxième transcription de « lingerie » est cependant reprise à un tiret près dans le TC et suffit à montrer que la prononciation à l’anglaise est très loin de « lingerie ». L’on comprend ce choix de non traduction car un francophone ne lirait aucune de ces trois transcriptions [lCnjri]. Un seule d’entre elles suffit à créer l’effet escompté : « The French do not understand our pronunciation of lingerie at all. You try telling a French woman that you want to buy her some “lon-je-ree” and she’ll be at a loss. » / « Expliquez donc à une Française que vous aimeriez lui acheter de la lon-jeree : elle sera larguée » (205).

Il en va parfois de même lorsque LM doit transcrire des erreurs phonémiques avec une graphie française, mais il a cependant d’autres outils pour compenser ces lacunes. L’élision de [h] dans certains cas et son expiration intempestive sont parmi les erreurs fréquentes des francophones en anglais. Le « h », muet en français est difficile à rendre à l’écrit. Il peut être supprimé dans l’orthographe s’il est omis à l’oral, « “Yes, if the ouse does not fall down” » (236) / « – Oui, si la maison ne s’écroule pas » (196). En outre, dans le premier cas, son élision peut ne pas être saisie comme une erreur à l’oral par un francophone. On pourrait parler de sous-traduction puisque l’erreur a disparu dans le TC. S’il est plus ardu de rendre compte de [h] ajouté sans raison, de nombreuses occasions s’offrent ailleurs pour insister sur la médiocrité de l’accent, un trait saillant du texte de SC. Lorsque Paul fait goûter des mets anglais à ses collègues, Stéphanie, remarque :

« “I mean zis cheese, it is 50 pour cent of Hair.” “Hair ?” “Yes, foo, foo.” She made breathing out motions. “Oh, air. It just melts better when it’s grated.” » (183) / « – Non. (elle désigna le fromage râpé.) Zis tchize, it iz fifty pour cent hair.- Hair (Cheveux ?) – Oui, pfff, pfff. Elle fit le geste de respirer. – Oh, de l’air ! C’est juste que ça fond mieux quand c’est râpé. » (152-3)

Bien que LM doive traduire « hair » pour signaler la confusion [ée] / [hée], les changements orthographiques qu’il opère permettent une représentation plus fidèle de l’accent français. Ici, [i] au lieu [i:] est orthographié « i » et le « ch » anglais est orthographié « tch » pour signaler [tH]. Ainsi, LM compense quelques éléments plurilingues opaques pour les francophones.

Cet exemple illustre aussi que les francophones distinguent rarement les paires minimales. LM transcrit ces fautes plus facilement que SC ; elles sont dès lors représentées davantage en langue cible. Cette démarche compense certains jeux de mots auxquels les francophones n’ont pas accès comme sur « crisps » que Stéphanie prononce [krips] transcrit par « creeps ». Elle n’affirme plus qu’elle va manger des chips, mais des plantes rampantes : « Ah love English food. I go eat some creeps now » (183) / « Aille love inegliche food. Aille eat chips now » (152).

Le reste de la citation en langue cible rend davantage l’accent français dès lors que le français produit des sons empruntés à son spectre phonétique. En revanche, une telle transcription est difficilement réalisable en anglais car le recouvrement graphie/phonie de l’accent français est rare. Notons cependant que LM a pu compenser certains jeux de mots. M. Lassay prononce [v] au lieu de [w] et appelle Paul West « Monsieur Vest » (204) / « monsieur Veste » (168). LM a ajouté un « e » final de sorte que le jeu de mot sur les vêtements demeure avec un léger glissement métaphorique.

Il en va de même pour les diphtongues difficiles à transcrire en français : « “But it is very chic, the labelle,” Stéphanie objected » (159) / « But it iz veri chic, zi etiquett’, objecta Stéphanie » (132). Dans le TS, SC indique le défaut de prononciation de Stéphanie dans le nom « label » qu’il remplace par « labelle ». Le lecteur anglophone établit le départ entre [leıbl] et [læbel]. La traduction pose problème car en français, « label » et « labelle » sont homophones. LM insiste pourtant davantage sur le mauvais accent de Stéphanie. Il note « iz » au lieu de « is » et fait un glissement sur la nature de l’erreur sur « label » en lui faisant employer le faux-ami « etiquett’ » caricaturé en anglais par l’omission de l’accent sur le premier « e » et du « e » final. Stéphanie semble donc ignorer que « etiquette » existe en anglais et tente simplement de produire à l’anglaise un nom français dont elle ignore la traduction. Outre son mauvais accent, LM souligne ainsi l’indigence de son lexique.

L’expérience de Paul au travail permet même au traducteur de retourner les moqueries phonémiques contre les Anglais puisque le français du narrateur est parfois pire que celui de ses collègues en anglais : « I had told everyone to order what they wanted. It was my treat. (“Trit ?” Bernard had asked.) » (158) / « J’avais demandé à tout le monde de commander ce qu’il voulait. C’était ma tournée. (« Tchourney ? ») avait demandé Bernard) » (130). Dans le TS Bernard a du mal à comprendre le mot « treat » qu’il répète avec [i] au lieu de [i:]. Notons que SC se retrouve face à la même difficulté car en écrivant « i » il transcrit [ı] et non [i]. Dans le TC, LM choisit de faire répéter à Bernard le mot « tournée » comme si Paul l’avait dit en français en produisant une plosive initiale à l’anglaise et en remplaçant le son monovocalique de la flexion finale par une diphtongue typiquement anglaise. LM renverse la SI car dans le TS, c’est Paul qui se moque de l’anglais de son collègue et non l’inverse. La traduction prolonge le jeu du récit en retournant les compliments de l’autre côté de la Manche. La moquerie contre Bernard subsiste néanmoins car le lecteur sait par ailleurs qu’il ne comprend de toute façon jamais rien.

Bernard est un modèle de médiocrité. Il est le collègue le plus inefficace de Paul et aussi celui qui a le pire des accents. « Bernard blushed. “Yes, ze test for a logo is er, vairy soon finish.” Vairy soon started, I thought » (160). / « – Yes, ze test for ze logo iz, euh, bientôt finish. Ou pas commencèd, me dis-je » (132). Démarche impossible en anglais, LM peut utiliser les signes diacritiques. A la fin de l’intervention de Bernard, LM fait une modulation par contraire et traduit la reprise rhétorique de Paul « vairy soon started » par « pas commencèd » avec un accent sur le dernier « e » signalant une erreur récurrente des francophones dans la prononciation de la flexion finale [V-ed] / [V-en].

L’anglais et le français disposent l’un comme l’autre de [z] pour représenter la prononciation erronée de [ð] des francophones. Toutefois, si les deux énoncés se ressemblent beaucoup sur le plan graphique, le lecteur français entend beaucoup plus l’accent de sa langue. La production de « r » dans « vairy » se lira [r] en anglais, mais [R] en français. La plosive initiale dans « test » est sèche en français alors qu’en anglais elle se prolonge légèrement par un [s]. Toutes ces nuances cumulées rendent la lecture du francophone beaucoup plus proche de la SI. En langue source, SC doit modifier l’orthographe anglaise pour imiter l’accent français alors que LM peut s’en dispenser. Paul retrouve par hasard une conquête d’une nuit qui lui reproche : « “Wah you leave me zat morning, Paul ? You not Eengleesh gentleman, uh ?” » (257) / « – Pourquoi toi foutu ze camp zat morning Paul ? You not English gentleman ? ». LM récupère [z] pour traduire [ð] et rétablit certains mots comme « English » car le lecteur francophone n’a pas besoin de modification orthographique pour entendre cet adjectif avec un accent français.

Enfin, si Paul se moque très souvent des lacunes des Français, il fait également preuve d’autodérision. Dans l’exemple suivant, LM recoure à un étoffement pour signaler le jeu de mots entre [deOR] et [diOR] : « you can find bits of real rural France, populated by tractor-driving folk who think that Dior is a word you use to shoo stray dogs out of your garden. Allez Dior ! » (193) / « on tombe sur des arpents d’authentique France rurale, peuplés de vrais paysans pour qui Dior n’est qu’un ordre pour chasser les chiens errants. « Allez le chien ! Dior ! » (159-60).

En revanche, certains jeux de mots graphie/phonie dans le TS s’adressent davantage aux francophones qu’aux anglophones. En effet, le français parlé s’opacifie chez Paul s’il doit saisir des références culturelles françaises qu’il n’a aucun moyen d’inférer. Or, quand Jean-Marie, vante sa fille qui a intégré HEC, Paul ne comprend pas qu’HEC est un acronyme et comprend [AHE:seq] « Ashersay » (126) au lieu de [aHesé] « HEC » (104-105). Ailleurs, la paronymie entre OGM et M. Augème, l’agriculteur qui sème des OGM en secret s’adresse elle aussi davantage à un public francophone qu’à un lectorat anglophone.

En authentique londonien, Paul entend des diphtongues un peu partout et confond ici [meə] / « mare » et [mèR] : « maire ».

« Who exactly got elected in the municipal election? I asked. “My horse” she said. “Uh ?” “My horse of towns and villages and arrondissement.” […] “Les maires!” she yelled in my ears, just after the music had stopped. “Oh, mayors !” » (231-2)

« – On élit qui exactement, aux municipales ? demandai-je. – Ma mère, dit-elle. –Hein ? – Ma mère pour les villes, les villages et les arrondissements. […] – Les maires ! me cria-t-elle juste au moment où la musique s’est arrêtée » (192).

LM utilise les homophones : « mère » / « maire ». Dans le TC rend la conversation presque aussi incompréhensible qu’en anglais. Au moins en français, « mère » fait référence à un humain, contrairement à « mare ». Sans doute « mer » dans le TC aurait rendu le malentendu encore plus désarçonnant (osera-t-on écrire) que dans le TS.

Conclusion

Le traducteur a une tâche particulièrement ardue et il ne lui a pas toujours été possible de rendre compte en français de toutes les homophonies, tous les paronymes et autres faux amis. En revanche, les multiples outils de représentation de l’accent des Français que Paul West trouve bien souvent calamiteux compensent bien, en proportion, les malentendus que l’on peut trouver dans le TS. Ajoutons néanmoins, que pour un texte adressé à des lecteurs francophones, l’effacement de certains glissements lexicaux qui soulèvent des situations problématiques de périlinguistique civilisationnelle sont tout de même perdues. L’expérience du décalage culturel n’est pas toujours rendue de sorte que ce qui achoppe dans l’esprit de Paul West en tant qu’Anglais sur le sol français ne ressort pas toujours. Restent les multiples commentaires du narrateur qui ne posent pas la question du plurilinguisme du texte et qui apportent eux aussi leur lot de représentation de l’étonnement, de l’agacement, voire de la frustration de Paul. En fin de compte, c’est le traducteur qui a parfois plus de facilités à mettre en lumière l’expérience de Paul West grâce à son discours direct en français, d’une part et grâce au spectre phonologique du français par lequel il peut plus facilement rendre les erreurs de phonologie des francophones qui, au risque de la malmener, s’essayent à la langue de Shakespeare.

Note de fin

i Stephen Clarke sera désormais abrégé en SC et Léon Mercadet en LM.

ii Entretien privé avec Léon Mercadet (25/08/2010).

iii On notera désormais TS pour « TS » et TC pour « TC ».

iv Désormais SI.

v Notons que l’incursion du PACS dans ce récit ne s’inscrit pas dans la culture britannique et ne donne pas un ton très authentique au récit de Paul. On comprend cependant que Léon Mercadet adresse cette référence au lectorat français.

vi En italiques dans le texte.

vii En italiques dans le texte.

viii Idem.

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Samia Ounoughi, « De A Year in the Merde à God save la France », La main de Thôt [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 20 mars 2023, consulté le 27 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/1147

Auteur

Samia Ounoughi

Université de Provence, AMU-LERMA: EA 853. l’Université Pierre Mendès France à Grenoble

PRAG

Samia.Ounoughi@upmf-grenoble.fr