L’invention du médiateur : représentation du traducteur en littérature, à l’écran et au théâtre (Séance du 21/02/2014)

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Antonio LAVIERI, (Université de Palerme) : L’invention littéraire du traducteur. Imaginaire du traduire et traductologie savante

La question est la suivante : que peut-on savoir, à partir d’une fiction littéraire, des théories et pratiques de la traduction ? Autrement dit, comment la littérature pense-t-elle sa traductibilité mais aussi le statut du traducteur ?

Si l’on considère que les récits de traduction peuvent constituer un objet épistémologique, c’est que l’on postule un rapport étroit entre savoir, normes et imaginaires du traduire. Il existe en effet des formes d’objectivation spécifiques mises en acte par les récits de traduction. La dichotomie fiction/théorie n’a donc plus de sens.

La traduction peut être un objet épistémologique dans les sciences humaines tout en n’étant pas « objective » :

  • Il n’y a pas de point de vue épistémologique autonome (la traductologie, comme les autres disciplines, ne peut fonctionner indépendamment) ;

  • Les objets épistémologiques n’existent pas en nature (la fidélité, le texte original), il y a simplement des visions normatives qui arrivent à un moment à s’imposer ;

  • Il faut souligner la fonction de l’interprétation dans la constitution des champs des savoirs.

Dans L’auberge du lointain, Antoine Berman donne la définition suivante : « La traductologie est la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d’expérience ». La question ontologique (qu’est-ce que la traduction ?) devient phénoménologique : quels régimes d’historicité et de fictionnalité sont incarnés par des pratiques traduisantes ?

Il faut voir dans la fictionnalisation du traduire l’un des lieux possibles de la constitution du savoir traductologique, allier aux différents points de vue traductologiques l’analyse symbolique de pratiques traduisantes.

Il y a une grande richesse métaréflexive des récits de traduction. Ces récits s’inscrivent dans différentes stratégies pour souligner l’autorialité traductive, pour donner une lisibilité au geste traductif. La fiction devient une métaréflexion sur la place du sujet dans la pratique traduisante.

Traduire est un processus dynamique qui produit des phénomènes linguistiques, politiques et culturels qui échappent à la théorie. Il n’y a pas de hiérarchie entre fiction sur la traduction (imaginaire du traduire) et traductologie savante. La traductologie permet donc aussi de redéfinir l’épistémologie des autres disciplines.

Une grande partie de la traductologie contemporaine a essayé de réduire l’altérité paradoxale du texte traduit à l’unité radicale du texte original. Il faut envisager une conception du savoir hybride et encyclopédique.

Adriana SERBAN (Université de Montpellier 3) : Le fictional turn en traductologie et les traducteurs dans la fiction

Par « fictional turn », on désigne la fertilisation réciproque entre théorisation littéraire et fictionnalisation de la traduction.

L’évocation des œuvres cinématographiques qui mettent en scène des personnages de traducteurs commence avec l’adaptation de l’œuvre de Conan Doyle, L’interprète grec1. En 1985, est réalisée une nouvelle adaptation2. L’interprète est kidnappé par des criminels pour faire la médiation avec leur victime. On voit qu’il est impossible pour l’interprète d’être neutre, il se range du côté de la victime et en meurt.

Dans Mission3, l’interprétation a lieu depuis la langue guarani pour un cardinal, la vie du peuple guarani est en jeu.

Dans La leçon de piano4, la protagoniste est muette et sa fille est son interprète, ce qui pose la question de la relation entre mère et fille s’articule autour de la traduction.

Dans Lost in translation5, la traduction est une métaphore pour évoquer le dépaysement culturel et psychologique. Il y a une scène intéressante où l’interprète ne traduit pas tout et sourit alors que le locuteur, qui ne parle pas japonais, en est conscient et se met en colère.

Azur et Asmar6 est un film totalement bilingue français/arabe. Le personnage de Crapaud traduit de l’arabe et ce qu’il voit à Azur qui ferme les yeux. Il donne sa réalité : tout est moche quand les paysages qui apparaissent à l’écran sont magnifiques.

Dans les films qui ont été évoqués, apparaissent des interprètes tant professionnels que non professionnels. La traduction en langue des signes est représentée. Le rôle de l’interprétation y est pluriel : métaphore (Lost in translation), prétexte, place marginale, rôle central (Le leçon de piano).

La théorisation de l’acte du traduire y est explicite ou implicite : questions de la fidélité, l’explicitation, la subjectivité, la condensation, l’attribution de la responsabilité.

Enfin, ces films mettent en évidence certains enjeux éthiques de la traduction :

L’interprète enfant : la pression qui s’exerce sur lui (elle), son statut par rapport au parent.

La traduction incomplète, la manipulation, les cas où l’on profite de la non compréhension des autres

Reine MEYLAERTS (Université de Louvain) : Figures du traducteur et multilinguisme : nouveaux défis pour la traductologie

Une recherche nouvelle s’intéresse aux nouveaux acteurs interdisciplinaires (terminologues, éditeurs, traducteurs…) que l’on appelle les médiateurs culturels. La médiation culturelle désigne l’ensemble des activités de transfert complexes qui se chevauchent, se recoupent, à travers différents champs culturels, différentes langues et différentes frontières spatiales. Le médiateur littéraire est un pont discursif.

Pourquoi étudier ces médiateurs ? Car ils sont les véritables architectes de cadres de références communes, surtout dans les cultures émergeantes, multilingues et hétérogènes. Leur action dépasse les cadres conceptuels traditionnels des études littéraires traditionnelles car les cultures complexes ne peuvent pas être appréhendées avec des concepts binaires.

La conférencière propose une méthodologie pour étudier ces médiateurs culturels :

-Analyses socio-biographiques : trajectoires sociales et biographiques de ces médiateurs.

-Analyse des réseaux, descircuit d’échanges (lettres, contacts dans associations, salons)

-Analyse traductologique : comparaisons textes à textes, écritures multilingues, autotraductions, parodies, plagiats

-Analyse historico-culturelle : modes de transferts non discursifs

La combinaison de ces approches en collectif (historiens, sociologues, littéraires…) devrait permettre de formuler des hypothèses concernant les buts, les formes et les fonctions des médiateurs.

R. Maelaerts poursuit son exposé au travers de l'exemple d'un médiateur culturel : Roger Avermaete, Anvers (1993-1988). Son histoire s’inscrit dans un contexte de relations de pouvoir changeantes entre français et néerlandais à un moment où les avant-gardes littéraires internationales sont très portées sur la lutte linguistique.

Avermaete brouille les frontières entre écrire et traduire. Il met à l’épreuve les limites de l’expression dans la revue Lumière qu’il crée. Il travaille aussi bien en français qu’en néerlandais.

En conclusion, les médiateurs sont actifs à travers les frontières géographiques et culturelles sans pour autant les annuler. Ils estompent frontières entre écrire et traduire. Ces activités de méditations sont hybrides et ne peuvent plus être appréhendées par les concepts traditionnels, la distinction entre auteur et traducteur devient artificielle : il faut étendre les frontières de la traduction.

Note de fin

1 George Ridgwell, sorti en 1922 au Royaune Uni.

2 Alan Grint, 1985, Royaume Uni.

3 Roland Joffé, 1986, Royaume Uni.

4 Jane Campion, 1993, Nouvelle Zélande.

5 Sofia Coppola, 2003, film américano-japonais.

6 Michel Ocelot, 2006, France.

Citer cet article

Référence électronique

Samantha Faubert, « L’invention du médiateur : représentation du traducteur en littérature, à l’écran et au théâtre (Séance du 21/02/2014) », La main de Thôt [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 11 mai 2017, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/477

Auteur

Samantha Faubert

Université du Havre

Maître de conférences

samantha.faubert@univ-lehavre.fr

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