Séminaire « Penser la traduction », Madrid, Casa de Velázquez (24 janvier, 21 février, 28 mars et 25 avril 2014)

Texte

Vendredi 24 janvier : HISTOIRE ET HISTORIOGRAPHIE DE LA TRADUCTION
9h30-10h
Ouverture, Michel BERTRAND, Directeur de la Casa de Velázquez
Introduction : Solange HIBBS et Carole FILLIÈRE, Université Toulouse 2 – Jean Jaurès
10h-14h
Luis PEJENAUTE RODRÍGUEZ, Universitat Pompeu Fabra, Barcelona : “Historiografía de la traducción: definiciones, métodos, fuentes, funciones y problemas”
Yves CHEVREL, Université de Paris 4 Sorbonne : « Les traductions : objets de quelle(s) histoire(s) ? »
Peter France, University of Edinburgh : « Le rôle changeant de la traduction dans l’histoire de la culture : le cas britannique »
16h-17h30
Francisco LAFARGA MADUELL, Universitat de Barcelona : « Ecrire ou récrire l’histoire de la traduction au XIXe siècle en Espagne »

Vendredi 21 février : L’INVENTION DU MÉDIATEUR : REPRÉSENTATIONS DU TRADUCTEUR EN LITTÉRATURE, À L’ÉCRAN ET AU THÉÂTRE
9h30-14h
Introduction : Solange HIBBS et Carole FILLIÈRE, Université Toulouse 2 – Jean Jaurès
Antonio LAVIERI, Università degli studi di Palermo, « L’invention littéraire du traducteur. Imaginaires du traduire et traductologie savante »
Adriana SERBAN, Université Montpellier 3 : « Le fictional turn en traductologie et les traducteurs dans la fiction »
16h-17h30
Reine MEYLAERTS, Université catholique de Louvain : « Figures du traducteur et multilinguisme : nouveaux défis pour la traductologie »

Vendredi 28 mars : LANGUES NATIONALES ET TRADUCTION
9h30-14h
Introduction, Solange HIBBS et Carole FILLIÈRE, Université Toulouse 2 – Jean Jaurès
Meritxell SORIA ORTI, UAB : “La autotraducción “in mente” en obras africanas postcoloniales de lengua portuguesa de Mozambique: el caso de Amor de Baobá de Suleiman Cassamo”
Gérard GUIX, Écrivain et dramaturge : “Cómo superar el pánico a una mala traducción de tu obra literaria”
Francesc PARCERISAS, Universitat Autònoma de Barcelona: “Consideraciones sobre la asimetría de las traducciones entre las lenguas peninsulares”
16h-17h30
Josep Maria MIRÓ COROMINA, Metteur en scène et dramaturge : “La traducción teatral: generosidad, complicidad y sentido escénico”
Fabrice CORRONS, Université Toulouse 2 – Jean Jaurès : “Hacia un estado de la cuestión de la traducción del teatro catalán y de su programación en el tejido teatral madrileño (1980-2013)”

Vendredi 25 avril : TRADUCTION-CRÉATION, TRADUCTION ÉCRIVANTE
9h30-14h
Introduction, Solange HIBBS et Carole FILLIÈRE, Université Toulouse 2 – Jean Jaurès
Jean-Yves MASSON, Université Paris 4 Sorbonne : « Lire la traduction »
Clara JANÉS, Écrivain, poète et traductrice : La traducción como conjuro
16h-17h30
Laurence BREYSSE-CHANET, Université Paris 4 Sorbonne : Rosales tardíos en el parque de Névons. Una lectura de la presencia de René Char en la escritura última de Antonio Gamoneda”
Jenaro TALENS, Université de Genève / Universitat de València : “La escritura llamada traducción”

Le séminaire « Penser la traduction » pouvait sembler ambitieux dans son intitulé et dans sa finalité. De façon naturelle il s’est inscrit, pour ses organisatrices, dans la volonté de mettre en mots, avec d’autres, praticiens de la traduction, chercheurs et auteurs, cette activité souvent souterraine pour reprendre cette image d’Antoine Berman, tantôt cachée parce qu’elle ne s’énonce pas elle-même, tantôt banalisée et même dévalorisée car considérée comme intuitive et forcément imparfaite. Loin de toute théorisation, ce séminaire, qui se situe au carrefour de multiples autres manifestations sur la traduction, a voulu offrir un espace de plus pour l’échange fertile et pluriel sur une pratique ou des pratiques devrions-nous dire qui sont devenues autonomes et légitimes. Il nous semblait tout aussi essentiel de profiter de ce séminaire pour replacer la traduction, les transferts et les médiations qu’elle implique, dans le champ des sciences humaines qui ne peuvent progresser que par la vertu du comparatisme : une comparaison qui porte sur les concepts, les méthodes et les théories plus que sur les objets et cela dans une perspective de questionnement réciproque. Au cœur de ce comparatisme critique, on trouve la traduction en actes : une traduction qui est une mise en équivalence de ce qui est comparable et aussi l’identification des points de résistance là où les concepts et les représentations cessent de coïncider, des lignes de faille dans cet espace de la traduction, espace de trans-gression favorisant des stratégies de résistance face à certaines normes et règles.

Aborder la traduction dans des espaces géographiques et linguistiques différents ainsi qu’à des époques diverses est une réflexion ouverte aux apports de l’interdisciplinarité. Car définir le traduire est un processus dynamique qui produit des phénomènes culturels, politiques et linguistiques qui échappent au contrôle normatif de la théorie. N’est-on pas en droit d’ailleurs de tenter de dépasser le couple parfois rigide de la théorie et de la pratique ou de la réflexion et de l’expérience pour transformer ce qui peut s’apparenter à une question ontologique, pour se situer dans une perspective phénoménologique ? La traduction pose la question des relations entre savoirs, normes et imaginaires du traduire, nous invite à penser au sujet traduisant et à sa fragmentation, à éviter la tentation de s’intéresser à un objet de savoir « objectif » en renonçant à sa dimension subjective et poétique. La traduction problématise ce qui semble aller de soi, elle est ainsi une école de rigueur et de créativité et ses virtualités heuristiques permettent de traquer les approximations, les clichés, ce qui sont, nous dit Claude Hagège, des paresses de la pensée.

Le séminaire aura permis de se situer dans des perspectives variées : celle de l’histoire de la traduction afin de mettre à jour le réseau infiniment complexe dans lequel, à chaque époque et dans des espaces différentes, elle se trouve prise. Cette histoire de la traduction, des traductions est indissociable de l’historiographie qui au-delà des manifestations et « produits » du traduire, interroge les discours et les conceptions qui l’organisent. Elle a également permis d’évoquer ces intermédiaires ou médiateurs qui font partie d’une chaîne d’acteurs dans un système où s’exercent différentes formes de régulation et où les choix et les décisions ne répondent pas seulement à des critères esthétiques, culturels ou politiques. Traducteurs, transcréateurs, éditeurs et auteurs développent un ensemble de rôles et d’activités complexes qui s’exercent dans des champs et des espaces culturels sociaux et parfois idéologiques variés et ces « migrants » véritables personnages hybrides ont une conscience interculturelle aigüe. C’est la notion même de territorialité qui est remise en question puisque les modes de transfert impliquent une certaine porosité entre champs et espaces culturels différents. Et parce que la traduction n’a pas forcément lieu entre des entités homogènes – monolingues – mais à l’intérieur d’entités hétérogènes (Interventions de Francisco Lafarga, Luis Pegenaute, Yves Chevrel, Reine Meylaerts).

Si les pratiques et les modes de transfert complexes ne peuvent être appréhendés par des concepts binaires (texte source, texte cible, langue source, langue cible), l’approche anthropologique comparative de la traduction ouvre des champs d’exploration féconds car elle met en lumière les représentations non savantes et normées de la traduction, les récits de la traduction qui peuvent constituer un dispositif épistémologique. La fiction littéraire est en mesure de devenir une véritable réflexion sur la traductologie et la traduction et la littérature peut penser sa propre traductibilité. C’est à ce stade que la traduction et le traduire apparaissent comme un ensemble de pratiques culturelles qui participent de l’imaginaire collectif à travers des représentations (Antonio Lavieri, Adriana Serban). La diversité des langues permet de préserver la possibilité de formuler de nouvelles métaphores et d’écrire de nouveaux récits.

Ecrire sur la traduction devient une stratégie pour repenser l’acte d’écriture en soi et poser la question de l’auctorialité du traducteur et des rapports, parfois conflictuels mais parfois complices aussi, entre traducteur et auteur (Gerard Guix, Josep Maria Miró Coromina). De moins en moins considérée dans un simple rapport hiérarchique avec l’écriture, la traduction, est devenue un lieu de réflexion sur l’écriture elle-même et cette réflexion est capable de rendre compte de la complexité du continuum qui lie le traduire à l’écriture.

Ce lien intime entre écriture, traduction est celui que nous révèle la très belle contribution de Laurence Breysse-Chanet sur la présence de René Char chez Antonio Gamoneda. C’est d’une continuité secrète, d’une correspondance subtile et d’affinités profondes qu’il s’agit dans cette chaîne de poèmes gamonédiens qui transmettent la vibration et les résonnances de la poésie de René Char. Une force compulsive fait se mêler ainsi les courants de créations différentes, les voix poétiques qui l’entourent et l’inspirent. L’écriture devient transmutation faisant ainsi basculer le corps d’autres poèmes, ceux de René Char, dans l’être même de la poésie de Gamoneda, opération de translation, et d’appropriation qui abolit la distance entre les textes et donne ainsi forme au dialogue intérieur, silencieux qui unit les deux poètes. La traduction est-elle alors « glose », superposition de voix qui s’interrogent et interrogent le texte lui-même qui devient ainsi le signe toujours renouvelé de secrètes affinités.

Ecriture et traduction se rejoignent dans une quête de l’autre, dans cette pulsion du désir invoquée par Antoine Berman, dans cet incessant palimpseste.

Car comme nous le disent les paroles inspirées et stimulantes de la poète et traductrice Clara Janés, la traduction est conjuration : elle est le lieu de la réflexion, de la connaissance, de la traversée entre les langues et les « être-langue », de l’exploration « des mouvements secrets des choses » et elle est aussi dépassement de soi car elle est la langue des identités multiples. Dans l’effort pour dépasser l’identité exclusive de la langue, traduire nous fait prendre conscience de l’illusion d’une lisibilité immédiate, donnée une fois pour toutes. C’est dans ce mouvement de dépassement et de connaissance, de perception de l’écart, de gravitation dans des espaces linguistiques différents que la traduction devient résistance contre les tentations de l’indivisible et de l’absolu.

Citer cet article

Référence électronique

Solange Hibbs et Carole Fillière, « Séminaire « Penser la traduction », Madrid, Casa de Velázquez (24 janvier, 21 février, 28 mars et 25 avril 2014) », La main de Thôt [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 30 novembre 2017, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/500

Auteurs

Solange Hibbs

Université de Toulouse 2 –Jean Jaurès

Professeur

solange.hibbs@wanadoo.fr

Articles du même auteur

Carole Fillière

Université de Toulouse 2 –Jean Jaurès

Maître de conférences

carole.filliere@gmail.com

Articles du même auteur