Traduire le recueil de poésie Ni Neu ̶ Yo misma, d’Inma Arroyo

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Cet article est l’aboutissement du projet de traduction de l’espagnol vers le français du recueil de poésie Ni Neu – Yo misma, el arte como camino de lucha contra el cáncer, d’Inma González Arroyo (2016) (que nous avons traduit en français par Moi-même. L’art, une voie pour lutter contre le cancer) dans le cadre d’un stage de M1 au sein du CeTIM (Centre de Traduction Interprétation et Médiation linguistique), sous la direction de Carole Fillière. Ce recueil est le premier ouvrage d’Inma Arroyo, rédigé alors qu’elle luttait contre un cancer du sein. L’auteure est également pédagogue musicale, pianiste et chef de chœur, ce qui transparaît dans l’écriture de son recueil où la musique occupe une place importante. Ce n’est cependant pas la seule particularité de cette écriture qui, comme nous le verrons, laisse place à une grande liberté d’interprétation. Ainsi, la traduction de ce recueil d’Inma Arroyo nous a menées à réfléchir aux problématiques que peut poser la traduction poétique.

La traduction poétique

Avant de traduire les poèmes d’Inma Arroyo, exercice que nous n’avions jamais pratiqué auparavant, nous nous sommes interrogées sur plusieurs points. La traduction poétique est-elle un type de traduction à part ? Quels sont les spécificités de ces modes d’expression et comment cela se traduit-il au niveau des enjeux de traduction ? Dès lors, que peut-on attendre de la traduction poétique ? Avant d’aborder la traduction à proprement parler du recueil, il convient d’aborder toutes ces questions théoriques en faisant un point sur les recherches dans le domaine.

Nos lectures nous ont avant tout permis de constater que la traduction de la poésie reste souvent considérée comme une opération impossible. Ce poncif a cependant maintes fois été dépassé par les chercheurs et les traducteurs eux-mêmes, et il s’agira de réfléchir ici aux enjeux et aux questions que soulève un tel type de traduction.

Les particularités de la poésie en tant que genre et langage

Pourquoi cette idée de l’impossibilité de la traduction est-elle si répandue et tenace ? On doit notamment cette opinion au linguiste Roman Jakobson, qui a déclaré : « la poésie, par définition, est intraduisible. Seule est possible la transposition créatrice » (JAKOBSON, 1986 : 86). Il nous faut donc chercher la cause de l’intraduisibilité (ou non) de la poésie dans la définition-même du genre ; pour cela, il est nécessaire de s’interroger, dans un premier temps, sur les particularités propres au genre poétique et à son langage.

Un mode différent

Si les théories en matière de traduction de la poésie divergent, toutes s’accordent pour définir la poésie, et plus généralement le langage poétique, comme un mode différent. Erol Kayra différencie le « mode poétique » du « mode technique ou prosaïque ». Il définit ce dernier comme un langage « fondé sur des codes dont la fonction ne consiste qu’à signifier et à communiquer une expérience objectivante et rationnelle ». Dans ce mode où le concept prévaut, le rapport entre le signifiant et le signifié est alors arbitraire, le signifiant servant seulement dans ce cas à véhiculer des concepts (LARANJEIRA, 1996 : 218). À l’opposé, le mode poétique se fonde « sur la fonction symbolique et le pouvoir harmonique du langage » (KAYRA, 1998 : 2). Ici, le rapport entre signifiant et signifié est motivé, et la primauté du concept disparaît au profit de la matérialité du signe (LARANJEIRA, 1996 : 218). De fait, le mode poétique consiste moins à informer qu’à transmettre des émotions, et ce non seulement par les mots et leur pouvoir symbolique, mais aussi grâce à leur « valeur harmonique » (KAYRA, 1998 : 2). Aussi, pour Thomas Bernard-West, un texte poétique n’est donc plus seulement la somme des mots qui le constitue car « il y a un côté irrationnel – magique ou mythique – qui co-existe avec le côté linguistique de la traduction » (BERNARD-WEST, 1983 :467).

L’absence de sens référentiel

Pour reprendre le terme utilisé par Mário Laranjeira, ce « côté irrationnel » serait « la signifiance » du poème (LARANJEIRA, 1996, 218). En effet, le texte poétique ne fait plus référence à un objet extérieur, mais adopte une toute autre façon de signifier :

Cette signifiance est responsable de l’ouverture de la signification à des lectures multiples, toutes plausibles, et c’est là l’une des marques du texte poétique, par opposition à l’univocité du texte véhiculaire (LARANJEIRA, 1998 : 218).

Opposée au sens référentiel du mode prosaïque, la signifiance serait donc ce que le traducteur devrait transmettre du poème original. Pour ce faire, Laranjeira identifie plusieurs marques de la signifiance auquel le traducteur doit être attentif, comme par exemple les agrammaticalités,qui dérogent à la mimesis et seraient donc une incitation du texte à être lu à un autre niveau (LARANJEIRA, 1998 : 219). Traduire cette signifiance, autrement dit ce mode d’expression propre au poème, serait donc l’enjeu principal de la traduction poétique.

Les enjeux de la traduction poétique

Le langage poétique propose son propre mode d’expression qui efface la fonction référentielle au profit d’une signification qui repose sur d’autres aspects du texte. Le défi de la traduction poétique consiste donc à ne plus uniquement traduire des concepts, et c’est là que se trouve toute la difficulté pour le traducteur. Nous n’avons pas prétention ici à répondre aux questions que pose un tel type de traduction ; cependant, nous souhaitons nous interroger brièvement sur ses enjeux.

Traduction « sourcière » ou « cibliste » ?

L’un des débats les plus anciens en traduction est celui qui oppose les partisans d’une traduction tournée vers le texte source (« source oriented ») aux défenseurs d’une traduction plutôt orientée vers le texte cible (« target oriented ») (OSEKI-DÉPRÉ, 2003 : 8). La question est celle du rapport au texte original et à son étrangeté, question qui se pose pour tout type de traduction. Puisqu’il ne s’agit plus d’une langue référentielle, faut-il faire entendre la langue originale dans la traduction d’un poème pour transmettre l’originalité du texte de départ ? C’est que préconise Michel Deguy, partisan d’une certaine violence vis-à-vis de la langue d’accueil :

Il ne s’agit pas de dissimuler qu’une traduction est une traduction, c’est-à-dire qu’il y a une langue et une littérature d’accueil, et une langue et une littérature de provenance ; il y a un mouvement de « sortir de soi » pour aller au-devant, comme une loi d’hospitalité (OSEKI-DÉPRÉ, 2004 : 108).

Le texte devrait donc, selon lui, conserver voire revendiquer l’étrangeté du texte d’origine. D’autres au contraire défendent le caractère « naturel » du texte traduit. Pour Stéphane Bouquet, par exemple, il s’agit de « rapatrier » le texte étranger dans une autre langue, tout en conservant la fluidité que ce texte a dans sa propre langue. Car pour lui, si le texte original n’est pas fluide, la traduction ne doit pas l’être non plus et doit buter là où l’original bute. Mais si celui-ci est fluide, ce serait une perte que le résultat ne soit pas aussi naturel en français que ne l’est l’original dans sa langue source (SMITH, 2012 : 12min13s – 12min52s [en ligne]. Consulté le 10 décembre 2017). L’idée, cependant, qui revient autant chez les défenseurs de la traduction sourcière que de la traduction cibliste, est celle d’une fidélité à l’effet produit par le texte original, de l’importance d’écouter non pas ce que le texte dit, mais ce que le texte fait. Pour certains, la solution transcende cette opposition sourciers/ciblistes et passe par une nécessaire recréation totale du poème. C’est en réalité ce que propose Jakobson lorsqu’il parle de « transposition créatrice ». Pour retransmettre l’effet du texte original, il s’agirait alors de recréer complètement le poème pour lier le sens au son, c’est-à-dire de prendre en compte aussi bien « l’aspect acoustique et phonique » que « l’aspect sémantique lié aux significations et qui constitue la substance du contenu » (KAYRA, 1998 : 3), afin d’aboutir à une traduction permettant de « concilier dans une même expérience Idée et Harmonie » (KAYRA, 1998 : 2).

Et la forme ?

Qu’on adopte l’une ou l’autre des optiques de traduction, une question se pose : que faire de la forme, si particulière et si importante en poésie ? Le signe étant signifiant en poésie, la forme participe elle aussi à la signifiance du poème, qu’il s’agisse du vers, de la strophe, ou de tout autre forme que peut prendre le poème. Si certains préconisent de conserver la forme, la strophe par exemple, à défaut de pouvoir garder le vers, et parce que la forme produit un effet aussi visuel qu’auditif (ELLRODT, 2006 : 4), d’autres préfèrent avoir recours à la prose, pour pouvoir « sauvegarder la succession, le groupement, la netteté des images, les méandres de l’émotion, l’allure de la réflexion, enfin, de reproduire la contexture des éléments les plus importants de l’ensemble » (Assises de la traduction littéraire, 1991 : 128). En outre, la traduction d’une forme en une autre pose également la question de l’équivalence des structures entre les deux langues. Certaines langues, comme le français ou le polonais, fonctionnent sur des systèmes syllabiques, tandis que d’autres comme l’anglais ou l’allemand reposent sur des systèmes syllabotoniques (c’est-à-dire l’alternance de syllabes accentuées et non-accentuées) (LOMBEZ, 2003 : 357). Comment trouver dès lors, des équivalences entre les systèmes métriques, d’autant plus si l’on prend en considération le poids culturel de certaines formes ? Aussi, pour Jacques Roubaud, traduire la « forme » d’un poème ne consisterait pas tant à conserver une forme-sonnet par exemple ou la longueur des vers (critères qui, s’ils sont pris isolément n’ont pas de sens en eux-mêmes) mais plutôt les éléments de sens spécifiques au poème. Il prend notamment l’exemple du sonnet 20 de Shakespeare, où la signifiance du poème se trouverait moins dans la forme-sonnet que dans ses rimes uniquement féminines, qui donnent au poème son caractère sensuel et sexuel, et qu’il serait judicieux de conserver en français. (OSEKI-DÉPRÉ, 2004 : 102-103).

Qu’attendre de la traduction de la poésie ?

Finalement, tous ces enjeux rejoignent d’une manière ou d’une autre une certaine question d’éthique de la traduction poétique : que devrait-elle faire ? Plusieurs traducteurs croisés dans nos lectures affirment qu’il est illusoire d’attendre d’une traduction qu’elle atteigne le niveau de l’œuvre d’origine. Pour Nicos Fokas par exemple, la traduction se doit d’ « aider le lecteur à communiquer avec l’original […], s’efforcer de donner au lecteur la possibilité de surmonter cette barrière linguistique » (Assises de la traduction littéraire, 1991 : 120). Aussi, son parti-pris n’est-il pas banal : il utilise une méthode de double-traduction, qui consiste à offrir au lecteur deux traductions toutes aussi utiles l’une que l’autre quant à la compréhension du poème mais opposées dans leur rapport au texte ; l’une est ce qu’il appelle une « transposition littérale » du poème, tandis que la seconde « [aspire] à une indépendance semi-complète par rapport à l’original, donc à une autonomie esthétique, au détriment souvent de la fidélité » (Assises de la traduction littéraire, 1991 : 121). Le tout permet, selon lui, de donner au lecteur une idée précise du poème pour lui permettre de se faire sa propre traduction. Cette proposition marque donc un refus de l’injonction d’offrir au lecteur un produit unique et fini et s’oppose aux traducteurs visant à faire du poème traduit un objet d’art au même titre que le poème original.

Or, comme on a pu le constater dans nos lectures et lors de notre traduction, chaque texte contient en lui-même ses propres enjeux et pose ses propres questions. Il est évident que les langues de travail influencent également la traduction, et que les problématiques diffèrent si l’on traduit deux langues relativement proches comme les langues latines, ou du japonais vers le français par exemple. Faut-il alors en conclure que toute théorie est impossible ? Ou chaque texte doit-il, au contraire, porter en lui sa propre théorie ? C’est ce vers quoi semble pencher Antoine Berman, qui critique les discours généraux sur la traduction de la manière suivante :

Ces discours se fondent sur la présupposition que l’on peut édifier une théorie globale et unique du traduire […]. [Ils] négligent le fait que l’espace de la traduction est irrémédiablement pluriel, hétérogène et non unifiable. (BERMAN, 1989 : 674)

C’est dans cette dernière optique que nous avons décidé d’aborder notre projet de traduction, sans affirmer un positionnement théorique précis. Notre démarche a plutôt consisté à se mettre à l’écoute des spécificités du texte et à élaborer une traduction attentive aux enjeux soulevés par l’étude de chaque poème dans sa singularité et du recueil dans son ensemble. Au cours de notre analyse et de notre traduction, deux lignes directrices qui nous ont semblées essentielles se sont détachées : la musicalité toute particulière du recueil d’une part, et le caractère ouvert de cette œuvre d’autre part, laissant au lecteur une grande liberté d’interprétation. Même s’ils sont loin d’être les seuls possibles, ces deux axes sont devenus nos fils conducteurs et nous ont guidées lors de la traduction de Ni Neu – Yo misma.

La traduction de la « musicalité »

Comme nous venons de l’évoquer, la musique est particulièrement présente dans le recueil d’Inma Arroyo. Il est notamment possible de souligner un emploi particulier des parenthèses dans l’ouvrage, qui semblent jouer le rôle d’indications musicales au sein même des poèmes. La parenthèse « (largo silencio) » (que nous avons traduit par « un long silence »), dans le poème « Contigo… en ti », rappelle par exemple les silences en musique, invitant le lecteur à prendre une pause dans sa lecture, au même titre qu’un musicien « interprèterait » le silence indiqué par sa partition. De même, la parenthèse du poème « Lunes de luna », « (amantes ardientes) » (traduit par « (amants brûlants) »), pourrait faire penser à une indication de nuance, au sens musical du terme. Les parenthèses pourraient suggérer, en effet, de diminuer le volume sonore à la lecture, par la mise à distance qu’elles créent. De plus, elles pourraient faire écho à l’adjectif « susurros » (« murmures »), sorte de remarque métatextuelle , participant elle aussi à l’empreinte musicale du texte. Ainsi, les poèmes entretiennent une relation étroite avec la musique, et c’est pourquoi nous employons ici le terme de « musicalité » pour désigner le rythme et les sonorités, autrement dit tout ce qui évoque le lien des poèmes avec la musique.

Traduire le rythme

Structure et rythme

Outre ce que l’on vient d’évoquer, ce qui frappe avant tout à la lecture de ces poèmes, c’est leur caractère particulièrement rythmé, qui se matérialise autant dans les sonorités qu’au niveau visuel. On entend ici le mot « rythme » de la manière suivante :

PROSODIE. Mouvement, perceptible à l'audition ou à la lecture, qui est donné à une phrase, à un texte entier, qui résulte de l'agencement et de la durée des différents groupes de mots et de la répartition des sonorités et des accents. (Trésor de la langue française informatisée [En ligne]. Consulté le 10 décembre 2017).

Le poème « Universo » par exemple, n’est formé que d’une seule strophe, mais celle-ci revêt une forme tout à fait originale au niveau typographique ; certains vers semblent décalés vers la droite, comme mis en relief. Peut-être faut-il y voir la matérialisation d’une hésitation ou d’une attente, ce que pourrait accréditer l’emploi récurrent des points de suspension :

Hay una red que no me escucha
te espero… son unos segundos
un universo eterno… detrás tu voz
                              ¡Me alegro!... eres tú
                              entristezco… no estás.
[…] »
Arrêtons-nous, par exemple, sur les trois derniers vers :
               « …sé que queda.
                        todo queda dicho
                                  
todo en el universo ».

Les vers, à la manière d’un calligramme, semblent former un escalier, une sorte de decrescendo visuel, chaque vers se décalant vers la droite par rapport au précédent. Il y aurait de nombreuses façons d’interpréter cette forme – comme par exemple la matérialisation d’un discours qui s’étire et essaie d’habiter l’espace – mais l’important ici est de souligner que cette forme est porteuse de sens, tout autant que les mots, et que la retranscrire dans notre traduction nous a paru essentiel. Et si la conservation de ce type de structure lors de la traduction n’a pas posé de problème particulier, la traduction du rythme s’est avérée plus complexe dans d’autres cas.

Le rythme se manifeste dans les répétitions et dans le visuel, comme nous venons de l’évoquer, mais il apparaît aussi dans les ruptures et dans les échos. Le rythme du poème « Siento frío » repose sur l’anaphore du verbe conjugué à la première personne « Siento » (« je sens »), à tous les vers impairs. Cette insistance sur la première personne, caractérisée en espagnol par le « o » final qui se retrouve dans tout le poème, met en exergue une volonté d’affirmation de soi et une mise en avant du corps (le verbe « sentir » étant l’expression de ce corps). Mais ce rythme change soudain avec la rupture de cette répétition, qui se manifeste par un chiasme final : « Siento frío… … …/… Ya no siento ». Le dernier vers, par la négation, annule toute sensation et brise subitement le rythme du poème. Nous avons choisi de traduire l’expression centrale « siento frío » par « je sens le froid » (nous en expliciterons les raisons plus loin). Avec ce choix, cependant, le chiasme de l’original disparaît, ce qui est regrettable, même si l’on conserve malgré tout la rupture (« Je sens le froid… … …/… je ne sens plus rien »). La négation de l’affirmation de soi est alors rendue par le pronom indéfini « rien » qui, en clôturant le poème, prend un relief important.

Le vers

Le rythme, en poésie, est également inhérent au vers, employé ici dans tous les poèmes. Cependant, parmi les poèmes que nous avions à traduire, aucun ne présente de structure versifiée régulière. Si certains comme « Siento frío » alternent des octosyllabes et des ennéasyllabes, d’autres sont construits de manière beaucoup plus irrégulière. C’est le cas notamment d’« Universo », qui ne semble pas recourir à un mètre spécifique. Pourtant, ponctuellement, nous avons identifié des vers blancs. Les heptasyllabes « Siento que vivo tanto/ Siento que si no, muero », par exemple, sont mis en relief par leur rythme ainsi que par l’anaphore sur laquelle ils sont construits. Cette mise en relief est d’autant plus importante qu’elle nous a semblé signaler une référence au poème « Vivo sin vivir en mí », de Santa Teresa de Ávila, un texte qui célèbre la mort comme un moyen de rejoindre Dieu et de s’éloigner de la vie humaine entachée par les péchés. Plus précisément, les vers du poème « Universo » font écho au vers « que muero porque no muero », répété à chaque fin de strophe du poème de Santa Teresa.Cette référence permet d’éclairer le texte d’Inma Arroyo, qui peut paraître confus au premier abord : se sentir vivant(e), être actif(/ve) dans sa vie, est nécessaire pour ne pas se laisser abattre. Cependant, la référence n’est pas connue du public français, et n’ayant pas pu trouver de référence équivalente, nous avons choisi d’expliciter au mieux le texte en le traduisant, tout en conservant le rythme. De fait, la répétition du verbe « sentir » semble être une expression du corps, une manière d’exprimer sa présence au monde, et ce de façon presque incantatoire grâce aux vers blancs. Aussi, nous avons tenu à garder en français le rythme conféré par la répétition de deux vers de même mètre. Nous avons donc créé deux heptasyllabes construits sur une anaphore : « Je sens que je vis si fort / Je sens que sinon, je meurs». La répétition du verbe « sentir », en français, nous permet de mettre en avant le corps et cette recherche du texte de sensualité et d’émotions, recherche tout aussi élémentaire que la conscience d’être en vie.

Traduire des sonorités

Les rimes

En plus du rythme, la musicalité des poèmes de Ni neu – Yo misma se manifeste dans les sonorités du poème, que ce soit au niveau des rimes ou à celui de certains échos, assonances ou allitérations. En ce qui concerne les rimes, nous avons choisi de ne pas les maintenir, dans la mesure où l’auteure n’en fait pas une utilisation systématique et que cela ne nous a donc pas semblé être l’élément le plus signifiant du poème.

En revanche, nous avons tenu à écouter, et à conserver dans la mesure du possible, les échos du texte, comme les rimes internes qui nous semblaient signifiantes. Ainsi, dans le poème « Amigo mío », nous avons choisi de terminer sur l’emploi de l’adjectif « printanière » quand l’auteure fait le choix en espagnol du complément de nom « de primavera ». Cette décision a été motivée par les assonances et allitérations que présente ce dernier mot avec le premier du vers précédent, « prisionera ». Si celui-ci possède une tonalité sombre et péjorative, « primavera » (« le printemps ») est traditionnellement associé à une réalité positive, et achève alors le poème sur une note d’espoir, nuançant l’idée d’enfermement et de soumission de l’adjectif « prisionera » (« prisonnière »). Par conséquent, nous avons opté pour l’adjectif « printanière », qui fait lui aussi écho, par ses sonorités et la rime, au terme « prisonnière » présent en début de vers.

Des sonorités qui font sens

Comme nous venons de le constater, en plus de participer à la musicalité générale, les sonorités font sens et éclairent les significations du poème. Il faut donc chercher le sens autant dans les signifiants que dans les signifiés et dans la manière dont les mots sont disposés et interagissent entre eux. C’est le cas notamment de ce vers de « Siento frío » : « una corriente me congela ». Seul vers non-entrecoupé de points de suspension de ce poème qui semble haleter, il est d’autant plus percutant que ses sonorités sont dures. Les occlusives sourdes [k] et [t] semblent imiter la violence de l’action subie. Pour traduire, nous avons eu recours à des sonorités différentes permettant toutefois de conserver cette valeur symbolique des sons. Notre proposition, « un souffle me saisit », repose sur le choix d’employer des fricatives ([s], [f] et [z]) permettant de reproduire le souffle du vent. L’effet, s’il est moins agressif que dans le texte source, conserve tout de même le caractère mimétique du vent.

Enfin, il nous faut signaler que si, ici, nous avons traité séparément les questions de rythme et de sons pour des raisons pratiques, il est évident que l’un et l’autre se font écho et sont à considérer comme un tout dès lors qu’il s’agit de traduire le poème et donc de l’interpréter. Ces deux aspects sont effectivement indissociés au sein du poème, et c’est conjointement qu’ils créent du sens. Prenons l’exemple du poème « Lunes de luna ». De la même façon que dans le poème « Universo », sa forme originale crée une sorte de crescendo visuel : au sein de la strophe, le texte se déplace peu à peu vers la droite, créant un mouvement qui accompagne et oriente inévitablement la lecture. Le texte semble être « poussé » par une force invisible à chaque vers, peut-être cet « aire ardiente » qu’évoque le poème. Ce souffle se manifeste également dans l’absence de ponctuation, car seul le point final vient mettre un terme à cette longue phrase qui semble glisser doucement. Un des enjeux de la traduction consistait alors à traduire le terme « aire », qui donne sa forme au poème, et plus précisément l’expression « cita en el aire ».

Il nous faut avant tout expliquer notre traduction du mot « cita » par « promesse ». Si le mot espagnol ne présente pas d’ambiguïté particulière, nous avons trouvé que la traduction en français « rendez-vous », de par sa longueur, cassait le rythme du vers. Nous lui avons préféré le terme « promesse » car, selon nous, l’idée de promesse est sous-tendue dans le mot « rendez-vous », que nous envisageons comme quelque chose d’attendu et d’espéré. Certes, cette interprétation ne conserve pas le sens premier du terme et l’on perd quelque peu l’idée de rendez-vous programmé avec la Lune. Mais en contrepartie, le mot garde la sifflante [s] qui souffle dans tout le poème (et que l’on retrouve également dans le terme « cita » sous la forme [θ]). Quant à la traduction du mot « aire », nous avons choisi d’employer le terme « vent », et ce pour plusieurs raisons. Si ce terme n’apparaît pas en tant que tel dans le poème original, nous nous sommes dans un premier temps appuyées sur les sonorités qui parcourent tout le poème : l’omniprésence des sifflantes en [s] et [θ] imitent ce souffle, qui réapparaît dans la forme et « déplace » les vers, semblant faire avancer petit à petit le poème lui-même. Cette impression est rendue en partie grâce à la construction « en escalier » du poème, où chaque vers semble compléter le vers précédent, en ajoutant un terme :

Lunes de luna creciente
              es una cita
              una cita en el aire
                          en el aire ardiente
Lunes de luna creciente
              insinuado entre mis telas
              mis telas susurrantes
                          susurros de amantes
                                      
(amantes ardientes) […]

En outre, ce procédé met en place une antanaclase, répétition d’un même mot dans un sens différent du premier. Aussi, l’ajout de l’adjectif « ardiente » à « aire » change le sens de ce dernier, qui passe, d’un vers à l’autre, du sens figuré au sens propre. En effet, l’expression « en el aire » possède les sens suivants :

en el aire
1. loc. adv. En el ambiente o en el entorno. Está, flota, se siente en el aire.
[…]
4. loc. adv. desus. Con mucha ligereza o brevedad, en un instante.
(Diccionario de laReal academia [En ligne]. Consulté le 10 décembre 2017).

Aussi, le terme peut avoir à la fois un sens propre (le premier proposé dans cette définition) ̶ c’est-à-dire l’idée d’une spatialité, d’un flottement de la lune dans un espace donné ̶ mais également un sens figuré (quatrième sens proposé), lié à l’éphémère et à la légèreté. Or, si l’on retrouve ce sens dans l’expression « en l’air », l’expression « promesse en l’air », quant à elle, est devenue une collocation en français, trop explicite dans notre contexte, puisqu’elle ferait oublier l’idée même d’espace. De plus, l’antanaclase ne fonctionne plus lorsqu’on ajoute l’adjectif dans le vers suivant. En revanche, le jeu est conservé avec la tournure « une promesse dans le vent / dans le vent brûlant », puisqu’elle permet à l’antanaclase de fonctionner tout en donnant l’idée, présente au sens figuré de l’expression espagnole, d’une certaine légèreté et futilité.

Ainsi, tout au long de l’exercice de traduction, il nous a fallu prêter attention tant aux sons qu’aux images véhiculées par le texte. Être à l’écoute du texte signifiait également éviter la réduction de ces mêmes images, en essayant de ne pas orienter la traduction vers un sens unique et de laisser le champ des interprétations le plus ouvert possible.

Traduire une œuvre « ouverte »

D’après l’auteure Inma Arroyo, le recueil évoque avant tout des émotions qui peuvent être vécues par toute personne à un moment ou un autre de sa vie . Son ouvrage s’adresse ainsi à un public très divers mais veut pouvoir toucher chacun d’entre nous, grâce à nos expériences communes. Elle s’appuie pour cela sur une écriture laissant au lecteur une grande liberté d’interprétation en fonction de son propre vécu. Cette problématique peut être étudiée à l’aune du concept d’« œuvre ouverte » théorisé par Umberto Eco en 1962 dans son ouvrage éponyme. En guise d’introduction, il y affirme que « l'œuvre d'art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant » (ECO, 1965 : 9). À partir de là, il distingue les œuvres « fermées », desquelles l’auteur oriente la lecture vers une seule et unique signification, aux œuvres «ouvertes », qui visent au contraire à stimuler les capacités interprétatives des lecteurs en fonction de leur propre vécu ou de leurs connaissances notamment. C’est ce qui semble être le cas dans l’œuvre d’Inma Arroyo, qui s’ancre dans l’indéfini, l’inconnu, afin de laisser le lecteur interpréter de façon très personnelle ce qui y est exprimé et de pouvoir ainsi s’y reconnaître. Cette dimension ouverte a constitué une de nos principales difficultés au moment de la traduction, dans la mesure où, malgré sa propre subjectivité, le traducteur est mis au défi de savoir laisser au lecteur une liberté d’interprétation très vaste, sans y inscrire uniquement sa propre interprétation.

Une situation de communication indéfinie

Cet aspect concerne tout d’abord la situation de communication proposée dans le recueil. En effet, les poèmes mettent en jeu différentes personnes, souvent sous la forme d’un dialogue, mais il s’agit de personnes totalement indéfinies, dont le lecteur connaît les émotions mais non l’identité, qu’il doit donc imaginer. En étudiant plus précisément l’ouvrage, nous avons remarqué en effet qu’il représente une sorte de renaissance de la voix poétique (et donc aussi de l’auteure dans ce cas précis, qui cherche à se relever de son cancer) à travers l’écriture, et à travers cette communication avec autrui. Comme nous le verrons, dans les premiers poèmes du recueil, c’est un énonciateur anonyme, affaibli, qui s’exprime, et s’efface derrière des tournures impersonnelles ou au sujet ambigu. Il réussit cependant progressivement à s’affirmer au fil du recueil comme sujet principal, capable de ressentir et d’exprimer ses propres sensations. Le lecteur suit ainsi cette forme de renaissance de la voix poétique et les émotions qu’il ressent, et est libre de s’y identifier en fonction de son propre vécu.

Un énonciateur sans genre marqué

Dans nombreux des poèmes, en particulier au début du recueil, le genre de la voix poétique n’est pas précisé. Dans l’idée d’œuvre ouverte, cela permet que tout lecteur puisse s’y identifier sans barrière de genre. Cependant, cela représente aussi une difficulté pour la traduction, dans la mesure où la langue espagnole permet dans de nombreux cas de conserver cette neutralité, tandis que la traduction vers le français oblige à choisir le genre ou à utiliser des stratégies pour ne pas le dévoiler. Prenons le cas du poème « Contigo en ti » : celui évoque une forme d’intimité entre deux personnes, sans préciser à aucun moment leur genre. Or, lorsque l’espagnol emploie le verbe pronominal « emocionarse » dans l’expression « me emociono al pensarte », le français a recours au passif « être ému », qui est marqué par le genre lorsqu’on le conjugue (« je suis ému(e) »). C’est pourquoi nous avons choisi de transformer le texte, quitte à légèrement en modifier le rythme, afin de garder cette neutralité ainsi que les notions présentes à la fois d’émotion et de pensée, en proposant comme traduction « je t’imagine et je frissonne ».

Un énonciateur qui passe de l’indéfini à l’affirmation de soi

Par-delà la question du genre, il nous a semblé important de préserver la forme que prend le recueil, celle d’une communication, qui marque la distinction entre les différentes personnes en présence dans les poèmes, et introduit en même temps l’affirmation progressive de la voix poétique, qui se fait précisément grâce à cette communication. Dans « Amigo mío » par exemple, un sujet s’adresse à une autre personne et lui crée un chant. Le poème est marqué par l’anaphore « Yo te canto » en début de strophe, qui met en présence ces deux personnes, où le sujet apparaît toujours en première position dans la phrase. Le « je » s’affirme ainsi comme véritable sujet, comme une identité propre, un être à part entière. Nous avons pour cela pris soin de conserver cette dualité dans la traduction, avec « Je te chante », sans grande difficulté.

En revanche, cela a été plus complexe dans le poème « Universo », qui prend également la forme d’une communication, téléphonique dans ce cas. Les vers « ¡Me alegro!... Te lo cuento / entristezco y cuelgo » mettent en avant cette communication, ou peut-être plutôt son impossibilité, du fait de la barrière omniprésente entre le sujet parlant et autrui. Pour « te lo cuento », nous avions d’abord pensé à traduire par « je me confie », car l’idée de confidence nous semblait bien retransmettre toute la charge implicite contenue dans ce « lo ». Cela permettait également de conserver la rime interne avec le premier verbe traduit par « je me réjouis », comme en espagnol. Cependant, avec cette option, nous effacions toute marque de cette altérité pour ne garder que le « je », et brisions par conséquent la dimension communicative. Nous avons donc préféré traduire par « je te dis tout », au détriment des sonorités, ce qui permettait cependant de marquer la présence des deux personnes.

Enfin, le recueil s’achève sur des poèmes dans lesquels la voix poétique affirme sa propre personnalité, sa capacité à vivre et ressentir. Ainsi, dans « Siento frío », le locuteur s’affirme comme sujet d’émotions, qui a su renaître petit à petit tout au long de l’ouvrage et en lequel le lecteur a pu s’identifier. Il nous semblait ainsi important de marquer cette dimension en français aussi. Pour traduire le titre et l’anaphore « siento frío », dans la mesure où « je sens le froid » ne nous semblait pas naturel, nous avions dans un premier temps pensé à transformer la forme de la phrase, par exemple avec le groupe nominal « sensation de froid ». Nous sommes cependant revenues sur ce choix du fait de la disparition du sujet parlant que cela impliquait. Nous lui avons finalement préféré la première option, « je sens le froid », plus étrange mais qui, en réalité, l’est tout autant en espagnol où « tengo frío » est bien plus courant, le tout permettant de garder cette affirmation définitive du « je ». Le recueil s’achève enfin sur le poème « Ahora », qui est présenté comme un bilan, une forme de conclusion sur le chemin parcouru par la voix poétique tout au long du recueil, et donc aussi par le lecteur, avec l’omniprésence de la première personne et surtout la répétition du vers « Ahora me doy cuenta », qui met le point final à l’ouvrage.

Une écriture chargée d’implicite

Inma Arroyo s’appuie par ailleurs sur une écriture complexe propice à rendre ses textes ouverts, libres d’interprétation. Elle joue sur les seconds sens, la polysémie, les sous-entendus, c’est-à-dire sur ce qui est plus généralement catégorisé comme « implicite ». Selon la définition qu’en donne Dominique Maingueneau dans Les termes clés de l’analyse du discours, sont dits implicites « les contenus qui ne constituent pas en principe l’objet véritable de l’énonciation mais qui peuvent être extraits par le destinataire en s’appuyant sur les contenus explicites »(2009 : 74). L’implicite apporte au texte une grande variété de significations au-delà de celles clairement inscrites dans les mots et phrases employés. Ainsi, dans Ni Neu – Yo misma, chaque poème, chaque vers voire chaque mot peut être interprété de différentes façons, et le lecteur peut ainsi s’identifier plus aisément avec les émotions exprimées enF fonction de sa propre histoire. La difficulté pour le traducteur est alors d’être en capacité de conserver les différents sens que peuvent prendre les textes.

La maladie, thématique implicite dans le recueil

Cela concerne d’abord le thème général de l’ouvrage. En effet, bien qu’elle l’ait écrit alors qu’elle suivait un traitement contre le cancer du sein, Inma Arroyo affirme « No es un poemario que hable de la enfermedad, aunque tenga su presencia » . Elle refuse ainsi que la maladie soit un thème central dans son recueil, mais de nombreux éléments semblent y faire implicitement référence, et il est donc complexe dans la traduction de conserver ces sous-entendus sans trop les expliciter. Dans le poème « Jaula de colores », la « cage », « jaula » dans la version originale, semble renvoyer aux poumons, à la cage thoracique. Cependant, en espagnol, le terme utilisé pour « cage thoracique » est « caja torácica », et non « jaula ». Nous aurions ainsi souhaité trouver comme en espagnol un autre terme que « cage » de façon à garder cette différenciation, et ainsi ne pas rendre trop explicite le symbole qui semble présent ici et sa connotation médicale. Nous ne sommes cependant pas parvenues à trouver un tel mot, dans la mesure où des termes tels que « prison » ou « boîte » n’avaient plus rien à voir avec ce qui est évoqué dans le poème. Une telle situation montre ainsi que la traduction repose souvent sur des arbitrages entre différentes options, chacune offrant leurs avantages et inconvénients.

Une langue propice à une grande liberté d’interprétation

Inma Arroyo joue par ailleurs à de nombreuses reprises avec la capacité d’évocation des mots, les images qu’ils peuvent provoquer en nous, les différents sens auxquels ils peuvent se rapporter. Elle a notamment fréquemment recours à la polysémie, qui lui permet d’introduire dans ses vers différentes couches de sens. Et ainsi, encore une fois, la traduction est rendue plus complexe puisqu’elle doit chercher à conserver tous ces différents sens. Nous avons par exemple été confrontées à ce problème dans le poème « Lunes de luna » avec le mot « telas ». Utilisé dans l’expression « entre mis telas », il semble renvoyer à quelque chose d’extrêmement concret, mais qui reste en même temps très imprécis. En effet, la traduction littérale en français serait « tissus », et Inma Arroyo s’en sert ainsi pour laisser son lecteur imaginer la scène comme il le souhaite. « Telas » peut par exemple se référer à des draps sous lesquels se trouve le sujet (le malade dans sa chambre d’hôpital ?), mais aussi à ses vêtements ou encore aux rideaux de la fenêtre par laquelle il aperçoit la Lune dans le ciel. Nous avons d’abord cherché à conserver cette capacité d’évocation de différentes images, mais sans succès puisque « tissus » n’aurait eu aucun sens dans ce contexte, alors que le mot « toiles » aurait plutôt renvoyé à la peinture, et parce que le français ne propose pas d’autre mot aussi polysémique que « telas » en espagnol. Face à ce problème, nous avons interrogé l’auteure, qui nous a confirmé qu’elle recherchait l’ambiguïté en utilisant ce terme, mais que le premier sens auquel elle se référait était celui de « draps », c’est pourquoi nous avons finalement choisi cette traduction.

En revanche, dans le poème « Universo », nous pensons être parvenues à conserver les divers sens inclus dans le mot « red » qui semble évoquer le téléphone mais de façon assez implicite. Traduire littéralement par « réseau téléphonique » aurait dans ce cas été bien trop clair et explicite, tandis que « réseau » évoquait plutôt Internet, c’est pourquoi nous avons écarté ces deux options. « Ligne » nous a ainsi paru assez fidèle à l’espagnol, ni trop explicite ni trop implicite, bien qu’il ne porte pas en lui l’image de fils emmêlés que transmet « red » en espagnol.

Ainsi, une autre des principales difficultés dans notre traduction concernait le sens à donner ou non aux poèmes, ce que devait/pouvait ou non transmettre notre traduction en comparaison avec la version initiale, du fait de ses indéfinitions, second sens, connotations, implicites et symboles.

Pour conclure, notre traduction a été guidée par deux axes qui se sont dessinés peu à peu au cours de notre projet : d’une part le lien privilégié qu’entretient ce recueil avec la musique et d’autre part le caractère ouvert des poèmes. Ces deux lignes directrices s’enchevêtrent au fil du recueil et c’est par ces prismes-là que nous avons étudié les poèmes. Dès lors, il nous a semblé nécessaire de trouver un équilibre entre ces deux problématiques dans notre traduction. Cependant la traduction de ce recueil recouvre des enjeux plus généraux, ceux de la traduction poétique, qui englobent notamment des questions de fidélité et de positionnement, qu’il soit sourcier ou cibliste. Pour autant, nous n’avons pas choisi de parti pris absolu quant à ces questions, car il nous a été compliqué de nous positionner théoriquement a priori. Ce sont les textes eux-mêmes et l’analyse que nous en avons faite qui ont soulevé leurs propres enjeux traductologiques. Aussi, il ressort de notre travail que la traduction poétique porte avant tout sur la notion d’équilibre et d’arbitrage, le traducteur oscillant entre différents pôles qu’il doit parvenir à concilier au mieux, en respectant les limites imposées par le texte source et les aspirations de l’auteur. C’est pourquoi, loin de proposer des solutions systématiques, notre traduction a consisté à examiner chaque point problématique au cas par cas, et à le résoudre à l’aune des deux fils conducteurs de notre projet.

Citer cet article

Référence électronique

Sophie Malbreil et Léna Séguy-Loubradou, « Traduire le recueil de poésie Ni Neu ̶ Yo misma, d’Inma Arroyo », La main de Thôt [En ligne], 5 | 2017, mis en ligne le 19 décembre 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/710

Auteurs

Sophie Malbreil

Etudiante de Master 2 – CeTIM – Université Toulouse Jean Jaurès

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Léna Séguy-Loubradou

Etudiante de Master 2 – CeTIM – Université Toulouse Jean Jaurès