Trois nouvelles de Maracaibo de S. Portell, traduction par les étudiants de la section catalan, révision et correction par C. Fillière

Plan

Texte

Texte D : version définitive révisée et corrigée par C. F.

Si tu y penses, tu vois bien que c’est pas sorcier. 

Lundi, mercredi et vendredi, de quatre heures et demie à six heures et demie, cours de cuisine avec le Thermomix : comment devenir un robot et ne pas mourir électrocuté. Après, de six heures et demie à huit heures, c’est peinture à l’huile, aquarelle, pastel… en fait, on dit six heures mais c’est plutôt six sept heures moins le quart, parce que la prof de Thermomix met toujours un temps fou à sortir vu qu’elle doit nettoyer les ustensiles, et là, j’ai celle de peinture qui grimpe dans les tours, heureusement que je suis là pour l’arrêter sinon celle de Thermomix n’aurait déjà plus aucun cheveu, plus un seul, parce que l’autre les aurait tous arrachés. Le genre de trucs typiques d’une association, quoi. Ensuite, de huit heures à neuf heures et demie, c’est yoga pour les plus jeunes et aérobic pour les plus vieilles, ou l’inverse, bin je sais plus, là. Ça se passe dans deux salles différentes mais des fois les musiques se mélangent, et ça crée un sacré boucan dans le la maison des associations. Chacune apporte son tapis et se donne à fond.

Le mardi et le jeudi, c’est une autre histoire. De cinq à sept on a un petit cours de macramé, et c’est pas pour me la ramener sur ce qui me concerne pas mais la prof c’est ma sœur et elle nous montre comment faire des motifs à fleurs hallucinants, et après de sept à neuf, les cours changent selon l’époque de l’année. À Noël, on peint des scènes de la Bible, des Pastorets, des Rois Mages - les plus modernes peignent des Pères Noëls, pour moi c’est insupportable, d’un mauvais goût… -, et au printemps on fait sécher des fleurs. Trop mignon. Vraiment trop mignon. 

Je t’assure, ma chérie, ça fait quatorze ans que je suis la présidente de l’association des maîtresses de maison et jamais, jamais, je n’ai manqué un seul atelier. Si tu voulais venir trois jours par semaine, ça ferait quinze euros par mois et si tu ne voulais venir que deux jours, treize cinquante. Après, il y a les abonnements annuels, par prélèvement bancaire, qui sont plus économiques, mais c’est une autre histoire, il faudrait voir avec Concepcio, la fille qui s’occupe de la comptabilité parce qu’il y a quelques années on a eu des problèmes assez moches avec les impôts et elle comprend mieux ces choses-là.

Mais le plus important, c’est que fasses tes calculs, penses à tout ce temps que tu pourras passer avec nous à partir de maintenant : on se verra tous les jours, tu n’auras aucun secret pour nous, tu ne feras jamais un pas sans nous. Avant ton arrivée, j’en ai parlé à quelques membres de l’association, comme ça, un peu en off - à celles du cours d’aérobic et de yoga quand elles entraient, et à celles du cours de cuisine en partant, tu vois, vraiment pas grand-monde - et ton inscription ne peut pas leur faire plus plaisir. On va être inséparables. 

Texte E : version définitive révisée et corrigée par C. F.

Ce n’est pas parce que je ne les aimais, que je les ai jetées, maman, mes bottes en plastique rose de Hello Kitty avec son arrosoir. Tu sais que je les ai toujours beaucoup aimées. C’est qu’aujourd’hui tu m’as laissée toute seule toute l’après-midi avec mamie et comme elle me donne que du pain et du fromage à manger, moi je lui ai dit que je m’ennuyais et elle, elle m’a dit que ça c’était jamais vu, une petite fille qui n’a vécu que six ans et qui s’ennuie et qu’elle qui avait plus de soixante ans, elle s’amusait encore comme une folle, et que, comme aujourd’hui il ne faisait pas très beau  et que ce matin quand j’étais à l’école il avait plu, elle a dit c’était une journée parfaite pour aller chercher des escargots.

Et moi je lui ai demandé : mamie, c’est quoi, chercher des escargots ?

Et elle, elle m’a dit enfile tes bottes en plastique et monte dans la Corsa, dépêche-toi, parce que je comprends vraiment pas ce que ta mère t’apprend, oh la la, la TV, toujours la TV et tu sais même pas ce que c’est un escargot. Bon sang, on pourrait te faire croire que la Vierge s’appelle Pocahontas. 

J’ai fait ce qu’elle m’a dit, maman, et j’ai mis les bottes en plastique rose avec  Hello Kitty et son arrosoir, et je suis montée dans la voiture - j’ai mis ma ceinture sur le siège enfant parce que je me suis rappelée ce que tu m’a dis l’autre jour - et nous sommes sorties de la ville, parce que mamie a dit que les escargots qui sortent dans la rue quand il pleut, ils ressemblent aux pigeons qu’il y a en ville, qu’ils sont plus sales que moi quand j’oublie me laver les mains avant de manger, et avec un sac du supermarché et une casquette publicitaire pour homme , nous avons commencé à chercher des escargots sur les murs et au bord du chemin.

Et moi, je lui ai dit : mamie, ils servent à quoi, les escargots ?

Et elle, elle m’a dit : selon toi, à quoi ils servent ? À être mangés !

Et moi j’ai fait ce qu’elle m’a dit, maman, j’ai juste fait ce qu’elle m’a dit, moi je ramassais trois escargots, et j’en mettais dans ma bouche et j’essayais de le manger. Ça faisait un peu bizarre, parce que je ne sais pas si tu le sais, mais la coquille d’escargot, c’est très dur et sale, c’est plein de terre et d’autres choses que je connaissais pas, et au début c’est comme manger un morceau de citron mais sans le goût du citron, parce que ça fait cric-crac dans la bouche et ça gratte un peu la gorge. C’est comme manger du calamar frit mais sans le calamar, ou comme boire plusieurs gorgées de Coca sans respirer. Et quand mamie m’a vue, elle a halluciné, elle en même a fait tomber son sac plein d’escargots.

Et moi je lui ai dit : et là, j’ai fait quoi de mal ?

Et elle, elle m’a dit : là, parce que as été vilaine, le petit Jésus va te punir. Tu ne savais pas que si tu manges des escargots sans pain, ils se promènent dans ton ventre ? Et vivants, pour l’amour du ciel ! Une gamine qui a fait comme toi les as gardés dans son ventre jusqu’à ce qu’ils ressortent par ses oreilles. 

C’est pour ça que je les ai jetées, maman, parce qu’elles me faisaient penser à ce que j’ai fait cet après-midi.

Texte A : version définitive révisée et corrigée par C. F.

C’est clair, ma belle.

Je te le dis comme ça, entre nous, et pas parce que je suis saoule comme une vache, mais parce que je t’aime vraiment beaucoup, tu le sais bien, et ça fait toujours plaisir de faire ce genre de confidences pendant une fête. Je sais pas, moi : tous ces gens bien sur leur trente-et-un, qui se retrouvent après plusieurs mois à avoir trimé comme des bêtes et qui sont coincés dans un mariage monotone, un verre et une verrine à la main, et qui boivent, grignotent et se présentent les uns aux autres… Et partout, du champagne. Toujours du champagne. J’adore les bulles, pas toi ?

Je suis tombée amoureuse de mon mari quand on était jeunes - oui, même si on dirait pas comme ça, je n’ai pas toujours couru d’opération en opération, dans ma vie -, quand on était insouciants. Lui, il n’était pas spécialement beau. Il transpirait beaucoup, et c’est peut-être précisément pour ça que son crâne montrait déjà les premiers signes d’une calvitie juvénile bien marquée. Il avait aussi du ventre, mais ça ne me gênait pas. J’aimais le regarder quand il enchaînait des gorgées et des gorgées de bière, comme les jeunes d’aujourd’hui qui font du balconing et qui vont à l’Oktoberfest. Pour moi, ça, c’était un vrai mec.

Et ne crois pas non plus que son monde intérieur était passionnant : c’était un jeune plutôt médiocre, banal. Il lisait à peine, et ne s’en cachait pas. Il était très attaché à ce territoire, mais sa patrie c’était l’Espagne. Et pas n’importe laquelle. Je me souviens encore d’une photo qu’il avait dans son portefeuille, entre ses billets de dix-mille pésètes, de quand il était petit et que sa grand-mère l’habillait en petit fasciste et le faisait défiler dans la maison. Il lui restait peut-être encore une touche de tendresse, le pauvre. Il avait peut-être d’autres défauts, mais pour lui la famille, c’était sacré.

C’était là qu’il avait tout appris, avec cette sagesse qui ne se transmet que de génération en génération et par les claques reçues, et c’est là qu’il allait la laisser. Dans un sac vide. Dès que son père a ouvert dans sa maison son usine de pneus, il a travaillé pour lui. On pourrait dire que c’était un emploi virtuel, maintenant on en parle beaucoup de ça. Pistonné, quoi. C’était pas grâce à ses mérites qu’il nous faisait manger, mais à cette époque je ne voulais pas y penser et j’étais juste fière de son statut. Ou, qui sait, je rêvais et pensais qu’un jour je pourrais être la femme du fabricant de pneus. Une première dame.

C’est comme ça que ça c’est passé. C’est pas comme si notre histoire avait quelque chose de plus que celle des autres. Après avoir couché ensemble pendant des mois en cachette dans le lit de ses parents, parce que c’était excitant ou parce ce qu’on voulait qu’ils nous surprennent ou je ne sais quoi, il m’a présentée à sa famille, et sans que j’ai le temps de lui dire oui, il a décidé qu’on allait se marier parce qu’il trouvait que je ferais une bonne mère et une épouse parfaite. Que j’étais une femme capable d’encaisser. Quel fils de…

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Référence électronique

« Trois nouvelles de Maracaibo de S. Portell, traduction par les étudiants de la section catalan, révision et correction par C. Fillière », La main de Thôt [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 11 décembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/994