La « Grotte de Fingal » : cinéma, musique et littérature dans Les Mots

Résumés

Cet article analyse le cinéma en tant qu’il peut constituer une fabrique du lecteur et, par métalepse, une fabrique de l’écrivain. Il s’agit de penser la position de sujet lecteur/spectateur qui peut émerger directement ou indirectement du visionnement d’abord, puis de la production d’écriture filmique sous forme de scénarii proprement dits, de mises en scène théâtrales ou de prose cinématographique. L’évocation de la musique de Mendelssohn utilisée pour les films muets, la « grotte de Fingal », apparaît comme la métaphore du rapport de Sartre au cinéma, et pour les  lecteurs, c’est certes une invitation à entrer dans « la grotte de Fingal » originelle et à relire les œuvres de Sartre dans l’après-coup, à la lumière de son rapport au cinéma, mais c’est aussi et surtout une invitation à se construire comme sujet lecteur, tissant des liens multimodaux et pluri-artistiques, capable à partir de ce tissage de faire advenir des textes de lecteur/spectateur comme Les Mots nous en propose un efficace exemple.

This article analyzes the cinema as it can constitute a factory of the reader and, by metalepsis, a factory of the writer. It is a matter of thinking about the position of a reader / spectator subject that can emerge directly or indirectly from viewing first, then from the production of filmic writing in the form of scenarios themselves, theatrical stagings or cinematic prose. The evocation of Mendelssohn's music used for silent films, the "cave of Fingal", appears as the metaphor of Sartre's report to the cinema, and for the readers, it is certainly an invitation to enter "the cave of Fingal "original and re-read the works of Sartre in the aftermath, in light of his relationship to the cinema, but it is also and above all an invitation to build oneself as a subject reader, weaving multimodal and multi-artistic links, able from this weave to make texts of reader / spectator appear as Les Mots offers us an effective example.

Plan

Texte

Notre propos ici est d’analyser le cinéma, le film en tant qu’il peut constituer une fabrique du lecteur et, par métalepse, comme je souhaite le montrer, une fabrique de l’écrivain. Il s’agit de penser la position de sujet lecteur/spectateur qui peut émerger directement ou indirectement du visionnement d’abord, puis de la production d’écriture filmique sous forme de scénarii proprement dits, de mises en scène théâtrales ou de prose cinématographique. Pour lancer cette réflexion, je m’appuierai sur quelques pages des Mots de Sartre, dans la partie « Lire », les pages 98-106 dans la collection blanche, en particulier sur l’expérience récurrente, bouleversante et formatrice de la séance de cinéma avec sa mère : « Le spectacle était commencé. Nous suivions l’ouvreuse en trébuchant, je me sentais clandestin […]. L’odeur et les fruits de cette nuit habitée se confondaient en moi […]. Le pianiste attaquait l’ouverture des Grottes de Fingal et tout le monde comprenait que le criminel allait paraître : la baronne était folle de peur. Mais son beau visage charbonneux cédait la place à une pancarte mauve : « Fin de la première partie ». C’était la désintoxication brusquée, la lumière1. »

L’expérience de la grotte : une expérience multimodale

Comme l’écrit Pascale Fautrier étudiant l’écriture des scénarii de Sartre (je reviendrai sur ce point), « l’expérience du cinéma est cruciale pour la constitution imaginaire de l’enfant, et la musique qu’on joue pendant la projection des films muets lui semble le « bruit » même de la vie intérieure : « Par-dessus tout, j’aimais l’incurable mutisme de mes héros. Ou plutôt non : ils n’étaient pas muets puisqu’ils savaient se faire comprendre. Nous communiquions par la musique, c’était le bruit de leur vie intérieure2. » Sartre gardera une nostalgie tenace pour le muet, et le cinéma, muet de son enfance, ou parlant, sera d’abord pour lui un art poétique et magique plutôt que réaliste, un art de transfiguration comme la musique et lié à la musique : « Quelle joie quand le dernier coup de couteau coïncidait avec le dernier accord ! J’étais comblé, j’avais trouvé le monde où je voulais vivre, je touchais à l’absolu. », écrit-il avant d’exprimer l’ambivalence du retour au réel : «  Quel malaise aussi, quand les lampes se rallumaient : je m’étais déchiré d’amour pour ces personnages et ils avaient disparu, remportant leur monde ; […] dans la rue, je me retrouvais surnuméraire3 ».

Je voudrais m’arrêter sur cette « grotte de Fingal », plurielle dans Les Mots, qui m’apparaît comme la métaphore du rapport de Sartre au cinéma : au premier degré, géographique, la grotte de Fingal est une caverne basaltique située en Écosse, dans l'île de Staffa. Elle forme une nef soutenue par des parois de basalte en forme de colonnes dans laquelle la mer s'engouffre en clapotant, ce qui a amené à la qualifier de caverne musicale. A un deuxième degré, plus fictionnel, elle est considérée dans les légendes celtiques comme le pendant de la Chaussée des Géants en Irlande. Ce lieu éminemment romanesque a inspiré Jules Verne qui y a placé la scène finale de son roman, Le Rayon vert. Lorsque Felix Mendelssohn en voyage en Ecosse vers 1830 a découvert cette grotte et les coulées de lave figées en formes géométriques parfaites, il a traduit son enthousiasme en composant une pièce symphonique intitulée Les Hébrides ou « la grotte de Fingal ». Au troisième degré, on le comprend à la lecture des Mots, c’est un morceau puissant, voire mélodramatique, qu’utilisaient les pianistes (entre autres morceaux musicaux) pour souligner l’action au temps du cinéma muet. Mais comme à rebours de l’expérience initiale, pour prolonger la magie et l’émotion cinématographiques, le jeune Sartre demandait à sa mère de jouer du piano : « …ma mère m'avait fait goûter, elle avait mis le dîner en train, donné les derniers conseils à la bonne ; elle s'asseyait au piano et jouait les Ballades de Chopin, une Sonate de Schumann, les variations symphoniques de Franck, parfois, sur ma demande, l'ouverture de La Grotte de Fingal. Je me glissais dans le bureau; il y faisait déjà sombre, deux bougies brûlaient au piano. La pénombre me servait, je saisissais la règle de mon grand-père, c'était ma rapière, son coupe-papier, c'était ma dague ; je devenais sur le champ l'image plate d'un mousquetaire4

Cette double métalepse - qui fait passer l’enfant de la salle dans l’écran, puis du salon des Schweitzer à un royaume imaginaire -, est rendue possible par la musique jouée par la mère : « Ce moment me charmait : la fiction se confondait avec la vérité ; vagabond désolé, à la poursuite de la justice, je ressemblais comme un frère à l'enfant désœuvré, embarrassé de lui-même, en quête d'une raison de vivre, qui rôdait en musique dans le bureau de son grand-père. » Plus tard, à son tour en voyage en Ecosse, Sartre adulte, à peu près au temps de l’écriture des Mots, est renvoyé par le souvenir musical au temps du cinéma de son enfance, et par métonymie, à sa mère : « … je retrouve dans mes yeux, dans mes narines, sur ma langue les lumières et les parfums de ces salles disparues ; il y a quatre ans, au large de la grotte de Fingal, par gros temps, j'entendais un piano dans le vent5. »

Pour pousser plus loin la métaphore, la grotte sombre trouée de vagues lueurs, me semble représenter le cinéma lui-même, du moins métonymiquement, la salle de cinéma, « cette nuit habitée », comme le dit Sartre. Dans cette chambre d’échos, c’est l’activité fictionnalisante du spectateur qui se met en mouvement : « Inaccessible au sacré, j'adorais la magie : le cinéma, c'était une apparence suspecte que j'aimais perversement pour ce qui lui manquait encore. […] Du noir et du blanc, je faisais des couleurs éminentes qui résumaient en elles toutes les autres et ne les révélaient qu'à l'initié ; je m'enchantais de voir l'invisible6. »

Quelle position de lecteur et d’écrivain émerge du spectacle cinématographique ?

On peut envisager le rapport du film au livre chez Sartre essentiellement de trois manières :
- Du point de vue biographique et autobiographique
- Avec l’écriture de scénarii pour le cinéma jamais ou mal aboutis
- Avec l’écriture fictionnelle en relation étroite avec l’écriture, elle-même cinématographique des écrivains américains

Dans son autobiographie, Sartre inscrit ses souvenirs de cinéma dans la partie « Lire » et n’établit aucune solution de continuité entre ses activités de spectateur de cinéma et de lecteur, les deux activités se relayant et se chevauchant l’une l’autre : « Ce fut vers ce moment (Sartre vient d’évoquer ses rêveries cinématographiques) - 1912 ou 1913 – que je lus Michel Strogoff », ou encore : « Je lisais tous les jours, dans Le Matin, le feuilleton de Michel Zévaco7. » Et l’on voit l’enfant se livrer aux mêmes actes de bravoure imaginaire après ces lectures comme après les séances de cinéma : « Ses héros représentaient le peuple ; ils faisaient et défaisaient les empires […] Le plus grand de tous c’était Pardaillan, c’était mon maître : cent fois, pour l’imiter, superbement campé sur mes jambes de coq, j’ai giflé Henri III et Louis XIII8… » La fictionnalisation du sujet lecteur rejoint sans rupture celle du sujet spectateur : même allégresse, mêmes combats héroïques, même défense des opprimés. Comme je l’écrivais dans un article publié dans l’ouvrage Formation des lecteurs Formation de l’imaginaire (Figura, UQAM), « ce qui est frappant dans ce récit autobiographique, c’est le lien fort que Sartre établit entre cette lecture (et j’ajouterais ici cette spectature d’œuvres ressortissant à la culture populaire) et ses futurs engagements ultérieurs comme écrivain en insistant sur l’imitation des actions héroïques et subversives9. » Une différence de taille sépare cependant les deux activités de lecture et de spectature, la première est reconnue familialement et socialement, encouragée par le grand-père Schweitzer et sa bibliothèque de lettré, la seconde en revanche est, sinon clandestine, du moins à peine acceptée comme une transgression et vécue dans la délectation intime avec la mère adorée : « Mon grand-père paraissait à la porte de son bureau quand nous ouvrions celle de l’appartement ; il demandait : où allez-vous, les enfants ? – Au cinéma, disait ma mère. Il fronçait les sourcils10… »

Un destin et des textes

Mais pour aller vite, on peut dire que le cinéma, le jeu enfantin et la lecture fonctionnent en symbiose et constituent un modèle d’action dans le monde : « Pourtant cela existait, l’avenir, le cinéma me l’avait révélé ; je rêvais d’avoir un destin11. » J’évoquerai à présent brièvement ce « destin », c’est-à-dire les textes de lecteur/spectateur que « la grotte de Fingal » cinématographique a permis à Sartre de réaliser. Et tout d’abord, les textes visant explicitement à réaliser des films, ce que la critique a coutume de définir comme une expérience manquée ou du moins non aboutie de l’écriture filmique : ainsi Michel Contat remarque-t-il dans l’introduction au volume Théâtre publié dans la Bibliothèque de la Pléiade : « Ce qui frappe en effet à lire les scénarios de Sartre, c’est qu’il pense en images, en mouvements d’appareil, angles de prises de vue, et en sons, et que ses découpages et ses dialogues sont déjà des montages. Il a de l’art cinématographique une connaissance intime, visuelle, nourrie du cinéma américain des années 20 et 30, et aussi des cinémas russe et français. On peut ainsi avancer que si les conditions de production avaient été différentes dans les années de guerre et d’après-guerre, Sartre serait devenu un auteur de cinéma au sens où les cinéastes de la Nouvelle Vague le deviendront : auteurs et réalisateurs. Mais, à l’époque, les metteurs en scène et les producteurs ont la haute main sur le cinéma, alors que les scénaristes sont simplement au service du film, produit industriel12. » Michel Contat va jusqu’à regretter de ne pouvoir «  traiter d’un chapitre qui serait passionnant et qui s’intitulerait “Comment Sartre a failli devenir cinéaste”. […] Tout se passe donc comme si Sartre écrivait des pièces faute de pouvoir réaliser des films. » Mais pour aller plus loin et analyser la dimension intermédiale, de croisement générique, de la production de scénarii, je ne prendrai qu’un seul exemple déjà étudié par Pascale Fautrier sous un angle différent, celui du scénario de L’Engrenage : « Écrit pendant l’hiver 1946 pour Pathé, il était originellement intitulé Les Mains sales. La pièce qui a hérité de son titre est postérieure de deux ans ; on y retrouve la même thématique, celle de l’exercice du pouvoir et de l’opposition entre les idéaux de l’intellectuel et le pragmatisme de l’homme d’action (Drelitsch/Aguerra dans le scénario, Hugo/Hoederer dans la pièce)13. » Même diégèse également : dans les deux textes, les deux hommes s’entretuent, mais avec une inversion de taille (l’homme de pouvoir tue l’intellectuel dans le scénario, tandis que le contraire se produit dans la pièce). Cinéphile averti et spectateur assidu de films noirs américains, selon le témoignage même de Simone de Beauvoir, dans La Force de l’âge, Sartre adopte pour l’écriture de son scénario les techniques du flash-back et du fondu. Mais comme à rebours de l’influence du cinéma sur l’écriture, Sartre précise dans une préface écrite en 1968 : « Le scénario de L'engrenage a été écrit en 1946. Ce qui m'amusait, au départ, c'était de transposer à l'écran une technique que les romanciers anglo-saxons utilisaient couramment avant la guerre : la pluralité des points de vue. L'idée était dans l'air... Dans le film que j'imaginais, non seulement la chronologie était bouleversée, mais le même personnage, Hélène, apparaissait sous des dehors tout à fait différents selon le point de vue de qui parlait de lui14… » Là encore, s’opère une superposition, voire une confusion et un mouvement de balancier entre l’activité du lecteur et l’activité du spectateur. De même que Bruno Clément montre dans Le lecteur et son modèle qu’il y a une forme d’adéquation entre l’objet de la lecture (Pascal pour Voltaire ; Shakespeare pour Hugo ; Flaubert pour Sartre) et le texte produit par cette lecture, il existe un rapport de conjonction entre le cinéma tel que le perçoit Sartre et ses productions textuelles, que celles-ci soient d’ordre philosophique, théâtrale et/ou romanesque.

Du film au livre et de quelques acquis : contingence, simultanéisme et unanimisme 

En mars 1972, au cours des entretiens filmés qui deviendront le film « Sartre par lui-même » (dont le scénario a été tardivement édité en 1982 dans le volume Œuvres romanesques de la Pléiade), Sartre confirme que le cinéma se trouve à l’origine de sa découverte de la contingence : il s’agit là en quelque sorte d’un « événement de spectature », comme on peut parler d’événement de lecture, ainsi défini par G. Langlade dans L’héritage littéraire de Paul Ricoeur : « ce qui arrive, ce qui survient – au sens étymologique du verbe latin impersonnel evenit – au cours d’une lecture et, au-delà, ce qui fait événement dans la vie d’un lecteur15. » Ainsi pour Sartre : « Je sais que l’idée de contingence est venue de la comparaison qui s’est établie spontanément chez moi entre le paysage dans un film et le paysage dans la réalité. Le paysage d’un film, le metteur en scène s’est arrangé pour qu’il ait une certaine unité et un rapport précis avec les sentiments des personnages. Tandis que le paysage de la réalité n’a pas d’unité. Il a une unité de hasard et ça m’avait beaucoup frappé. Et ce qui m’avait beaucoup frappé aussi, c’est que les objets dans un film avaient un rôle précis à tenir, un rôle lié au personnage, alors que dans la réalité les objets existent au hasard16. » Dans La Force de l’âge, Simone de Beauvoir confirme que « c’est en regardant passer des images sur un écran que [Sartre] avait eu la révélation de la nécessité de l’art et qu’il avait découvert, par contraste, la déplorable contingence des choses données17. » C’est ce constat de spectateur qui se trouve à l’origine, en 1938, de la première œuvre romanesque de Sartre, La Nausée, qu’il appelle, toujours selon Simone de Beauvoir et leur correspondance, son « factum sur la contingence ». Le relatif échec de Sartre scénariste est de fait compensé par l’introduction dans son écriture de réflexions et de techniques acquises par la spectature, par le visionnement assidu de films et conjointement par la lecture des romanciers américains, eux-mêmes influencés par le cinéma.

Beaucoup plus tard, il s’inspirera des potentialités des techniques simultanéistes propres au cinéma, comme par exemple, l’écran fragmenté ou multi-image, pour renouveler son écriture romanesque (Le Sursis, 1945) – ce sont ces techniques d’écriture inspirées du cinéma qu’il admire chez les romanciers américains, en particulier, le montage des séquences comme au cinéma et une narration éclatée dans le roman de John Dos Passos, Manhattan Transfer écrit en 1925, que Sartre admirait profondément18.

Comme l’analyse Pascale Fautrier, « le synchronisme cinématographique le touche particulièrement parce qu’il offre la possibilité de juxtaposer des objets signifiants, de renouveler le symbolisme et les métaphores, et donc de libérer les forces créatrices de la conscience, dont l’activité est précisément de produire librement et incessamment de tels rapports signifiants et sensibles19. » Toujours dans « À propos de John Dos Passos », Sartre écrit que « le cinéma renouvelle la métaphore parce qu’il en fait vivre les termes. […] Mignonne allons voir si la rose… Nous ne voyons pas la rose : au cinéma nous verrions la femme et la fleur […]. […] le symbolisme [du cinéma] est simple et héroïque. […] c’est un symbolisme naturel, c’est en somme, dans sa genèse, le symbolisme quotidien, que nous créons pour les besoins de l’action, non pour ceux de la littérature. »

Autre acquis du cinéma, la découverte de l’unité sociale à laquelle entraîne le cinéma grâce à l’immersion fictionnelle : « À dix heures du soir, […] des hommes différents, |…] tendus vers l’écran, sont unis par la même angoisse ou dans la même joie : car au même instant, ils ont vu sur la toile blanche le visage fou d’André Nox ou le sourire de Charlot20. » Dans Les Mots, il utilise le terme d’« adhérence » pour suggérer le lien que crée le cinéma entre les hommes : «  cette présence sans recul de chacun à tous, ce rêve éveillé, cette conscience obscure du danger d’être homme » que, dit-il, il n’a retrouvé « qu’en 1940, dans le stalag XII D21. » Sartre semble ainsi affirmer que le cinéma crée des relations intersubjectives, ce que Jules Romains (dont Sartre est un grand lecteur) définissait comme l’« unanimisme ». L’auteur des Hommes de bonne volonté racontera comment il eut, en 1903, « l'intuition d'un être vaste et élémentaire, dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps et dont le rythme emportait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles22 ».

La grotte de Fingal, une métaphore de la création ?

Chez Sartre, le spectateur et le lecteur sont les deux faces d’une même activité permettant dès l’enfance le déploiement de la fictionnalisation, de la mise en fiction, du triple point de vue de la concrétisation imageante, de l’implication axiologique et de la rêverie fantasmatique, le cinéma ayant cette vertu suprême d’être dans la première partie du XXème siècle un art de la subversion en même temps qu’un art populaire qui s’adresse à tous. En 1945, Sartre nomme sa revue Les Temps modernes en hommage au film de Charlie Chaplin qu’il admire inconditionnellement. Dans Apologie pour le cinéma. Défense et illustration d’un art international, (dans Écrits de jeunesse, publié par M. Contat et M. Rybalka en 1990), Sartre tout jeune homme définissait le cinéma comme le « poème de la vie moderne ». Pour nous lecteurs, c’est certes une invitation à entrer dans « la grotte de Fingal » originelle et à relire les œuvres de Sartre dans l’après-coup, à la lumière de son rapport au cinéma, mais c’est aussi et surtout une invitation à se penser soi-même et à se construire comme sujet lecteur, spectateur, auditeur tissant des liens multimodaux et pluri-artistiques, capable à partir de ce tissage de faire advenir des textes de lecteur/spectateur comme Les Mots nous en propose un efficace et passionnant exemple.

Note de fin

1 SARTRE J.-P., Les Mots, nrf, Gallimard, 1962, p. 98.

2 Ibidem, p. 101 cité dans FAUTRIER Pascale, « Le cinéma de Sartre  », Fabula-LhT, n° 2, « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) », décembre 2006, URL : http://www.fabula.org/lht/2/fautrier.html, page consultée le 10 novembre 2017.

3 SARTRE J.-P., op. cit., p. 102.

4 Ibidem, p. 105.

5 Ibidem, p. 100.

6 Ibidem, p. 101.

7 Ibidem, p. 109.

8 Ibidem.

9 FOURTANIER M.-J., «Lecteurs, imaginaire et pratiques culturelles  », in ROY Max, BRAULT Marilyn, BREHM Sylvain (dirs), Formation des lecteurs Formation de l’imaginaire, , collection Figura, UQAM, 2008, p. 128.

10 SARTRE, op. cit., p. 97.

11 SARTRE, op. cit., p. 106.

12 CONTAT Michel, préface au Théâtre complet, Pléiade, Gallimard, 2005, p. XXVIII.

13 FAUTRIER Pascale, « Le cinéma de Sartre », Fabula-LhT, n° 2, « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) », décembre 2006, URL : http://www.fabula.org/lht/2/fautrier.html, page consultée le 10 novembre 2017.

14 SARTRE J.-P., préface à L’Engrenage, nouvelle édition, folio, Gallimard, 1996.

15 LANGLADE Gérard, « Événement de lecture et reconfiguration des œuvres », Fabula / Les colloques, L’héritage littéraire de Paul Ricœur, URL : http://www.fabula.org/colloques/document1922.php, page consultée le 10 novembre 2017.

16 SARTRE J.-P., Œuvres romanesques, édition de M. Contat et M. Rybalka avec la collaboration de George H. Bauer et Geneviève Idt, Pléiade, Gallimard, 1982, p. 1698.

17 BEAUVOIR (de) S., La Force des choses, folio, Gallimard, p. 59.

18 Voir « À propos de John Dos Passos » in Situations, I, Gallimard, 1947.

19 FAUTRIER P., op. cit.

20 SARTRE J.-P., Écrits de jeunesse, Paris, Gallimard, p. 404.

21 SARTRE J.-P., Les Mots, p.99.

22 KLAUBER Véronique , « Unanimisme, littérature », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 novembre 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/unanimisme-litterature/

Citer cet article

Référence électronique

Marie José FOURTANIER, « La « Grotte de Fingal » : cinéma, musique et littérature dans Les Mots », Plasticité [En ligne], 2 | 2019, mis en ligne le 26 juillet 2019, consulté le 23 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/plasticite/330

Auteur

Marie José FOURTANIER