Quelques jalons vers l’émergence d’une culture-monde de part et d’autre de l’Atlantique au XIXe siècle : transplantation ou transfert culturel et stratégie de la modernité

  • Some milestones towards the emergence of a world-culture on both sides of the Atlantic in the 19th century: cultural transplantation or transfer and strategy of modernity
  • Alguns marcos para a emergência de uma cultura mundial de ambos os lados do Atlântico no século XIX: transplante ou transferência cultural e estratégia de modernidade

Au moment où émerge la « latinité » de l’Amérique, portée par l’université française, au moment où l’Alliance française se répand dans le monde, plus particulièrement sur le continent américain, une politique de rayonnement et d’activités culturelles se met en place. Elle succède à cette phase de « rayonnement messianique » entre la France et les Etats-Unis qui a profondément marqué le XIXe siècle. Une nouvelle ère de « transplantation culturelle » va alors se dessiner de part et d’autre de l’Atlantique, dans un sens « Est-Ouest », comme le précise André Siegfried, avant que ne s’affirme la prépondérance Nord-Sud, après la Deuxième Guerre Mondiale dessinant cette « rose des vents » chère au politologue français.

At a time when the "latinity" of America was emerging, supported by the French university, at a time when the Alliance française was spreading throughout the world, particularly on the American continent, a policy of influence and cultural activities was being put in place. This followed the phase of "messianic influence" between France and the United States, which had deeply marked the 19th century. A new era of 'cultural transplantation' was then to take shape on both sides of the Atlantic, in an 'East-West' direction, as André Siegfried explains, before the North-South preponderance took hold after the Second World War, drawing this 'compass rose' dear to the French political scientist.

Numa altura em que a "latinidade" da América estava a emergir, apoiada pela universidade francesa, numa altura em que a Aliança Francesa se estava a espalhar pelo mundo, particularmente no continente americano, uma política de influência e actividades culturais estava a ser posta em prática. Isto seguiu-se à fase de "influência messiânica" entre a França e os Estados Unidos, que tinha marcado profundamente o século XIX. Uma nova era de 'transplante cultural' deveria então tomar forma de ambos os lados do Atlântico, numa direcção 'Este-Oeste', como explica André Siegfried, antes de a preponderância Norte-Sul se instalar após a Segunda Guerra Mundial, desenhando esta 'rosa bússola' cara ao politólogo francês.

Plan

Texte

Prononcer la conférence de clôture de ce colloque pluridisciplinaire, réunissant une vingtaine d’intervenants de plusieurs nationalités sur les « Savoirs en circulation dans l’espace atlantique entre les XVIIIe et XIXe siècles » est un honneur et une lourde tâche. D’autant que ce colloque se tient dans ces deux lieux prestigieux de la vie universitaire et culturelle que sont la Sorbonne et le Centre culturel Calouste Gulbenkian crée à Lisbonne il y a plus de soixante ans. Je remercie tout particulièrement les membres du comité d’organisation de ce colloque qui m’ont confié la responsabilité de prononcer cette conférence de clôture. Je les remercie d’autant plus que dans leur largesse d’esprit, ils m’ont indiqué que cette conférence ne devait pas, comme il est coutume, retracer les grandes lignes des conclusions de ce colloque dont vous avez pu apprécier la richesse de chaque intervention, mais m’entretenir avec vous de quelques pistes et hypothèses de recherche que j’espère nouvelles et que je vais vous proposer.

Analyse de quelques réflexions sur les mots-clefs et concepts opératoires de la problématique

J’ai organisé ces pistes de recherche autour de quelques mots-clefs qui apparaissent dans l’intitulé de ma communication.

« Culture-Monde » ou « Savoir-Monde » : trois phases de la mondialisation

En premier lieu, qu’en est-t-il de l’émergence d’une « Culture-Monde » ou d’un « Savoir-Monde » de part et d’autre de l’Atlantique entre les XVIIIe et XIXe siècles ? Le terme de « culture-monde » est un terme récent. Il est devenu à la mode depuis une trentaine d’années. En 1998, alors que Federico Mayor en assure la présidence, l’Unesco publie un rapport qui fait date : World Culture Report, Culture, Creativity and Markets. Le concept de « culture-monde » est propulsé et fait écho. En France quatre auteurs contribuent à le diffuser. Une spécialiste de littérature, Pascale Casanova, publie dès 1999 La République mondiale des Lettres à partir d’une thèse soutenue deux ans plus tôt sous la direction de Pierre Bourdieu. Un anthropologue, Jean-Pierre Warnier, évoque en 1999 La Mondialisation de la culture. Deux universitaires grenoblois, l’un philosophe, Gilles Lipovetsky, l’autre littéraire, Jean Serroy, publient en 2008 La Culture-monde. Réponse à une société désorientée. Puis, en 2013, ils évoquent L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Ce concept de « culture-monde » est proposé aux lecteurs à partir d’une première réflexion qu’ils ont menée conjointement autour de l’impact mondial de l’image : L’Écran global. Culture, médias et cinéma à l’âge hypermoderne. Au demeurant, un sociologue, spécialiste de l’Amérique latine, Armand Mattelart, avait évoqué dès 1991 La Communication monde, histoire des idées et des stratégies, puis publié en 1996 La mondialisation de la communication. En cette même année 1996, il consacrait dans l’Encyclopædia Universalis un article : « Vers la mondialisation de la culture ? »

La science est aussi directement concernée puisque le sociologue de la science, Xavier Polanco, dirige en 1989 un ouvrage collectif consacré à Naissance et développement de la science-monde. Science-monde, communication-monde et « culture-monde » font donc l’objet de nombreuses réflexions. En fait, ces thèmes reliant un ensemble d’activités intellectuelles autour de la mondialisation surgissent en complément d’une problématique nouvelle et originale des rapports entre l’espace et l’économie, née de la lecture de la mutation du premier « système-monde » ou de l’économie-monde consécutifs aux « Grandes découvertes ».

Le sociologue étasunien Emmanuel Wallerstein théorise en 1974 le Modern World System. Il construit son analyse économique à partir des travaux de son maître Fernand Braudel qui, passant de l’horizon de la Méditerranée à l’horizon atlantique, intègre l’économie-monde dans un nouvel espace mondial. Pierre Chaunu enfonce le clou, proposant « l’histoire du désenclavement planétaire des civilisations et des cultures face à un européocentrisme dominant ». La mondialisation de l’économie a trouvé son point de départ. Les économistes se projettent dans l’expansion de cette « économie -monde » des XVe-XVIe siècles qu’ils évoquent en permanence jusqu’au deuxième millénaire où l’historien Serge Gruzinski dresse son Histoire d’une mondialisation en 2004, à travers Les Quatre Parties du monde. La globalisation d’aujourd’hui promue dans l’imagerie hollywoodienne des studios californiens se situe à ses yeux dans la continuité de cette première mondialisation réalisée par les monarchies catholiques.

Ainsi, une nouvelle manière d’envisager et de décrire l’histoire de l’humanité en se plaçant à l’échelle du monde est-elle apparue dans les années 1970-1980. À partir des États-Unis, la world history ou la global history se sont répandues en Europe, en Amérique latine, en Asie, voire en Afrique.

Après cette première phase de mondialisation des XVe-XVIe siècles, une deuxième phase émerge dans la seconde moitié du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle en Grande-Bretagne et le partage colonial du monde au XIXe siècle, principalement l’Afrique et l’Asie, entre les grandes puissances européennes. Ce partage se poursuit jusqu’aux première et deuxième Guerres Mondiales et la création de l’Unesco en 1946. La troisième phase de mondialisation dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés confronte les différentes facettes de la culture, y compris les industries culturelles, aux enjeux du marché mondial. Ainsi la « culture-monde » entraîne les États à répondre aux défis d’une américanisation1.

Stratégie de la modernité

Le deuxième temps notre réflexion nous amène à mesurer les enjeux de ce que nous avons appelé « la stratégie de la modernité ». La « modernité » n’est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni un concept historique, même si les historiens en France ont appelé « moderne » la période qui nous amène de la Renaissance à la Révolution. La « modernité » apparaît comme un mode de civilisation qui s’oppose aux modes de la tradition. Mouvante dans ses formes et dans ses contenus, dans le temps et dans l’espace, la modernité est conçue comme un système de valeurs, voire un mythe. Elle apparaît ainsi comme un lieu d’émergence des facteurs de rupture de la tradition et une solution de compromis permettant à la société de maîtriser son changement, avec une dynamique de progrès, à l’ombre de la révolution.

Par exemple, en 1922, le Brésil connaît cinq types d’événements où la « modernité » finit par s’afficher. Le Brésil est confronté à la commémoration du centenaire de son indépendance et son identité nationale s’affirme de plus en plus. Il connaît aussi la création du parti communiste à Niteroi, capitale de l’État de Rio de Janeiro en mars, en écho aux mouvements de la révolution de 1917 en Russie. Il savoure le réveil intellectuel catholique grâce au Centre Dom Vital créé en mai 1922. Il constate le soulèvement des « tenentes », à Rio, en juillet, soulèvement qui va parcourir l’intérieur du pays. De tels mouvements se traduisent dans la foulée du tapage provoqué par les avant-gardes artistiques de la « Semaine d’art moderne » à São Paulo en février 1922. Celle-ci provoque l’émergence du « modernisme » littéraire et artistique qui, en 1928, se rassemble autour du « manifesto antropófago » rejetant les valeurs de la culture européenne considérée comme « importée ». Dès lors, entre les différentes formes de l’importation culturelle européenne et surtout française réalisées à partir de l’Empire et l’impact des événements de l’année 1922, le Brésil se trouve confronté aux réponses apportées aux « transplantations culturelles » qu’il a pu connaître au XIXe siècle. Un mouvement de « brésilianisation » de sa culture en ressort, de même qu’en Amérique latine s’esquissent d’autres mouvements semblables : en Argentine une « argentinisation » de la culture et une « chiléanisation » de la culture au Chili2.

« Transplantation culturelle » ou « transfert culturel »

Le troisième temps de notre réflexion concerne l’utilisation des termes « transplantation culturelle » » et « transfert culturel ». Dans l’historiographie française, l’écho de ces termes est très déséquilibré. Le terme de « transfert culturel » » est prédominant alors que celui de « transplantation culturelle » n’est que partiellement utilisé dans l’historiographie des relations internationales. Le terme « transplantation culturelle » est utilisé notamment par l’historien brésilien Nelson Werneck Sodré. Il l’applique à la construction de la culture de son pays. Cet historien marxiste, militaire de profession, emploie ce terme en 1972 dans l’un de ses ouvrages Síntese de História da Cultura Brasileira. Ce terme connaît deux applications. L’une, ancienne, est liée à la botanique et à l’horticulture, la transplantation des plantes. L’autre, plus récente, est liée à la médecine, à la transplantation d’organes. En fait, à la fin des années 1960, la transplantation d’organes apparaît comme un des progrès les plus spectaculaires de la chirurgie. Elle est conçue à partir d’une opération entreprise entre un donneur et un receveur, et son efficacité se mesure à la réussite de la greffe réalisée et aux capacités de tolérance et d’adaptation démontrées par le receveur. Transplantation de reins d’abord et transplantation de cœur ensuite sont déjà en pleine évolution.

D’autres utilisations de ce terme de « transplantation » sont l’objet de travaux de sociologues et concernent les problèmes des migrations de population. Ils utilisent le terme « transplantation sociale ». Ces travaux sont issus du concept d’« anomie » dérivé des recherches d’Émile Durkheim (1858-1917). Ayant longuement travaillé sur l’impact de l’œuvre de l’historien brésilien Nelson Werneck Sodré dans l’historiographie de son pays autour de l’essor de la « brésilianité », j’ai repéré chez cet auteur l’utilisation du concept « transplantation culturelle » et je l’ai emprunté dans mes propres travaux, notamment dans mon ouvrage Aspects de la coopération franco-brésilienne publié en 1982. J’ai élargi son utilisation à l’ensemble de l’Amérique latine en évoquant avec Jacques Chonchol en 1985 Le Latino-américanisme en France, à l’issue des États généraux de la recherche et de l’enseignement sur l’Amérique latine en France.

Toutefois cette utilisation ne dépasse guère le cadre spécialisé du monde latino-américain alors que le concept de « transfert culturel » est, lui, utilisé par les germanistes Michel Espagne et Michael Werner à partir de 1988. Le « transfert culturel » se généralise alors dans l’historiographie française des relations culturelles internationales. En 1988, les deux germanistes publient conjointement : Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand XVIIe et XIXe siècle. Michel Espagne revient sur cette notion en publiant en 1999 Les Transferts culturels franco-allemands. L’analyse des relations culturelles franco-allemandes présentent beaucoup plus d’intérêt dans l’historiographie française que celle des relations franco-brésiliennes. Aussi la notion de « transfert culturel », née de la théorie thérapeutique du transfert entre un psychanalyste et son patient, se trouve appliquée aux relations culturelles internationales. Cette expression connaît alors un succès que Robert Frank, le spécialiste français des relations internationales, et Pascal Ory, le spécialiste de l’analyse des rapports entre culture et politique sous le signe du Front populaire, s’attachent à diffuser.

Outre la transposition du transfert issue de sa perception analytique vers les relations culturelles internationales, une autre perception de notion de transfert implique les économistes attachés aux analyses des relations économiques internationales. Ceux-ci intègrent dans leur réflexion la notion de « transfert de technologie » qu’ils consacrent aux relations Nord-Sud et aux multiples débats sur le développement et le sous-développement animant les problématiques des années 1960-1990.

De son côté, avec Robert Frank et Pascal Ory, la revue Relations internationales, publiée par plusieurs institutions prestigieuses à Paris et à Genève, offre en 2003 deux numéros spéciaux consacrés au thème « diplomatie et transferts culturels au XXe siècle ». Cette notion de « transfert culturel » est encore mise à l’honneur dans un grand colloque sur Les Relations culturelles internationales au XXe siècle dont les actes sont publiés en 2010 grâce à un financement du ministère français de la Culture, de la Bibliothèque nationale de France et de l’Université de Paris. Si le sous-titre de cette publication est De la diplomatie culturelle à l’acculturation, l’une des tables rondes de ce colloque fait le lien entre « acculturation » et « transfert culturel ».

Deux autres travaux attirent aussi l’attention sur cette notion de « transfert culturel ». L’un nous vient du Canada, plus particulièrement du Québec, même si Amérique et Europe se trouvent concernées par le « cultural transfert ». En 1996, sous la direction de l’historien et ethnologue Laurier Turgeon de l’université Laval, est publié un ouvrage sur Transferts culturels et métissages Amérique/ Europe, XVIe-XXe siècles. L’autre est coordonné par le spécialiste de l’Amérique latine, Denis Rolland, consacrant en 2004 un Carrefour méthodologique à l’histoire culturelle des relations internationales. Tous deux font explicitement référence aux « transferts culturels » de Michel Espagne3.

Dès lors, il conviendra d’intégrer dans vos réflexions ces deux notions à votre choix, celle de « transplantation culturelle » ou celle de « transfert culturel ». Toutes deux sont particulièrement fécondes et chacune à sa manière est une transposition thérapeutique utile à notre analyse.

Relations culturelles internationales, Éducation et Culture : la quatrième dimension de la politique étrangère du « soft power »

Le quatrième et dernier temps de notre réflexion concerne la prise en compte des travaux sur les relations culturelles internationales et son intégration dans les nombreux travaux pluridisciplinaires effectués sur la culture nationale de différents pays, notamment en France, aux États-Unis et ailleurs. En 1964, la publication quasi simultanée de trois ouvrages marque la prise de conscience par les États d’affirmer et de promouvoir une politique des relations culturelles internationales.

Deux d’entre eux sont publiés en France et le troisième aux États-Unis. Aux États-Unis, le diplomate économiste Philip Hall Coombs (1915-2006) publie à New York The Fourth Dimension of Foreign Policy: The Education and Cultural Affairs. Cet ouvrage sera traduit en français en 1990 sous le titre La Quatrième Dimension de la politique étrangère. Éducation et culture apparaissent ainsi au cœur du dispositif de l’analyse des relations internationales. Premier secrétaire d’État adjoint à l’éducation et à la culture du président John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), Philip H. Coombs apparaît ainsi comme un des acteurs marquants de la politique étrangère de l’éducation et de la culture aux États-Unis.

En France, la même année, est publié un ouvrage du diplomate Louis Dollot (1915-1997) dans une collection à grand tirage, la collection « Que sais-je ? », aux Presses universitaires de France, Les relations culturelles internationales.

Le troisième ouvrage est signé par deux historiens, maîtres à penser de l’histoire diplomatique, Pierre Renouvin (1893-1974) et Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994) : Introduction à l’histoire des relations internationales. Ils mettent au centre de leur ouvrage les « forces profondes… matérielles et spirituelles » qui sont au cœur des concurrences et des conflits, jouant un rôle clé dans le processus de décision des acteurs de ces relations. La voie est ouverte pour développer des travaux universitaires de différentes disciplines qui vont croiser « relations culturelles internationales » et « cultures nationales ».

Plus de cinquante ans plus tard, en 2013, un géographe et diplomate, Michel Foucher, dirige un ouvrage fondamental : L’Atlas de l’influence française au XXIe siècle, publié par les soins de l’Institut français, l’organisme officiel du ministère des Affaires étrangères, opérateur de l’action culturelle extérieure de la France. La machine diplomatique française a créé l’Institut français le 30 décembre 2011 pour succéder au Service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE), né en 1920, et à l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) fondée en 1922. Si l’AFAA conserve néanmoins son statut associatif, elle est intégrée avec le SOFE dans la Direction générale des relations culturelles du ministère des Affaires étrangères en 1946. Après quelques changements de nom, celle-ci va devenir Culturesfrance en 2006, puis Institut français en 2011.

L’Atlas… de Michel Foucher fait écho à un article du philosophe et économiste Joseph S. Nye, conseiller des présidents Jimmy Carter puis Bill Clinton, publié en 1990 dans la revue Foreign Policy où il présente le concept nouveau de « soft power » pour caractériser l’originalité de la politique nord-américaine des relations internationales. Michel Foucher constate que « l’influence à la française n’est pas le soft power. » Il précise : « le soft power est une expression intraduisible (la traduction littérale de puissance douce) qui a été conçue par ses promoteurs comme complément de la puissance militaire (hard power) et ne peut en aucun cas en être dissociée… Dans « soft power », le mot essentiel est power. La puissance, c’est la possibilité d’amener les autres aux résultats que vous voulez, selon l’inventeur du concept Joseph Nye. La singularité française est d’offrir une alternative, une voie autonome, originale par rapport aux autres grands centres de pouvoir… Le registre de l’influence fait ainsi l’objet de cet Atlas. Cette notion d’« influence » succède à la politique de « rayonnement culturel » patiemment construite par la diplomatie culturelle française, passant de la phase initiale de « rayonnement spontané » pendant les XVIIe et XVIIIe siècles au « rayonnement messianique » issu de la Révolution Française et tout au long du XIXe siècle. Entre 1883 et 1920, la Troisième République forge sa politique de « rayonnement culturel ». D’abord est créée une association, l’Alliance française, en 1883, afin de promouvoir la langue française dans le monde. Elle est soutenue par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Instruction publique auxquels se joint le ministère des Beaux-Arts. Puis, ces ministères s’engagent dans la constitution d’un service propre au ministère des Affaires étrangères en ouvrant dès 1909 le Service des Écoles et des Œuvres françaises à l’étranger, devenu le SOFE en 1920.

Cette initiative française fait école. Dès 1889, selon des modalités propres à chaque pays, est fondée en Italie la Société Dante Alighieri qui assure la promotion de la langue et de la culture italiennes à l’étranger. En 1925, est né en Union Soviétique le VOKS (Union des relations culturelles avec les pays étrangers), en charge de la diffusion de la culture révolutionnaire soviétique à l’étranger. En Grande-Bretagne, ce rôle revient au British Committee for Relations With Others Countries à partir de 1934, devenu British Council en 1940. Après la Seconde Guerre Mondiale, où l’activité de propagande et d’information est devenue un élément clef de la politique étasunienne, l’International Educational Exchange Service (IEES) finit par être créé en 1948 alors que l’Institut Goethe, entièrement réorganisé en 1952, s’efforce d’effacer l’impact culturel d’une Allemagne nazie qui s’en était emparée pour la diffusion de sa propagande dans les années 1930.

En 1991, il revient à l’Instituto Cervantès de promouvoir l’hispanidad dans le monde. Il en est de même depuis 1992 avec l’Instituto Camões à Lisbonne, pour la culture portugaise, alors que la Fondation Gulbenkian, institution culturelle portugaise privée, fonctionne depuis 1956. En 2004, la Chine entreprend à son tour de mettre en place l’Institut Confucius qui se lance à sa manière dans une politique de « soft power ».

Ces créations d’institutions culturelles à l’étranger propres à chacun de ces pays montrent combien la diffusion des savoirs et de la culture en relation avec les États, ou à leur initiative, est devenue un enjeu significatif des relations culturelles internationales.

Cet enjeu, dans le cas français, est devenu d’autant plus fondamental que la concurrence et les rivalités sont grandes. Cette première initiative culturelle française, créée en 1883 avec l’Alliance française, a été périodisée par un diplomate, Albert Salon, qui a soutenu en 1981 en Sorbonne la première thèse de doctorat sur le thème L’action culturelle de la France dans le monde. Les trois grandes périodes du rayonnement culturel français sont identifiées par ce diplomate : le « rayonnement spontané », le « rayonnement messianique » et la politique de rayonnement et d’action culturelle. Or cette politique de rayonnement et d’action culturelle ne connaît-elle pas actuellement une remise en cause ? Le 3 décembre 2007, l’édition européenne du Time magazine publie un article retentissant du journaliste américain Donald Morrison : « The Death of French Culture ». Sans aller jusqu’à constater le stade ultime du décès, les débats sur le déclin de la culture française dans la stratégie des relations culturelles internationales sont ainsi devenus de vrais débats de société4.

Dans cette communication, concentrons-nous maintenant sur cette phase de « rayonnement messianique » issu de la Révolution Française et de ses rapports avec les élites du continent américain. Essayons de comprendre à partir de quelques exemples schématiquement présentés comment les savoirs en circulation dans l’espace atlantique de la fin du XVIIIe, après les révolutions américaine et française, contribuent à organiser les relations culturelles entre la France et les Amériques au XIXe siècle.

Le « rayonnement messianique » de la France et des États-Unis d’Amérique

« Révolution atlantique » et « rayonnement messianique » de la France et des États-Unis

À partir de 1789, les relations culturelles entre la France et les Amériques connaissent une longue phase de « rayonnement messianique » (Albert Salon). Cette phase se prolonge tout au long du XIXe siècle avant que ne se dessine la mise en place du premier moment d’une politique de rayonnement et d’action culturelle de la France sous la Troisième République, à partir de 1883, avec la création de l’Alliance française. Cette phase succède au long « rayonnement culturel spontané » établi par la monarchie pendant deux siècles. « Transplantation culturelle » ou « transfert culturel » s’opèrent alors à partir d’un centre que la Révolution française diffuse dans le monde et qui séduit les élites culturelles des continents. Ce « rayonnement messianique » de la France est confronté d’abord à la construction d’une première nation indépendante en 1776, les États-Unis d’Amérique, puis à une vingtaine de nations nées des indépendances des monarchies ibériques entre 1810 et 1829. Pour entreprendre les constructions de ces nouveaux États indépendants, leurs élites ont besoin d’importer les différentes facettes d’une culture rayonnante que les monarchies ibériques n’étaient plus à même de transmettre à leurs colonies. La Grande-Bretagne, pourtant rivale d’une monarchie française qui fait face aux idées portées par les « Lumières » des philosophes, écrivains et savants, voit les nouveaux États-Unis d’Amérique s’engager dans la construction de leur nouvel État indépendant, proclamé à la face du monde en 1776 par le messianisme de ses « Pères fondateurs ». Ainsi, entre 1770 et 1850, selon Jacques Godechot, le moment des Révolutions, à savoir la « révolution occidentale » ou la « révolution atlantique » frappe d’abord les colonies anglaises d’Amérique, aboutissant à leur déclaration d’Indépendance le 4 juillet 1776, puis la France révolutionnaire qui contribue à fasciner le monde et à proclamer son propre messianisme conquérant.

En fait, ce messianisme révolutionnaire atlantique se subdivise en deux pôles qui s’affirment et se projettent. L’un se construit aux États-Unis, sous l’influence des « Pères fondateurs » de l’Indépendance, lorsque se crée une république aux « destinées providentielles », porteuse d’une mission universelle de liberté que Dieu a accordée à tous les hommes et que tous les hommes ont reçue, quelles que soient leur nationalité, leur culture, ou leur histoire. L’autre se crée en France, sous l’influence des philosophes des « Lumières », donnant à une République qui s’affirme l’aspiration de diffuser elle aussi la « liberté et le bonheur sur terre5 ». Ces deux messianismes appellent à transformer le monde à leur image et à offrir un modèle universel au reste de l’humanité.

Tracer quelques lignes directrices de ces « transplantations » ou « transferts culturels » contribue à illustrer les problématiques de cette intervention. Quelques exemples permettent d’aborder les relations établies entre acteurs, institutions ou sociétés savantes et gouvernement par cette « jeune nation », les États-Unis6. Ces relations sont établies avec l’autre centre du messianisme conquérant, la France. Les agents de ces transplantations peuvent se rendre sur le terrain des jeunes nations d’Amérique, à l’initiative des acteurs des organismes culturels français, pour trouver de nouveaux horizons qui apportent un supplément de connaissances ou de créativité aux domaines d’activité qu’ils pratiquent avant leur départ. Ils peuvent aussi répondre à la demande de ces élites des jeunes nations confrontées à la nécessité de compléter le potentiel de leur pays afin de mieux construire les aspects culturels ou scientifiques de leur nation.

Dans le domaine artistique ou littéraire comme dans le domaine scientifique, les relations s’établissent entre acteurs ou institutions des pays du centre et des pays d’accueil. Les greffes, transplantations ou transferts, peuvent se réaliser de part et d’autre de l’Atlantique. Quelques noms de ces acteurs permettent d’illustrer les relations ainsi établies et plusieurs centaines, voire plusieurs milliers, de membres de ces élites se trouvent concernées.

On sait comment se construisent les premières phases du « soft power » des États-Unis. Tout d’abord des connivences, des complicités irradient de façon structurelle les relations établies entre les deux pôles de ce « rayonnement messianique », les États-Unis et la France. Même si des moments de rivalités ont pu apparaître dans leurs relations par la suite, comme l’ont évoqué bien des analystes, comme Philippe Roger, décrivant l’« antiaméricanisme français », une vérité première ne doit pas dissimuler l’ancrage de cette vieille « amitié » : elle existe entre les deux pays depuis la solidarité construite lors de la lutte pour l’Indépendance7. Du côté étasunien, quelques personnalités comme Thomas Paine (1737-1809), qui souhaite voir les États-Unis « recommencer le monde », Benjamin Franklin (1706-1790) et Thomas Jefferson (1743-1826) illustrent les années fondatrices des « révolutions atlantiques » et vont stimuler les réseaux des élites nord-américaines. Du côté français, émergent outre le marquis de Lafayette (1757-1834), le Major L’Enfant (1754-1832), le sculpteur Houdon (1741-1828), Pierre de Beaumarchais (1732-1799) ou le comte de Saint-Simon (1760-1825).

La période de solidarité révolutionnaire voit s’engager des relations avec la jeune nation américaine qui attire ainsi les acteurs français séduits soit par la fascination exercée par la nature et la société nouvelle, soit par le rejet de ce combat contre l’Ancien Régime, responsable de leur émigration. Tel est le cas de James Monroe (1758-1831) ou du naturaliste Jean-Jacques Audubon (1785-1851), de la famille du chimiste industriel Dupont de Nemours (1771-1834) ou de l’écrivain François-René de Chateaubriand (1768-1848). Chateaubriand dresse un portrait comparé tout à fait contrasté de George Washington (1732-1799) et de Bonaparte (1769-1821) dans ses Mémoires d’Outre-tombe. Washington est la liberté de l’avenir et « élève une nation » à son indépendance alors que Bonaparte « ravit à une nation son indépendance et combat avec fracas sur une vieille terre... Il ne veut créer que sa renommée ». Chateaubriand, poète, est un admirateur des États-Unis d’Amérique. Cependant, Chateaubriand, ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII, ne perçoit pas la portée politique de la déclaration de James Monroe de 1823. Il ne mesure alors que le rôle de la monarchie espagnole dans l’espérance de rétablir ses anciennes possessions d’Amérique. En fait, Bonaparte n’accorde qu’un faible intérêt à ces nouveaux États-Unis d’Amérique même si, dans sa famille, Jérôme (1784-1860), son jeune frère, se marie avec une jeune étasunienne, Élizabeth Patterson (1785-1879), en 1803. Le futur Napoléon n’accepte pas ce projet d’union et, si Élizabeth séjourne fréquemment en Europe et devient notamment l’amie de Mme de Staël, le fils de Jérôme et d’Élizabeth demeure en Amérique. Quant à son autre frère, l’aîné, Joseph (1768-1844), après Waterloo, il arrive aux États-Unis en août 1815 et s’y installe. Même si Joseph se voit offrir le trône du Mexique et si Lafayette lui rend visite pendant son voyage triomphal de 1824-1825, Joseph demeure sans regret pendant longtemps dans son nouveau pays où les espoirs d’y constituer une sorte de confédération napoléonienne avec des fidèles de l’Empereur Napoléon se dissipent après son décès à Sainte-Hélène en 1821.

Des relations Est-Ouest de part et d’autre de l’Atlantique entre la France et les États-Unis aux relations Nord-Sud et au panaméricanisme

Outre cette relation Est-Ouest, une unité fondamentale du continent américain se dessine entre le Nord et le Sud. Un des premiers moments d’affirmation de cette unité transparaît avec le message que le président James Monroe adresse au Congrès le 2 décembre 1823. Au-delà du Congrès, ce message est destiné aux puissances européennes. Après avoir reconnu les nouvelles républiques d’Amérique du Sud, confrontées aux guerres d’indépendance contre l’Espagne que livrent en 1822 les troupes du général Simon Bolivar (1783-1830), le président Monroe déclare son hostilité aux visées européennes de rétablir des colonies ou de créer des protectorats sur le continent américain.

Avec la Révolution de 1830 en France, cette phase d’attraction réciproque se précise autour du romantisme triomphant. Fenimore Cooper (1789-1851) séduit les élites intellectuelles françaises dans la foulée du romantisme littéraire lors de son voyage en Europe entre 1826 et 1833 ; Samuel Finley Morse (1791-1872), le peintre de la Galerie du Louvre et physicien, imagine le télégraphe électrique. La monarchie de Louis-Philippe envoie surtout de jeunes Français pour mieux observer et mieux comprendre la construction de cette jeune nation. Alexis de Tocqueville (1805-1859), chargé d’analyser les systèmes pénitentiaires des États-Unis, revient en France avec sa révélation de La Démocratie en Amérique en 1835. Michel Chevalier (1806-1879), disciple de Saint-Simon, comprend comment la construction des voies navigables de l’intérieur stimule aux États-Unis le commerce et l’industrie. Du Système méditerranéen et de l’attraction de l’Orient, Michel Chevalier prend la mesure de l’espace atlantique, avant d’identifier la « latinité » de l’Amérique sous Napoléon III (1808-1873) et l’intervention au Mexique. Il est vrai qu’alors les États-Unis font face à la Guerre civile et que la diplomatie de Napoléon III, dont l’objectif premier est de soutenir le « Mexique latin » de Maximilien (1832-1867), hésite entre soutenir les états esclavagistes du Sud exportateurs de coton ou soutenir les troupes confédérées du Nord industriel de Lincoln (1809-1865). La Commission scientifique du Mexique, composée de plusieurs savants et archéologues, voulue par Napoléon III, directement inspirée de l’expédition militaire et scientifique organisée par Bonaparte en Égypte en 1798, est mise en place en 1864. Le prince de Joinville (1818-1900), troisième fils de Louis-Philippe, accompagné de ses deux neveux, prend fait et cause pour les armées confédérées. L’assassinat de Lincoln le 15 avril 1865 provoque en France une vive émotion, particulièrement ressentie par les opposants républicains de Napoléon III, parmi lesquels un jeune médecin de 25 ans, Georges Clemenceau (1841-1929) se rend aux États-Unis quelques mois plus tard, le 28 septembre 1865. Il va y demeurer quatre ans. Devenu journaliste pour le quotidien libéral Le Temps, Clemenceau publie de nombreux articles réunis sous le titre Lettres des États-Unis. Cette initiation américaine de Clemenceau sera le vrai point de départ de sa carrière politique et il ramène en France non seulement une expérience essentielle à sa carrière, mais aussi une jeune épouse étasunienne avec qui il s’était marié en 1869. Les leçons de la démocratie américaine sont en total contraste avec le régime impérial de Napoléon III.

Trois ans plus tard, en 1872, le peintre Edgar Degas (1834-1917) fait entrer l’impressionnisme à la Nouvelle-Orléans. Il en revient avec ses tableaux Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans et La Cour d’une maison qu’il présente à Paris, en 1876, à la seconde exposition des impressionnistes. Édouard Manet (1832-1883) peint à Paris le Portrait d’Edgar Poe et la jeune peintre Mary Cassat (1847-1926), fille d’un riche banquier de Pittsburgh, commence sa carrière qui l’a conduite à avoir une égale renommée des deux côtés de l’Atlantique. En 1893, elle réalise même une grande décoration murale pour le Pavillon des femmes à l’Exposition universelle de Chicago8.

Mais, dès 1886, une des manifestations les plus spectaculaires avait symbolisé les échanges artistiques entre la France et les États-Unis : l’inauguration par le président Cleveland de la statue de la Liberté, du sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904). Le projet est ancien. Il remonte même à 1869, lorsque le sculpteur propose au gouvernement égyptien la construction d’une immense statue de femme portant une torche en vue d’éclairer l’Égypte lors de l’inauguration du canal de Suez. Bartholdi avait été frappé par ces colosses de grès impressionnants qui, à Abou-Simbel, symbolisent l’Égypte des pharaons. Comme le projet n’avait pas été accepté, l’ambassadeur de France aux États-Unis Édouard de Laboulaye suggère la construction de cette statue et son installation à New York, à la suite d’une visite du sculpteur en juin 1871. Le moment était bien choisi : les États-Unis se relèvent de la guerre de Sécession et la France sort de la crise de la Commune et de sa défaite contre la Prusse. Le principe de la construction de la statue en France est accepté en 1875 et son financement sera assuré par une association, l’Union franco-américaine, présidée par l’ambassadeur de Laboulaye. Sa construction prend un certain temps. Elle est remise le 4 juillet 1884 à l’ambassadeur américain en France par Ferdinand de Lesseps, le fondateur du canal de Suez inauguré en 1869, devenu depuis président de l’Union franco-américaine. Elle est transportée du Havre à New York en 1885, édifiée sur l’île de Bedloe et inaugurée le 28 octobre 1886. Du haut du flambeau de la Liberté, Bartholdi libère le drapeau français entourant la tête de la statue. Elle symbolise l’accueil des immigrants sur la terre promise des États-Unis9.

Les tensions entre la France et les États-Unis : le canal de Panama et l’essor du panaméricanisme

En cette fin du XIXe siècle, les relations entre la France et les États-Unis traversent une crise qui s’exprime à propos de la construction du canal de Panama. Il s’agit d’un projet saint-simonien de liaison entre les deux océans, Atlantique et Pacifique10. En 1879, un congrès de géographie est organisé à Paris où Ferdinand de Lesseps est nommé président du comité français pour le percement du canal interocéanique en Amérique centrale. Le projet du tracé du canal par Lesseps entre les villes de Panama et de Colón est prêt en 1881. La Compagnie française est créée et l’ouverture du canal est programmée pour être inauguré lors du centenaire de la Révolution française en 1889. Mais face aux difficultés techniques qui se multiplient, la Compagnie universelle du commerce interocéanique est mise en liquidation en juin 1889 et un énorme scandale financier éclate en France. De plus, depuis 1885, la Colombie doit faire face à une crise militaire pendant laquelle l’armée étasunienne, en pleine expansion au sud des États-Unis, intervient pour occuper la ville de Colón entraînée dans une sédition. Comme la marine française ne protège pas les intérêts de la Compagnie, ses installations sont détruites et, aux difficultés techniques de la construction du canal s’ajoute l’occupation de Colón par l’US Navy. À la mort de Lesseps en 1894, un autre ingénieur, Philippe Bunau-Varilla (1859-1940) est au service de la Compagnie nouvelle du canal de Panama, en relation étroite avec les États-Unis, notamment Théodore Roosevelt (1858-1919), un des hommes politiques qui provoque l’invasion de Cuba en 1898 et le théoricien du Big Stick (Gros bâton). Il obtient l’accord de négocier le percement d’un nouveau canal avec des techniques nouvelles et une opportune révolte de sécessionnistes panaméens favorise l’indépendance du Panama à l’égard de la Colombie en 1903, avec le soutien des troupes étasuniennes. Comme le gouvernement américain est désormais maître d’ouvrage, un ingénieur militaire en chef étasunien est nommé par le président Roosevelt en 1907 et le canal est inauguré le 14 août 1914.

Or, depuis la fin du XIXe siècle, il existe une solidarité active et constructive, à partir du moment où s’est réunie à Washington le 12 octobre 1889 une conférence sur le commerce qui marque le début de l’organisation en Amérique, en pleine commémoration de la Découverte du continent américain par Christophe Colomb. Dix-huit participants sont présents à cette conférence et représentent leur État. Le président de cette conférence est James G. Blaine (1830-1893), l’ancien secrétaire d’État américain. Le panaméricanisme était né. En 1910, à Buenos Aires, l’Union Internationale des Républiques américaines devient l’Union des Républiques américaines et son bureau est rebaptisé l’Union Panaméricaine, malgré les réserves que les républiques sud-américaines prodiguent à l’encontre de l’intervention des États-Unis à Cuba depuis 1898. C’est sur cet axe géographique Nord-Sud du continent, selon l’expression d’André Siegfried, que se construit l’expansion internationale des États-Unis, ce que l’on va appeler l’« impérialisme américain » à la suite d’Henri Hauser11. « Empire économique » et « empire militaire », cet empire américain s’affirme aussi comme un « empire culturel » au service de la démocratie dans le monde.

Depuis le 3 août la France est alors en guerre avec l’Allemagne et le premier conflit mondial amène provisoirement la France à se couper du continent américain.

Le « rayonnement messianique » de la France en Amérique latine : la « redécouverte des Amériques »

Les deux centres français et nord-américains du rayonnement messianique né de la « révolution atlantique » diffusent leur culture et leur savoir au XIXe siècle en Amérique latine. Parfois complices, parfois rivaux, France et États-Unis s’attachent à transplanter leur savoir et leur culture auprès des élites des anciennes colonies de l’Espagne et du Portugal. Ces dernières, pour construire leur propre nation, ont besoin de leur concours. Pour ce faire, dans la première moitié du XIXe siècle, le centre principal de « transplantation culturelle » vient de France dont les institutions, les académies et les sociétés savantes ont été renouvelées par la Révolution puis l’Empire. Sans avoir les moyens d’entreprendre, sauf exception, une conquête militaire sur le continent américain, contrairement à l’entreprise de la « grande nation » en Europe, puis des conquêtes coloniales en Afrique et en Asie, la France messianique diffuse en Amérique cette « transplantation culturelle » qui lui permet de propager son rayonnement et de maintenir son rang de puissance mondiale. Si les idées philosophiques des « Lumières » du XVIIIe siècle séduisent les élites coloniales qui ont conquis leurs indépendances, une des premières manifestations de cette « transplantation » consiste à élaborer un nouvel inventaire des ressources naturelles de ces nouveaux pays, ce que nous avons appelé la « redécouverte des Amériques12 ».

Les naturalistes français et l’inventaire des ressources naturelles des nouveaux pays indépendants

Les relations entre la France et ce qui va devenir l’Amérique latine concernent plusieurs centaines d’acteurs qui constituent de véritables réseaux. Quelques noms font apparaître des moments-clés de ces « transplantations ».

Deux types d’activité caractérisent ces mécanismes de « transplantation culturelle ». L’un est lié à l’éducation, au mode de vie et aux formes de sociabilité, leur « habitus », que connaissent les élites de ces pays. L’autre concerne les actions d’écrivains et de savants qui analysent dans ce contexte les inventaires des ressources naturelles du continent américain. Les opérateurs de ces activités scientifiques et artistiques génèrent ce rayonnement messianique.

Un nouveau mode de vie et de sociabilité provoqué par les « Libertadores » en Amérique hispanique et les indépendantistes de l’Empire du Brésil marque une rupture avec les monarchies ibériques. Les nouvelles élites sont confrontées à la construction de leur nation. La décision est prise en premier lieu de conserver la langue du colonisateur, l’espagnol et le portugais. Mais, si ces langues sont conservées, les nouveaux modèles de sociabilité créent des changements d’habitude et de comportement qui provoquent de nouvelles identifications des élites avec les nations d’Europe, plus particulièrement de France, héritées de la Révolution et devenues un des phares de la modernité. Si les pratiques des langues, celle de la langue espagnole et celle de la langue portugaise, maintiennent la prédominance des langues héritées de la colonisation, ces pratiques ouvrent des espaces novateurs portés par ces nouvelles nations révolutionnaires. Les nouveaux systèmes éducatifs mis en place, comme par exemple au Brésil celui qui découle de la loi sur l’enseignement primaire de 1827, et son décret additionnel de 1834, ou la création du futur collège Pedro II en 1828 qui symbolise le modèle de l’enseignement secondaire, sont directement inspirés du système français. Les nouveaux programmes qui en découlent sont adaptés aux pays. Les modèles de sociabilité, tels que le succès des « modistes » de la rue Ouvidor, l’essor du commerce du textile, des vins, des mouchoirs, des chapeaux, des bijoux, des livres etc. font émerger de nouvelles fascinations à l’égard des produits de luxe français. Même la langue portugaise au Brésil se trouve francisée. Les gouvernantes françaises employées par les grandes familles créoles initient les enfants « francisés » à la lecture de la littérature romantique dès 1820-1830. Quant à la pratique de la foi conjointement à celle de la langue, les congrégations des frères enseignants et des religieuses qui se répandent dans ces pays à partir des années1840-1850 conduisent à généraliser l’enseignement et la pratique du français.

Certes, sur le continent américain, l’émigration française n’est pas quantitativement prédominante en dehors de quelques noyaux de colonisation porteurs d’utopies, comme la colonie du Phalanstère fouriériste de Sahy dans le sud du Brésil 13, mais le poids de leur influence sur les différents aspects de la vie nationale favorise cet attachement à la culture française. Séduites, les élites sociales de ces pays nouvellement indépendants s’imprègnent de cette culture. Un écrivain colombien commente : « Sans qu’on fermât jamais le passage au courant d’idées d’autres origines, la France fut, pendant le XIXe siècle, un des pôles par où passe le méridien de notre culture14 ». Certains libraires, évidemment, participent à ce rayonnement, en installant leur commerce de livres français et d’autres produits dérivés dans les capitales de ces États comme les libraires Garnier ou Anatole-Louis Garraux à Rio. Des relations sont aussi établies entre les révolutionnaires français et les Libertadores sud-américains. Le choix de Francisco Miranda (1750-1816) de s’installer à Paris en juin 1792 et de s’éloigner provisoirement de Londres pour s’engager auprès des révolutionnaires, après avoir servi dans les armées des « insurgents » en Amérique du Nord, est symbolique.

Dans ce contexte, un des premiers inventaires des ressources naturelles de ces pays est réalisé par Aimé Bonpland (1773-1858) et Alexandre de Humboldt (1769-1859). De juin 1799 à août 1804, ces deux voyageurs, l’un médecin et botaniste venu de France et l’autre savant et noble allemand séduit par la Révolution Française, parcourent pendant cinq ans le continent alors colonie de l’Espagne de Caracas à Lima et de Cuba au Mexique pour inventorier les ressources du sol et du sous-sol de ces pays, tout en décrivant le mode de vie de leurs habitants. La tâche est immense et les publications qui en résultent, comme le Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, dû surtout à la plume de Humboldt, font l’objet de plus de trente volumes dont les éditions s’échelonnent de 1805 à 1834. Tous deux, au retour de leur voyage, connaissent une brillante carrière scientifique souvent en relation avec le milieu académique du Muséum d’histoire naturelle de Paris ou de l’Académie des sciences. Bonpland est introduit auprès de l’impératrice Joséphine (1763-1814) après le sacre de l’Empereur. En relation ensuite avec bien des Libertadores du continent, il est confronté à la chute de l’Empereur en 1815. Il décide alors en 1816 de s’exiler sur les rives du Rio de la Plata à Buenos Aires où il arrive en janvier 1817. Le nouveau territoire autour de l’estuaire de la Plata est indépendant depuis 1810. À partir de 1812, les Libertadores de Bolivar contribuent militairement à rendre indépendants, au prix de conflits sanglants, les autres vice-royaumes de l’Espagne. Les rives de la Plata l’attirent, d’autant plus qu’il ne connaît pas cette partie de l’Amérique et qu’il y est convié par certains hommes politiques comme Rivadavia (1780-1845) pour créer un muséum d’histoire naturelle local. Pourtant l’un des conseillers de Bolivar, le naturaliste Francisco Zea (1783-1830), a bien essayé de l’attirer à Caracas. Bonpland va vivre 41 ans, jusqu’à sa mort, dans cette région de la Plata. Il traverse bien des aventures, notamment au Paraguay puis est confronté aux guerres civiles opposant certains « caudillos » face aux interventions des navires français et anglais dans l’estuaire. S’il ne parvient pas à fonder un muséum avant 1855 à Rosario, il entreprend de réaliser l’exploitation de ses différentes propriétés agricoles, s’attache à la culture du maté, puis à l’élevage des moutons. Son objectif est de valoriser économiquement les ressources naturelles de ces régions pour leur permettre de trouver un nouveau produit miracle, comme ceux qu’exportent alors d’autres États d’Amérique, tels le café ou le cacao. Après sa mort en 1858, l’Argentine va d’ailleurs produire, pour l’exportation vers l’Europe, la laine, la viande de bœuf ou de mouton, et le blé. Mais pendant ses quarante années de vie dans cette région, le voyageur-médecin installé dans ses propriétés le long du Paraná ne parvient pas à valoriser suffisamment les produits agricoles qu’il cultive. Par exemple, le maté ne devient pas un produit d’exportation comme il l’avait espéré15.

D’autres voyageurs s’installent en Amérique du Sud selon la même logique d’attraction des élites bolivariennes. Jean-Baptiste Boussingault (1802-1887), le chimiste, sorti de l’École des mines de Saint-Étienne, se met au service de Bolivar dans les États issus du vice-royaume de Nouvelle -Grenade. Il exploite des mines dans les Andes, crée différentes écoles spécialisées dont une École des mines, et contribue même à la fondation du Musée de Bogotá.

Cependant, tous les naturalistes français ne partent pas dans ces nouveaux États indépendants à la demande des Libertadores ou pour échapper à la chape de plomb que connaît la France de la Restauration. Le naturaliste Auguste de Saint-Hilaire (1799-1853), par exemple, part au Brésil lui aussi en 1816 et accompagne le duc de Luxembourg, représentant de Louis XVIII, dans ces contrées. Il reste jusqu’en 1822 et explore la flore de plusieurs de ces provinces méridionales. Il publie à son retour plusieurs volumes de première importance qui lui permettent de succéder au botaniste Lamarck (1744-1829) à l’Académie des sciences.

Si les pays de la Plata exercent une fascination sur Aimé Bonpland, si le nord de l’Amérique du Sud, de Caracas à Lima, attire Boussingault et si Auguste de Saint-Hilaire se passionne pour le Brésil méridional, un autre naturaliste parcourt le sud du continent et trouve en Bolivie son laboratoire de recherche : Alcide d’Orbigny.

Des naturalistes aux ethnologues : d’Orbigny et L’Homme américain

Cet autre voyageur rochelais part en 1826 et reste sur place huit ans, ne revenant en France qu’en 1834. Le quadrillage du continent entrepris sous l’égide du Muséum d’histoire naturelle de Paris lui donne une place de choix dans le progrès des connaissances scientifiques. Même si le Voyage dans l’Amérique méridionale… d’Alcide d’Orbigny ne commence à être publié qu’en 1835 et si son septième tome ne voit le jour qu’en 1847, l’œuvre volumineuse d’Alcide d’Orbigny clôt cet immense chantier naturaliste initié dans le cadre de ce « rayonnement messianique » commencé par Aimé Bonpland et Alexandre de Humboldt. D’Orbigny décrit les nombreuses ressources naturelles qu’offre le continent depuis ses façades maritimes, de l’Atlantique au Pacifique jusqu’au cœur de cet immense territoire en Bolivie. De ses travaux de géologie à ses recherches de paléontologie, il intègre l’Amérique du Sud dans les débats qu’un Darwin (1809-1882) va théoriser dans ses classifications des espèces et leur évolution. Toutefois, d’Orbigny n’est pas seulement un naturaliste éminent de plus qui prend place dans la liste des explorateurs du XIXe siècle. Selon la belle expression de Philippe de Laborde-Pédelahore, de « dernier des naturalistes », il devient aussi le « premier des ethnologues16 ». Dans le tome IV de son Voyage…, il publie en 1839 L’Homme américain de l’Amérique méridionale, considéré sous ses rapports physiologiques et moraux. Avec cet ouvrage, d’Orbigny dresse un tableau complet des populations indigènes de l’Amérique du Sud qu’il subdivise en trois races. Ce tableau pose la première pierre de l’édification d’une science ethnologique dans laquelle ethnologues et anthropologues vont s’engouffrer. À la même période, les archéologues se distinguent et les antiquités des sociétés précolombiennes sont redécouvertes.

Les archéologues en quête de l’Amérique précolombienne

L’initiative en France vient d’Alexandre Lenoir (1761-1839), l’ancien conservateur du Musée des Monuments français né sous la Révolution. Alexandre Lenoir est l’un des responsables de la publication, en 1834 et 1836, de deux volumes d’un manuscrit écrit par un capitaine de l’armée napoléonienne, Dupaix, en mission au Mexique, qui se rend dans l’isthme de Tehuantepec et évoque les pyramides mayas de Mitla et de Palenque. Les pyramides sont à la mode depuis l’expédition d’Égypte de Bonaparte. Les Antiquités mexicaines sont redécouvertes en France. Le Mexique attire alors l’attention du public européen avec les récits de l’historien des voyages et bibliophile Henri Ternaux-Compans (1807-1864) dans sa Bibliothèque américaine. Puis, revenant du Mexique en 1840, après un séjour de dix années, le diplômé de l’École des Beaux-Arts Joseph Aubin (1802-1891) sort des presses son Essai sur la théogonie mexicaine. Joseph Aubin se lance dans le déchiffrement des codex et la valorisation des objets des civilisations aztèque et maya. Enseignant à l’Université de Paris, il devient un des fondateurs de l’archéologie américaine dont ses disciples, l’abbé Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg (1814-1874) et Désiré Charnay (1828-1915), vont profiter sous le Second Empire.

Le Pérou et le monde andin bénéficient eux aussi des travaux d’un autre archéologue Léonce Angrand (1808-1886), un agent consulaire nommé à Lima en 1833. Les antiquités andines des rives du lac Titicaca et le site de Tihuanaco sont désormais mieux connus grâce à Léonce Angrand17.

Avec Charles d’Orbigny, les débuts de l’ethnologie et de la paléontologie sont abordés par les origines de L’Homme américain en Bolivie, alors que les antiquités mexicaines et les antiquités péruviennes sont réintroduites par Joseph Aubin et par Léonce Angrand dans le passé précolombien des colonies espagnoles. L’inventaire des ressources naturelles et humaines du continent américain des anciennes colonies de l’Espagne et du Portugal est réalisé par Bonpland, Boussingault, Saint-Hilaire et d’Orbigny, aidés par les archéologues des mondes précolombiens. Il fait l’objet d’une nouvelle organisation réalisée par l’État en France en 1842 sous le gouvernement de Louis-Philippe (1773-1850). Le ministère de l’Instruction publique, qui est aussi ministère des Cultes et des Beaux-Arts, avec les ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Marine, créent le Service des missions scientifiques et littéraires. Le comte Francis de Castelnau (1812-1880) en est un des premiers bénéficiaires pour l’Amérique du Sud. En compagnie d’un ingénieur des mines, d’un médecin botaniste et d’un préparateur du Muséum d’histoire naturelle, le comte de Castelnau parcourt l’Amérique du Sud, de Rio à Lima, et l’Amazonie jusqu’à Belém de 1843 à 1847. Sa mission est l’une des premières missions de ce Service qui n’est dissous que près d’un siècle plus tard, en 1939. Ce Service des missions a coordonné alors plus de 2 300 missions scientifiques et littéraires dans le monde. Toutefois, l’Amérique latine n’occupe qu’une place secondaire, bien après les missions d’Afrique et d’Asie, mais ses travaux sont loin d’être négligeables.

Avec ce Service des missions, la volonté politique de l’État dans l’inventaire des découvertes du continent américain se trouve nettement affiché. Si l’Amérique du Nord n’est que faiblement concernée, le Mexique et surtout le Pérou en bénéficient particulièrement18.

La « mission artistique » française au Brésil

L’expérience de « transplantation culturelle » la plus réussie entre la France et le Brésil se réalise dans le cadre d’une « mission artistique » composée d’artistes français exilés opposés à la Restauration. Cette mission artistique concerne une vingtaine d’artistes accompagnant l’ancien Secrétaire général de l’Institut, Joachim Lebreton (1760-1819) et un membre éminent de l’Académie de peinture, disciple de David (1748-1825), Nicolas Taunay (1755-1830).

Joachim Lebreton et Nicolas Taunay, suivi par cinq de ses fils, rejoignent la cour du futur João VI (1767-1826), à Rio, afin de créer l’Académie royale des Beaux-Arts, ou École Royale des Sciences, Arts et Métiers. Font partie de cette mission artistique qui va initier les artistes brésiliens à l’art néoclassique européen, divers Français comme les peintres Auguste Taunay (1769-1824) et Jean-Baptiste Debret (1768-1848), le prix de Rome et architecte Grandjean de Montigny (1776-1850) et des sculpteurs. Mais si, à son retour en France en 1830, Jean-Baptiste Debret publie son Voyage pittoresque et historique au Brésil, d’autres artistes restent au Brésil comme le sculpteur Auguste Taunay, frère de Nicolas, et son fils Félix (1795-1881). D’ailleurs le petit-fils de ce dernier, Afonso d’Escragnolle Taunay (1876-1958), deviendra l’un des hommes politiques les plus influents du Paraná et un écrivain reconnu à l’origine de la reconstitution officielle de la mission artistique publiée en 1956. La dynastie des Taunay joue ainsi un des rôles culturels les plus importants dans ce Brésil de l’Empire de Dom Pedro II (1825-1891) et des premières années de la République. C’est aussi le cas de l’architecte Grandjean de Montigny qui fait construire plusieurs édifices publics et privés à Rio, comme le bâtiment de la Bourse ou celui de la Douane19.

Relié à la mission française, dans le domaine littéraire puis historique, le cas de Ferdinand Denis (1798-1890) fait aussi l’objet de cette « transplantation culturelle ». Arrivé à Rio en 1816, à l’âge de 18 ans, Ferdinand Denis devient Secrétaire d’un agent consulaire de la Restauration en poste à Salvador de Bahia où il demeure quelques années jusqu’en 1820. Revenu en France, il va devenir en 1841 conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Dès 1822, il publie un de ses premiers ouvrages sur le Brésil, Le Brésil ou histoire, mœurs, usages et coutumes des habitants… Cet ouvrage est réalisé en collaboration avec Hyppolite Taunay (1793-1864) – l’un des fils du peintre Nicolas Taunay –, qui en fait les illustrations. En 1837, Ferdinand Denis publie dans une grande collection des éditions Firmin-Didot « L’Univers, Histoire et description de tous les peuples », un ouvrage consacré au Brésil. De « Rastignac sous les Tropiques », selon l’expression de Laurent Vidal, Ferdinand Denis devient un des premiers « brésilianistes », comparant le Brésil aux sociétés européennes, mais décrivant en détail l’émergence « radicalement différente de la société brésilienne » et sa nationalité originale. Des lors, en France, le Voyage pittoresque… de Jean-Baptiste Debret et le Brésil de Ferdinand Denis dans les années 1830-1840 démontrent l’impact de la construction spécifique de ce pays par rapport à l’Europe20.

Des économistes à l’œuvre, Horace Say et le Brésil

Si les ressources naturelles et si les arts plastiques du Brésil ont fait l’objet d’opérations de « transplantation culturelle » de la France, son intérêt commercial et économique attire aussi l’attention des Français. Une famille d’économistes et d’industriels célèbres, la famille Say, lui porte un regard neuf. Jean-Baptiste Say (1767-1832) publie en 1815 le Catéchisme d’économie politique, mais cet admirateur d’Adam Smith (1723-1790) ne cherche cependant pas à connaître le Brésil. Il confie cette tâche à son fils Horace (1794-1860). Après avoir connu les États-Unis, ce dernier visite le Brésil en 1815 et s’attache à en analyser ses relations commerciales avec la France. Il cherche à comprendre le fonctionnement de son économie, le rôle de ses métaux précieux, de sa monnaie et de sa production sucrière. À son retour en France, il publie son Histoire des relations commerciales entre la France et le Brésil. Son édition de 1839 connaît un franc succès. Même si cet ouvrage se présente surtout comme un ouvrage technique, l’économie brésilienne est ainsi introduite dans les problématiques des maîtres du libre-échange et des lois de la science économique21.

Avec les naturalistes, les artistes et les économistes, le Brésil indépendant s’intègre dans la mouvance du « rayonnement messianique » de la France. Les familles régnantes prennent elles-mêmes leur place dans cette transplantation. Dès 1796, le futur Louis-Philippe, alors Duc d’Orléans, a tissé avec son troisième fils des relations avec les États-Unis. Lorsqu’il devient roi des Français en 1830, le Brésil impérial est particulièrement concerné par son intérêt familial. La sœur de l’Empereur Dom Pedro II épouse l’un des fils de Louis-Philippe en 1843. Et, en 1864, une des filles de Dom Pedro épouse Gaston d’Orléans (1842-1922), le comte d’Eu, petit-fils de Louis Philippe. Il n’est donc pas étonnant que Dom Pedro II se révèle admirateur de la France. Il entreprend par exemple, en 1869, de fréquents entretiens personnels avec le diplomate écrivain et ministre de France à Rio, Arthur de Gobineau (1816-1882).

Dom Pedro II, après la guerre conduite avec l’Argentine de 1865 à 1870 contre le Paraguay, où s’illustre le comte d’Eu, est surtout préoccupé par la réussite d’une politique de modernisation du Brésil qui doit surmonter la question de l’esclavage.

Transplantation culturelle et stratégie de la modernité en Amérique latine

Les ingénieurs français au Brésil

La modernisation, entreprise dès les années 1850 à l’initiative du baron-entrepreneur Mauá (1813-1889), implique de développer de nouvelles technologies dont les transferts doivent se faire avec l’Europe industrielle. Déjà fasciné par l’Europe, Dom Pedro souhaite observer sur place sa modernité. Il a déjà pris des mesures de « transplantation culturelle » très positives et vient de réussir à faire en sorte qu’un astronome français de haut niveau, Emmanuel Liais (1826-1900), soit nommé par décret le 3 janvier 1871 directeur de l’Observatoire impérial de Rio. Emmanuel Liais était venu au Brésil en 1858 pour observer une éclipse totale de soleil. Envoyé au Brésil par l’Observatoire de Paris, dont il était le directeur adjoint, Emmanuel Liais, en relation avec l’École Polytechnique, avait contribué à la mise en place en France d’un réseau national télégraphique de météorologie. Après l’observation de l’éclipse, il demeure au Brésil pour participer à la création d’une commission impériale de travaux géographiques et géodésiques. Comme des réseaux d’enseignement scientifique et technique réorganisant les écoles d’ingénieurs se mettent en place au Brésil, Emmanuel Liais établit un pont entre ses travaux personnels d’astronomie et de mathématiques et l’Observatoire de Rio. Grâce à sa nomination comme directeur de l’Observatoire impérial, l’institution renouvelle ses objectifs et impulse le développement de relations scientifiques avec la France.

Dom Pedro part plusieurs mois en Europe à partir de mai 1871. Il voyage d’abord au Portugal, l’ancienne métropole coloniale, puis en France, en Angleterre, en Autriche et même en Égypte, cette Égypte mise à la mode par l’inauguration du canal de Suez, avant de revenir au Brésil en mars 1872. Son séjour en France se situe dans une période de crise où éclatent les mouvements de la Commune, à la suite de la guerre franco-prussienne. Il parvient néanmoins à se rendre à l’Académie des sciences et à transmettre des informations sur les travaux que viennent de réaliser au Brésil des membres associés français du laboratoire de chimie industrielle de l’École Polytechnique de Rio. Il rencontre aussi Louis Pasteur (1822-1895), alors directeur des études à l’École normale supérieure et Claude Bernard (1813-1875) le célèbre médecin physiologiste qui enseigne au Collège de France et est en train d’établir de nouveaux rapports entre la médecine et la biologie. Les relations entre Dom Pedro II et Pasteur sont chaleureuses. Elles vont donner naissance à un grand projet de coopération franco-brésilien. L’acteur principal de ce projet est Henri Gorceix (1842-1919). Gorceix, préparateur à l’École normale, géologue, issu de l’École des Mines de Saint-Étienne, revient de Grèce où il a séjourné comme jeune scientifique à l’École française d’Athènes. Plusieurs ingénieurs de l’École des Mines de Paris espèrent trouver l’opportunité de faire travailler au Brésil dans la province du Minas Gerais de jeunes géologues français. Gorceix va être l’homme de la situation. Il arrive à Ouro Preto comme directeur de l’École des Mines de la province de Minas Gerais en novembre 1875 et y restera jusqu’en 1891, deux ans après l’instauration de la République, le 15 novembre 1889.

Depuis l’indépendance du Brésil, la région minière du Minas Gerais attire ingénieurs et géologues pour identifier de nouvelles ressources naturelles qui ont fait la richesse du Portugal grâce à l’exploitation de ses métaux précieux, l’or et les diamants. Jean de Monlevade (1791-1872), ancien élève de l’École Polytechnique et ingénieur de l’École des Mines de Paris, y séjourne depuis 1817. Il a fondé en 1825 une usine sidérurgique d’excellente réputation. Le fils de Jean de Monlevade épouse en 1856 à Rio la fille du chambellan de Pedro II. Créer une école des mines à Ouro Preto pour redynamiser l’économie de cette région apparaît bien comme une opportunité exceptionnelle à Dom Pedro II qui favorise la venue de Gorceix pour former au Brésil toute une génération d’« ingénieurs modernes ». Et le projet voit le jour par décret en 1875.

Cette politique d’attraction des ingénieurs français au Brésil n’a pas seulement pour exemple le Minas Gerais, elle a aussi l’opportunité d’attirer à Recife un autre ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur de l’École des Ponts et Chaussées, Louis-Léger Vauthier (1815-1901). Appelé à prendre la direction des Travaux publics de la province de Pernambouc, Louis-Léger Vauthier demeure à Recife de 1840 à 1846. Il a l’opportunité d’établir des projets liant architecture et constructions de bâtiments. Il dessine le plan du théâtre de Recife avant de faciliter l’aménagement du port de cette ville, 60 ans plus tard, lorsque le Brésil entreprend alors de moderniser ses principaux ports, au tournant du XXe siècle pour accueillir les nouveaux navires à vapeur22.

Outre Henri Gorceix, Jean de Monlevade et Louis-Léger Vauthier à Recife, d’autres acteurs de cette « transplantation » entre la France et le Brésil, dans le domaine scientifique et technique, peuvent être évoqués comme Hercule Florence (1804-1879), au carrefour de l’invention des ressources naturelles du Brésil dont il dessine bien des planches en matière de botanique et de zoologie. Dès 1824, Hercule Florence fait partie de l’expédition d’un naturaliste russe, le baron de Langsdorff (1774-1852). Il assiste à la mort par noyade d’Adrien Taunay (1803-1828), l’un des fils de Nicolas Taunay. Il se lance dans les techniques de reproduction d’images utiles pour imprimer des gravures en inventant des techniques de polygraphie dès les années 1830, avant que les procédés de Jacques Daguerre (1787-1851) parviennent à fixer les images avec le daguerréotype.

Le Mexique et les « Científicos »

Si le Brésil est un des terrains de prédilection du « rayonnement messianique » français au XIXe siècle sur le continent américain, le Mexique constitue un autre laboratoire de ce rayonnement. Après avoir été redécouvert par les archéologues dans les années 1830-1850 et après avoir fait l’objet d’une intensive émigration de la part des habitants de Barcelonnette, le Mexique, annexé par les États-Unis en 1848-1850. Les États-Unis poursuivent leur marche vers l’Ouest vers le Texas, ce qui les conduit jusqu’au Pacifique. Michel Chevalier et des économistes saint-simoniens sont alors attirés par la découverte de l’or en Californie et y voient l’opportunité d’imaginer un projet géopolitique de repositionnement du Mexique. Le chef du parti bonapartiste, Louis Bonaparte, devenu Napoléon III, imagine alors de faire du Mexique la tête de pont du monde « latin » du continent américain. Cette « latinité » est d’abord définie par de jeunes écrivains du sud du continent, dans les années 1850. Ils réussissent à convaincre à la Cour impériale française l’impératrice d’origine espagnole Eugénie de Montijo (1826-1920). Entichée de leurs idées nouvelles, celle-ci intercède en leur faveur et ils sont mis en relation avec l’un des principaux conseillers de Napoléon III, Michel Chevalier. Michel Chevalier vient de faire signer un traité commercial de libre-échange entre la France et l’Angleterre en 1860. La « latinité » du Mexique, prônée désormais par Michel Chevalier dans son ouvrage Le Mexique ancien et moderne, trouve alors en Maximilien, le frère de l’empereur d’Autriche, un nouvel empereur à la tête du Mexique. Pour l’imposer sur son nouveau trône, Napoléon III confie à l’armée le soin d’intervenir en accord avec la Grande-Bretagne. L’intervention militaire est complétée par la création d’une « Commission scientifique du Mexique » créée en 1864 sous la haute autorité du Ministre de l’instruction publique, Victor Duruy (1811-1894), et des membres de l’Institut, dont Jean-Baptiste Boussingault ou Michel Chevalier. Plusieurs écrivains et archéologues réputés, dont l’abbé Brasseur de Bourbourg parrainent cette commission. Conçue sur le modèle de la commission constituée par Bonaparte lors de son expédition d’Égypte, la Commission du Mexique fait réaliser de nombreux travaux qui vont marquer la connaissance de ce pays. Le Mexique « ancien et moderne » selon l’expression de Michel Chevalier, est au cœur de l’actualité politique et de la latinité catholique. Avec la valorisation des antiquités mexicaines rapportées massivement par les troupes expéditionnaires de Napoléon III, dont la défaite militaire de 1867 a pour conséquence la mort de Maximilien, le Musée Américain du Louvre, créé en 1850, espère trouver une nouvelle vie, mais il revient aux sociétés savantes l’opportunité de créer véritablement cette « science américaine » en train de naître.

Plusieurs érudits, dont Léon de Rosny (1837-1914) ou le jeune médecin Ernest Théodore Hamy (1842-1908) vont la concevoir.

Les sociétés savantes et l’invention de l’américanisme : une comparaison possible avec l’invention de l’orientalisme ?

La Société d’Ethnographie, américaine et orientale, fondée par Léon de Rosny mais aussi par Brasseur de Bourbourg et Joseph Aubin en 1859, la Société d’Anthropologie fondée la même année, et le Comité d’Archéologie Américaine créé en 1863, vont développer de nombreuses études au carrefour de l’anthropologie physique, de l’ethnologie et de l’archéologie et fonder l’américanisme. Dans la continuité de la découverte de L’Homme américain par Alcide d’Orbigny, le Musée d’Ethnographie du Trocadéro, dont la direction est confiée à Ernest Théodore Hamy, est ouvert au public en 1882. La Société des Américanistes présidée par Ernest Théodore Hamy se trouve installée à Paris en 1895, dans la foulée du Congrès international des Américanistes de Nancy de 1875. Désormais l’américanisme est né.

Toutefois, deux ans plus tôt, en 1873, il crée à Paris, sous l’impulsion de Léon de Rosny, le premier Congrès international des orientalistes. Léon de Rosny est d’abord un spécialiste du Japon, un Japon qui s’ouvre au monde en 1868 avec le début de l’ère de Meiji et dont la vague du japonisme illustre les arts européens. La curiosité intellectuelle de Léon de Rosny l’a aussi porté vers l’Amérique indienne. La Société d’ethnographie a amplement stimulé ses connaissances comparées entre l’Asie et l’Amérique. Cette Société édite notamment la Revue orientale et américaine dont il est une des chevilles ouvrières. Entre orientalisme et américanisme, Léon de Rosny s’efforce de construire des ponts.

Edward Saïd (1951-2003) publie en 1978 un ouvrage révolutionnant la vision de l’orientalisme scientifique : L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident23. Edward Saïd s’attache à montrer comment s’articulent le discours scientifique de l’orientalisme sur les relations politiques conquérantes des puissances occidentales implantées en Orient. L’Occident, surtout la France et la Grande-Bretagne, mais aussi l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis, ont ainsi inventé l’orientalisme. Cet orientalisme engage les sciences sociales à réinterpréter ses relations avec les pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient mais aussi d’Asie, de l’Inde à la Chine, l’Indochine et le Japon.

Dans la foulée du congrès international des orientalistes de 1873, la France crée en 1898 la Mission archéologique d’Indochine dont la péninsule est conquise à partir de 1883 et se trouve administrée par Paul Doumer (1857-1932) à partir de 1897. L’École Française d’Extrême-Orient (EFEO) voit le jour en 1900-1901. Léon de Rosny, élu directeur à l’École Pratique des Hautes Études en 1903, publie de nombreux travaux aussi bien sur le Japon, la Chine, le bouddhisme, que sur l’Amérique précolombienne, contribuant aussi à la fondation de l’Alliance scientifique universelle. Quant à la Chine, les Jésuites français fondent l’université Aurore à Shanghai entre 1898 et 1903, avec le concours des ministères des Affaires étrangères et de l’Instruction publique.

Une analyse comparée des travaux des orientalistes animée par Léon de Rosny et des travaux des américanistes animés par Ernest Théodore Hamy ne pourrait-elle pas contribuer à dresser de l’américanisme une autre perception de cette « science américaine » que le XIXe siècle a mise en œuvre ? Une comparaison des activités de l’université Aurore à Shanghai et de l’université de São Paulo dans les années 1930 ne pourrait-elle pas être même esquissée ?

Par ailleurs une des pistes de recherche de l’impact de cette science américaine d’origine européenne consiste par exemple à analyser les noms des lieux identifiés pour identifier les aspects géopolitiques du Nouveau Monde et permettre de réinterpréter les querelles des historiographies nationales rivales nées dans les pays colonisateurs européens, sur un continent dès lors éclaté.

Certains de ces lieux vont porter de nouveaux noms dans la cartographie à partir de l’obtention de l’indépendance de ces « jeunes nations ». À l’époque des découvertes puis avec la colonisation, des mots-clés dont la plupart sont toujours utilisés définissent ce « Nouveau Monde » tels « Orbe novo » (Pierre Martyr d’Anghiera, 1457-1526), les « Indes » et les « Indiens » (Andrés Bernaldez, 1415-1513) avec le Conseil des Indes localisé à Séville, les mots mêmes d’« Amérique » avec les lettres de Vespucci (1454-1522) et la carte de la « quatrième » partie du monde du géographe Waldseemüller(1470-1520) ; l’île « Espagnole » (Hispaniola) découverte par Christophe Colomb (1451-1506) devient « Santo Domingo », puis « Haïti » ; la « Juana » deviendra « Cuba » etc. Ce sont quelques exemples, comme d’ailleurs le terme de « Nouvelle Espagne », la « Nouvelle Castille », ou encore la « Nouvelle-France », la « Nouvelle Angleterre », et même la « terre de braise » ou « Brésil »… Les villes de Rio de Janeiro ou de São Paulo ne sont que quelques-uns des multiples exemples de cette appropriation par la cartographie du continent des nations européennes. Quelques mots-clés comme « Amérique » font même l’objet de débats érudits de nos jours comme le montrent les travaux classiques d’Edmundo O’Gorman (1906-1995) ou ceux de Germán Arciniegas (1900-1999)24. Mais il n’y a pas que la nouvelle cartographie de l’Amérique qui illustre l’impact européocentrique de la colonisation européenne de la mémoire. Dès le moment de la « découverte » devenue « rencontre des mondes », lors du Cinquième centenaire en 1992, « la capture des mémoires » de ces sociétés amérindiennes leur fabrique un passé rattaché à la chrétienté. Serge Gruzinski vient d’en proposer une « exploration inédite » lors des débuts de l’expansion coloniale. Si Edward Saïd trouve dans l’orientalisme un Orient créé par l’Occident, Serge Gruzinski montre comment « l’Europe chrétienne fabrique l’histoire américaine dès le XVIe siècle25 ». Dès lors, l’américanisme, qui triomphe à la fin du XIXe siècle à partir des années 1875-1880, intègre l’Amérique dans un savoir « transposé dans l’espace atlantique ». Dans les années 1875-1880, l’américanisme intègre même le Canada et d’abord, naturellement, le Québec, dont la France contribue au réveil intellectuel.

Réintroduire le Canada et le Québec dans l’Américanisme

En 1855, les relations diplomatiques entre la France et le Québec sont rétablies. Les Canadiens français sont très satisfaits de la visite de la corvette La Capricieuse au Québec. En 1882, Hector Fabre (1834-1910), le premier agent général de la province du Québec, arrive à Paris et il y demeure jusqu’en 1910. À partir de 1893, toute une série de visites mémorielles sont organisées en France, de Honfleur à Brouage, de La Rochelle à Saint-Malo, et en 1898, commence une phase une phase de statuomanie consacrée à Champlain. La statue de Champlain à Québec, œuvre de deux Français, un sculpteur, Paul Chevré (1866-1914), et un architecte, Paul A. Le Cardonnel (1880-1908), est dressée devant le château Frontenac. Dans le domaine de la langue française, Ferdinand Brunetière (1849-1906) effectue des conférences. En 1906, André Siegfried (1875-1959) publie un ouvrage choc : Le Canada. Les deux races. Son père, Jules Siegfried (1837-1922), conseille Gabriel Hanotaux (1853-1944), ministre des Affaires étrangères de 1894 à 1898, pour développer des relations étroites avec le Canada français et les États-Unis. En novembre 1909 est créé à Paris le « Comité France-Amérique ». Gabriel Hanotaux en assure la présidence afin de « mieux faire connaître l’Amérique à la France et la France à l’Amérique », celle du Nord comme celle du Sud. Un peu avant, dès 1908, à l’occasion de la célèbre célébration nationale du troisième centenaire de la fondation de Québec, des fêtes historiées se multiplient au Canada avec des acteurs français. La diplomatie culturelle facilite par exemple les tournées de Sarah Bernhardt (1844-1923), au Québec comme au Brésil. L’année 1912 marque d’ailleurs un moment fondamental des relations de la France avec le Québec et les États-Unis lorsqu’est organisée la « Mission Champlain » qui conduit bien des Français dans les deux pays.

Une « latinité » nouvelle inventée pendant la Troisième République à la Sorbonne

Ernest Théodore Hamy, le médecin américaniste, publie en 1906 une des premières biographies d’Aimé Bonpland, Aimé Bonpland médecin naturaliste explorateur de l’Amérique du Sud. Cet ouvrage couronne la carrière scientifique du président de la Société des Américanistes. Ayant édité les Lettres américaines d’Alexandre de Humboldt en 1905, Hamy a découvert Bonpland à travers Humboldt et prononce un discours d’ouverture au Congrès international des américanistes de Stuttgart de 1904, à l’occasion du centenaire de leur retour en France.

Ainsi, entre la conférence de Washington sur le commerce du continent de 1889, marque de la création du panaméricanisme, et la création à Paris de la Société des Américanistes en 1895, l’américanisme trouve son originalité dans le « rayonnement culturel messianique » de ces deux États, les États-Unis et la France, qui affirment apporter au monde la liberté de part et d’autre de l’Atlantique. Toutefois, la « latinité » du continent au sud des États-Unis, caractérisée par Michel Chevalier dans les années 1860, présente alors une orientation nouvelle dans une troisième République que la Sorbonne rénovée s’attache à promouvoir.

Cette nouvelle « latinité » de l’Amérique des anciennes colonies de l’Espagne et du Portugal, bénéficie de la création en Sorbonne le 4 février 1908 du « Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l’Amérique latine », quelques mois avant la création du « Comité France-Amérique ». Le président fondateur du Groupement, le mathématicien Paul Appell (1855-1930), doyen de la Faculté des sciences de Paris et membre de l’Académie des sciences, apprenant que le médecin et philosophe Georges Dumas (1866-1946) doit se rendre en mission au Brésil, le sollicite pour représenter le Groupement. Le succès de la mission de Georges Dumas au Brésil est considérable. Le fondateur, avec Pierre Janet (1859-1947), du Journal de psychologie normale et pathologique est d’autant mieux accueilli qu’il vient de publier un ouvrage intitulé Psychologie de deux messies positivistes, Auguste Comte et Saint-Simon. Or la République brésilienne, instaurée en 1889, notamment par Benjamin Constant Botelho de Magalhães (1836-1891), représente l’inspiration positiviste et scientifique des militaires ayant fomenté le coup d’État contre l’Empire26. Une nouvelle génération d’écrivains brésiliens émerge alors avec le régime républicain et la fondation de l’Académie Brésilienne des Lettres, en 1896, et trouve parmi les écrivains français, de Jaurès (1859-1914) à Clemenceau, de nouveaux modes d’expression.

Si le positivisme hérité d’Auguste Comte a trouvé bien des adeptes au Brésil, il en est de même au Mexique. L’arrivée au pouvoir de Benito Juarez (1804-1872), après la défaite de Maximilien, coupe le Mexique de l’influence latine et catholique exportée par les membres de la Commission scientifique. Mais, avec l’arrivée au pouvoir de Porfirio Diaz en 1876, le Mexique, engagé dans une politique de modernisation industrielle, fait appel à une nouvelle génération d’intellectuels, les « científicos », pour conseiller Porfirio Diaz (1830-1915). Parmi ces « científicos », très marqués par les idées positivistes, l’un d’entre eux occupe une place essentielle dans cette politique de modernisation, José Limantour (1854-1935). D’ascendance française, Limantour devient ministre des finances en 1893 et, avec les « científicos », fait émerger un projet national de construction du Mexique nouveau. La nouvelle oligarchie aspire à transposer les civilisations européennes et nord-américaines dans ce nouvel État moderne. Toutefois, introduire dans ce projet le souvenir archéologique des anciennes civilisations précolombiennes, et la place des Indiens ou des populations métisses dépossédées de leurs terres, pose un problème aigu. La crise sociale éclate en 1910, alors qu’« indianisme » et « modernisme » ont façonné de nouvelles formes artistiques dans lesquelles s’engagent par exemple le poète Amado Nervo (1870-1919), très influencé par le nicaraguayen Ruben Dario (1867-1916) et le peintre Diego Rivera (1886-1957).

Dès lors, le caractère républicain de liberté intellectuelle « latine » des républiques sœurs sud-américaines et françaises, de part et d’autre de l’Atlantique, connaît avec le psychologue Georges Dumas au Brésil, et l’hispaniste Ernest Martinenche (1869-1941) dans les pays de langue espagnole du continent, de l’Argentine au Mexique, une politique de « transplantation d’action culturelle rayonnante » mise en place par la Troisième République. Au cœur de ce dispositif, figure l’idéologie latine de l’Amérique.

Conclusion : Du « rayonnement messianique » de la République française à la « latinité » nouvelle de l’Amérique et à l’invention d’une politique de « rayonnement culturel » (1883-1910)

Au même moment se greffe sur cette « transplantation latine » une politique beaucoup plus directive de promotion de la langue française avec la création de l’Alliance française à Paris en juillet 1883. Cette association est créée par les soins de l’ambassadeur Paul Cambon (1843-1924) et de l’infatigable inspecteur général de l’Instruction publique, Pierre Foncin (1841-1916), avec le soutien des ministères dont ils dépendent. Institution privée soutenue par l’État, l’Alliance française s’engage à promouvoir « la langue française dans les colonies et à l’étranger » pour rendre à la France, après sa défaite contre la Prusse, une image de marque internationale. Le modèle de fonctionnement de chaque Alliance est très original. Ainsi les directeurs et responsables des activités de cette Alliance sont le plus souvent des enseignants français. Mais dans toutes les villes où sont créées ces Alliances, qui dépendent de la législation de chacun de ces pays, leur conseil d’administration, dont le président, est composé de citoyens locaux. Le continent américain voit fleurir un nombre important de ces Alliances dès la création de l’association en France en 1883. En 1885, une Alliance est créée à Mexico. En 1886, une nouvelle Alliance est créée à Rio, ainsi qu’une autre à Cuba. Évidemment le Québec est immédiatement concerné, dès 1884. Quant aux États-Unis, de nombreuses villes ont l’opportunité de voir se créer des Alliances. Le quadrillage réalisé par l’Alliance française, qui reçoit des subventions du ministère des Affaires étrangères, se réalise partout dans le monde. Après avoir créé en 1909 le Service des Écoles et des Œuvres françaises à l’étranger, le ministère des Affaires étrangères « éprouve le besoin de fonder une structure administrative propre » : le 4 août 1910, il le transforme en Bureau des écoles et des œuvres françaises à l’étranger27.

Au moment où émerge la « latinité » de l’Amérique, portée par l’université française, au moment où l’Alliance française se répand dans le monde, plus particulièrement sur le continent américain, une politique de rayonnement et d’activités culturelles se met en place. Elle succède alors à cette phase de « rayonnement messianique » qui a profondément marqué le XIXe siècle. Une nouvelle ère de « transplantation culturelle » peut alors se dessiner de part et d’autre de l’Atlantique, dans un sens « Est-Ouest », comme le précise André Siegfried, avant que ne s’affirme la prépondérance Nord-Sud, après la Deuxième Guerre Mondiale dessinant cette « rose des vents » chère au politologue français28.

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Notes

1 Unesco, World Culture Report. Culture, Creativity and Markets, Paris, 1998 ; Casanova, Pascale, La République mondiale des Lettres, Paris, 1999 ; Warnier, Jean-Pierre, La mondialisation de la culture, Paris, 1999 ; Lipovetsky, Gilles ; Serroy, Jean, L’Écran global. Culture, médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Paris, 2007 ; idem, La Culture-monde. Réponse à une société désorientée, Paris, 2008 ; idem, L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, 2013 ; Mattelart, Armand, La Communication-monde, histoire des idées et de stratégies, Paris, 1991 ; idem, La mondialisation de la communication, Paris, 1996 ; idem, « Vers la mondialisation de la culture ? », in Encyclopædia universalis, 1996 ; Polanco, Xavier (dir.), Naissance et développement de la science-monde. Production et reproduction des communautés scientifiques en Europe et en Amérique latine, Paris, 1989 ; Wallerstein, Immanuel, The Modern World System, New-York, 1974 ; Braudel, Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, Paris, 1967-1975 (trois vol.) ; Chaunu, Pierre, L’Expansion européenne du XIIIe au XVe siècle, Paris, 1969 ; Gruzinski, Serge, Les Quatre Parties du Monde. Histoire d’une mondialisation, Paris, 2004 ; Bihr, Alain, Le Premier Âge du capitalisme (1415-1763). L’expansion européenne, Paris, 2018. Retour au texte

2 Aron, Raymond, Les Désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Paris, 1969. Ouvrage collectif, Modernidade. Art brésilien du XXe siècle, Paris, 1987 ; d’autre part, Dumont, Juliette, Diplomaties culturelles et fabrique des identités. Argentine, Brésil, Chili (1919-1946), Rennes, 2018. Retour au texte

3 Sodré, Nelson Werneck, Síntese da história da cultura brasileira, Rio de Janeiro, 1972 ; Martinière, Guy, « Nelson Werneck Sodré, l’historiographie marxiste et l’essor de la brasilianité », Nova Americana, n° 3, Turin, 1980 ; idem, Aspects de la coopération franco-brésilienne. Transplantation culturelle et stratégie de la modernité, Paris, 1982 ; idem, L’Amérique latine et le latino -américanisme en France (en collaboration avec Jacques Chonchol), Paris, 1985 ; Espagne, Michel ; Werner, Michael, Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIe-XIXe siècle), Paris, 1988 ; Espagne, Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, 1999 ; Frank, Robert, Pour l’histoire des relations internationales, Paris, 2012 ; Ory, Pascal, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, Paris, 1994 ; idem, L’histoire culturelle, Paris, 2004. Sur la notion de transfert de technologie cf. par exemple, Judet, Pierre ; Perrin, Jacques, Transferts de technologie et développement, journée internationale sur les transferts technologiques, Dijon, 1976 ; Perrin, Jacques, Les transferts de technologie, Paris, 1983 ; Lambert, Denis-Clair, Le mimétisme technologique du tiers-monde, Paris, 1979 ; Relations internationales, « Diplomatie et transferts culturels au XXe siècle », n° 115 et 116, 1983 ; Dulphy, Anne ; Frank, Robert ; Matard-Bonucci, Marie-Anne ; Ory, Pascal, Les relations culturelles internationales au XXe siècle, Bruxelles, 2010 ; Turgeon, Laurier et alii, Transferts culturels et métissages. Amérique, Europe XVIe XXe siècle, Québec, 1996 ; Rolland, Denis, Histoire culturelle des relations internationales. Carrefour méthodologique, Paris, 2004. Le concept de « transfert culturel » est aussi utilisé par Michel Riaudel, Caramuru, un héros brésilien, entre mythe et histoire, Paris, 2017. Retour au texte

4 Coombs, Philippe H., The Fourth Dimension of Foreign Policy: The Education and Cultural Affairs, New York, 1964 ; Dollot, Louis, Les relations culturelles internationales, Paris, 1964 ; Renouvin, Pierre ; Duroselle, Jean-Baptiste, Introduction aux relations internationales, Paris, 1964 ; Foucher, Michel (dir.), Atlas de l’influence française au XXIe siècle, Paris, 2013 ; Nye, Joseph S., « Soft Power », Foreign Policy, n° 80, 1990. Salon, Albert, L’action culturelle de la France dans le monde, Paris, 1981 ; Morrison, Donald, « The Death of French culture », Time Magazine, 30 décembre 2001. Retour au texte

5 Godechot, Jacques, Les Révolutions, 1770-1799), Paris, 1963 ; Melandri, Pierre, Le Siècle américain, une histoire, Paris, 2016 ; ces deux ouvrages rassemblent, chacun à leur manière, quantité de travaux qui dessinent les lignes de force de ce double messianisme. Solé, Jacques, Les Révolutions de la fin du XVIIIe siècle aux Amériques et en Europe, Paris, 2005. Retour au texte

6 Le concept de « jeunes nations » a été très utilisé par l’économiste François Perroux, L’économie des jeunes nations : Industrialisation et groupement de nations, Paris, 1962. Retour au texte

7 Roger, Philippe, L’Empire américain, généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, 2004 ; Marienstras, Élise, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Paris, 1976 ; sur la vieille amitié entre la France et les États-Unis, Salinger, Pierre, La France et le Nouveau Monde. Quatre siècles de relations franco-américaines racontées aux Français, Paris, 1976 ; Vincent, Bernard (dir.), La Destinée manifeste. Aspect idéologique et politique de l’expansionnisme américain au XIXe siècle, Paris, 1999 ; Fohlen, Claude, Thomas Jefferson, Nancy, 1992. Retour au texte

8 Cohen-Solal, Annie, Un jour ils auront des peintres, Paris, 2000. Retour au texte

9 Van Ruymbeke, Bertrand, Histoire des États-Unis, Paris, 2018. Retour au texte

10 Reclus, Armand, Panama et Darien, Paris, 1888 ; Siegfried André, Suez, Panama et les routes maritimes mondiales, Paris, 1940. Retour au texte

11 Queuille, Pierre, L’Amérique latine, la doctrine de Monroe et le panaméricanisme, Paris, 1969 ; Julien, Claude, L’Empire américain, Paris, 1968 ; Hauser, Henri, L’impérialisme américain. Études de politique extérieure des États-Unis, Paris, 1905 ; Siegfried, André, L’Amérique latine, Paris, 1949 ; Martinière, Guy, « L’expédition mexicaine de Napoléon III dans l’historiographie française », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1974, p. 142-173. Retour au texte

12 Bertrand, Michel ; Vidal, Laurent (dir.), À la redécouverte des Amériques. Les voyageurs européens au siècle des Indépendances, Toulouse, 2002 ; Martinière, Guy ; Vaultier, Jean-Bernard (dir.), Les Voyageurs charentais et la redécouverte des Amériques, Paris, 2016. Retour au texte

13 Vidal, Laurent, Ils ont rêvé d’un autre monde, Paris, 2014. Retour au texte

14 D’après Victor L. Tapié, Histoire de l’Amérique latine au XIXe siècle, Paris, 1945. Retour au texte

15 Martinière, Guy ; Lalande, Thierry (dir.), Aimé Bonpland, un naturaliste rochelais aux Amériques (1773-1858), Paris, 2010. Retour au texte

16 De Laborde-Pédelahore, Philippe ; Boone, Chantal, « Alcide d’Orbigny (1802-1857), dernier des naturalistes, premier des ethnologues », in Laissus, Yves (dir.), Les naturalistes français en Amérique du sud (XVIe -XIXe siècle), Paris, 1995. Retour au texte

17 Riviale, Pascal, Un siècle d’archéologie française au Pérou (1821-1914), Paris, 1996. Retour au texte

18 Idem. Retour au texte

19 Taunay, Afonso D’Escragnole, A Missāo artística, Rio, 1956 ; Bandera, Julio ; Xexéo, Pedro Martins Caldas ; Conduru, Roberto, A Missāo Francesa, Rio, 2003 ; Schwarcz, Lilia Moritz, O Sol do Brasil, Sāo Paulo, 2008 ; Leenhardt, Jacques, Jean-Baptiste Debret, voyage pittoresque et historique au Brésil, Paris, 2014. Retour au texte

20 Vidal, Laurent, « Ferdinand Denis observateur de la société brésilienne », p. 237-252, in Bertrand, Michel ; Vidal, Laurent (dir.), À la redécouverte..., op. cit. ; Riaudel, Michel, Caramuru…, op. cit. Retour au texte

21 Martinière, Guy, « Horace Say et le Brésil », Cahier des Amériques latines, n° 18, 1994. Retour au texte

22 Martinière, Guy, « Parcours d’ingénieurs français au Brésil au XIXe siècle », in Poncioni, Claudia ; Pontual, Virginia, Ponts et Idées, Louis-Léger Vauthier un ingénieur fouriériste au Brésil, Paris, 2009. Retour au texte

23 Saïd, Edward W., L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, trad. fr., Paris, 1980. Retour au texte

24 O’ Gorman, Edmundo, La Invención de América, Mexico, 1958 ; Arciniegas, Germán, Amérigo y el Nuevo Mundo, Madrid, 1990. Retour au texte

25 Gruzinski, Serge, La Machine à remonter le temps. Quand l’Europe s’est mise à écrire l’histoire du monde, Paris, 2017. Retour au texte

26 Arbousse-Bastide, Paul, « Sur le positivisme politique et religieux au Brésil », Romantisme, 1979, n° 23. Retour au texte

27 Frank, Robert, « La machine diplomatique culturelle française au XXe siècle », Relations internationales, n° 115, automne 2003. Retour au texte

28 Siegfried, André, L’Amérique latine, op. cit. Retour au texte

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Référence électronique

Guy Martinière, « Quelques jalons vers l’émergence d’une culture-monde de part et d’autre de l’Atlantique au XIXe siècle : transplantation ou transfert culturel et stratégie de la modernité », Reflexos [En ligne], 5 | 2022, mis en ligne le 07 novembre 2022, consulté le 26 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/reflexos/139

Auteur

Guy Martinière

Professeur émérite à l’Université de La Rochelle, Centre de Recherche en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA)

guymartiniere@gmail.com

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