Ngungunyane en circulations : images et objets d’un roi africain dans la production des savoirs coloniaux portugais du XIXe siècle

  • Ngungunyane in Circulation: Images and Objects of an African King in the Production of 19th Century Portuguese Colonial Knowledge
  • Ngungunyane em Circulação: Imagens e Objectos de um Rei Africano na Produção de Conhecimentos Coloniais Portugueses do Século XIX

Cet article propose une réflexion sur la production des savoirs coloniaux portugais au XIXe siècle à partir d’une étude des circulations d’images et d’objets échangeables représentant Ngungunyane et réalisés après son arrestation, en 1895. Partant d’une approche qui considère que les choses échangeables ont des « vies sociales » et des « biographies » (Appadurai/Kopitoff), il tentera de saisir les ambiguïtés et contradictions dans les valeurs d’échange qu’elles acquièrent, en fonction des régimes de valeur qu’elles traversent. La racisation du corps de Ngungunyane renforce une idéologie nationaliste impériale basée sur l’infériorisation et le déni d’autonomie du colonisé. Sur ce dernier plan, la fabrication et mise en circulation de paniers par Ngungunyane permet de penser comment un ordre peut être interrompu et les classements coloniaux brouillés.

This article proposes a reflection on the production of Portuguese colonial knowledge in the 19th century, based on a study of the circulation of images and exchangeable objects representing Ngungunyane and produced after his arrest in 1895. Starting from an approach that considers that exchangeable things have "social lives" and "biographies" (Appadurai/Kopitoff), he will try to grasp the ambiguities and contradictions in the exchange values they acquire, according to the value regimes they go through. The racialisation of Ngungunyane's body reinforces an imperial nationalist ideology based on the inferiorisation and denial of autonomy of the colonised. On this last level, Ngungunyane's manufacture and circulation of baskets allows us to think how an order can be interrupted and colonial classifications blurred.

Este artigo propõe uma reflexão sobre a produção do conhecimento colonial português no século XIX, baseada num estudo da circulação de imagens e objectos permutáveis representando Ngungunyane e produzidos após a sua prisão em 1895. Partindo de uma abordagem que considera que as coisas permutáveis têm "vidas sociais" e "biografias" (Appadurai/Kopitoff), tentará compreender as ambiguidades e contradições nos valores de troca que adquirem, de acordo com os regimes de valores por que passam. A racialização do corpo de Ngungunyane reforça uma ideologia nacionalista imperialista baseada na inferiorização e na negação da autonomia dos colonizados. Neste último nível, o fabrico e circulação de cestos de Ngungunyane permite-nos pensar como uma ordem pode ser interrompida e as classificações coloniais esbatidas.

Plan

Texte

Dans l’introduction du recueil The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective1 édité en 1989 par Arjun Appadurai, l’auteur met en avant l’idée que « les marchandises, comme les personnes, ont des vies sociales2 ». Appadurai fait référence au sociologue Georg Simmel3 pour qui la valeur « n’est jamais une propriété inhérente aux objets, mais […] un jugement que des sujets portent sur eux4 ». Il faudra alors s’interroger sur cette sphère intersubjective dans laquelle « la valeur émerge et fonctionne5 ». Et, afin de comprendre cette émergence sociale/intersubjective de la valeur – et cette idée est cruciale dans le contexte de cet article –, « […] nous devrons suivre les choses elles-mêmes, parce que leurs significations sont inscrites dans leurs formes, leurs usages, leurs trajectoires6 ». Appadurai rajoute ainsi que « […] même si d’un point de vue théorique les acteurs humains encodent les choses avec du sens, d’un point de vue méthodologique ce sont les choses-en-mouvement qui nous éclairent sur leur contexte humain et social7 ». Au fond, il y aurait comme une « biographie8 » des choses échangeables qu’il faudrait suivre. Mais une biographie qui ne serait pas, à mon avis, à reconstituer seulement à partir d’un passé et d’une dimension essentiellement temporelle mais, au contraire, à partir des espaces mêmes de circulation et des valeurs d’échange que ces choses acquièrent en fonction des « différents régimes de valeur qu’elles traversent9 ». Cette notion de « régimes de valeur » me paraît être un point conceptuel nodal. À quoi nous pourrions rajouter que « souvent les politiques de la valeur sont des politiques du savoir10 ».

Dans mon article, je reprendrai cet accent mis sur le rapport entre mouvement, contexte et signification, en associant la circulation physique d’une personne – le nkosi/roi11 nguni Ngungunyane (1850 ?-1906) dès son arrestation au Mozambique, en 1895, jusqu’à son exil aux Açores (1896-1906) –, à d’autres circulations, accomplies cette fois-ci par des images et des objets le concernant. Notons que dans le contexte colonial, ces parcours s’emboîtent et relèvent d’un savoir particulier qui produit un corps racialisé et infériorisé, renforçant les relations asymétriques entre la métropole et ses colonies. Le colonialisme a divisé géographiquement le monde en installant des frontières entre les territoires civilisés et ceux habités par les barbares ou les primitifs, ceux qui ne « théorisent » pas12. Le sujet colonial est « un sujet sans biographie et sans autobiographie13 ». En effet, la « différence coloniale14 » qu’institue le colonialisme supprime ce que Walter Mignolo appelle la « corpo-politique du savoir » (body-politics of knowledge15). Le point de vue colonial, qu’il désigne comme une « théo/égopolitique du savoir16 » est, en effet, une épistémologie du « point zéro17 », fondée sur l’imposition d’un savoir et d’un corps qui oblitère la diversité du « local », à la fois producteur de connaissance et d’agencements égalitaires. C’est ce regard en surplomb qui rend possible « […] l’infériorité que la classification impériale a attribué à chaque corps qui n’a pas satisfait aux critères de savoir […]18 » fixés par des colonisateurs.

Il s’agit ici alors de prendre au sérieux, dans ce contexte colonial portugais du XIXe siècle, le lien entre géopolitique et politique du corps et de voir comment le corps-en-mouvement de l’ex-roi Ngungunyane donne lieu au sein de l’espace impérial portugais à des significations qui s’articulent avec la construction du savoir colonial. Cependant, ces trajectoires ne nous permettront pas seulement d’étudier ces modalités d’infériorisation. Elles nous invitent à interroger, d’une part, l’ambigüité ou hétérogénéité des significations associées au roi, à ses images et à ses objets – dans certains cas ces significations passent étrangement du mépris à la valorisation ; et d’autre part, à comprendre comment ce corps arrive à se soustraire à ce regard universel imposé.

Je retracerai ainsi dans un premier temps la trajectoire à travers laquelle Ngungunyane deviendra la matérialisation de cette cartographie coloniale. Capturé et amené en Europe, traînant le résultat de ce partage impérial collé à sa peau, il est humilié devant la foule car il vient de ce lieu où la civilisation ne serait pas encore arrivée. Ce mouvement entraîne la transformation du corps du roi en marchandise : on vend des billets pour aller le voir au fort de Monsanto et on reproduit ce corps en images commercialisées. Les photographies circulent et migrent en gravures19 qui viennent gonfler les pages d’une presse dédiée à sa déchéance, ou en cartes postales qu’on s’arrache pour écrire à la famille et aux amis, ou pour collectionner, ou encore en peinture et céramique. Et bien sûr, tous ces circuits reconfigurent une nation impériale glorieuse renouant finalement avec son passé héroïque des « découvertes ». Dans la presse satirique de la fin du XIXe siècle, une presse elle-même d’une importance majeure au sein de ce siècle des périodiques et du début de la massification des informations, fleurit un autre type d’image, les cartoons. Ngungunyane sera une thématique prisée. Arrivera ensuite sur le marché la porcelaine : des objets « utiles » à usage domestique, comme des pichets, mais aussi des assiettes décoratives. Ces objets, jouant à la fois de la tridimensionnalité des formes, du toucher et du caractère intime et quotidien de leur usage, amènent au sein de chaque foyer la reproduction coloniale de l’écriture de l’histoire.

Mais dans l’analyse de la réception et circulation du corps du roi, des objets manufacturés par lui-même pendant son exil, des paniers, sèment le trouble : ils sembleraient à première vue ne faire qu’illustrer la façon dont la culture coloniale a pu stimuler et renforcer le nationalisme impérial portugais et enrichir ses expressions médiatisées. Or en fabriquant des paniers, Ngungunyane introduit lui-même des objets-marchandises dans la circulation, brisant les circuits précédents, les déplaçant ou introduisant d’autres valeurs d’échange qui interrogent la « biographie » de son corps-marchandise et la cartographie de ses circulations20. Ajoutons que, par cette fabrication, il récupère une place de sujet dans la circulation des objets échangeables ; une autobiographie s’amorce. Mais si nous suivons ces paniers, on découvre qu’une valeur inattendue entre en scène, la valeur que les personnes à qui il les a offerts (vendus ?) ont attribuée à ces objets pourtant dédiés à un usage quotidien banal et apparemment sans lendemain, en les sortant du circuit de leur fonction et en les transmettant comme legs, de génération en génération, jusqu’à ce que, récemment, ils soient offerts à divers musées21. Pourquoi leurs propriétaires ont-ils décidé de garder ces paniers d’osier fabriqués par un sauvage in-civilisé et alcoolique, à la sexualité débridée, qui ne produit pas de savoir ni de valeur et de les transformer justement en valeur d’héritage ? Qu’est-ce qui a été déplacé par cette mise en circulation inattendue dans le trajet défini de ces marchandises ? Ce sont ces questions autour de la valeur ambiguë entourant ces objets qui constituent la véritable énigme à résoudre. Une énigme à laquelle cet article essaiera d’apporter une réponse.

La capture et déportation du roi de Gaza : corps en mots, circulations et imaginaires d’empires

É um homem [Gungunhana] alto, […] testa ampla, olhos castanhos inteligentes, e um certo ar de grandeza e superioridade. […] Só direi que admirei o homem, discutindo tanto tempo com uma argumentação lúcida e lógica.
Ayres d’Ornellas,
Cartas d’Africa. Campanha do Gungunhana. 1895, [1895] 1930.

O dia de hontem pode-se bem dizer que foi de regosijo nacional. A chegada do Africa, que conduzia a bordo o famoso potentado negro, esse Gungunhana que durante muitos annos correu lenda de invencivel em terras de Gaza e que hoje repousa como qualquer simples vencido na fortaleza de Monsanto, era esperado com extrema anciedade.
« Chegada do Gungunhana e dos outros prisioneiros »,
Diário Popular, 31º Anno, n. 10:368, 14-03-1896.

Les deux dernières décennies du XIXe siècle ont été marquées par une forte concurrence entre différents projets européens de colonisation du continent africain. Cherchant à faire reconnaître ses droits sur la partie qui correspond aujourd’hui à la Zambie et au Zimbabwe, ce qui lui aurait assuré un territoire continu entre l’Angola et le Mozambique22, le Portugal est entré en conflit avec la Grande Bretagne. Afin de défendre son ambition de lier par chemin de fer Le Caire à la ville du Cap, celle-ci pose le 11 janvier 1890 un ultimatum aux Portugais en exigeant le retrait immédiat de toute présence portugaise dans cette région23. Le roi du Portugal, Dom Carlos Ier cède à la pression anglaise, ce qui provoquera une grave crise politique, la démission du gouvernement de José Luciano de Castro et, surtout, l’affaiblissement de la monarchie à un moment où les républicains devenaient chaque fois plus présents sur la scène publique. Le peuple portugais a vécu cette décision comme une profonde humiliation collective. Et dans le concert des puissances européennes, l’image du Portugal comme pays capable de s’imposer en tant qu’empire colonial était mise en cause. Rappelons que la conférence de Berlin (1884-1885) avait balayé le critère de la présence historique sur le continent, défendu par les Portugais, et ratifié à sa place la possession effective des territoires – même si juste en faisant référence au littoral africain24 –, autrement dit, la capacité militaire et politique de les occuper.

Même si tardivement arrivée sur le devant de la scène des empires coloniaux européens, en comparaison avec ces congénères, la Sociedade de Geografia de Lisboa25 milite très fortement, dès sa fondation en 1875, pour un « nationalisme expansionniste26 » qu’il faudrait plutôt appeler, en reprenant les termes de Miguel Bandeira Jerónimo, « nationalisme impérial27 ». C’est qu’en effet, la régénération du pays, seule voie de sortie envisagée face à la crise politique, économique et identitaire de cette fin de siècle passait (déjà) par la forme impériale de la nation portugaise. Jerónimo Bandeira écrit : « […] la deuxième moitié du XIXe siècle reste marquée par les efforts d’envisager la question impériale comme pilier central de la politique nationale et de la projection internationale du Pays28 ». En conséquence, « la régénération du projet impérial est devenu un « dessein historique » national […]29 ». Comme l’affirmait déjà clairement Luciano Cordeiro, un des fondateurs de la S.G.L. et sans doute un de ses grands instigateurs (et par ailleurs ami et grand soutien de Serpa Pinto), « “une société géographique portugaise” doit nécessairement commencer par s’occuper vivement de ce problème [africain] qui renferme pour notre patrie une question vitale (16 :7-7-1876)30 ». Car, la « S.G.L. considère comme objectif fondamental et seul moyen de défendre le Portugal de la menace de la perte de l’indépendance politique, la structuration d’une politique coloniale conséquente31 ». La question coloniale devient ainsi, non sans certaines résistances32, un double remède : à la maladie interne qui se propageait depuis le milieu du siècle, et à l’affirmation externe de l’indépendance nationale face aux appétits des autres puissances étrangères.

Dans sa « Chronica occidental » parue dans la revue O Occidente, João da Câmara voit dans l’arrestation de Ngungunyane un espoir, une lumière au fond du tunnel, puisque

[a] esperança acompanha-nos agora. Em meio da treva, aquelle sol glorioso, que outr’ora illuminou as façanhas dos velhos portuguezes, ergueu-se outra vez esplendente no céo. Desponta uma aurora nova. […] Ao ler a moderna historia da Africa portugueza parece-nos ter abertas ante os nossos olhos as paginas gloriosas das Decadas de Barros e de Couto33.

Déjà en janvier 1896, juste quelques jours après l’arrivée du télégramme annonçant la capture de Ngungunyane, Bento de França saluait cette victoire car elle permettait la régénération tant attendue de la patrie :

[…] [N]’elle synthetisam os póvos a consagração da victoria ; a alma nacional, avergada ha muito ao peso do abatimento moral, carregada de privações, avida d’esperança e de seiva vivificante, symbolisa no seu esforço o levantamento, a regeneração d’essa pátria amada, ilustre e famosa, que assombrou o orbe por via do sublime porta-voz dos Lusiadas…?34

La même tonalité régénérative anime le journal A Vanguarda :

É com o maior enthusiasmo e orgulho que recordamos os factos recemente passados que, fazendo-nos olvidar os assumtos que diariamente nos prendem, obrigando-nos a estudo aturado, á firme attenção, tiveram a faculdade de nos aquecer, de nos avivar remotos casos, trazer a actualidade eras passadas, estabelecer entre este povo apathico, descrescente, uma corrente animadora que obriga a transportes d’alma, que levanta como um só homem uma nação que ha muito declina. A flôr murcha, pendente, reanima-se quando a agua lhe invade as raizes35.

Et finalement, dans une des publications satiriques les plus radicales (et éphémères) du XIXe siècle portugais36, O Berro. Caricaturas de Celso Hermínio, nous pouvons lire, de la plume de João Chagas, cette approche originelle qui part d’une distribution inversée dans la responsabilité du déroulement des événements historiques :

Com efeito o Gungunhana operou em Portugal um tão completo movimento de idéas que nenhuma circumstancia historica poderia talvez provocar, e fez, com o simples facto de existir e de se deixar capturar n’uma tarde triste de desalento, mais e melhor que qualquer grande homem, ou a influencia de qualquer momentoso acontecimento. O Gungunhana foi providencial. Regenerou, restabeleceu, congraçou, fez esquecer, fez esperar. Antes d’elle supunha-se conflagrada uma nação inteira37 ;

On comprend donc mieux pourquoi l’ultimatum vient à la fois accélérer la crise politique nationale et vivifier un sentiment partagé de défense de l’empire comme socle de la nation. En évoquant Couto, Barros et Camões, les deux extraits de l’O Occidente laissent voir très clairement que la régénération de la patrie est ontologiquement liée à un passé expansionniste qu’il fallait reprendre. C’est dans ce contexte, à la fois interne et externe, que réussir les campagnes militaires contre le royaume de Gaza, le plus important foyer de résistance à l’occupation effective du territoire mozambicain38, devenait un enjeu majeur. Comme le souligne Fernando Rosas, les « campagnes militaires contre les Vátuas [sont] sûrement les plus célébrées par le nationalisme colonialiste lusitanien de la fin du XIXe siècle […]39 ». Car, « [d]ans l’imaginaire et l’histoire des Portugais, rien d’aussi exaltant n’aura été réalisé depuis le XVIe siècle en Orient40 ».

Le roi de Gaza était Ngungunyane, parfois aussi écrit Ngungunhane ou, dans la dénomination coloniale portugaise, Gungunhana. Après la conférence de Berlin, après l’ultimatum, et après les attaques perpétrées par les Tsonga contre Lourenço Marques en 1894, auxquelles prend part Matibejana, le « Régulo » de Zixaxa, l’anéantissement de Ngungunyane était pour la couronne portugaise un enjeu majeur.

Ngungunyane est né autour de 1850. Son vrai nom était Modungaziz, Mundagazi ou Mundagaz, mais il aurait choisi pour lui un autre nom qui voulait dire « l’invincible » ou plus fréquemment mentionné « le lion de Gaza41 ». Son grand-père était Sochangana/Manicusse, un angune/nguni42 (groupe zulu) qui vers 1821, venant de la région proche de Natal, aurait conquis en différentes phases un vaste territoire de près d’un million d’habitants qui s’étendait entre les fleuves Incomati et Zambèze. Une vaste région habitée par des groupes bantu (Chopes, Tsongas, Chonas) qu’il avait subjugués (le cas des Chopes est le plus virulent), fondant ainsi le « royaume » ou l’État de Gaza. Manicusse meurt en 1858, et dans une lutte de succession contre son frère Mawewe, Muzila, le futur père de Ngungunyane, arrive au pouvoir grâce au soutien des Portugais. Ngungunyane accède à son tour au pouvoir en 1885, en plein contexte de la conférence de Berlin et des disputes et traités entre puissances occidentales. Il est le roi d’un des plus grands royaumes autochtones de l’Afrique. À partir de 1889, Ngungunyane revient dans le sud, change son ancienne capitale – Mossurize remplace Manjacaze –, et se rapproche de la capitale de la colonie, Lourenço Marques. Cette proximité accélère la menace de déstabilisation du pouvoir colonial déjà fortement pressionné par les événements internationaux et des prétentions anglaises sur le Mozambique. Et contribue, finalement, à sa déchéance, comme on le verra.

Ngungunyane avait, dans une démarche tactique habile, sollicité à la fois l’appui des Anglais43 et des Portugais44. Les Portugais lui avaient attribué le grade de colonel de deuxième ligne et il se disait « femme du roi portugais45 », sans toutefois signer le traité de vasselage dans les termes formulés par les Portugais46, ce qui aurait en effet mis sous contrôle portugais son vaste territoire. Il entra en conflit ouvert avec les Portugais en 1894, quand il soutint la rébellion des Tsongas contre le pouvoir colonial et refusa de rendre aux colonisateurs les deux « régulos » insoumis, Mahazuli et Matibejana, qui lui avaient demandé protection. Le Portugal mène alors une campagne militaire importante contre lui et gagne, en 1895, plusieurs batailles cruciales : Marracuene (le 2 février), Magul (le 7 septembre) et Coolela (le 7 novembre), l’obligeant à abandonner la capitale de Gaza, Manjacaze (Mandlakasi, mot d’origine zulu), bombardée et brûlée par les Portugais le 11 novembre47. Affaibli48, Ngungunyane se réfugie dans le village sacré de Chaimite, là où avaient été inhumés ses ancêtres. C’est ainsi un roi largement fragilisé que le capitaine Mouzinho de Albuquerque arrêtera le matin du 28 décembre 1895. Ngungunyane avait déjà décidé de rendre aux Portugais Matibejana, un des deux « régulos » insubordonnés. Cependant ses relations avec l’Angleterre, ou sa possibilité de prendre à tout moment la direction du Transval49, étaient toujours des facteurs inquiétants50 pour les Portugais. Contre l’avis de Antonio Ennes, le gouverneur de la colonie entretemps parti au Portugal, Mouzinho décide d’attaquer Chaimite par surprise, amenant avec lui très peu de soldats. Il entre dans le village par un petit passage. L’absence de réponse de la part des guerriers de Ngungunyane lui permet de s’imposer rapidement et d’humilier le roi, dans une scène qu’il décrira dans son rapport, en l’obligeant à s’asseoir par terre, chose inacceptable pour un chef nguni51.

La capture de Ngungunyane, et cette scène en particulier, deviennent un élément central de la mythologie coloniale portugaise52 dans la refondation de son empire, après le déclin et/ou perte des possessions en Asie et au Brésil, issues de son expansion maritime, entre le XVe et XVIIe siècles. L’acte de Mouzinho de Albuquerque prédispose son auteur au mythe national et le Portugal à la gloire internationale53. La capture du roi nguni s’annonce désormais comme une « scène primitive » du colonialisme portugais prouvant la force de la civilisation (portugaise) sur la barbarie, et renouant ainsi avec son passé expansionniste glorieux.

Quelle trajectoire suivra Ngungunyane dans son exil ? Il ne part pas seul. Sept de ses femmes – Dabondi, Namatuco, Phatina/Patihina, Muzamussi, Lhésipe/Xesipe, Fussi, Machacha/Malhslha54 –, son cuisinier Gó, son fils Godide, son oncle Molungo, l’accompagneront. À ce groupe se joindra Matibejane (Nuamatibjana) que les Portugais détenaient déjà, livré à eux par Ngungunyane, et ses trois femmes, Debela, Oxca, Pamboni. Ils sont alors emmenés à Lourenço Marques où ils arriveront le 4 janvier.

La nouvelle de l’arrestation court vite. Coïncidant avec leur arrivée, mais à plusieurs milliers de kilomètres de distance, le Diário de Noticias55, un des principaux quotidiens de Lisbonne, réserve toute sa première page à la reproduction du télégramme annonçant la capture de Ngungunyane ; il est suivi par le reste de la presse. D’ailleurs, les journaux avaient dans le contexte des « guerres d’Afrique » ou « guerres africaines », les campagnes de « pacification » contre les foyers de résistance, un service régulier d’information, national et international.

Deux jours plus tard, le 6 janvier, Ngungunyane et ses compagnons seront publiquement présentés et rendus, officiellement, au Gouverneur Général intérimaire du Mozambique, Joaquim da Graça Correia e Lança. Obligés de monter sur une estrade dressée pour l’occasion devant la maison du Gouverneur, exhibés devant une foule hétérogène et bruyante, ils sont reconnus coupables de trahison contre le roi portugais56. Le Diário de Notícias du 12 février 1896 transcrit une lettre reçue de Lourenço Marques décrivant la préparation de cette installation et la foule qui s’est pressée d’arriver sur le point central que constituait la place 7 de Março : « Brancos, canarins, mulatos, pretos […]. Digno de se ver era o chinfrim que os pretos que assistiam a esta festa fizeram quando o Gungunhana subiu ao estrado57 ». L’auteur de la lettre observe que Ngungunyane conserve son sceptre de roi. Pourtant, selon lui, il aurait été préférable qu’il exhibe son uniforme de colonel, jadis offert par les Portugais (son épée et son chapeau, également, pourrait-on rajouter), car ils seraient ainsi obligés de le traiter selon ce grade. Une observation ironique qui visait l’humiliation mais qui est cependant prémonitoire : une grande partie du débat dans la presse portugaise, mené souvent par des publications critiques du régime, tournera autour du statut du prisonnier : un statut que nous pourrions très bien envisager comme un « régime de valeur » dans la logique de son corps-marchandise.

Quelques jours plus tard, le 12 janvier, et sur l’ordre du ministre de la Guerre, ils sont embarqués en compagnie de trente-et-un autres prisonniers58 sur le bateau de la marine de guerre África, en direction de Lisbonne. Après s’être arrêtés au Cap et à Luanda – où l’on a acheté des vêtements pour les prisonniers – et à Santiago, au Cap Vert, où les trente-et-un prisonniers additionnels ont été débarqués, le bateau arrive finalement devant la ville de Lisbonne, le 13 mars 1896. Le chaland-vapeur Trafaria les amènera sur terre.

À Lisbonne, tout le monde était au courant de l’arrivée proche de Ngungunyane, car depuis sa capture les journaux publiaient des télégrammes et autres informations à son sujet, sur les autres prisonniers et l’évolution de leur trajet. La recherche de photos de Ngungunyane devient un enjeu majeur pour cette presse qui doit maintenant satisfaire l’appétit et la curiosité visuelle de ses lecteurs. Et surtout ils avaient même été capables de publier une photo récente du roi nguni et de son entourage, prise lors de l’escale au Cap-Vert. Le Diario Illustrado est ainsi très fier de présenter à ses lecteurs, à la une de son édition du 15 mars 1896, des gravures inédites de Ngungunyane (en l’occurrence accompagné de deux de ses femmes et de son fils Godide), réalisées selon le journal à partir de photos prises l’une au Cap-Vert, et l’autre sur le bateau Africa59. Il est aussi fort intéressant la façon dont le journal explique la « nouveauté » « biographique » que ces images (re)présentent : c’est qu’en effet elles ne correspondent plus à un souverain redoutable, mais à la déchéance « physique » et « morale » d’un « vaincu ». Ce mot ne le lâchera plus.

As duas primeiras gravuras, a que se refere a ephigraphe, são completamente novas para os leitores do Diário Illustrado, que procura sempre, pela gravura que se veja, traser em dia os seus leitores sobre todas as actualidades de alcance e valor. O Gungunhana que temos dado é o do sertão, em toda a força da sua vida e do seu poderio; o que hoje damos é tal e qual como elle chegou a Cabo Verde, onde foi tirada a respectiva photographia, e pode dizer-se que representando o seu estado physico e moral no momento em que entrou em Lisboa60.

Je n’ai pas pu trouver la photo originale de la première gravure. Celle-ci montre Ngungunyane debout, habillé61, sa main gauche appuyée sur une espèce de poteau de balustrade, sa couronne est visible, mais il n’a pas son sceptre. Il est habillé d’une chemise sans col (la chemise « oxford » qui apparaîtra souvent dans les descriptions de la presse), il ne semble pas gros, a le visage préoccupé mais digne. C’est une photo/gravure qui ne circulera pas. La deuxième est au contraire une image de grande circulation : ici Ngungunyane est assis, torse nu, quelques colliers parant sa poitrine. Deux de ses femmes se tiennent debout, derrière lui. La dis-position de son corps, oblique, incliné vers la gauche, compose une très forte image de nostalgie et déchéance : les mains posées sur ses cuisses, les doigts à peine entrelacés sous son ventre replet. Sa couronne disparaît sous un tissu clair qui l’enveloppe. Pas de sceptre non plus. Derrière ces trois personnages, on entrevoit une masse humaine, un ensemble compact de voyageurs aux regards curieux.

Le jour de l’arrivée à Lisbonne, le bateau a à peine fait escale devant la ville qu’il était déjà encerclé par de nombreuses embarcations essayant de se rapprocher afin de voir l’ex-roi. Lisbonne est en fête avec des milliers de personnes dans les rues. On peut lire dans O Occidente, « [e]ra compacta a multidao desde o Arsenal, onde o famoso Vátua desembarcou até ao alto da avenida, por onde seguiu ate ao forte de Monsanto62 ». Ou dans Diário Popular : « De todos os lados mas na mesma direcção, centenares de pequenas embarcações, […] procuravam chegar junto do Africa. Uma vozeria estridente, uma agitação extraordinaria attrahia a attenção geral63 ». Ngungunyane et ses proches sont transportés en voiture ouverte au fort de Monsanto, obligés de traverser les principales rues de la capitale sous le regard et les quolibets des Lisboètes. Ils y resteront les trois mois suivants.

S’ensuivront au fil des jours des descriptions minutieuses de chacune de ses apparitions publiques, de tous les détails de son aspect physique, des mots prononcés pendant les interrogatoires. La presse s’intéressera beaucoup aux femmes et à sa polygamie, un sujet qui mériterait un article à part entière. L’alimentation des prisonniers occupe aussi une place importante et ceci avant même leur arrivée. D’une part on essaie de satisfaire la curiosité des lecteurs avec la description des possibles compositions des « menus » menant parfois à des débats sur leurs éventuels mœurs ; d’autre part, la question permettra aux républicains d’attaquer la monarchie. Soit parce le gouvernement en fait trop, soit parce qu’il n’honore pas le devoir d’État. Mais ce qui ressort de ces reportages et discussions est finalement la construction d’un corps menaçant : menaçant non pas, ou non plus parce qu’il s’agit d’un chef disputant un morceau du territoire que le Portugal veut faire sien, mais au contraire, parce qu’il peut devenir « trop » portugais. Au fond, tous ces discours s’accordent sur le danger d’annulation de cette différence coloniale qui protège les colonisateurs de leurs « autres ». La presse satirique va dans ce sens : le grotesque se prêtant à merveille aux discours doubles. Les poèmes/chansons, comme ceux d’Esculápio publiés dans Antonio Maria exemplifient ces ambiguïtés d’attribution d’un rôle, entre vaincu et perturbateur d’un ordre impérial et la distribution des corps qu’elle implique, une distribution qui, encore une fois, se traduit par un régime de valeur :

Vão vel-o de chapeu fino
alça justinha na perna
Sobrecasa moderna
Do primeiro figurino
Andar mais o seu menino
E a diversa parentella,
Todos de nova farpella
Com folhos em quantidade,
Passear pela cidade,
Feitos barões de Quintella64.

Le 23 juin 1896, Ngungunyane et Matibejane sont séparés de leurs femmes et embarqués avec Godide et Molungo à bord de la canonnière Zambeze en direction de l’île Terceira, aux Açores. La décision tombe de façon abrupte et la douleur et conséquences de cette séparation, notamment pour les femmes, est irrémédiable. Ils arriveront le 27 juin à Angra do Heroísmo, la capitale de l’île, et seront tout de suite amenés au fort de São João Baptiste d’où ils ne sortiront plus. D’une façon significative, les Açores ne sont pas une colonie mais un territoire métropolitain. Là, l’ex-roi disposera bientôt d’une relative liberté de mouvement, et s’intégrera graduellement dans la vie locale. Le gouvernement portugais lui attribuera le rang de sergent ce qui lui permettra de recevoir la paye journalière correspondant à ce grade. Il chasse dans le « monte Brasil », une forêt proche de la forteresse, et fabrique et vend des paniers. Mais il est également obligé d’apprendre à lire et à écrire, avant d’être baptisé et de se voir imposer un nouveau nom, Reynaldo Frederico Gungunhana. Un baptême auquel les grandes familles de l’île n’ont pas manqué d’assister, les notables étant d’ailleurs les parrains des prisonniers à qui ils ont « offert » leurs noms. Ngungunyane meurt le 23 décembre 1906 d’une hémorragie cérébrale, à l’Hôpital Militaire de Boa Nova.

Dans sa section « Necrologia », O Occidente publie le 10 janvier 1907 une gravure de Ngungunyane, celle avec deux de ses femmes, et un assez long texte intitulé « Mundagaz, o Gungunhana65 ». La fin de l’article mérite qu’on s’y arrête. Critiquant le gouvernement sur le traitement infligé à « Gungunhana », il reprend un débat qui avait été particulièrement important dans la presse, autour de la non-reconnaissance de son statut, ce qui n’honorerait en rien le pouvoir étatique portugais : « O Gungunhana fôra um potentado com quem Portugal muita vez tratou como que de potencia a potencia. […] [o] Gungunhana fora, até certo ponto um adversário leal […]66 ».

Deux possibilités s’opposent donc : soit l’ex-roi est un prisonnier de guerre et doit en conséquence être traité selon les conventions du droit international, soit il est un sujet insoumis, et son cas devient une affaire interne. À la base de ces doutes il y a ce traité d’amitié de 1861 par lequel son père, Muzila, serait devenu sujet portugais. En 1885, un autre traité vise Ngungunyane et l’intègre dans l’armée portugaise au rang de colonel, comme je l’ai déjà évoqué. À l’insu de Ngungunyane, qui n’aurait pas validé ce dernier accord67, les Portugais considèrent ces accords comme des traités de soumission valables. Ainsi deux perspectives historiques seraient possibles : celle dans laquelle un chef d’État s’oppose à un autre chef d’État ou celle où l’État portugais affronte un sujet révolté. Comme le suggère Isabelle Surun68, cette ambigüité est loin d’être un cas isolé, elle est caractéristique des processus de prise de possession coloniale des territoires sous contrôle des autorités africaines. La posture de l’ex-roi devant ses ravisseurs reprend cette ambiguïté, car d’un côté il supplie les autorités de le libérer contre octroi de ses richesses et la promesse de fidélité à la couronne portugaise ; de l’autre, il résiste aux interrogatoires prenant une posture de supériorité qui traduit l’autonomie du souverain qu’il était auparavant69.

Il serait donc trop simpliste de réduire les significations associées à sa personne à un seul angle de perception. Par ailleurs, Ngungunyane sert aussi, bien sûr, les propos des luttes politiques portugaises entre d’une part les défenseurs du régime, et de l’autre les républicains et divers opposants à la monarchie. De même, sa personne servira l’archipel des Açores et sa volonté de marquer sa différence avec le Portugal continental. On pourrait ainsi voir dans son baptême, réalisé le 16 avril 1899 par l’archevêque lui-même dans la cathédrale de la ville70, un autre signe de distinction locale. Ngungunyane devient non seulement une partie de l’héritage historique de l’île, mais la matérialisation d’une valeur de différenciation entre centre et périphérie.

De la migration des images, ou leurs usages et valeurs d’échange

Comme nous avons déjà pu l’entrevoir, la trajectoire de Ngungunyane est accompagnée d’une prolifération d’images le transformant en véritable personnage de culture populaire au service du nationalisme expansionniste portugais et de son imaginaire impérial. La photographie a joué un rôle central dans ce dispositif de légitimation du pouvoir colonial et de son archive. On pourrait ainsi parler, à l’instar de Ana Carolina Schveiter, d’une « économie visuelle coloniale71 » dans laquelle la photographie occupe une place privilégiée. La photographie devient entre 1850 et 1950, comme le fait remarquer Filipa Lowndes Vicente, « la manière principale de rendre le monde visible72 ». Or elle croise dans son parcours le colonialisme contemporain. De cette coïncidence naît une « relation étroite73 » entre les deux, la photographie jouant un rôle décisif dans la construction d’une culture coloniale en même temps qu’elle devient un des « objets historiques déterminants de l’archive et du musée colonial74 ». Devenir « déterminant » dans la constitution de l’archive coloniale, pose d’emblée la question de l’usage de la photographie dans la production et circulation des savoirs coloniaux par où passera toute forme de légitimation du pouvoir. La photographie est dans ce contexte « un instrument inséparable des différents savoirs scientifiques qui utilisaient les colonies comme laboratoire75 », constituant vers la fin du XIXe siècle « l’élément fondamental des sciences coloniales76 ».

Clara Carvalho évoque à ce propos ce qu’elle appelle le « regard colonial », qui est à la fois « le regard scientifique, classificatoire, énumérateur et exhaustif, mais aussi le regard de propagande, le regard politique77 ». Et en se référant plus précisément aux portraits, elle met en valeur justement un double mouvement : « les photographies permettaient de mettre en scène l’ordre colonial et de montrer l’ordre utopique que la puissance coloniale prétendait instaurer […]78 », de la même façon qu’elles ont servi à « essentialiser la perception de l’Autre insinuant des différences de culture matérielle, capacités intellectuelles et physiques dissemblables79 ». Ce double mouvement est celui d’une mise en scène d’un ordre colonial centripète, accompagné d’une différentiation centrifuge de l’autre. Dès sa capture à Chaimite, Ngungunyane fait l’objet d’un ample traitement de la part de la presse portugaise. Et ce traitement, que les images et objets viendront renforcer et attester, habite dans les plis de ces deux mouvements apparemment inverses.

La circulation des images de Ngungunyane nous rappelle également le degré auquel la production, la diffusion et la réception du regard colonial sont indissociablement associées à l’essor de la presse et à l’élargissement considérable de son lectorat, et plus généralement des moyens de communication et de transport pendant la deuxième moitié du XIXe siècle.

Le processus de mise en image coloniale commence par l’inclusion de photographes dans les équipes de missions d’exploration. Ainsi des photos de Ngungunyane, de ses sujets et des paysages de Gaza avaient été prises bien avant sa capture. C’est le cas des deux photos80 réalisées lors de la mission de la Commission de délimitation de la frontière de Lourenço Marques/África Oriental, 1890-1891, attribués à Alfredo Freire de Andrade, Elvino Mezzena, José António Matheus Serrano, et qui font partie aujourd’hui des archives de l’Instituto de Investigação Científica Tropical, à Lisbonne. Ces deux photos se ressemblent : Ngungunyane est assis, habillé d’un long manteau boutonné, orné sur le devant et tout autour d’une broderie et serré à la taille par un nœud. C’était un cadeau des Portugais sur lequel tous n’étaient pas d’accord à cause du style arabisant du modèle. Il a son sceptre et, sur sa tête, la couronne faite de cire et de l’entrelacement de ses cheveux, propre à son statut de chef. Sur l’une des photos, il est seul, sur l’autre il est accompagné du conseiller Almeida. La seule différence est dans la position de ses jambes : plus écartées sur la deuxième, elles laissent entrevoir des anneaux de cheville. La visibilité de ces anneaux serait-ce ce qui permettrait d’alimenter l’altérité sauvage du personnage dont parlait Clara Carvalho ? On pourrait sûrement affirmer qu’elle correspondait à ce que Leonor Pires Martins appelle la « mise-en-scène ethnographique » : prouver l’authenticité du photographié par des traits « primitifs » qui devraient lui correspondre81 ». C’est en tout cas cette photo qui va être utilisée dans la presse portugaise (bien qu’elle doive faire disparaître son compagnon d’image). C’est elle en effet qui a le plus inspiré, le plus migré dans d’autres objets et circuits. Elle devient une sorte d’image matricielle qui sera non seulement reprise sous forme de gravures par la presse, souvent en subissant des modifications, mais également transformée en peinture, utilisée comme source de caricatures et de pièces en céramique, voire de petits biscuits82.

Au moment où le télégramme annonçant l’arrestation de Ngungunyane arrive à Lisbonne, le 4 janvier, le public ne connaissait pas encore son visage. Il ne le découvre qu’après les premières transformations de cette photo par le graveur. Un peu partout ce premier « portrait » remplit les vitrines des magasins et des boutiques de photographes83. Dans la revue O Occidente84, la légende « copie d’une photographie apportée d’Afrique par Francisco de Mello Breyner85 » certifie son caractère d’image vraie. Comme tant d’autres, cette image illustre la capacité de la gravure d’adapter la photographie originale au message à transmettre, mais aussi aux savoirs sur l’autre ou, dit d’une autre façon, aux régimes de valeur (et de vérité) qui se tissent dans cette vie sociale des choses en circulation. En effet, un des traits statutaires de Ngungunyane, sa couronne, a disparu. À la place, nous avons des cheveux crépus coupés très court, dans ce qui semble une image peut-être ajustée à l’idée de ce à quoi doit ressembler un homme « noir ». Les transformations introduites par les graveurs construisent, en ce sens, des circulations internes au sein de la grande circulation correspondant au processus d’exil de Ngungunyane. Dans un autre journal, O Paiz, les modifications sont encore plus prononcées au point de rajouter une très longue pipe à l’allure indienne, qu’il serait en train de fumer, ce qui apporte sans doute l’exotisme qui fait vendre et attire le curieux86.

Avec l’arrivée, c’est avant tout la personne et les caractéristiques du corps de l’anti-héros que tout le monde souhaite voir, ou même toucher. Les journalistes qui étaient montés sur le bateau à leur arrivée rapportent qu’il a fallu à un moment donné faire descendre les prisonniers dans leurs installations afin que les malheureux ne meurent pas « asphyxiés », « tal era a forma como se deitavam quasi á força por cima delles, mechendo-lhes nos fatos, nas caras, nas coroas n’uma como completa selvageria87 ». Les articles essaient de correspondre alors à ces désirs « sauvages » en décrivant de façon minutieuse son apparence :

O desthronado soberano veste camisa de oxford com cordões de seda azul e uns calções de variegadas côres abertos dos lados. Na cabeça um palito de marfim serve de pente, e uma corôa feita de terra, cera e outras substancias gordurosa entrança-se na carapinha. É o dinstinctivo dos regulos, indunas e outros chefes. Ao pescoço um simples colar de pedras e nos pés uns ordinarios cordeis servem de anilhas88.

D’ailleurs, à peine installés au fort de Monsanto, le ministère de la Guerre vend des billets aux nantis pour aller voir l’ex-roi et ses proches. Celles et ceux qui ne peuvent pas s’offrir un billet chantent et mangent devant ses portes en attendant de réussir à entrevoir le roi un bref instant qui soit.

Un mot prétend pourtant s’imposer et résumer le regard porté sur lui : il est le vaincu. Et c’est donc tout naturellement que la photo mentionnée plus haut migre vers une peinture à l’huile intitulée « Gungunhana, O Vencido/Gungunhana, Le Vaincu » d’António Carneiro, offerte à la compagnie du 3e régiment, qui avait son quartier général à Bragança et avait fait les campagnes d’Afrique, donc combattu contre lui. Outre le titre, est écrit dans la partie supérieure du tableau « Guerra d’Africa 1895, Manjacaze, Coollela » et sur le corps de Ngungunyane, « os estudantes militares do Porto a Caçadores nº 3. O Vencido ». Or, la peinture modifie énormément le visage, ses contours sont élargis donnant l’impression d’une personne plus grosse. Elle accentue également ses traits, il a un air aigri, inspiré par l’esprit de vengeance. Bien sûr, ici aussi les lèvres ont été modifiées pour leur donner une apparence plus charnue ; de même le nez est plus large, plus épaté. Le résultat est un visage à la fois féroce et « noir », ce qui correspondrait à l’imaginaire populaire d’un sauvage habité par la haine d’avoir été vaincu, donc méritant le châtiment. Cette peinture fait aujourd’hui partie de la collection du musée militaire de Bragança. Le musée a aménagé une salle dédiée à Ngungunyane. Mais dans cette salle, la pièce qui paraît intéresser le plus le public est un énorme ensemble pantalon-chemise, dont la légende dit qu’il lui appartenait. L’excessive largeur des vêtements correspond à l’idée d’un être difforme et grotesque. Quant à la peinture de Ngungunyane…, elle est dans la salle à l’honneur de Mouzinho de Albuquerque. Le tableau ne représente donc pas un sujet, mais un trophée. Être un Africain noir vaincu équivaut à une double peine.

À ces descriptions physiques d’un être excessif et déformé s’associe sa sexualité. Comme pour son visage et son corps, ce sont les stéréotypes coloniaux qui priment et ses sept femmes, la polygamie, sont bien sûr des sujets de fantasme. Mais notons que la question de la polygamie nous met d’emblée dans ces plis évoqués plus haut où habitent les angoisses et contradictions des sensibilités et savoirs coloniaux. Si la morale paraît, dans sa domination, lisser le système, elle laisse pour autant apparaître la peur de ce qui peut échapper à son contrôle. D’où la nécessité d’une maîtrise totale dans la distribution des corps et de fixer leur emplacement. Or la polygamie crée le désordre. Et ceci sur deux plans. D’abord, les aspects juridiques : en tant qu’« indigène », la polygamie serait permise. Mais s’il n’est pas un indigène mais un soldat de l’armée portugaise, elle devient illégale ; toutefois il aurait alors dû être jugé par un tribunal, ce qui n’a pas été fait. Sur le plan sociétal, prenons le numéro du journal António Maria de février 1896 et le cartoon intitulé « Gungunhana e a Civilização/Gungunhana et la Civilisation », de Manuel Gustavo Bordallo Pinheiro, le fils de Rafael Bordallo Pinheiro89. Il nous permet de saisir le travail qu’accomplissent les images dans cette mise en ordre. Le cartoon occupe toute la page et se distribue en trois plans, un en haut, deux en bas. Dans l’image du haut, les sept femmes de Ngungunyane redoutent qu’une fois à Lisbonne, le roi fasse la cour à une belle dame de la société portugaise ; dans cette première image, « Gungunhana » correspond à la photo de 1891 ; dans l’image suivante, dans la partie inférieure gauche, c’est un « Gungunhana » nu, dessiné comme un personnage noir stéréotypé, entouré de ses femmes qui le caressent dans une scène très proche d’une orgie, au milieu d’un paysage « africain » tout aussi codifié, avec une référence, « dans le kraal », c’est-à-dire le village sacré du royaume ; le dessin de droite est comme son contrepoint : « à Lisbonne », un « Gungunhana » habillé d’un très beau costume se promène au bras d’une belle aristocrate. Ce « Gungunhana e a civilização » expose ainsi les ambiguïtés du système. Il montre le danger de sortir de la distribution réglementée des corps, le risque de l’affaiblissement du pouvoir de contrôle de l’entreprise coloniale : la haine et le mépris de l’autre, mais aussi le désir réel qu’il peut susciter, la peur de son pouvoir (de séduction) et la peur qu’il devienne trop familier, qu’il s’approprie ce qui paraissait les différentier et les dépasse. Les dessins sont accompagnés de légendes qui soulignent la possibilité reélle d’usurpation des savoirs (et des corps) occidentaux. Au plan supérieur : « Preto velho não aprende língua. », disent les femmes ; « Ora, qual historia ! com geitinho… », répond Ngungunyane ; au plan inférieur gauche, le dessinateur commente : « O Gungunhana antes de civilisado : sete boccas a beijar e uma só a beber cachaça » ; à droite : « Oh !… Ingrato Senhor…, dit une de ses femmes, – Ora… mais vale um passaro na mão que sete a voar », répond de Ngungunyane. La première phrase, soulignons-le, est un proverbe portugais qui se voit donc ici détourné.

Croisant photographies et cartoons, Rafael Bordallo Pinheiro créera des figurines en céramique dans son usine, la Fábrica de Faianças das Caldas da Rainha. C’est sûrement une des manières les plus spectaculaires de mise en scène imagétique du corps de Ngungunyane, et des valeurs qui lui ont été associées, le renvoyant à sa place de captif, inférieure, associant ses excès à une consommation prolifique d’alcool, qui n’est pas réellement fausse. La paire de bouteilles à vin, « Gungunha antes/avant-Gungunha depois/après », est exemplaire de ce travail. C’est encore une migration de cette même photo de 1891, avec une très forte exagération des traits, le visage plus rond, le corps plus gros, les lèvres plus grosses, un corps pantagruélique. Dans la première90, il est debout, riant ; il tient une bouteille dans la main gauche et son sceptre dans la main droite. La deuxième bouteille91 renvoie au temps qui suit son arrestation. Le corps hilarant devient maintenant un corps plié en position soumise, ses bras attachés derrière son dos avec une corde. La figure exprime l’humiliation du vaincu. Il n’a plus ses symboles de pouvoir. Et même s’il s’inspire toujours de la même photo, l’auteur a modifié l’original en intégrant un élément puisé dans une autre photo, prise sur l’Africa, en 1896, où sa couronne disparaissait sous un tissu clair qui l’enveloppait comme un turban. À l’absence de signe de pouvoir se rajoute cette touche très orientalisante apportée par ce trucage, qui complète si bien l’« archive » coloniale. Le motif des cordes symbolisant la soumission avait déjà été utilisé dans une carafe à eau (« Cantil92 »). Là aussi, il avait les bras tenus par les « cordes avec lesquelles Mouzinho a enchaîné le nègre », dit la fiche technique ; viennent aussi s’y mélanger des têtes de serpents. La forme ovale de l’objet correspond selon la même fiche à la forme d’une tête noire. Sur l’objet est inscrit « Viva Portugal/Janeiro 1896 ». Les inscriptions sont importantes. Dans la paire précédente, sur leurs bases, en relief, les mots « avant »/« après », marquent les plis de l’ordre impérial du temps.

Vista Alegre, la maison portugaise de porcelaine fine par excellence, s’est aussi associée à cette mode « domestique » de la circulation des images de Ngungunyane. Elle éditera un plat décoratif à son effigie en commémoration du 4 janvier 189693 qui s’éloigne du registre plus populaire, plus en adéquation avec son public acheteur. Rappelons que la date du 4 janvier correspond à l’arrivée de Ngungunyane et de ses compagnons à Lourenço Marques et à la réception par Lisbonne du télégramme annonçant sa capture, largement relayé par la presse au Portugal. Le plat prend aussi comme source la photo de 1891, mais l’image est travaillée pour faire du personnage un aristocrate. On rajoute au manteau de toujours un col différent qui le fait ressembler à une veste de gentleman, le visage est long et maigre, la barbe très épaisse et très longue. Par contre, les lèvres sont comme toujours grossies, peut-être pour ne pas perdre complètement de vue la différence raciale du personnage. Le fond du plat est blanc, la figure gris foncé, entourée d’ornements grisaille et filet d’or. Il est versé à la catégorie des pièces commémoratives.

Sous la forme d’objets échangeables à usage quotidien ou de pièces décoratives, ces pichets à vin, ces carafes à eau, cette assiette font partie d’une économie « morale » domestique, intime, qui inspire des moments de partage et qui tisse un horizon de valeurs et de comportements. Ils sont non seulement des lieux de migration des photos, mais le résultat de plusieurs couches de migration. En ce sens on pourrait parler d’une condition très palempsestique de ces objets.

Si la vaisselle crée un pont entre l’image publique et ses usages domestiques, la transformation des photos en cartes postales ouvre la voie à une circulation qui est à la fois publique et intime. Étant aussi une marchandise qu’on échange moyennant paiement, elles transportent en plus un message entre deux ou plusieurs personnes et établissent de cette façon encore d’autres circuits privés. Les cartes postales peuvent être regardées dans différents contextes et à différents moments ; elles peuvent aussi être objet d’une transmission générationnelle, faisant partie des mémoires d’une famille, tout en renvoyant à un temps historique précis. Le séjour prolongé aux Açores et l’essor des photographes et des magasins de photos locaux fait de la carte postale un usage répandu. Le studio de photographie Loja do Buraco va mettre en circulation des cartes postales élaborées à partir de photos. Mais ici on rompt avec la circulation de cette image matricielle, en lui préférant des photos très actuelles et « locales ». Deux photos seront très utilisées, celle de leur arrivée sur l’île, où ils portent des vêtements misérables et sont pieds nus, et celles où, en des circonstances diverses, ils sont très bien habillés, dans leur nouveau quotidien, ou au jour de leur baptême. Dans les cartes post-baptême sont venus s’ajouter aux noms « africains » les nouveaux patronymes « catholiques94 ». À la date « Janeiro 1896 » des premières cartes, s’est substituée celle de « Janeiro 1904 ».

La toute première photographie des prisonniers, à peine arrivés, a été prise par Abraham Aboboht95 (1871-1959). Aboboht était plus un dessinateur et un peintre qu’un photographe. Mais il a ouvert un studio appelé Photographie Angrense96. Le studio Loja do Buraco, un nom qui figure souvent sur le côté gauche des cartes postales, appartenait à António José Leite (1872-1943), un photographe dont le succès repose notamment sur la reproduction des photographies en cartes postales. Selon Carlos Enes, la vitrine de la Loja do Buraco « [é]tait un lieu d’expositions fréquentes de photographies et de peintures d’artistes locaux97 ».

En passant de la presse à la peinture, aux caricatures et finalement aux objets en céramique et aux cartes postales, il est possible de suivre plusieurs formes de circulation, publique, domestique, intime, renvoyant également à une différenciation des régimes de signification afférents – patriotique, impérial, populaire, commercial, sentimental, mémoriel –, jouant entre ambiguïtés et contradictions. Alors que la valeur et la signification des images dans les circuits de la presse semble assez évidente à saisir, elles deviennent beaucoup moins claires pour ce qui concerne les objets en céramique et les cartes postales. Le cas des paniers de Ngungunyane épaissit encore l’énigme, non seulement en mettant en question l’inscription de Ngungunyane et de ses images en un unique schéma d’infériorisation coloniale, sans prendre en compte le travail des imaginaires et la complexité de la constitution de ses savoirs, mais surtout en évoquant la possibilité d’une sortie de cette subalternité. D’une certaine façon, la possibilité d’un acte de subjectivation.

Les paniers de Ngungunyane ou quand la somme ne correspond pas à l’addition des parts

Figure 1-Panier 198    Figure 2 - Panier 299      Figure 3 - Panier 3100

Figure 1-Panier 198 Figure 2 - Panier 299 Figure 3 - Panier 3100

Revenons donc aux paniers que Ngungunyane aurait fabriqués et qu’il a offerts ou vendus. Ces paniers sont de très beaux exemplaires de l’art zulu de la région de Natal. Cependant, sans doute par absence du matériau nécessaire, ils ne sont pas colorés conformément à la tradition. Mais cette « pauvreté » fait curieusement de ces paniers des objets épurés : une version dépouillée de tout ce qui aurait pu distraire de l’essentiel. Leur forme ovale, leur couvercle qui épouse de façon délicate le corps du panier, l’effet arrondi des côtés créant un juste équilibre entre la hauteur et la largeur, font de ces objets domestiques des objets esthétiques. Leur créateur rajoute ensuite en haut la poignée, absente des paniers zulus et du tout premier panier confectionné. En revanche c’est une caractéristique des paniers portugais et donc une éventuelle attente/demande des consommateurs sur les lieux de son exil.

J’ai pu retracer la circulation de deux paniers et signaler la présence d’un troisième attribué à Matibejane. Le premier panier est, depuis 2017, au Musée National d’Ethnologie, à Lisbonne. C’est apparemment le premier panier fabriqué par Ngungunyane. La fiche technique qui l’accompagne explique que « ce panier a été offert par Gungunhana lui-même au médecin qui l’a soigné peu de temps après son arrivée à Lisbonne, le docteur Cornivel Moreira, et donné au musée par sa petite-fille, D. Maria Antonieta Cornivel Moreira, en février 2017101 ». La fiche technique garantit qu’il s’agit bien d’un objet fabriqué par « Gungunhana », son « auteur » ; elle définit son usage dans la catégorie « domestique » et indique la date de 1896. Une description de la forme et de la méthode de fabrication sont aussi mentionnées : un panier ovale avec couvercle et fermeture, produit en fibre végétale utilisant une technique de spirale cousue (« espiral cozida [sic]102 »).

Ngungunyane avait en effet été malade pendant son emprisonnement au fort de Monsanto et il avait été soigné à l’hôpital da Boa Hora pendant une dizaine de jours. Le médecin à qui il a donné ce cadeau l’a gardé toute sa vie. Préservé par sa famille il a été transmis de génération en génération. Aujourd’hui cet objet est exposé seul sur un piédestal, ce qui semble illustrer l’intégration actuelle du roi dans le patrimoine national et pose des questions intéressantes, qui dépassent cependant le cadre temporel de notre d’analyse consacrée à la première étape des circulations du roi à la fin du XIXe siècle. Sur son site « Acontece em Lisboa », proposant des activités culturelles dans la capitale, la photographe Amélia Monteiro invite à aller le voir et se réfère à lui comme « A oferenda do guerreiro/L’offrande du guerrier103 ». Le titre souligne un élément qui me semble pertinent pour comprendre la signification initiale de cet objet. Il s’agit d’un « don », il représente à ce titre le geste d’un « sujet », une action positive de quelqu’un qui par cet acte n’est plus un « vaincu » mais se rapproche de la personne qu’il était auparavant. Rappelons à cet égard l’ambigüité des prises de parole de Ngungunyane lors des interrogatoires, rapportées par les journalistes : ce dernier prend dès sa capture tantôt la posture d’un subalterne, tantôt celle d’un souverain. Or son geste s’inscrit ici dans une économie morale du don, dans laquelle le récepteur se trouve dans une position de dépendance s’il ne peut pas répondre par un contredon104. Par son acte, Ngungunyane se place sur un plan d’égalité avec son médecin, la « biographie » change le régime de valeur de l’échange, et donc le régime politique de distribution des corps.

Le deuxième panier se trouve aussi à Lisbonne, au Musée National du Théâtre105 à qui il a été offert par D. Ester Cardoso, héritière et proche parente de son ancien propriétaire. Le directeur du musée, José Carlos Alvarez remarque, à ce propos, que le plus ancien vestige de son institution ne concerne pas directement le théâtre, puisque c’est un objet fabriqué par le roi mozambicain Reynaldo Gungunhana. Cette première constatation renforce l’idée de déplacement, de perturbation, que les paniers introduisent. Il le décrit comme « un petit panier d’un équilibre esthétique remarquable et clairement d’influence culturelle africaine, entièrement fait à la main (probablement) par ce chef indigène106 ». Ce panier aurait été offert en 1902 par Ngungunyane à un des acteurs les plus populaires de Lisbonne, António Cardoso107. Il recèle108 un petit bout de papier avec une date, 30-8-902, la signature « Reynaldo Gungunhana », et une dédicace, « Esta cestinha e destinada ao actor Cardoso ».

Alvarez observe qu’il n’y a pas d’informations sur les motifs de ce don. Il n’est pas non plus en mesure de donner des indications sur une possible rencontre entre Ngungunyane et Cardoso. On peut cependant constater qu’il s’agit d’un objet qui a été créé par le premier et donné à un personnage important de son temps. À cette date, Ngungunyane était déjà aux Açores, déjà baptisé et « scolarisé », il signait de sa propre main, avec son « nouveau » nom, la petite carte/dédicace qui accompagnait le panier. Cardoso était un acteur qui sortait peu de Lisbonne, il n’est jamais allé au Brésil ni dans les colonies, contrairement à ces collègues. Mais il a pu aller aux Açores, ce que je n’ai pu pour l’instant confirmer. À moins que, comme paraît d’ailleurs l’indiquer l’expression « est destinée à », quelqu’un lui ait apporter le panier : à sa demande ? parce qu’on savait qu’un panier de Ngungunyane lui ferait plaisir ? Ce cadeau a été sûrement très apprécié. À l’instar du médecin, il a été précieusement gardé et légué aux héritiers du receveur. La valeur d’usage s’y ajoute et perturbe la valeur de l’échange. De cette perturbation dans l’ordre des choses se fait écho d’une part la dimension affective qui entoure le mystère lié à l’objet : « Qu’est-ce qui aurait pu amener Gungunhana à lui offrir cet objet-là dont la valeur symbolique et affective semble évidente109 ? » Pour ne rien dire de la disposition même de l’objet dans la vitrine du musée, entre un manuscrit d’Almeida Garrett et un autre de Bernardo Santareno110. Ce montage hétérogène très warburguien est perçu par la journaliste qui conduit l’entretien avec ce même directeur lors d’un reportage sur le musée : dans une référence au panier, elle utilise le terme « inédit » pour le définir111.

Le troisième panier est un exemplaire appartenant au musée d’Angra do Heroismo. Il ressemble aux deux précédents. Mais le catalogue l’attribue à Matibejana de Zixaxa112. Dans la presse locale il y a d’ailleurs une photographie de son arrière-petit-fils, encore enfant, ce panier entre les mains, photographie que la famille a conservée dans ses archives intimes, et que montre un documentaire que la télévision mozambicaine a réalisé en 2012 sur « Gungunhana113 ». Cette attribution à Zixaxa se doit-elle au fait d’avoir, lui seul, laissé une descendance à Angra do Heroismo, et de s’être ainsi intégré durablement dans la vie de la ville ? S’il s’agit effectivement d’une œuvre de Zixaxa, on peut se demander par ailleurs s’il en existe d’autres.

Que conclure sur ces objets et leurs circulations ? Observons d’abord qu’ils proviennent des personnes que l’idéologie coloniale définit comme des inférieurs et des sauvages qu’elle a dépossédés de leurs statuts politiques, de leur culture, de leur vie affective et familiale, jusqu’à les obliger à se convertir et renaître sous un autre nom, catholique. Pourtant, dans ce contexte particulier de dépossession et de déni, s’affirme un sujet qui possède un savoir et un pouvoir, un pouvoir d’interruption et déplacement d’un ordre, un savoir et un pouvoir que la vie des objets, dans leurs circulations a rendu possible. La forme de l’objet – panier zulu mais muni d’une poignée – suggère par ailleurs que la biographie de ces objets reflète une expérience de déplacement transculturelle. Mais au lieu d’y voir là une simple adaptation à la culture populaire portugaise, nous sommes peut-être ici devant ce que Walter Mignolo, dans une référence à W.E.B Du Bois, conçoit comme une « double conscience » ou « pensée des frontières114 ». Dans cette pensée, l’autre n’est justement pas réduit à sa différence, mais mis sur un pied d’égalité, capable de créer des significations pluriverselles, c’est-à-dire à la fois locales et partageables, au fil de ses déplacements. Ce partage s’exprime également par le geste de don dont nous avons déjà souligné le caractère égalisateur. Dans le contexte colonial, nous pouvons considérer que ce don constitue une « géo et corpo-politique » structurée « autour d’un travail de déclassement, c’est-à-dire autour d’une désidentification des identités et des classifications imposées par l’épistémologie impériale115 ». La « géo et corpo-politique » est une « stratégie d’affirmation de la dignité humaine des agents qui ont été classifiés, dans des catégorisations impériales, comme manquant de rationalité, comme étant des êtres ontologiquement et épistémologiquement arriérés116 ».

Mais si du côté du producteur, cette subjectivation à travers la création se trouve renforcée par l’acte de donner, cela n’explique pas l’attitude des récepteurs ; attitude manifeste de valorisation d’un objet à usage domestique confectionné dans un matériau sans grande valeur commerciale, marchandise sans valeur d’échange. Revenons sur ce point à l’analyse de la circulation ou « l’histoire de vie » des objets par Arjun Appadurai. Dans son étude des processus à travers lesquels des objets acquièrent de la valeur, ce dernier évoque notamment le critère de « singularité » qui n’est pas une catégorie en soi, mais culturellement configurée en articulation avec un régime global de marchandisation capitaliste117. Dans ce même régime, la demande serait étroitement associée au désir qui, selon lui, crée un élan ou, au contraire, empêche la demande118.

On peut admettre que l’attachement affectif des propriétaires aux paniers exprime le désir de les garder en tant qu’objets à forte valeur intime et que cet attachement reconfigure justement la biographie de l’objet autant que l’objet introduit le brouillage du côté de celui qui le possède : quelle relation peut-il exister entre le panier et l’acteur, deux « choses » qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, mais qui finalement font qu’elles sont exposées ensemble, dans un montage spatial qui les entrelace à jamais, se demandait le directeur du musée du théâtre ?

Concluons. Revenons au précepte d’Arjun Appadurai cité en préliminaire de ce texte : « ce sont les choses-en-mouvement qui nous éclairent sur leur contexte humain et social ». On pourrait ainsi dire que la trajectoire de Ngungunyane entre le Mozambique, le Portugal continental et les Açores, a suscité une importante production d’images et d’objets. Nous vérifions que la mise en altérité des colonisés avait comme but de contribuer à renforcer les idéologies nationalistes expansionnistes et impériales du Portugal de la fin du XIXe siècle et leurs imaginaires, et que leurs corps racisés permettent de constituer un savoir – une archive – qui devrait légitimer la supériorité des nations colonisatrices. En ce sens, l’utilisation du corps de Ngungunyane dans des photographies, gravures, caricatures, cartes postales et les objets d’usage quotidien produits par la manufacture de Rafael Bordallo Pinheiro traduisent bien le concept d’un « impérialisme populaire », répandu et nécessaire à la consolidation d’un collectif communautaire dont le but serait la sortie de la décadence dans laquelle la nation portugaise aurait sombrée au XIXe siècle ; il lui fallait récupérer ses gloires d’antan, rejouer de nouvelles épopées dans l’espace que la « pacification » des populations africaines paraissait lui offrir. Cette géo-politique des corps se manifeste également dans les discussions autour du statut légal de Ngungunyane. Elles offrent, particulièrement pour la classe politique métropolitaine, une opportunité d’affirmer ses divergences idéologiques internes, si nous pensons au clivage entre républicains et défenseurs de la monarchie autour de la question du traitement adéquat du prisonnier ou le destin à donner aux prisonniers. Ajoutons cependant que les antagonismes entre partisans des deux régimes politiques s’unissent autour de la condamnation de la polygamie et partagent encore le même type de regard sur les « prisonnières », les femmes-reines auxquelles aucun statut n’a jamais été reconnu.

Cependant, la circulation des corps en images et objets crée déjà une première perturbation dont les mots qui les accompagnent font état. Et ceci vaut pour les différentes parties. Si le positionnement portugais est révélateur de contradictions, la posture de Ngungunyane est elle aussi ambivalente. Comme l’illustrent les rapports que les journaux livrent de ses interrogatoires, celui-ci prend tantôt une posture de vaincu, tantôt une attitude de souverain. En ce sens, si la différence coloniale « attribue un statut d’infériorité aux colonisés119 » elle peut devenir en même temps la frontière à partir de laquelle ces colonisés « déplacent la bio-graphie et géo-graphie de la raison120 ».

Les paniers fabriqués par Ngungunyane pourront constituer l’expression la plus aboutie d’une telle autonomisation, la sortie de son assujettissement et de sa dépossession à travers une « géo et corpo-politique » qui affirme sa dignité contre les classements coloniaux imposés.

Par ailleurs, la subjectivation par la création n’est pas un acte solitaire. Au contraire, dans le cas du don, elle transforme une relation d’infériorité en rapport d’égalité. Alors que l’épistémologie du point zéro qui caractérise la logique coloniale est « monotopique121 », n’admettant pas la diversité du local, les paniers sont « pluri-topiques », combinant des éléments zulu et portugais. Ces objets ne semblent pas être la simple réitération d’un statut, d’une identité ou d’une tradition, mais l’expression d’un savoir in situ intégrant à la fois le chemin parcouru et le contexte actuel. C’est en ce sens que les paniers sont du « local », et leur « biographie » est en effet une autobiographie singulière, un inédit. Étant l’expression d’une sorte de métonymie-en-mouvement-va-et-vient entre l’objet et son créateur, un « vaincu » mais pourtant un roi, un panier mais pourtant une œuvre, la singularité-inédit de ce mouvement de l’objet fournit une clef pour comprendre la substitution d’une valeur d’usage minimale par une valeur d’échange maximale transformant d’un coup l’objet en préciosité, un objet sans valeur en valeur culturelle. Soigneusement conservés, les paniers sont intégrés dans l’univers mémoriel de ces personnes jusqu’à ce que leur inclusion muséale projette une dimension publique et patrimoniale. Mais en même temps, leur présence perturbe l’ordre : ils sont et ne sont pas à leur place dans le musée. À l’instar de la personne même de Ngungunyane et de ses circulations, « la chose est la somme de tout ce qui lui arrive122 ». Mais une somme, comme l’aurait dit Jacques Rancière, qui n’est jamais le résultat du compte exact de ses parts123.

Bibliographie

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Notes

1 Appadurai, Arjun, « Introduction : Commodities and the Politics of Value », dans A. Appadurai (ed.), The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Londres-New York, Cambridge University,1986, p. 3-63. Une traduction française est prévue pour 2020 aux Presses du Réel. Retour au texte

2 Ibid., p. 3. Toutes les traductions non signalées dans cet article sont de ma responsabilité. Les textes des journaux et autres documents du XIXe siècle n’ont pas été traduits. Retour au texte

3 Simmel, Georg, The Philosophy of Money, London, Routledge [1907], 1978. Retour au texte

4 Appadurai, « Introduction… », op. cit., p. 3.  Retour au texte

5 Ibid. Retour au texte

6 Ibid., p. 5. Retour au texte

7 Ibid. Retour au texte

8 Je m’approprie ici de la proposition de I. Kopytoff dans sa contribution à l’ouvrage cité ci-dessus, d’une « biographie culturelle des objets ». Kopytoff, Igor, « The cultural biography of things : commoditization as process », dans Arjun Appadurai (ed.), The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Londres-New York, Cambridge University, 1986, p. 64-92, p. 68. Retour au texte

9 Appadurai, « Introduction… », op. cit, p. 15. Retour au texte

10 Appadurai, op. cit., p. 6. Retour au texte

11 En langue nguni, « nkosi, kosi », son titre, veut dire « seigneur, chef ». La dénomination « roi » ou « royaume » est déjà le résultat de l’application d’un savoir colonial qui ramène l’autre au même. Je la garde dans le contexte de cet article car, comme nous le verrons, le régime de valeur de Ngungunyane et de ses objets se construit aussi sur l’imaginaire occidental de la figure du roi. Retour au texte

12 Mignolo, Walter D. et Tlostanova, Madina V., « Theorizing from the Borders. Shifting to Geo-and Body-Politics of Knowledge », European Journal of Social Theory 9 (2), 2006, p. 205-221, p. 205. Retour au texte

13 Mignolo, Walter D. La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, Bruxelles, Peter Lang, 2015, p. 121. Retour au texte

14 La « différence coloniale » attribue « aux sujets colonisés le statut d’inférieur », Bermúdez, Juan Pablo, « La décolonisation est un projet d’inspiration éthique/Postface », dans Mignolo, La Désobéissance…, op. cit., p. 169. Retour au texte

15 Mignolo, Walter D. La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, Bruxelles, Peter Lang, 2015, p.39. La corpo-politique de la connaissance est la contestation de la bio-politique, laquelle a été inventé par les états comme instrument de contrôle de sa population […] », note 27, p. 39. D’une certaine façon les paniers sont un de ces objets qui contribuent à une géopolitique de la connaissance : « la géopolitique de la connaissance, elle, se focalise sur le processus d’énonciation à travers lequel tout objet prend forme, est décrit et est mis en contexte », note 19, p. 59. Retour au texte

16 Mignolo et Tlostanova, « Theorizing from the Borders… », op. cit., p. 210. Retour au texte

17 Ibid., p. 213. Retour au texte

18 Ibid., p. 210. Retour au texte

19 La gravure était le processus le plus utilisé par la presse pour la diffusion des photographies. Retour au texte

20 Grenier, Jean-Yves, [compte-rendu] Arjun Appadurai (éd.), The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Annales. Economies, sociétés, civilisations, 44ᵉ année, n. 5, 1989, p. 1149-1151. Retour au texte

21 Dédié au XIXe siècle, je ne répondrai pas dans cet article à la question, fort intéressante, de comprendre pourquoi les héritiers les ont offerts de nos jours à des musées. Mais il est sans doute important de penser que les musées, comme d’ailleurs les archives, et notamment les archives coloniales, sont déjà en eux-mêmes des lieux producteurs d’un certain savoir et de ses angoisses, par les manières mêmes de les sélectionner et de les disposer. L’arrivée de ces paniers dans les musées peut cependant créer des courts-circuits, des chemins de traverse intéressants à étudier. Sur la problématique sous-jacente à ces questions, voir les travaux de Stoler, Ann Laura, par exemple, « Colonial Archives and the Arts of Governance », Archival Science, n. 2, p. 87-109, 2002 ; ou, Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, La Découverte, 2016. Retour au texte

22 Projet connu sous le nom de « Mapa Cor-de-rosa/La carte rose ». Ce projet est (aussi) une réponse à la décision de la conférence de Berlin de ne pas concéder au Portugal les régions du Bas-Congo dont le pays pensait être le légitime propriétaire. Valentim, Alexandre, « O império africano (séculos XIX-XX). As linhas gerais », dans Alexandre, V. (coord.), O império africano (séculos XIX e XX), Lisboa, Colibri, 2000, p. 11-28, p. 19. Retour au texte

23 Serpa Pinto, Brito Capelo et Roberto Ivens avaient exploré ces régions lors de voyages reliant les côtes atlantique et orientale du continent africain, l’Angola et le Mozambique, depuis la fin des années 1970, dans des projets vivement soutenus par la Société de Géographie de Lisbonne, surtout en ce qui concerne Serpa Pinto. Ces expéditions mélangeaient comme souvent les desseins coloniaux aux aventures scientifiques, voire ethnographiques. Serpa Pinto était en 1889 dans la région du Chire, proche du lac Nyassa et une attaque contre les Macololos, protégés des Anglais, accélère la décision des Britanniques de stopper la fixation progressive des Portugais dans ces régions (plusieurs avertissements leur avaient déjà été envoyés depuis 1887), servant de base à l’ultimatum. Retour au texte

24 Alexandre, Valentim, « O império africano… », op. cit., p.18. Retour au texte

25 « Quand la S.G.L est créée, le 31 décembre 1875, […] il existait déjà au monde une quarantaine de sociétés du même genre. En 1821, naît la Société de Géographie de Paris, en 1828 celle de Berlin et celle de Londres en 1830 », Rodrigues, Soledade Amaro, O Mito do herói explorador- A travessia de África de Serpa Pinto, Lisboa, prefácio Edição de Livros e Revistas Lda, 2009, p. 25. Ângela Guimarães avance encore d’autres données : « En 1875, la fièvre qui enflammera bientôt l’Afrique Centre-Australe pendant plus de deux décennies était déjà montée très haut – celle du partage impérialiste sous le statut colonial. Cependant, on ne peut pas nier que les fondateurs de la S.G.L. et la plupart de ceux qui rapidement l’ont rejoint, n’en étaient pas bien conscients. Immédiatement après sa fondation, lors de la première session, le 4 avril 1876, ils ont déclenché une intense activité afin de récupérer pour le Portugal les positions perdues ou fragiles dans ce partage acharné », Guimarães, Ângela, Uma corrente do colonialismo português. A Sociedade de Geografia de Lisboa. 1875-1895, Lisboa, Livros Horizonte, 1984, p.20-21. Retour au texte

26 Rodrigues, Soledade Amaro, O Mito do herói explorador. A travessia de África de Serpa Pinto, Lisboa, Prefácio Edição de Livros e Revistas Lda, 2009, p. 26-27. Retour au texte

27 Jerónimo, Miguel Bandeira, « Oceanos indígenas sem limites », dans Imagens de Portugal no século XIX, Visão História, n. 30, août 2015, p. 30-36, p. 35. Retour au texte

28 Ibid., p.35. Retour au texte

29 Ibid., p.32. Retour au texte

30 Procès-verbal de la séance du 7 juillet 1876. Guimarães, Ângela, Uma corrente do colonialismo português…, op. cit., 1984, p. 23-24. Retour au texte

31 Ibid., p. 25. Retour au texte

32 Sont connues les positions de certains intellectuels comme Eça de Queirós ou Oliveira Martins qui proposent de vendre les colonies portugaises en Afrique ou qui les pensent comme source de la décadence portugaise. Retour au texte

33 Camara, João da, « Chronica occidental », O Occidente. Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 19ºAnno, vol. XIX, n. 620, 15-03-1896, p. 57-58, p. 58. Retour au texte

34 O Occidente. Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 19º Anno, vol. XIX, n. 614, 15-01-1896, p. 14. Retour au texte

35 A Vanguarda, « Glórias », Anno sexto, n. 1:703, 13-03-1896, p. 1. Retour au texte

36 Politiquement radicale, mais proclamant l’infériorisation des noirs. Son cartoon du 29 mars 1896 intitulé « Gungunhanas » dessine une image racialisée des prisonniers. De la même manière dans ce même numéro la publication s’attaquera à la présence des femmes considérées comme une insulte à une morale civilisée. Respectivement, O Berro. Caricaturas de Celso Hermínio, Anno I, n. 7, p. 4-5 ; et Chagas, João, « Chronica », O Berro. Caricaturas de Celso Hermínio, Anno I, n. 7, p. 2. Retour au texte

37 Chagas, João, « Chronica », O Berro. Caricaturas de Celso Hermínio, Anno I, n. 6, 15-03-1896, p. 2. Retour au texte

38 Lire à ce propos le travail de Rita-Ferreira, António, Povos de Moçambique. História e cultura, Porto, Afrontamento, 1975. Cf. sa page bibliographique : http://www.antoniorita-ferreira.com/pt/bibliografia-publicacoes-na-imprensa (dernière consultation le 12 septembre 2019). Retour au texte

39 Rosas, Fernando, História a História. África, Lisboa, Tinta da China, 2018, p. 19. Retour au texte

40 Pélissier, René, Les campagnes coloniales du Portugal, 1844-1941, Paris, Pygmalion, 2004, p. 161. Retour au texte

41 Maria da Conceição Vilhena cite Douglas Wheeler pour expliquer que Ngungunyane peut vouloir dire « lion de Gaza » et non pas l’« invincible ». Vilhena, Maria da Conceição, Gungunhana no seu reino, Lisboa, Edições Colibri, 1996, p. 44. Retour au texte

42 Aussi souvent appelés « Vátuas » (parfois « Landins », comme un synonyme). Retour au texte

43 Les Anglais avaient des intérêts majeurs dans cette région. En plus des relations diplomatiques, ils ont prodigué au roi plusieurs cadeaux, une calèche (qui a servi à Ngungunyane dans sa fuite de Manjacaze), une chaise à dossier haut, une coupe précieuse avec l’inscription « pour Gungunhana, de la reine Victoria », et bien sûr des armes. Cecil Rhodes (et la British South Africa Company) a été le principal agent de cette politique impériale anglaise (exerçant sûrement souvent pour son propre compte). Retour au texte

44 Les qualités de négociateur de Ngungunyane sont analysées par Wheeler, Douglas L. dans son article, « Gungunyane the negotiator : a study in African diplomacy », Journal of African History, IX, 4, 1968, p. 585-602. https://www.jstor.org/stable/180146?seq=1 (dernière consultation, 14 février 2020). Retour au texte

45 Santos, Gabriela Aparecida dos, « Reino de Gaza: o desafio português na ocupação do sul de Moçambique (1821-1897) », dissertação de Mestrado, USP, 2007, p. 148. https://www.teses.usp.br/teses/disponiveis/8/8138/tde-24102007-144310/publico/TESE_GABRIELA_APARECIDA_SANTOS.pdf (dernière consultation le 26-08-2019) Retour au texte

46 Liesegang, Gehrard, Vassalagem ou tratado de amizade? História do acto de vassalagem de Ngungunyane nas relações externas de Gaza, Estudos 2, Maputo, Arquivo Histórico de Moçambique, 1986. Ou Vilhena, Maria da Conceição, Gungunhana no seu reino… , op. cit, p. 48. Retour au texte

47 Pélissier, René, História de Moçambique. Formação e oposição 1854-1918, vol. II, Lisboa, Editorial Estampa, 1994, p. 298. Liesegang, G., Ngungunyane. A figura de Ngungunyane Nqumayo, Maputo, Arpac, 1986, p. 9-10. Manjacaze était une très grande agglomération comptant de l’ordre de 1600 paillotes, ibid., p. 33. Retour au texte

48 Mouzinho le dit lui-même: « O Gungunhana estava próximo de Chaimite recrutando homens com dificuldade […] e a entrega de Matibejana, [denotava] bem claramente o efeito esmagador produzido no ânimo do Gungunhana e dos seus indunas pelo combate de Coelela » Albuquerque, Mouzinho de, A campanha das tropas portuguesas em Lourenço Marques e Inhambane, Lisboa, 1897, p. 233-241, dans Pensamento e acção de Mouzinho de Albuquerque em Moçambique. Antologia, Separata de Esmeraldo, n. 8-9, 1956, p. 32. Retour au texte

49 Pélissier, René, História de Moçambique…, op. cit, p. 300. Retour au texte

50 Maria da Conceição Vilhena consacre un large chapitre à la déconstruction du mythe Chaimite à partir des lettres et du rapport écrits par le commandant de la canonnière Capello, Soares de Andrea, publiés dans O Liberal. Selon lui, personne, à Chaimite, ne se serait opposé ni défendu, parce que Ngungunyane avait déjà décidé de se rendre. « Gungunhana convencionou entregar-se ao comando do meu navio, […]. Esse compromisso sagrado em campanha foi para mim tomado solenemente e cobardemente atraiçoado depois em Chaimite ». Andrea, Soares de, « A Marinha de Guerra na Campanha de L.M. e contra o Gungunhana, 1894-1895 », Anais do Clube Militar Naval, 1897-1898, apud, Vilhena, Maria da Conceição, Gungunhana. Grandeza e decadência de um império africano, 1999, p. 156.  Retour au texte

51 Albuquerque, Joaquim Mouzinho d’, Relatório sobre A prisão do Gungunhana, publicado em suplemento ao Boletim Official do Governo Geral da Provincia de Moçambique (n. 9 de 1896), Lourenço Marques, Sampayo & Carvalho/Typographia Nacional de Lourenço Marques, 1896, p. 18. Retour au texte

52 Liengme, G., « Un potentat africain. Goungounyane et son règne », Bulletin de la Société neuchâteloise de Géographie, Tome XIII, 1901. Il reproduit des versions de la capture de Gungunhana transmises par la tradition orale où Ngungunyane apparaît sous des traits héroïques : il aurait voulu tirer mais les femmes l’auront empêché ou il aurait voulu mourir à la place d’un de ses oncles, apud Pélissier, René, História de Moçambique…, op. cit., p. 305. Retour au texte

53 La capture du roi Ngungunyane est relayée par la presse européenne en des termes très élogieux pour les Portugais, et présentée comme un exemple à suivre. La presse portugaise se fait écho de ces manifestations qui ont un ton de revanche après l’humiliation vécue lors de l’ultimatum anglais. Retour au texte

54 Vilhena, Maria da Conceição, « As mulheres de Gungunhana », Arquipélago. História, 2ª série, III, 1999, p. 407-416. Sur la question plus globale des femmes africaines au Portugal, analysée entre images et discours, voir Henriques, Isabel Castro, Mulheres africanas em Portugal. O discurso das imagens (séculos XV-XX), Lisboa, ACM, 2019. Retour au texte

55 Diario de Notícias, 32º Anno, n.10:792, 10 04-01-1896, p. 1. Retour au texte

56 Pélissier, René, História de Moçambique, op. cit., p. 307. Retour au texte

57 Diário de Notícias, 32º Anno, n.10:831, 12-02-1896, p. 1. Retour au texte

58 La revue O Occidente. Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro mentionne 51 prisonniers « vátuas », 19º Anno, XIX vol, n. 620, 15-03-1896, p. 58. Retour au texte

59 Plusieurs publications affirment s’agir d’une photo prise sur ce bateau, mais d’autres la situent sur le Neves Ferreira. C’est la première version qui est la plus répandue. Cependant, la question ne me parait pas close : l’expression de son visage et surtout son torse nu peut très bien indiquer un moment temporel antérieur. Retour au texte

60 « Gungunhana – o herdeiro Godide, mulheres e filhos menores do Gungunhana », Diario Illustrado, 25º anno, n. 8:256, 15-03-1896, p.1. Les gravures sont signées [Francisco] Pastor. Retour au texte

61 Le fait d’être habillé mérite d’être souligné : « ‘O Diario Illustrado de domingo’/ Graças ao favor de um prestante amigo que em Cabo Verde tirou o retrato a Gungunhana, todo vestido, e a seu filho […] podemos dar estes dois retratos […] de grande actualidade ». Italique dans l’original. Diario Illustrado, 25º anno, n. 8:255, 14-03-1896, p.1. Cette annonce se répète dans toutes les pages de cette édition. Retour au texte

62 Camara, João da, « Chronica occidental », O Occidente. Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 19ºAnno, vol. XIX, n. 620, 15-03-1896, p. 57-58, p.57. Retour au texte

63 Diario Popular, 31º Anno, n. 10:368, 14-03-1896, p. 1. Retour au texte

64 Esculápio, « O Gungunhana », António Maria, Anno XI, n. 432, 06-02-1896, p. 139. Retour au texte

65 O Occidente. Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 30º Anno, XXX Vol., n. 1:009, 10-01-1907, p. 7. C’est la première fois que son premier vrai nom apparait dans un titre de journal et ceci est d’autant plus intéressant qu’il était devenu « Reynaldo Gungunhana ». Retour au texte

66 O Occidente. Revista illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 30º Anno, XXX Vol., n. 1:009, 10-01-1907, p. 7. Retour au texte

67 L’acte se composait de dix-sept points dont les plus importants étaient les suivants : « Gungunhana comprometia-se, perante as autoridades portuguesas, a aceitar a abertura de escolas e missões junto de regiões sob sua influência, bem como se responsabilizava a aceitar a vinda de um representante luso para residir permanentemente na sua Corte. Aceitava ainda hastear a bandeira portuguesa junto do seu acampamento e a não declarar guerra aos régulos de outros grupos étnicos, sem prévio consentimento de Portugal. Para corroborar e cimentar estes compromissos, o Governo de Lisboa decidira ainda conceder ao régulo de Gaza o título de coronel de 2.ª linha, bem como o de capitão aos dois emissários que haviam participado e ajudado a elaborar este tratado de vassalagem », Garcia, José Luís Lima, « O mito de Gungunhana na ideologia nacionalista de Moçambique », dans Torgal, Luís R. (éd), Comunidades imaginadas, Nações e nacionalismos em África, Coimbra, Imprensa da universidade de Coimbra, 2008, p. 131-147, p. 134. Retour au texte

68 Isabelle Surun, « Une souveraineté à l'encre sympathique ? Souveraineté autochtone et appropriations territoriales dans les traités franco-africains au XIXe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2014/2 (69e année), p. 313-348. Retour au texte

69 Citons juste un exemple (souvent commenté) dans la presse : « Interrogatório aos régulos prisioneiros », Diário Popular, 31º Anno, n. 10 :370, 16-04-1896, p. 1 : « Como está mais tranquillo, vendo que os dias passam sem que a sua cabeça perigue, já se apresenta com ares de sobereno [sic] que ainda se não julga de todo abatido. Tem uns gestos d’aquella sua habitual superioridade fingindo não se preocupar muito com a qualidade e posição das pessoas que o rodeiam. Todas as suas attenções, todas as suas solicitudes são para as favoritas ». Italique dans l’original. Retour au texte

70 La différence entre Lisbonne et Angra do Heroísmo passe aussi par le positionnement politique des Açores. C’est de cette île que partit le contingent armé pour Porto, le 8 juillet 1832, aboutissant à la victoire de la monarchie constitutionnelle. Plus tard, l’archipel joua également un rôle en faveur de l’implantation de la République. Retour au texte

71 Schveiter, Ana Carolina, « Saudações das nossas colônias: o cartão postal como fonte para os estudos de colonialismo em África », dans Paula, Simoni Mendes de ; Correa, Sílvio Marcus de Sousa (dir.), Nossa Africa. Ensino e pesquisa, e-book, São Leopoldo, Oikos editora, 2016, p. 168-181, p. 169. Retour au texte

72 Vicente, Filipa Lowndes, « Fotografia e colonialismo. Para lá do visível », dans Miguel Bandeira Jerónimo, O império colonial em. questão (sécs. XIX-XX). Poderes, saberes e instituições, Lisboa, Edições 70, 2012, p. 423-453, p. 424. Soulignant ce que dit Vicente sur cette relation proche entre photographie et colonialisme, mais pour l’utiliser en sens inverse, nous pourrions citer ce passage de la lettre envoyé le 7 mai 1890 au ministre de la Marine par le gouverneur général João António Brissac das Neves Ferreira : « Uma das cousas que seria util mandar ao Gungunhana seria photographias dos principaes monumentos de Portugal especialmente palacios reaes, para elle se convencer melhor da grandeza do Rei de Portugal, […] por elle fará idéa das casas em que vive o Rei de Portugal, photographias de grandes massas de tropa para elle tambem se impressionar com a força militar de Portugal, Photographias dos coches e carruagens reaes para elle tambem vêr em que especie de tipoias se transporta o Rei de Portugal, e creio que com tudo isso se conseguiria fazer alguma impressão no animo do Regulo, sobre tudo se a pessôa encarregada de lhe apresentar as photographias soubesse bem fazer os devidos commentarios… », Arquivo Histórico Ultramarino/Sala de Leitura Geral/ Caixa SEMU/Direção Geral do Ultramar/1ª Repartição/Moçambique/1890/AHU-ACL-SEMU-DGU/Nº de ordem:1333/Pasta 12, apud Gabriela A. dos Santos, op. cit., p. 166. Retour au texte

73 Vicente, « Fotografia… », op. cit., p. 424. Retour au texte

74 Ibid. Retour au texte

75 Vicente, Filipa Lowndes, « Conhecimento e visão: Fotografia no arquivo e no museu colonial português (1850-1950). Fotografia e colonialismo ». Document on-line : http://www.fotografiacolonial.ics.ulisboa.pt/projecto.html (dernière consultation 6 décembre 2019). Retour au texte

76 Ibid. Retour au texte

77 Carvalho, Clara, « O saber e o olhar colonial: Política e iconografia no Centro de Estudos da Guiné Portuguesa », Soronda. Revista de Estudos Guineenses, 8, Julho 2004, p. 55-82, p. 56. https://repositorio.iscte-iul.pt/bitstream/10071/6218/1/Soronda_(NS)_n08-net(1).pdf (dernière consultation le 16 avril 2020). Retour au texte

78 Carvalho, Clara, op. cit., p. 79-80. Retour au texte

79 Ibid. Retour au texte

80 Les photos peuvent être vues ici : « Regulo Gungunhana e Mt.º Almeida » https://actd.iict.pt/view/actd:AHUD5179 et « [Gungunhana] e chefes dos carregadores em Inhambane » https://actd.iict.pt/view/actd:AHUD5177 (dernière consultation le 06-06-2020). Retour au texte

81 Martins, Leonor Pires, Um império de papel. Imagens docolonialismo português na imprensa periódica ilustrada (1875-1940), Lisboa, Edições 70, 2014, p.80. Retour au texte

82 « ‘Bolachas manifestantes’/Eduardo Costa o proprietario da Fabrica de bolachas da Pampulha tambem quiz prestar homenagem do seu enthusiasmo aos valentes expedicionarios. […] Os srs não imaginam como e agradavel a gente manifestar o seu entusiasmo patriotico comendo meio kilo de Gungunhanas em bolachas ». António Maria, Anno XI, n. 434, 14-03-1896, p. 155. Retour au texte

83 O Paiz, Anno primeiro, n. 107, 16-02-1896, p. 1. Retour au texte

84 O Occidente Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 19º Anno, XIX vol., n. 614, 15-01-1896, p. 13. Retour au texte

85 O Occidente Revista Illustrada de Portugal e do Extrangeiro, 19º Anno, XIX vol., n. 614, 15-01-1896, p. 13. Retour au texte

86 O Paiz, Anno primeiro, n. 80, 20-01-1896, p. 1. Retour au texte

87 Diario Popular, 31ºAnno, n. 10:368, 14-03-1896, p.1. Retour au texte

88 Diario Popular, 31ºAnno, n. 10:368, 14-03-1896, p.1. Retour au texte

89 Manuel Gustavo Bordallo Pinheiro collaborait avec son père. António Maria, Anno XI, n° 432, 06-02-1896, p. 144. Retour au texte

90 http://colecao.museubordalopinheiro.pt/ficha.aspx?id=15048&ns=216000&origem=243034110118063018184247015098028182033108195128&modo=album (dernière consultation le 06-06-2020). Retour au texte

91 http://colecao.museubordalopinheiro.pt/ficha.aspx?id=15056&ns=216000&origem=089050166155251177168211074053022013063131110020246108116063165210201043&modo=album (dernière consultation le 06-06-2020). Retour au texte

92 http://colecao.museubordalopinheiro.pt/ficha.aspx?id=15206&ns=216000&origem=243034110118063018184247015098028182033108195128&modo=album(dernière consultation le 06-06-2020). Retour au texte

93 Catalogue de ventes aux enchères organisée par Vista Alegre à partir d’un ensemble de pièces sélectionnées par deux experts et qui s’est tenue en novembre 2003 au Palais de Fronteira, à Lisbonne. https://www.cml.pt/cmleiloes.nsf/350ead374b8f05f280256df200461e3e/$FILE/Leilao_2003.pdf (dernière consultation le 05-06-2020). Retour au texte

94 Voir par exemple dans ces archives, la carte postale de 1904 mais envoyée en 1906, prise devant un mur qui ressemble au fort, dans une disposition des corps qu’on retrouve dans la plupart des cartes mais utilisant de différents décors. Arquivo Digital : Arquipélago dos Açores em postais ilustrados. Retour au texte

http://ww3.aeje.pt/avcultur/avcultur/Postais4/Acores30.htm (dernière consultation le 12-04-2020).

Cf. aussi : https://arqhist.exercito.pt/details?id=37696 (dernière consultation le 12-04-2020).

95 Carlos Enes, Arquivo de Imagem dos Açores. Fotografia. Retour au texte

http://www.culturacores.azores.gov.pt/aia/fotografia/Historia.aspx (dernière consultation, le 12-04-2020).

96 Carlos Enes, Arquivo de Imagem dos Açores. Fotografia. Retour au texte

http://www.culturacores.azores.gov.pt/aia/fotografia/Historia.aspx (dernière consultation, le 12-04-2020).

97 Carlos Enes, Arquivo de Imagem dos Açores. Fotografia. Retour au texte

http://www.culturacores.azores.gov.pt/aia/fotografia/Historia.aspx (dernière consultation, le 12-04-2020).

98 « Novas incorporações : Cesto MNE :BM 747 produzido por Gungunhana ». https://mnetnologia.wordpress.com/author/mnetnologia/page/12/ (dernière consultation le 29-06-2020) et https://aconteceemlisboa.pt/portfolio-items/a-oferenda-do-guerreiro/ (dernière consultation le 29-06-2020). Retour au texte

99 Dans Alvarez, José Carlos, « Rumo a África. Contribuição para o estudo da presença das companhias de teatro e dos actores portugueses em África (1900-1974) », Revista Camões, nº 19, Teatro : digressões em língua portuguesa, décembre, 2006, p.63-79, p. 66. cvc. instituto-camoes.pt (dernière consultation le 29-06-2020). Retour au texte

100 « Cesta. MAH 1990.1244 ». https://museu-angra.azores.gov.pt/museu-aberto/pdf/053_museu-aberto.pdf (dernière consultation le 29-06-2020). Retour au texte

101 http://www.matriznet.dgpc.pt/MatrizNet/Objectos/ObjectosConsultar.aspx?IdReg=1108383 (dernière consultation le 12-06-2020). Retour au texte

102 http://www.matriznet.dgpc.pt/MatrizNet/Objectos/ObjectosConsultar.aspx?IdReg=1108383 (dernière consultation le 12-06-2020). Retour au texte

103 https://aconteceemlisboa.pt/portfolio-items/a-oferenda-do-guerreiro/ (dernière consultation le 12 avril 2020). Retour au texte

104 Citons Marcel Mauss dans son analyse du potlach : « Donner, c'est manifester sa supériorité, être plus, plus haut, magister ; accepter sans rendre ou sans rendre plus, c'est se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit, choir plus bas », Mauss, Marcel, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses universitaires de France, 1950, p. 269. Retour au texte

105 MNT, inv., nº 80 296, « Cesto executado manualmente por Reynaldo Gungunhana » ; MNT, inv., nº 80 296, cartão manuscrito por Reynaldo Gungunhana, 902 (dernière consultation le 12-06-2020). Retour au texte

106 Alvarez, José Carlos, « Rumo a África. Contribuição para o estudo da presença das companhias de teatro e dos actores portugueses em África (1900-1974) », Revista Camões, nº 19, Teatro: digressões em língua portuguesa, décembre 2006, p. 63-79, p. 65-66. cvc. instituto-camoes.pt (dernière consultation le 12-09-2019) Retour au texte

107 Ibid. Retour au texte

108 À l’intérieur il y avait aussi une carte de visite de l’acteur avec les noms manuscrits António da Silva Pratas Godide et Roberto Frederico Zixaxa, ibid. Retour au texte

109 Alvarez, José Carlos, « Rumo a África. Contribuição para o estudo da presença das companhias de teatro e dos actores portugueses em África (1900-1974) », Revista Camões, nº 19, Teatro: digressões em língua portuguesa, décembre, 2006, p. 63-79, p. 65-66. cvc. instituto-camoes.pt (dernière consultation le 12-09-2019). Retour au texte

110 Pinheiro, Paula Moura, « Museu Nacional do Teatro ». Câmara Clara V, RTP2, 28-03-10, 58:57’. https://arquivos.rtp.pt/conteudos/museu-nacional-do-teatro-2/ (dernière consultation le 12-09-2019). Retour au texte

111 Pinheiro, Paula Moura, ibidem, 1:00:19’. Retour au texte

112 « Cestaria de espiral cozida de palha e vime 9x17x11. CM Matibejana de Zixaxa, séc XIX/XX (1896-1927). MAH, R1990-1244. « […] De resto o elevado grau de perfeição de cestaria zulu transparece nesta peça atribuída a Matibejana de Zixaxa ». https://museu-angra.azores.gov.pt/museu-aberto/pdf/053_museu-aberto.pdf (dernière consultation le 06-06-2020). Retour au texte

113 Último rei de Gaza, Amone, V. et César, I., « Especial informação », Télévision mozambicaine, 2012, 24 04’. https://www.youtube.com/watch?v=jna_i597PxY (dernière consultation le 12-09-2019). Retour au texte

114 Mignolo, Walter D. et Tlostanova, Madina V., « Theorizing from the Borders. Shifting to Geo-and Body-Politics of Knowledge », European Journal of Social Theory 9 (2), 2006, p. 205-221, p.211. Retour au texte

115 Mignolo, Walter, La désobéissance…, op. cit., p. 59. Retour au texte

116 Ibid., p. 70. Retour au texte

117 Ibid., p. 17. Retour au texte

118 Ibid., p. 29. Retour au texte

119 Bermúdez, Juan Pablo, « La décolonisation est un projet d’inspiration éthique », dans Mignolo, Walter, La Désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, Bruxelles, Peter Lang, 2015, p. 151-174, p. 169. Retour au texte

120 Mignolo, Walter D. et Tlostanova, Madina V., « Theorizing from the Borders… », op. cit., p. 210. Retour au texte

121 Ibid., p. 211. Retour au texte

122 Bazin, Jean, Des clous dans la Joconde, Toulouse, Anacharsis, 2008, p. 542. Retour au texte

123 Rancière, Jacques, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, p.25. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Maria-Benedita Basto, « Ngungunyane en circulations : images et objets d’un roi africain dans la production des savoirs coloniaux portugais du XIXe siècle », Reflexos [En ligne], 5 | 2022, mis en ligne le 07 novembre 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/reflexos/181

Auteur

Maria-Benedita Basto

MCF, Université Paris-Sorbonne, chercheuse au CRIMIC, chercheuse associée à IHC/Université Nouvelle de Lisbonne et à l’IMAF/EHESS-Paris I.

mbbasto@yahoo.com

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