Le roman Conspiração de Tomé Vieira : la Fiction au service de la Propagande Salazariste

Résumé

Cette étude est une approche des éléments pro-salazaristes de l’œuvre Conspiração du journaliste portugais Tomé Vieira, parue en 1936. Elle éclaire les divers aspects idéologiques qui font de cette fiction un ouvrage de propagande de l’ « État Nouveau » de Salazar, brossant le portrait « officiel » de la société portugaise des années 30.

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Mots-clés

Tomé Vieira, littérature de propagande, salazarisme

Palavras chaves

Conspiração, Tomé Vieira, literatura de propaganda, salazarismo

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Portugal

Index chronologique

XXe

Index thématique

Varia

Texte

Ce travail a été présenté dans le cadre de la Journée d’Études : « Dictature, censures et répressions dans les mondes lusophones – XX° et XXI° siècles », organisée par Marc Gruas, IRIEC-Toulouse, Université de Toulouse2-Le Mirail, le 11 mai 2012. Communication filmée et consultable en cliquant sur ce lien : La fiction au service de la propagande salazariste ... - Canal-U.

Conspiração

Conspiração

Conspiração1 de Tomé Vieira est publié en 1936 au Portugal. Il s’agit d’un petit roman, uma novela, peu connue, et du reste, sans grande valeur littéraire.

Son intérêt est d’être avant tout un document historique authentique illustrant une forme de fiction au service de la propagande salazariste.

Pourtant, le nom de Salazar n’est jamais cité tout au long des 163 pages de ce livre, ce qui le rend encore plus omniprésent. Nous verrons comment s’y brosse le portrait « officiel » d’un Portugal qui entre dans une ère nouvelle et qui se reconstruit sur les ruines d’un régime républicain miné par la corruption, les conflits internes, les intérêts personnels, la défiance, la trahison, l’incompétence à gouverner et à bien gérer l’argent public, l’esprit de conspiration. Et dans ce Portugal qui renaît enfin se dessine également le portrait d’un peuple rural et chrétien, humble, certes analphabète mais honnête et travailleur, attaché à son histoire et qui se prend à nouveau à croire en sa nation et en son gouvernement. La jeunesse, représentée ici par les protagonistes Marília de Souza et Carlos Duarte (ce dernier remis dans le droit chemin par la première), deux étudiants en Droit, incarne cet « homme nouveau », ces femmes et ces hommes portugais modelés par l’idéologie salazariste qui garantiront la pérennité du régime.

Replaçons l’ouvrage dans son contexte : les années 1930 et 40 constituent l’Âge d’Or du Salazarisme. Le régime se met en place tant sur le plan politique qu’idéologique.

Dès 1932, Salazar, doté de l’aura de « Sauveur de la Nation » pour avoir réussi l’exploit de rééquilibrer les comptes de l’État en 1928-29, devient chef du gouvernement et l’Union Nationale créée dès 1930, va fonctionner comme un parti unique puisque les partis politiques sont interdits, le droit de grève est aboli, en 1933 la nouvelle Constitution entre en vigueur, légitimant un régime qui s’auto-définit comme autoritaire, corporatif, impérialiste, antimarxiste, un régime nationaliste que résume bien la formule de Salazar lui-même : « Tout pout la Nation, Rien contre la Nation ». Pour mener à bien son projet d’État Nouveau, outre la Censure de la presse déjà en vigueur depuis le coup d’État du 28 mai 1926, le régime se dote, d’une part, de moyens répressifs avec la Police de Surveillance et de Défense de l’État (devenue ensuite PIDE) et, d’autre part, d’instruments de propagande, notamment le SPN (Secretariado de Propaganda Nacional) dès 1933, dirigé par António Ferro. Ce journaliste a, du reste, fait des interviews de Salazar, éditées en livre en 1936, sous le titre « Salazar, o homem e a sua obra », et contribuera à fabriquer le Mythe salazariste, même dans le reste de l’Europe (« o Sábio »). Yves Léonard écrit dans son ouvrage « Salazarisme et Fascisme »2 que le SPN « dessine habilement l’image que le régime souhaite donner de lui-même, tout en s’efforçant de modeler les esprits tant sur le plan politique qu’au niveau de la vie quotidienne ». Il cite ce qu’affirme Salazar lors de l’inauguration du SPN : « Politiquement, il n’existe que ce dont le public connaît l’existence ». Le SPN va jouer un rôle très actif dans toutes les manifestations culturelles ayant pour but de faire l’éloge du régime, livres, films, conférences et expositions, dont la plus importante est l’Exposition du Monde Portugais en 1940. António Ferro veut ainsi « contribuer à la consolidation de la conscience civique et politique du peuple portugais ».

Tomé Vieira, avec son livre Conspiração s’inscrit dans la même perspective. Bien moins connu qu’Antonio Ferro, on trouve peu de données biobibliographiques sur cet auteur, né en 1900, près de Monte Real, district de Leiria. Journaliste de profession, il a fait partie de la rédaction du journal o Século où il a commencé à travailler en 1925 et où il est resté 13 ans et pour lequel il a été correspondant de guerre durant la Guerre civile espagnole. Puis, il a été rédacteur en chef du Diário de Notícias, où il est entré comme rédacteur en 1939. Il a publié quelques œuvres très peu connues, dont Conspiração, en 1936 (dont il y aura une deuxième édition en 1939 (Editorial Império)). Le journal O Século du 2 février 1936 consacre un petit article à l’événement (on peut y voir la photographie de l’auteur). Il est intitulé « Conspiração  Um novo trabalho literário do jornalista Tomé Vieira. » On peut y lire la présentation suivante qui nous servira d’introduction au roman :

« Tomé Vieira, nosso prezado colega da redacção e jornalista distinto, sempre apaixonado da sua profissão...Conspiração, o título desta sua novela que ocupa mais de 150 páginas, serve para Tomé Vieira nos apresentar um trabalho a todos os títulos interessante, até porque revela um grande progresso no campo literário (sic!), lançando-se em obra de maior vulto em relação àquelas que nos apresentou. Tomé Vieira continua a ser um claro espírito observador e a buscar as figuras das suas novelas na vida de todos os dias. A prosa é elegante e cuidada, embora despretenciosa, e, assim, descreve-nos, com poder de emoção, uma festa de aldeia, com todo o seu ruído, côr e beleza, para pôr, depois, em cheque as ideias comunistas. Há na novela, que interessa de página para página, um delicado fio amoroso para colocar ante nossos olhos uma alma de mulher lançada na tarefa de chamar à razão e ao espírito nacionalista, alguém a quem idéias perigosas tinham perturbado. “Conspiração” que Quim ilustrou com uma curiosa capa, sendo uma interessante obra literária, é também, uma manifestação de fé nacionalista. O seu êxito está, por isso, assegurado. »

Le roman est donc présenté, dès l’époque de sa parution comme une œuvre pro-salazariste, assez bien écrite quoique sans véritable dimension littéraire. Elle est composée d’ingrédients qui peuvent se résumer à une petite intrigue amoureuse, à l’apologie stéréotypée de la vie rurale et de ses traditions, à la critique des idées communistes et à l’exaltation des idées nationalistes. L’auteur de l’article, en 1936, ne prenait guère de risque en affirmant que son succès, et on le comprend, était garanti !

Le roman renvoie à l’image mythique d’un Portugal Nouveau, soigneusement développée et entretenue durant les années 30 et 40. Or, cette image repose sur ce que Fernando Rosas, spécialiste de cette période de l’Histoire du Portugal, a défini, très pertinemment, comme étant les « mythes idéologiques fondateurs de l’État Nouveau ». Dans un essai intitulé « Le Salazarisme et l’Homme Nouveau »3, il tente de définir le système des valeurs, de l’axiologie (sciences des valeurs morales ou en philosophie, théorie des valeurs) et de l’idéologie de l’État Nouveau qui se traduisirent concrètement par « la création d’un appareil d’inculcation idéologique étatiste et autoritaire ayant prise sur le quotidien de chacun, de la vie de famille en passant par l’école, le travail, les loisirs4. Ainsi, dit-il, l’objectif fut de créer cet « homme nouveau » particulier du salazarisme. » Selon l’analyse de Fernando Rosas, il s’agissait d’un « projet totalisant de rééducation « des esprits », de création d’un nouveau type de Portugaises et de Portugais régénérés par l’idéal purement national dont le régime se considérait porteur » et d’ajouter que cet « idéal » « a été introduit autoritairement dans l’espace privé, cherchant à modifier les comportements des masses ».

Voici les 7 mythes fondateurs dégagés par Fernando Rosas et qui serviront de fil conducteur à notre présentation de l’idéologie transmise dans le roman Conspiração. Nous en montrerons la présence dans ce roman ; présence qui établit de façon indéniable la nature du message politique de l’auteur :

Le mythe de la palingénésie, du retour de la « renaissance portugaise », de la « régénération » opérée par l’État nouveau, interrompant la « décadence nationale » provoquée par plus de cent ans de libéralisme.

Le mythe central de l’essence du régime, du nouveau nationalisme. L’État nouveau surgit comme l’institutionnalisation du destin national, la matérialisation politique d’une essence historique portugaise, qui ne se discute donc pas mais s’accomplit.

Le mythe impérial, qui renvoie à une vocation historique et providentielle, à coloniser et à évangéliser.

Le mythe de la ruralité, une ruralité traditionnelle, vertu spécifique où s’exprimaient les véritables qualités de la race et où se fortifiait l’être national.

Le mythe de la « pauvreté honnête », le « vivre habituellement», la « vocation de pauvreté ».

Le mythe de l’ordre corporatiste comme expression de l’ordre naturel des choses. La maxime du ministre Carneiro Pacheco : « Une place pour chacun, chacun à sa place ». Ce mythe va de pair avec une vocation d’ordre, de hiérarchie et d’autorité naturelle.

Le mythe de l’essence catholique de l’identité nationale (la religion catholique est un élément constitutif de l’être portugais, comme attribut marqueur de sa propre nationalité et de son histoire).

Le roman comporte comme épigraphe5, une citation de l’écrivain Alexandre Herculano qui renvoie à la temporalité du récit (10 ans : ici, de 1925 à 1935) et vient légitimer le fait que tout homme peut évoluer et changer d’avis : on a le droit de s’être trompé d’opinion et de modifier son jugement, et surtout si c’est dans le bon sens ! (ce sera le cas emblématique du protagoniste Carlos qui se rend à l’évidence des bienfaits du nouveau régime). L’histoire du roman est simple : Carlos Duarte, fils de M. João Duarte, propriétaire terrien et patron dans le village de Monte Real, étudie le Droit à Lisbonne. Il est amoureux depuis l’enfance, de la gentille « menina » Isabel, fille d’un autre propriétaire de Monte Real, M. Alves qui ne voit pas d’un bon œil cette relation car il a des divergences privées politiques avec João Duarte, bien qu’ils soient tous deux du même bord politique. Dans la capitale, Carlos, jeune homme « intelligent » (« no seu curso talvez não houvesse mais inteligente »), « sincère, loyal, rêveur » (p. 60) s’est laissé influencé par des camarades et séduire par des idées communistes et un projet de conspiration (une conspiration plus importante que les autres car elle est fomentée par plusieurs groupes d’opposants au régime – les communistes et les républicains de l’ancien régime –, qui se servent les uns des autres et ont déjà l’intention de se trahir réciproquement). Lors d’une grève d’étudiants, c’est Carlos qui brandit le drapeau rouge et se fait arrêter et emprisonner dans la prison d’Aljube (suggérée sur l’illustration de la couverture, qui montre ce qui attend les conspirateurs). Aucun de ses camarades politiques ne vient le soutenir moralement. Seule sa collègue Marília de Souza, qui ne partage pas du tout ses idées, bien au contraire, vient lui rendre visite. Elle sait voir en lui ses qualités humaines et veut le sauver (la rédemption), lui ouvrir les yeux sur tous les mensonges proférés par ceux qui ont juste voulu se servir de lui pour des intérêts personnels et non pas pour un idéal politique véritable. Marília laisse toute une sélection d’ouvrages qui vantent l’Etat nouveau, à Carlos pour l’occuper durant sa détention et l’aider à se rendre à l’évidence que le gouvernement en place est en train d’accomplir une œuvre remarquable pour la Nation. Elle a par ailleurs aussi beaucoup à faire avec son père, un ancien Sénateur, mêlé lui-même à ces projets de conspiration mais dont elle sait qu’il est manipulé et en grand danger. Finalement, Carlos finit par prendre conscience qu’il a bel et bien été manipulé et il décide d’abandonner la politique et de se consacrer uniquement à ses études. Le Sénateur se rend également aux arguments de sa chère fille (qui ne lui manque jamais de respect (« o Papá ») et abandonne lui aussi la politique. Au village, où a lieu un mariage auquel tout le village est convié comme le veut la tradition, tout a évolué en bien : l’école a rouvert ses portes, il y a un professeur qui sait, qui plus est, intéresser ses élèves en leur racontant l’histoire de leur région, où a séjourné la famille royale de l’époque de D. Dinis (on retrouve là le lien avec le passé historique du Portugal si cher au Salazarisme). Ce professeur tombe amoureux de la menina Isabel. Mais tout va pour le mieux car il devient l’ami de Carlos et parvient même à la réconciliation du père de celui-ci, M. Duarte et de M. Alves, père d’Isabel. Dans l’épilogue, Carlos, lui, devenu avocat, s’est marié avec Marília.

Le roman se déroule entre 1925 et 1935 et a essentiellement pour cadre deux espaces : Lisbonne et surtout, le village de Monte Real, baigné par le fleuve Lis, dans la région de Leiria. Un petit hameau de la campagne portugaise dont l’auteur (qui en est lui-même originaire) loue la beauté (p. 43 et 44) et l’ambiance de travail et de paix qui y règne. Le roi D. Dinis, « o lavrador » ainsi que son épouse la reine sainte D. Isabel avaient d’ailleurs élu ce lieu pour y séjourner un été. Au village, la vie s’écoule au rythme des travaux de la terre (« todos saíam de manhã para o campo a tratar do amanho da terra – que é a única riqueza das gentes pobres », p. 35), de la messe du dimanche (« Nem um havia que não fosse crente » p. 10, et tableau idéal, idyllique et bucolique de la messe : « Era interessante o quadro. Ajoelhados, homens e mulheres ouviam missa, cá fora. [...] A mancha de seus fatos domingueiros sobressaía na relva loira do terreno.[até] dos dias de trabalho. », p.11), et des festivités traditionnelles religieuses (chapitre 4 « A festa da Rainha Santa » p. 53, et p. 56 les filles “casadoiras”). On retrouve dans toute la description et dans l’apologie de la vie rurale, qui reflète parfaitement le conservatisme traditionnaliste ruraliste et religieux de Salazar, trois des mythes mis en avant par Fernando Rosas : le mythe de la ruralité bien sûr, (une ruralité traditionnelle, vertu spécifique où s’exprimaient les véritables qualités de la race et où se fortifiait l’être national) mais qui prend tout son sens quand il interagit avec le mythe de la « pauvreté honnête » (« vivre habituellement», « vocation de pauvreté ») ainsi qu’avec le mythe de l’essence catholique de l’identité nationale, qui caractérise si fortement l’image du peuple portugais de la période de l’Etat Nouveau (Dieu-Famille-Patrie : les trois piliers)6.

La voie du renouveau de la vie politique portugaise est d’abord mise en lumière par le contraste dichotomique établi par rapport au régime antérieur durant lequel régnait la corruption (décrite dès le premier chapitre intitulé « Em vésperas de eleições », p. 13 « Talvez o Sr Alves não saiba mas o patrão João Duarte já prometeu a cada um que for votar com ele, além do almoço, um par de alparcatas. ») et où l’argent public ne sert pas à l’intérêt public (même l’église du village est tombée en ruines !) mais aux intérêts des partis et des personnes :

« Vivemos sem escola, as estradas estão, há muito, intransitáveis ; a fonte há dois anos que espera reparação. E que tem feito a Camara ? Gasta o dinheiro que é de todos nós em propaganda do seu partido, em propaganda de eleições, o dinheiro que é sagrado, que tanto nos custa a ganhar », p. 14.

Le chapitre 2, intitulé « Uma revolução sem tiros », fait référence au coup d’État du 28 mai 1926, qui est montré comme différent de toutes les autres tentatives violentes et meurtrières de faire tomber le régime qui ne faisaient qu’empirer les choses (« à medida que mais revoluções havia, a vida tornava-se mais difícil, mais cara », p. 20). Cette fois, le peuple (décrit de façon assez dédaigneuse d’ailleurs: « na taberna do Simões, falavam assim aquelas almas simples e desconhecedoras dos grandes problemas nacionais. Que podiam entender todos aqueles analfabetos…», (p. 20) mais aussi les riches, accueillent avec joie cette révolution (« A alegria era franca, comunicativa, desde a cidade ao campo, na casa do pobre como na do remediado », p. 23) et M. Alves, chez le traditionnel barbier, explique de façon exaltée, que les choses vont changer pour de bon et que l’argent public sera bien administré:

« Acabou enfim essa grande pouca vergonha. A revolução de agora, tenho fé, vai pôr as coisas na ordem, fazer com que os dinheiros públicos sejam rigorosamente aplicados naquilo que o país precisa. Há tanta coisa a fazer, tanta…», p. 24

Ici s’illustre le mythe de la palingénésie, du retour de la « renaissance portugaise », de la « régénération » opérée par l’État nouveau, interrompant la « décadence nationale » provoquée par plus de cent ans de libéralisme. Celui-ci va de pair avec le mythe central de l’essence du régime, du nouveau nationalisme7. Un régime dont le gouvernement est au-dessus des luttes partisanes, et dont les hommes d’État sont plus des administrateurs que des politiciens ; tel est le discours de M. Alves, qui se fait l’écho des idées de Salazar :

« A única maneira do país singrar em todos os campos da actividade é ter a governá-los um grupo de estadistas, mais administradores do que políticos, um grupo de homens que não tenham de dar satisfações a partidos, e que para se manterem no poder possuam uma força real e não fictícia. […] Temos isso agora ; temos, neste momento, a maior e melhor garantia dum governo forte e desobrigado de compromissos partidários. », p. 27.

Puis plus loin dans le roman, M. Alves commente l’œuvre accomplie par le gouvernement et en fait l’apologie :

« Por todo o país a obra deste governo, que não veio pedir-nos votos nem prometer coisa alguma, é formidável. Trabalhos de grande envergadura, como portos, estradas, bairros económicos, navios de guerra, edifícios públicos, que estavam a apodrecer, em tudo isso tel sido gasto o dinheiro que pagamos, com proveito e administração. Há por toda a parte uma melhoria notável, quer sob o aspecto económico quer sob o aspecto financeiro. E é uma coisa destas que alguns pretendem deitar a baixo. », p. 69

Et peu après, le discours d’un client de la taverne reprend la métaphore paternaliste qui caractérise si bien le pouvoir de Salazar :

« Eu também digo que isto de não haver quem governe é uma coisa impossível. Se a gente não tivesse respeito nem acatasse a quem sabe mais do que nós, como seria o mundo? Porque mal comparado, a nação deve ser uma coisa assim como uma casa onde há muitos filhos e o pai tem de dar ordem à vida para a todos criar. Ora os filhos se não fôrem devidamente educados, se não tiverem respeito ao pai, tudo vai mal e a casa não resiste. », p. 70.

Le pauvre Carlos (« Eu sei quanta sinceridade e quanta ilusão aberga aquela alma », dit à son sujet Marília en p. 89) s’est laissé tromper par la doctrine communiste. Mais, il s’agit là d’une simple erreur de jeunesse, « rapaziadas » (p. 58), des enfantillages, est le terme utilisé par l’auteur, qui l’absout de son péché et ôte dans le même temps à la jeunesse toute authentique conscience politique. A la taverne du village, les hommes demandent à M. Alves de leur expliquer ce qu’est le communisme, ce qui donne lieu à un beau morceau d’anthologie de discours anticommuniste :

« Comunista…comunista… é assim uma coisa como... eu sei lá... é pior do que tudo. Os comunistas são aqueles que desejam um mundo em que não haja patrões nem operários, um mundo que se governe por si próprio, onde não haja leis nem religião. Ninguém se baptisa, ninguém se casa; o amor não existe, a mulher é uma coisa que não vale nada, todos a ela podem ter direito...Eu sei lá, é uma coisa pior do que tudo. Os comunistas para vencerem, para construirem o seu mundo, destroiem tudo a tiro ou à bomba. Não respeitam as ideias dos outros, atacam a propriedade, incendeiam igrejas, numa palavra fazem a desordem... », p. 66-67

Le chapitre 8 intitulé « Novos Horizontes » est explicitement le texte de propagande salazariste, où l’on retrouve l’image positive de l’œuvre du gouvernement et de son chef, cités en exemple dans la presse étrangère :

« A situação do país merecia à Imprensa estrangeira referências entusiátiscas. Citava-se a nossa política como modelo, havia alusões às nossas condições financeiras, fde modo a colocar-nos numa posição privilegiadas. Por todo o país continuavam as obras de fomento que empregavam milhares de operários. Dia a dia os jornais inseriam diplomas governativos no sentido de debelar a crise que, por fenómenos mundiais, também nos atingira. O nível económico da nação era, comparadamente a outros países, o mais animador. O nome de Portugal e dos estadistas que o governavam andavam citados em todo o mundo... », p. 99

Dans ce même chapitre, au Mythe de la palingénésie et à celui du nouveau nationalisme s’ajoute le mythe de l’ordre corporatiste comme expression de l’ordre naturel des choses. La maxime du ministre Carneiro Pacheco : « Une place pour chacun, chacun à sa place ». Ce mythe va de pair avec une vocation d’ordre, de hiérarchie et d’autorité naturelle. L’idée corporatiste de l’organisation économique et sociale est énoncée dans le roman, par une citation de Salazar lui-même :

« […] Nós queremos ir na satisfação das reivindicações operárias, dentro da ordem, da justiça e do equilíbrio nacional, até onde não foram capazes de ir outros que prometeram chegar até ao fim. Nós queremos defender as massas proletárias dos seus falsos apóstolos, e demonstrar com a nossa atitude que não há uma questão económica a dividir-nos, mas no fundo um conceito diferente da vida, outra idéia de civilização. », p. 101.

Notons enfin que le seul mythe central de l’idéologie salazariste mais absent de Conspiração est le Mythe Impérialiste.

Finissons par quelques mots sur Marília, cette figure féminine, image de salvatrice et de rédemptrice, qui exalte le nationalisme salazariste et emploie toute l’énergie de sa jeunesse au service de cette idéologie, elle se présente elle-même en disant « serei, se quiserem, a pomba da paz, serei a verdade » (p. 95). Pas de conscience politique mais un engagement qui est de l’ordre de la Foi en ce nouveau régime.

Tomé Vieira nous propose avec Conspiração un bel exemple de fiction au service de la propagande, panégyrique de l’État nouveau de Salazar, et qui a valu à l’exemplaire de l’Institut Catholique de Lisbonne de quitter les rayonnages de la bibliothèque et de voyager jusqu’à nous, à travers le temps et l’espace.

Bibliographie

Léonard, Yves, Salazarisme et Fascisme, Paris, Chandeigne, 1996, p. 145.

Rosas, Fernando, « Le Salazarisme e l’Homme nouveau : essai sur l’État nouveau et la question du totalitarisme » in L’homme nouveau dans l’Europe fasciste : 1922-1945 : entre dictature et totalitarisme – sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci, Pierre Milza, Paris Fayard, 2004, 365 p. (Actes du Colloque international « L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste », organisé par le CHEVS (Centre d’histoire du Vingtième siècle de l’Institut d’Etudes politiques de Paris) sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci et Pierre Milza, Paris, Mars 2000)

Vieira, Tomé, Conspiração, Lisboa, s. Ed., 1936, 163 p.

Notes

1 Tomé Vieira, Conspiração, Lisboa, s. Ed., 1936, 163 p. Exemplaire de la Bibliothèque de l’Université Catholique Portugaise de Lisbonne. Toutes les citations sont tirées de cette édition. Retour au texte

2 Yves Léonard, Salazarisme et Fascisme, Paris, Chandeigne, 1996, p. 145. Retour au texte

3 Rosas, Fernando, « O Salazarismo e o Homem novo : ensaio sobre o Estado Novo e a questão do totalitarismo », in Análise Social, vol. XXXV, 2001, p. 1031-1054. Ce texte reproduit la communication présenté par l’auteur lors du Colloque international « L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste », organisé par le CHEVS (Centre d’histoire du Vingtième siècle de l’Institut d’Etudes politiques de Paris) sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci et Pierre Milza, Paris, Mars 2000, dont les Actes ont été publiés aux éditions Fayard en 2004 : Retour au texte

L’homme nouveau dans l’Europe fasciste : 1922-1945 : entre dictature et totalitarisme – sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci, Pierre Milza, Paris Fayard, 2004, 365 p.

4 En 1936, est créée l’organisation de type para-militaire, a Mocidade Portuguesa qui présente des points communs avec les Jeunesses hitlériennes. La Mocidade portuguesa, très vite obligatoire prend en charge les jeunes portugais et les endoctrine. Retour au texte

5 « Dez anos não passam debalde para a inteligência humana, e eu não me envergonho de corrigir e emendar as minhas opiniões, porque não me envergonho de raciocinar e aprender. » Alexandre Herculano. Retour au texte

6 « la religion catholique est un élément constitutif de l’être portugais, comme attribut marqueur de sa propre nationalité et de son histoire » in Rosas, Fernando, « Le Salazarisme e l’Homme nouveau : essai sur l’État nouveau et la question du totalitarisme » in L’homme nouveau dans l’Europe fasciste : 1922-1945 : entre dictature et totalitarisme – sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci, Pierre Milza, Paris Fayard, 2004, p. 92. Retour au texte

7 « L’État nouveau surgit comme l’institutionnalisation du destin national, la matérialisation politique d’une essence historique portugaise, qui ne se discute donc pas mais s’accomplit. » in Rosas, Fernando, « Le Salazarisme e l’Homme nouveau : essai sur l’État nouveau et la question du totalitarisme » in L’homme nouveau dans l’Europe fasciste : 1922-1945 : entre dictature et totalitarisme – sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci, Pierre Milza, Paris Fayard, 2004, p. 91. Retour au texte

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Citer cet article

Référence électronique

Emmanuelle Guerreiro, « Le roman Conspiração de Tomé Vieira : la Fiction au service de la Propagande Salazariste », Reflexos [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 25 mai 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/reflexos/696

Auteur

Emmanuelle Guerreiro

Université de Toulouse2-Le Mirail

PRAG

emmanuelle.guerreiro@univ-tlse2.fr

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