Ethno-paysages et ethno-parasites : l’écologie de l’ethnicité chez Lev Goumiliov

Cet article est consacré aux problèmes de territoire, de paysage et d’ethnicité qui sont au centre des écrits de Lev Nikolaïevitch Goumiliov (1914-1994). Fils de deux des plus grands poètes de la Russie du XX^e siècle (Nikolaï Goumiliov et Anna Akhmatova), Goumiliov, qui passa treize années de sa vie dans les camps de travail staliniens, fut une figure intellectuelle marquante de la dernière période de l’Union soviétique. On verra dans la présente étude comment Goumiliov a développé une théorie « scientifique » de l’etnos en tant qu’élément de paysage, sur la base de principes naturels et environnementaux. On se penchera aussi sur la façon dont il a appliqué ces derniers pour tirer des conclusions politiques bien précises sur les relations interethniques dans l’Union soviétique de son temps – et les dérives antisémites entraînées par sa conception de l’etnos comme niche « écologique ». Vers la fin de sa vie, Goumiliov déclara que chacun devait reconnaître les frontières traditionnelles – tant spatiales que temporelles – qui constituent son identité ethnique et avoir une idée nette de ce qui sépare son groupe des autres. Le salut ne pouvait venir que de la « mozaïcité » [mozaičnost’], ou diversité, qui caractérisait naturellement en tous lieux l’ethnicité et qui était « la forme optimale de l’existence humaine » et qui lui avait permis de survivre.