« Et tu glorifies la tendre bergère ». Velimir Khlebnikov, ou l’invention d’un primitivisme pastoral

Cet article se concentre sur l’œuvre de Vélimir Khlebnikov, peut-être le poète le plus important du primitivisme et du modernisme russes. Khlebnikov a tenté d’opérer un rapprochement entre deux utopies jumelles, l’une consistant à se tourner vers un passé primitif idéalisé, et l’autre vers un futur dominé par la technique. Khlebnikov mène cette négociation en s’appuyant sur la pastorale, c’est-à-dire sur le genre qui permettait de célébrer la vie simple afin d’établir un contraste avec les valeurs de la ville et de la cité ainsi qu’avec le progrès et la modernisation. Le fait que Khlebnikov invoque ce genre dans le sillage de la Révolution, et le fait surtout que ce soit la technique elle-même qui lui permette de restaurer la pastorale nous conduisent à deux constats. Premièrement, la pensée post-révolutionnaire est pétrie de contradictions dont Khlebnikov se fait l’un des représentants. Le récit consistant à évoquer un élan largement partagé, poussant vers la modernisation, mérite donc d’être nuancé. Deuxièmement, cela démontre que Khlebnikov af-fronte constamment à travers son œuvre les questions du primitif et de la pastorale, vecteurs de valeurs civilisationnelles en compétition les unes avec les autres.