Les tournées du théâtre soviétique à Paris dans l’entre-deux-guerres ou l’impossible exportation de « l’Octobre théâtral »

Après avoir décrit l’horizon d’attente du public français et évoqué le contexte politique et artistique des années 1920-1930, qui balance entre l’ouverture sur le monde, la curiosité pour le « bolchevisme » théâtral et la méfiance pour des expérimentations iconoclastes, l’article étudie les tournées du théâtre d’Art de Moscou (1922, 1923, 1937), du théâtre de Chambre (1923 et 1930) et du théâtre de Meyerhold (1930). Quels débats ces tournées ont-ils suscités, quelles répercussions ont-elles eues sur la vie culturelle française ? Antoine, Copeau, Gémier, Hébertot, ainsi que la majorité des critiques, ont déclaré, après la tournée du théâtre d’Art, avoir reçu une « leçon » de discipline collective, de don de soi à l’art, de travail choral. Le jeu réaliste qui sous-tendait les pièces présentées n’exigeait aucune adaptation particulière de la part du public qui voyait des personnages auquel il pouvait s’identifier. L’arrivée du théâtre de Chambre, en revanche, a fait basculer les paradigmes d’un spectacle traditionnel. Ce n’est pas un hasard si l’évènement a été salué par des spécialistes du ballet ou des peintres comme Cocteau et Léger. En outre, le choix du répertoire fut perçu comme une provocation car il présentait les pièces de trois auteurs français dont Racine avec Phèdre. Les libertés prises par le metteur en scène mettaient en danger une tradition texto-centrique que les artistes français, même les réformateurs comme les membres du Cartel, refusaient de remettre en cause. Soutenu par la communauté théâtrale française, Meyerhold joua son va-tout avec ce voyage, qu’il imposa alors que les autorités soviétiques le rappelaient à Moscou. Depuis l’été 1928, il était confronté à de graves difficultés et son théâtre avait failli fermer. C’est sur ce fond de menaces, de difficultés matérielles que se produisit la tournée parisienne. Elle provoqua un choc. Les Français restèrent perplexes, les émigrés s’insurgèrent devant les textes de Gogol et Ostrovski atomisés en épisodes, et dits par des acteurs sautant, cabriolant, glissant sur des « machines à jouer » en guise de décor. Les portes sur l’étranger se refermèrent l’été 1930 pour les compagnies soviétiques. Seul le théâtre d’Art fut autorisé à revenir à Paris en 1937 comme vitrine de l’art réaliste socialiste, outil de propagande dans le cadre de l’Exposition universelle. La fermeture des frontières jusqu’au « dégel », la disparition de l’avant-garde soviétique ont empêché une assimilation, un métissage qui aurait pu être fructueux si les échanges avaient pu se renouveler régulièrement et dans les deux sens. La fermeture des frontières jusqu’au « dégel », la disparition de l’avant-garde soviétique ont empêché une assimilation, un métissage qui aurait pu être fructueux si les échanges avaient pu se renouveler régulièrement et dans les deux sens.