Papá Liborio, entre Révolution et mystification : hybridation socio-culturelle postcoloniale déniée

L’apport socioculturel et politique des personnages historiques issus de la diaspora afrodescendante a toujours été appréhendé d’un double point de vue optique : soit comme un passage historique à oublier, soit comme quelque chose d’imaginaire, au-delà de la réalité historique vécue et documenté. C’est le cas d’Olivorio Mateo Ledesma, surnommé « Papá Liborio », ignoré par l’histoire officielle de la nation dominicaine. Il est ravalé par l’histoire populaire au rang de mythe religieux ou de guide spirituel, d’où son surnom. Olivorio Mateo Ledesma est né à San Juan de la Maguana, province située dans la région sud-ouest de la République Dominicaine, en 1876 et fut abattu par les forces usaméricaines lors de sa première occupation (1916-1924) en 19221. De nos jours, son image est associée à la sorcellerie, à la margination sociale et à l’insoumission. La dimension héroïque, patriotique et philanthropique du personnage historique a été reléguée à l’oubli ou, à tout le moins, à un pittoresque intégrant le folklore national. Ce dernier aspect est perceptible dans les ouvrages qui lui sont consacrés ; que ce soit au niveau musical ou cinématographique et même historiographiques. Le parcours et le combat de ce personnage historique n’ont pas été abordés de manière rigoureuse par les recherches académiques. Il ne jouit point d’une reconnaissance historique officielle, et encore moins dans les manuels scolaires qui ont tendance à oublier ou à minorer l’importance de certains personnages historiques, surtout Noir.es ou porteur.se d’une culture atavique, dans l’Histoire dominicaine. Cet article va essayer de mettre en exergue l’apport historique d’Olivorio Mateo Ledesma dans l’Histoire contemporaine dominicaine, à savoir son fervent engagement patriotique contre la tyrannie yankee.

The socio-cultural and political contribution of historical figures form the Afro-descendant diaspora has always been apprehended from a double optical point of view: either as a historic passage to forget, or as something imaginary, beyond the historical reality experienced and documented. This is the case of Olivorio Mateo Ledesma, nicknamed « Papá Liborio », ignored by the official History of the Dominican nation. He is reduced by popular history to the rank of religious myth or spiritual guide, hence his nickname. Olivorio Mateo Ledesma was born in San Juan de la Maguana, a province located in the Southwestern region of the Dominican Republic, in 1876 and was killed by US forces during the first occupation (1916-1924) in 1922. Nowadays, his image is associated with witchcraft, social marginalization, and insubordination. The heroic, patriotic and philanthropic dimension of the historical character has been relegated to oblivion or, at the very least, to a picturesque integration of national folklore. This last aspect is perceptible in the works devoted to him; whether at the musical or cinematographic level and even historiographical. The journey and struggle of this historical figure have not been seriously addressed by academic research. He does not enjoy official historical recognition and not even in school textbooks which tend to forget or to minimize the importance of certain historical characters, especially Black men/woman or of atavistic culture, in Dominican history. This article will try to highlight the historical contribution of Olivorio Mateo Ledesma in contemporary Dominican history as well as his fervent patriotic commitment against Yankee tyranny.

El aporte sociocultural y político de los personajes históricos pertenecientes a la diáspora afrodescendiente han sido siempre escrutado con un doble punto de vista: ya sea como un pasaje histórico para olvidar o como algo imaginario, más allá de la realidad histórica vivida y documentada. Es el caso de Olivorio Mateo Ledesma, apodado “Papá Liborio”, ignorado por la Historia oficial de la nación dominicana. Es degradado por la historia popular al rango de mito religioso o de guía espiritual, de ahí viene su sobrenombre. Olivorio Mateo Ledesma nació en San Juan de la Maguana, provincia situada en la región Sudoeste de la República Dominicana, en 1876 y fue abatido por las fuerzas estadounidenses durante su primera ocupación (1916-1924) en 1922. Hoy en día, su imagen está asociada a la brujería, a la marginación social y a la insumisión. La dimensión heroica, patriótica y filantrópica del personaje histórico ha sido relegada al olvido o, por lo menos, a una pintoresca imagen folclórica. Este último aspecto es perceptible en las obras que le son dedicadas, ya sea a nivel musical o cinematográfica e incluso historiográficas. El recorrido y el combate de este personaje histórico no han sido abordado de manera rigurosa por las investigaciones académicas. Tampoco no ha disfrutado de un reconocimiento oficial y mucho menos en los manuales escolares que tienden a olvidar o a minorizar la importancia de ciertos personajes históricos, sobre todo Negros.as o poseedores.as de una cultura atávica, en la Historia dominicana. En este artículo se intentará de elucidar el aporte histórico de Oliborio Mateo Ledesma en la historia contemporánea dominicana, es decir su ferviente compromiso patriótico contra la tiranía yankee.

Plan

Texte

À la mémoire de mon grand-père Anastasio Medina, un grand homme de valeurs.

« Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas »

Mathieu, 19:14

A Liborio le tiraron

Ay, ay, ay

En Arroyo del limón

Ay, ay, ay

Liborio, merengue dominicain interpreté par Luis “Terror” Días

No sueltes el gallo no lo sueltes

No sueltes el gallo no lo sueltes

Que te lo matan

Que te lo matan

Que te lo matan

Que te lo matan

El Giro y Canelo, merengue típico dominicain interpreté par Siano Arias

“Liborio fue el escogido por el Cristo para poner su palabra en él, porque todo lo que dijo Liborio eran palabras del Cristo”.

Don José Mateo Heredia, arrière-neveu de Liborio et responsable de la source l’Agüita

Prélude

Le 27 Juin 2022 on commémore les cent ans de l’exécution d’Olivorio Mateo Ledesma, dit « Papá Liborio ». Olivorio est né à San Juan de la Maguana, ville située dans la région Sud-ouest de la République Dominicaine, en 1876, et il fut abattu par les forces usaméricaines lors de sa première occupation (1916-1924) du territoire dominicain en 19222. Son engagement social a été au-delà de la dévotion spirituelle qu’on lui attribue. Etonnamment, cet engagement patriotique, revêtu notamment d’abnégation, demeure sesgado dans les livres d’Histoire dominicaine3 et surtout dans les manuels scolaires4. Pourtant, on ne peut pas tout à fait comprendre le contexte socio-politique de cette époque, et encore moins de l’occupation usaméricaine, sans prendre en considération le mouvement liboriste. Certes, pour être un mouvement au fondement très spirituel, il n’est pour autant pas dépourvu d’une grande dose de conscience sociale au regard du contexte socioéconomique et politique de l’époque5. Dans la représentation de ce mouvement, par le discours hégémonique national et dans celui des envahisseurs, cette dimension spirituelle liée à la santería a toujours pris le dessus sur sa dimension sociopolitique incontestable. Le discours de ces détracteurs, renforce constamment son image d’homme illuminé6 (dégradé en tant que sorcier). Cela a aussi été renforcé par la ferveur des fidèles liboristes.

Dans cette communication nous allons plutôt mettre l’accent sur la prise de position du personnage historique par rapport au changement social lié au contexte socioéconomique de la région du Sud-ouest. Il sera aussi question de la démarche révolutionnaire qu’il a entreprise au niveau national pour faire face à l’occupation usaméricaine.

I. Introduction : La région Sud-ouest, terre d’émancipateurs

L’actuelle province de San Juan Maguana au Sud-ouest de la République Dominicaine correspond géographiquement à une partie de l’ancien cacicazgo (chefferie) de Maguana7. Ce Cacicazgo était gouverné par le cacique Caonabo lors de l’arrivée des colons espagnols en 1492. Celui-ci s’est battu férocement au nom de la liberté de son peuple contre les conquérants espagnols. Ces terres (laboratoire de brassage, de créolisation culturelle et d’insurrections constantes) ont également vu naître d’autres éminents guerriers comme Guarocuya, baptisé Enriquillo par les religieux franciscains (Martinez Almánzar, 1996, p. 109) à l’époque coloniale ; lui aussi s’est battu contre la tyrannie espagnole mais pour un motif bien distinct, plutôt d’intérêt personnel8. Il y eut aussi Sébastien Lemba, contemporain de Guarocuya, Africain originaire de la Guinée Equatorial, d’après l’historien dominicain Franklin Franco Pichardo (2009, p. 71). En tous les cas, on suppose qu’il y est né. Ce qui est sûr c’est qu’il était un Africain bozal de l’Afrique Occidentale ; esclavisé, il fut vendu et déporté vers l’île Quisqueya par les négriers portugais. Sébastien Lemba a été l’un des premiers Africains à se soulever contre l’esclavage dans le Continent Américain. Bien qu’il ne soit pas né au Sud-ouest du pays, il est enraciné dans l’Histoire dominicaine comme un Dominicain. C’est dans les fameux manieles ou palenques qu’il a trouvé refuge et le courage de continuer à faire face à la sauvagerie des colons espagnols. C’est dans ses terres également où se sont constitués les premiers palanques ou manieles d’Amérique ; ce sont finalement des lieux de cohabitation pacifique et solidaire entre les insurgés Tainos et les Africains (Franco Pichardo, 2009, p. 70). Sébastien Lemba a lui aussi sacrifié sa vie en faveur de la cause indigène9 et les peuples africains déportés. Une autre figure illustre de ces terres c’est le Général Máximo Gómez, lui aussi né dans la région Sud-ouest, à Baní. Ce Général est l’un des pères fondateurs de la nation cubaine conjointement avec José Martí et Antonio Maceo. L’engagement de Maximo Gomez auprès des indépendantistes cubains a été purement altruiste, une question de principe, d’éthique, de solidarité, de fraternité avec ses frères cubains. Son parcours rappelle celui d’Hatuey, premier taïno à avoir lutté contre le colonialisme espagnol ; il n’a en effet pas hésité de prendre son canoé pour aller prévenir (et secourir) d’autres peuples indigènes, donc les peuples autochtones de Cuba, contre l’imminente menace des envahisseurs ou colons espagnols.

Dans cette lignée des résistants il faut aussi prendre en considération Olivorio Mateo Ledesma alias « Papá Liborio » né, comme les autres, dans le Sud-ouest10 du pays. S’il s’inscrit bien dans les confrontations constantes, le long des siècles, ayant pour but la préservation du territoire national11, sa particularité est que sa lutte se déroule dans un temps chronologique postcolonial, marqué par la montée en Empire des Etats-Unis et leur visée expansionniste. Mais à différence des autres insurgés, sa lutte va être revêtue d’une composante mystique qui lui vaudra une méconnaissance active et durable même de nos jours : sa culture supposément atavique.

La vie spirituelle démarre très tôt chez Oliborio. La légende populaire raconte que lors du passage d’un ouragan en 190812 il disparaît pendant quelques jours (le nombre de jours varie selon les témoins) ; il réapparaît soudainement métamorphosé en un être entièrement spirituel. Ses connaissances sur le pouvoir de guérison de certaines plantes vont consolider son image mystique (Figuereo Agramonte, 1999, p. 39). Dès lors, cette aura, pour certains secteurs de la société, sera associée à la sorcellerie, à la folie et aux bas-fonds de la société13. Toutefois, cette illumination va lui permettre de devenir un homme influent dans sa communauté et voire même dans le reste du pays (Díaz, 1997, p.124). Son influence ne se limite cependant pas au niveau spirituel ; il produit également des effets politiques incontestables bien qu’il n’ait pas mené une vie politique active à proprement parler car cela ne l’intéressait pas (Cassá dans le court-métrage : Papá Liborio, 2017). Le nombre de ses adeptes se multipliait jour après jour du fait de ses pouvoirs de guérisseur14 qui attiraient les malades de tous les coins du pays malgré la condamnation de l’Eglise catholique et les récriminations incessantes de la presse écrite15.

La presse et l’Eglise catholique sont les deux principaux adversaires idéologiques du mouvement liboriste en gestation au début du XXe siècle. Rien d’étonnant que ce mouvement marqué par un spiritualisme non officiel, soit perçu comme un mouvement messianique (par ses adeptes), comme quelque chose de contraire à la doxa catholique et aux valeurs morales (par le clergé dominicain16) et aux supposés mœurs de l’époque (par les élites dominicaines, la caste intellectuelle citadine17).

Olivorio prêche l’évangile du Christ, basé dans le libre amour et la paix entre les humains. Il crée la « Hermandad » (la fraternité), pour constituer sa propre église et ainsi établir son magistère de guérison spirituelle et physique sans rien attendre en retour ; du moins, rien qui ait une valeur marchande18.

La plupart de ses patients19 souffraient des maladies du type psychosomatique (Sobieski de León, dans le court-métrage : Salga el mal y entre el bien, Liborio Mateo, 2013) liées à la situation chaotique où se trouvait son pays. Par ailleurs, le mépris de la vie rurale, de la part d’un secteur important de la société urbaine embourgeoisée, provoquait des ravages chez les paysans des communautés rurales qui étaient alors abandonnés à l’indigence.

C’est une des raisons pour lesquelles ce contexte indigent (Figuereo Agramonte, 1999, p. 43), va être un stimulant pour l’adhésion à la cause liboriste ; il permet aussi d’expliquer la conversion idéologique d’un homme pacifiste à guérillero.

II. Contextualisation socio-politique

Le malaise social de cette époque trouve sa genèse dans la mauvaise gestions politique (1882-1899) du caudillo dominicain Ulises Heureaux qui régna vers la fin du XXe siècle. Les confrontations constantes entre Heureaux et ses opposants politiques, les prêts sollicités par ce dictateur dominicain et ensuite octroyés par les puissances européennes (Martínez Almánzar, 1996, p. 369), et puis par les États-Unis20, ont conduit à une crise économique21 qui va durer jusqu’à l’arrivée de l’autre dictateur dominicain, Rafael Trujillo Leónidas Trujillo, en 1930.

Pour garantir le remboursement des prêts aux créanciers, la République Dominicaine se vit obligée de céder le contrôle et la perception des recettes douanières aux pays étrangers créanciers. Une telle situation de mise sous tutelle ne va permettre l’assainissement économique du pays ; elle mit le caudillo dominicain, Ulises Heureaux, dans l’obligation de continuer à solliciter, encore plus, d’autres prêts aux pays créanciers (Martínez Almánzar, 1996, p. 376 et 377), augmentant ainsi la dette externe.

Il faut également ajouter à cela d’autres problèmes comme la privatisation des terres, les communes, à savoir les terrains communautaires22. Beaucoup de paysans sont dépouillés de la terre et se retrouvent ainsi voués à la misère.

Ce passage forcé de la vie communautaire au système capitaliste agressif, se double des antagonismes virulents des groupes politiques tout acquis à cette « transition salutaire ». Les luttes politiques insurrectionnelles vont être une constante depuis la Restauration (1863-1865) jusqu’au début du XXe siècle. Cela débouchera sur une guerre civile en 191223. Elle va être l’une des excuses que les Usaméricains mettront en avant pour justifier l’occupation du territoire dominicain.

Finalement, l’impossibilité de rembourser les prêts va submerger le pays dans une crise financière et politique où la seule et unique solution va être de laisser dans les mains étrangères le contrôle total du système douanier national, d’abord sous le contrôle des pays européens et ensuite sous l’hégémonie des États-Unis. Évidemment, une telle situation a été considérée par une grande partie des Dominicains comme une atteinte à la souveraineté nationale.

Cette situation sociopolitique et géopolitique si tendue, va imprégner davantage le liborisme d’une conscience sociale en faveur de ceux et celles qui se retrouvent privés des garanties sociales minimales. C’est ainsi que le débarquement des marines usaméricains en 1916 sur le sol dominicain va marquer un tournant dans son activisme politique à fond mystique. Il va alors adopter une attitude intransigeante face à l’envahisseur étranger.

III. métamorphose du mouvement liboriste

La présence effective usaméricaine en République Dominicaine va donc favoriser l’émergence d’une composante belligérante du mouvement liboriste. Dès lors son engagement social va être focalisé sur la défense de la souveraineté nationale ; la tactique de la guérilla sera adoptée et mise en exécution24. Pour mieux comprendre cette transformation, il faut savoir que le liborisme est, selon la professeur Lusitania Martínez25, intrinsèquement constitué par trois aspects socioculturels articulés entre eux :

1. La protestation sociale.

2. La récupération de l’identité culturelle perdue ou menacée

3. Le messianisme.

Chacun de ces aspects est cristallisé par un dimension religieuse importante (Id.). C’est ce qui finalement a rendu possible l’accomplissement des objectifs révolutionnaires par ses adeptes devenus camarades.

On peut supposer que ces trois aspects sont corrélés aux trois caractéristiques26 incontournables des mouvements messianiques :

1. Le mécontentent social, soit du paysan soit du citadin.

2. L’espoir d’un monde meilleur, porteur de garanties sociales où il règne l’égalité sans privilèges de classes.

3. Ils sont dirigés par un ou plusieurs « messies ». Dans ce cas, le leader religieux, meneur de ce mouvement est tout sans conteste Papá Liborio.

La première caractéristique va se manifester subitement lors de l’occupations usaméricaine. Les liboristes seront le seul groupe armé du Sud-ouest qui va, jusqu’à l’assassinat de son leader révolutionnaire et guide spirituel, constamment contre les envahisseurs. Malgré cela, son engagement patriotique a été critiqué et mise en cause non seulement par les envahisseurs mais aussi par la presse locale, alliée des nouveaux propriétaires locaux des terres27.

Le deuxième point a trait à la perception nationale du mouvement liboriste. Les habitants du Sud-ouest se sont toujours caractérisés par leur attachement au syncrétisme qui trouve son expression achevée dans la santería28. C’est un trait idiosyncratique saillant, mais non exclusif, des habitants de cette région, de ces terres arides où le taux de pauvreté surpasse celle des autres régions. Olivorio Mateo Ledesma est conscient de l’importance de cette identité religieuse au niveau local. Il va faire de son mysticisme le centre gravitationnel non seulement de son mouvement spirituel mais aussi de sa démarche revendicative ; le but étant de soulager, coûte que coûte, les paysans et villageois de sa région la détresse morale, sociale et économique. Plus tard, et notamment lors de l’insurrection durant l’occupation usaméricaine, il mobilisera aussi la dimension belliciste, imbriquée également d’une dimension mystique dans son engagement29.

Il se trouve que la République Dominicaine est un pays dont les fondamentaux politiques, sociaux, religieux, depuis son indépendance, tournent uniquement autour de la religion catholique30. D’où le rejet et l’animadversión envers la figure d’Olivorio31. Pis encore vu qu’il prêche l’amour libre32, la solidarité et les méthodes palliatifs (médicinales) consuetudinario pour faire face à tous les maux de la société contemporaine.

Tous ces aspects vont être utilisés par ses détracteurs, y compris les historiens, pour réduire sa cause à son aspect religieux ; se retrouve ainsi reléguée au néant sa mission principale, à savoir la libération du peuple dominicain. Le fait qu’il propose un retour à la vie simple (Cassá, 2017, p.18), à la reconnaissance des identités nationales33 où le brassage culturel légué par les ancêtres (Africains, Taïnos, Caraïbes,) est aussi fondateur que l’héritage européen, ceci n’a pu que choquer. Le discours d’Olivorio, d’expression populaire et subalternisé par la presse nationale, son mode de vie rural sont autant de motifs jugés illégitimes par un discours hégémonique auquel finalement ils faisaient face en contestant sa légitimité. Un discours ouvertement complice de l’hégémonie impériale usaméricaine.

Le mouvement messianique, ésotérique de Liborio a un fond, une base idéologique socialement révolutionnaire bien sédimentée. Elle se heurte de plein fouet aux nouvelles exigences des Usaméricains. Le prétexte de « la protection de leurs citoyens sur le territoire dominicain » dans un contexte socio-politique agité a d’autant moins convaincu que les Usaméricains ont d’entrée dévoilé leur vraie intention : s’approprier le pays et devenir la police internationale (Castillo, 1916, p. 10). Pour couronner le tout, ils exigèrent, dans la fameuse Note 1434, la mise sous tutelle des militaires et policiers nationaux ; ils proposèrent qu’un expert financier usaméricain vérifie les impôts dominicains (Martínez Almánzar, 1996, p. 434).

Évidemment le peuple dominicain n’a pas accepté leur dictée ; bien au contraire elle aura eu un effet négatif : La note 14 a provoqué l’unifications des leaders politique dominicains […] lesquels rejetèrent les exigences nord-américaines en argumentant que le peuple dominicain s’opposait à toute ingérence étrangère (Id.). Ainsi, dès leur arrivée, doivent-ils faire face à trois foyers principaux de résistance répartis symétriquement dans les trois régions du pays35 :

  • Au Nord, le chef militaire Desiderios Arias36,

  • Au Sud-est, les guérilleros dits, péjorativement par les Américains37, les « gavilleros ».

  • Et au Sud-ouest, le mouvement cimarron-guérillero d’Olivorio38

Le mouvement liboriste va être la cible principale des militaires usaméricains même avant de leur débarquement en 191639. Cela constitue aussi bien un indice de l’importance de son leader en tant qu’objecteur de conscience que la crainte de ses éventuelles manœuvres paramilitaires. Son influence sur la population dominicaine est constatée lors de son assassinat : le jour où il fut abattu les autres groupes de résistance se sont dissouts et son groupe fut exterminé par les forces militaires étrangères (Cassá, 2017, p. 201).

Olivorio représentait, l’image vive de la résistance nationale. Il en était le paradigme. Sa lutte, jusqu’à la fin de ses jours, démontre son engagement sans faille pour la souveraineté nationale. On ne peut qu’attirer l’attention sur le manque d’intérêt dont faire encore preuve l’historiographie officielle dominicaine pour ce personnage historique, ses combats et les valeurs qu’il défendait.

Conclusion

Qu’à cela ne tienne, encore de nos jours, le pèlerinage vers les lieux qui ont marqué son existence en tant que père spirituel et combattant est toujours un grand moment de ferveur pour ses dévots. Par contre, son engagement pour la souveraineté nationale ainsi que ses luttes contre la tyrannie yankee demeurent toujours dans les limbes historiques40. Quarante neufs ans après le débarquement de « la première occupation militaire »41, Francisco Alberto Caamaño Deñó42 prend le relais de sa lutte contre la menace (toujours la même menace) de l’hégémonie nationale en 196543. Lui aussi, Caamaño, a été assassiné, exécuté selon le jargon militaire. En revanche, son image, grâce au polissage des derniers gouvernements dominicains, a été (re)valorisée jusqu’au point qu’il est devenu désormais un martyr de la Patrie.

Pour ce qui est d’Olivorio, le mépris culturel, racial et politique prime encore. En effet, son attachement aux pratiques culturelles hybrides et à sa vie religieuse populaire ancestrale considérées par les élites nationales comme des pratiques ataviques, par conséquent corrompues, lui est opposé et reproché. Son mouvement est unilatéralement associé au syncrétisme religieux, de composante africaine, et por ende au monde haïtien toujours malheureusement stéréotypé et injustement stigmatisé comme une aberration, une altérité radicale44. Son parcours personnel et son combat historique de grande valeur demeurent toujours exclus des annales de l’histographie dominicaine.

Son hybridé religieuse, culturel et idéologique a joué un rôle important dans son devenir historique après de sa mort. Finalement le culte liboriste ressuscite en 196145 mené par les mellizos (les jumeaux), Plinio Ventura et León Romilio Ventura, de Palma Sola. Ils évoquent la figure religieuse de Liborio pour continuer à défier l’exclusion sociale que subissent les paysans et pour ainsi créer une utopie chrétienne populaire salvatrice (cf. Papá Liborio : El Santo vivo de Maguana, 2003). De nos jours, ce mouvement est presque relégué au folklore46. Enfin, comme le propose Rubén Moreta « il faut reconnaître son statut de prócer car il l’a combattu l’armée la plus puissante du Continent Américain, c’est-à-dire une des armées les plus puissantes du monde » (propos tirés du court-métrage : Ruta de Liborio Mateo o Papá Liborio, 2019). On peut donc considérer Papá Liborio comme le dernier marron combattant contre les injustices impérialistes subies par la nation dominicaine puisqu’il n’a pas voulu se soumettre aux services des envahisseurs ni obéir à leurs ordres et étant persécuté par ces derniers, et la milice autochtone, au lieu de se réfugier en Haïti il a préféré se cacher dans les montagnes47 avec ses acolytes prêts à mourir (Conde, 1983, p. 16).

Bibliographie

Ouvrages et articles

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DOI : https://doi.org/10.400/etudescaribeennes.18067

Ressources audiovisuelles 

Historia Dominicana : Olivorio Mateo (Papá Liborio), Historia Dominicana en Gráficas, Noticias Sin, Color Visión Canal 9 (journal télévisé).

Papá Liborio : El Santo vivo de Maguana”, [56 :16]el auspicio de la Secretaria de Estado de Cultura, lic. Tony Raful. Proyecto La Ruta hacia Liborio, coordinador del Proyecto Lusitania Martínez. Directora Martha Ellen Davis. Arturo, Guzman editor. Productor Miguel Fernández “Kadafi”. Editor Arturo Guzman. Guionista Pericles Mejía. Narrador Manuel Segura. Archivo General de la Nación Biblioteca Nacional. 2003.

Papá Liborio, Latinoamérica en Perspectiva : En Sociedad 14 minutos, Dirección Óscar Pérez de la Cruz, 2017 (court-métrage).

Ruta de Liborio Mateo o Papá Liborio, San Juan, Primer documental de los estudiantes de la carrera de Comunicación Social, mención Periodismo de la UASD, Centro San Juan. Proyecto enmarcado en la materia Periodismo Televisivo con el maestro José David Contreras. Productora Ejecutiva Laura Meran, Elizabeth Castillo Dirección Milton Arias, 2019 (court-métrage).

Salga el mal y entre el bien, Liborio Mateo, Dominicana online, Global Foundation for Democracy and Developement, El Portal de la República Dominicana. 2013 productora ejecutiva Natasha Despotovic, idea original Natasha Despotovic (court-métrage).

Notes

1 D’autres camarades ont été également abattus avec lui ce jour, parmi eux l’un de ses fils. Retour au texte

2 Ses dépouilles ont été ignominieusement exhibées à la place centrale de la ville de San Juan de la Maguana pour que sa mystification, en tant que combattant, soit piétinée (Díaz, 1997, p. 127 – ma traduction). Retour au texte

Toutes les citations en langue originelle (de la lengua espagnole à la langue françaises), qui se trouve dans cet écrit, ont été traduites par le propre auteur de l’article.

3 Les deux livres d’Histoire Dominicaine que je consulte régulièrement : Manual de Historia Crítica Dominicana (Martínez Almánzar, 1996), et l’autre : Historia del Pueblo Dominicano (Franco Pichardo, 2009) ne font absolument aucune référence aux prouesses saisissantes de ce personnage historique, malgré les seize combats qu’il a eus contre les marines des États-Unis pendant six ans jusqu’à son assassinat par les forces d’occupation usaméricaines. Retour au texte

4 L’invisibilisation des personnages historiques afrodescendants (et ainsi que leurs prouesse historiques) dans les manuels scolaires hispano-américains est un fait systématique comme l’ont pu constater l’historien dominicain Martínez Almánzar (1996, p. 113), même s’il ne fait aucune référence à la figure historique d’Oliborio dans son ouvrage ; la professeure Marty par rapport à Costa Rica (2014) ; et concernant la Colombie, l’ouvrage collectif : África en la Escuela, coordonné par les professeurs Mena García et Meneses Copete (2020). Retour au texte

5 Son image historique a subi ce que le professeur Victorien Lavou a conceptualisé comme « Le malheur généalogique », c’est-à-dire les formes de représentation du Noir (la plupart du temps de manière péjorative) dans les objets socioculturels d’Amérique Latine et de la Caraïbe (2005, p. 266). Retour au texte

6 Aux dépens de son image patriotique et historique. Retour au texte

7 Un des cinq Cacicazgo dont était composée l’île de Quisqueya avant de l’arrivé des colons espagnols. Celui-ci a été le centre politique et religieux de l’île durant le colonialisme (cf. documentaire Papá Liborio : El Santo vivo de Managua, 2003) Retour au texte

8 Son insurgence est due à la violation de son épouse (elle est tombée enceinte aussi) par un colon espagnol (Martínez Almánzar, 1996, p. 110). Retour au texte

9 Pour telle raison il s’est battu auprès de Guarocuya (Martinez Almánzar, 1996, p. 115 ; Franco Pichardo, 2009, p. 63). Retour au texte

10 On peut constater que cette terre, depuis l’aube du colonialisme espagnol – et cela continue tout au long de l’Histoire dominicaine –, a toujours été le scénario de grands soulèvements visant à obtenir une justice sociale. Retour au texte

11 Quelques extensions du territoire dominicain ont toujours été objet de convoitise par les forces étrangères. Par exemple, les Nord-américains ont voulu acheter la péninsule de Samaná, au Nord du pays, pour mieux surveiller le trafic maritime du canal de Panamá (Martínez Almánzar, 1996, p. 377). Retour au texte

12 On a de références officielles de l’ouragan survenu le 27/09/1908 : L’ouragan atteint le pays à partir de la province de San Cristobal, ensuite il se dirige vers Haití et Cuba (cf. Listín Diario, Historial de huracanes en RD, publié le 29 mai 2007) ; on n’a pas de sources précises de sa disparition, sauf les témoignages populaires : « Cela a été une tempête qu’a provoqué de ravage au Sud-ouest en 1908, dans cette tempête Liborio a disparu et lorsque l’on croyait qu’il était mort, il est réapparu une semaine plus tard » (Díaz, 1997, p.124) Retour au texte

13 Cette image de « hombre brujo » (l’homme sorcier) est très répandue dans l’imaginaire populaire. En fait, chaque fois que je demandais à quelqu’un qui est-ce Papá Liborio, on me répondait sans hésitation « un brujo » (un sourcier). Retour au texte

14 Il devient le médecin (ou plutôt le guérisseur) pas seulement de la province de San Juan mais de toute la région (Rubén Moreta, dans le court-métrage la Ruta de Liborio Mateo o Papá Liborio, 2019). Retour au texte

15 Les critiques du journal El Cable au mouvement liboriste étaient aussi féroces que les critiques américaines (Cassá, 2017, p. 22), comme en témoigne le journal : « Le jeudi soir le capitaine Morce accompagné de 23 policiers se sont dirigé vers la cachette de Liborio dans les montagnes » […] « On considère qu’avec cet assaut le sale liborisme y sera arraché à jamais, c’est la honte de cette communauté », Journal le Cable, Año II, núm. 66, 20 de mayo de 1992. Retour au texte

« Suite à la mort d’Olivorio on considère éteinte à jamais la grossière religion, celle qui constituait un opprobre pour la communauté […] », Año II, núm. 72, 1 de julio de 1922. Même après de son décès, ses adeptes furent aussi persécutés par l’État « Emeterio de Oleo y Leonardo Montero ont été emprisonnés. Le premier était accusé d’exercer la profession de guérisseur et de pratiquer les rites de l’olivorisme […] », El Cable, Año III, núm. 125, 10 julio de 1923. Tous ces extraits journalistiques sont tirés de l’ouvrage collectif : Tesoros ocultos del periódico El cable, Valenzuela, Edgar, compilateur, 2012.

16 L’église dominicaine fut une église essentiellement élitiste, étrangère […] ; par conséquent, les paysans se sont toujours sentis abandonnés (Lusitania Martínez, dans le court-métrage : Papá Liborio, 2017). Retour au texte

17 Pour les élites intellectuelles du Sud-ouest le culte populaire de Liborio était un obstacle pour à l’évangélisation catholique (Cassá, 2017, p. 22). Pour l’opinion publique et l’hégémonie politique Liborio était un fou, un malade mental, un clochard […], (Valerio-Holguín, 2013, p. 30). Retour au texte

18 Les rares médecins de l’époque éprouvaient de l’antipathie envers Liborio car leurs salles de consultation se vidaient alors que celle de Papá Liborio était pleine car il soignait gratuitement ; il avait des dons messianiques, d’après le témoignage des gens contemporaines à lui (Figuereo Agramonte, 1999, p. 44). Retour au texte

19 Il faut souligner qu’à cette époque, il n’avait pas assez de médecins (Figuereo Agramonte, 1999, p. 44) ; il était nécessaire de trouver une autre alternative à cette précarité. Retour au texte

20 Those conditions were that the Dominicans permit American authorities to collect and disburse all of the Republic’s revenues and that the national army be replaced by a Dominican constabulary under American command (M. Fuller et A. Cosmas, 1974, p. 24). Retour au texte

21 En fait, la République Dominicaine s’est vue totalement ruinée et ses ressources économiques dans les mains des Américains, plus précisément sous le contrôle de la multinational Improvement (Martínez Almánzar, 1996, p. 385-386). Retour au texte

22 Voir l’intervention de Jan Lundius dans le documentaire Papá Liborio : El Santo vivo de Maguana, 2003. Retour au texte

23 Olivorio Mateo Ledesma ne va pas prendre parti dans la guerre civile du 1912, même s’il possédait des armes, démontrant ainsi son patriotisme et son idéologie apolitique, neutre et pacifique. Par contre, ces armes vont être utilisées contre l’occupation usaméricaine en 1916-1924 (Félix Caamaño, dans le documentaire Papá Liborio: El Santo vivo de Maguana, 2003). Retour au texte

24 En réalité il était un leader paysan en mettant l’emphase sur l’aspect religieux (Sobieski de León, dans le court-métrage : Salga el mal y entre el bien, Liborio Mateo, 2013). Retour au texte

25 Analyse tirée de son intervention dans le documentaire : Papá Liborio : El Santo vivo de Maguana, 2003. Retour au texte

26 (Id.). Retour au texte

27 Le liborisme est un mouvement ouvert à la rédemption de ceux qui fuyaient de la justice (ou plutôt de l’injustice) ; ils s’engageaient dans la cause liboriste de libération nationale. Il faut souligner que pendant l’occupation usaméricaine les abus, les vexations et voire les exécutions extrajudiciaires dont la population locale était victime avaient lieu au grand jour. Par exemple, dans le journal El Cable, l’on annonce le cas d’une femme qui est victime d’un viol et les coups qu’a reçus l’homme qui l’accompagnait. Au début, on croyait que le délit a été commis par les gavilleros, les guérilleros anti-envahisseurs du Sud-est, mais paradoxalement ces gavilleros se sont avérés trois marins et un Portoricain de l’armée d’occupation. El Cable, Año I, núm. 46, 31 diciembre de 1921 (cf. Tesoros ocultos del periódico El cable, Valenzuela, Edgar, compilateur). Une autre information qui apparaît à la Une du même journal indique : « Un marin yankee a blessé une femme » (…) « juste pour plaisir ou parce qu’ils sont bourrés, il y a très souvent de gens maltraités et partout il y a des marins yankees », Año II, núm. 58, 25 marzo de 1992 (ibid.). Retour au texte

28 Bien que la majorité des croyants dans les pays hispano-américains se disent catholiques, en réalité dans leurs pratiques religieuses, il existe un large éventail de croyances populaires syncrétisées avec les valeurs du catholicisme (cf. Yao, 2019). Retour au texte

29 Il faut se rappeler que pour le père de la patrie dominicaine, Juan Pablo Duarte, la dimension spirituelle était un facteur essentiel au sein de son mouvement indépendantiste : l’organisation sécrète dite « La Trinitaria » (la trinitaire), laquelle fut organisée sous les principes ou les dogmes de la religion catholique. Retour au texte

30 Même si les Dominicain.es peuvent être catholiques tout en se baignant dans les sources consacrées à Liborio (Dore Cabral, 2008, p. 123). Retour au texte

31 Il sera emprisonné deux fois en 1909, accusé d’avoir exercé la médicine illégale et en 1910 pour le même motif (Cassá, 2017, p. 19). Retour au texte

32 Pour ses opposants, son prêche de l’amour libre a été perçu comme une exaltation de la concupiscence charnelle vu que l’homme afrodescendant d’après les imaginaires et les représentations sociales, il est associé au sexe sauvage, à la luxure (Meneses Copete, 2014, p. 81). Retour au texte

33 Dans la récupération de cette identité, de celle-ci découle en conséquence la démarche du guérillero impliqué dans un mouvement mystique (Lusitania Martínez dans le court-métrage : Papá Liborio, 2017). Retour au texte

34 Nommée ainsi parce que les exigences usaméricaines étaient consignées dans une note diplomatique présentée à la Chancellerie Dominicaine, au Ministère des Affaires Étrangères, (Martinez Almánzar, 1996, p. 434). Retour au texte

35 À la base, ces mouvements existaient même avant l’arrivée des militaires usaméricains ; mais avec l’arrivée de ces derniers (Cassá, 2017 p. 9), ils ont acquis une importance plus grande. Retour au texte

36 Le Général Arias comptait sur 250 militaires dominicains et une centaine de civil auxquels il leur avait donné des fusils extraits de l’arsenal gouvernemental (M. Fuller et A. Cosmas, 1975, p. 7). L’historien dominicain Martínez Almánzar déplore que « le commandant Desiderio Arias, celui qui a imposé son autorité dans la ligne Nord-ouest, n’a pas respecté aucun gouvernement dominicain. Par contre il a demeuré inactif durant l’intervention militaire usaméricaine » (Martínez Almánzar, 1996, p. 428). En revanche dans l’histographie il représente la résistance principale, conjointement avec les gavilleros, face à l’Occupation nord-américaine. Retour au texte

37 Cf. Martínez Almánzar, 1996, p. 443. Retour au texte

38 C’est le guérillero le plus redoutable et redouté du pays car, pour l’époque, il disposait d’une armée composée de plus de 2000 hommes (Figuereo, 1999, p. 45). Les Usaméricains ont compris le danger que représente ce foyer de résistance à leurs plans ; ils ont entamé contre lui une chasse sans répit avec le soutien des milices autochtones (Díaz, 1997, p.125). Entre 1916 et 1922 Liborio a combattu 16 fois à l’encontre des forces d’occupation. A partir de ces faits, les militaires usaméricains ont considéré Liborio comme le guérillero le plus dangereux du pays (cf. compte rendu d’information : Olivorio Mateo (Papá Liborio), Historia Dominicana en Gráficas, Noticias SIN). Le désarmement de la population dominicaine proposé par les usaméricains et la persécution de ceux qui ne veulent pas respecter ces ordres (Martínez Almánzar, 1996, p. 440) vont constituer des points notables de divergence entre les liboristes et les envahisseurs. Retour au texte

39 Le liborisme était déjà un obstacle pour les autorités usaméricaines qui contrôlaient les douanes, suite à la signature de la convention du 1907 (Figuereo, 1999, p. 43). Convention Dominico-Américaine, accordée par le congrès dominicain le 3 mai de 1907 et signée par le président dominicain Ramón Arturo Cacéres Vásquez (1906-1911) d’après lequel les États-Unis possèdent le contrôle absolu de toutes les activités financières de la République Dominicaine et le droit d’intervenir dans la vie politique dominicaine lorsqu’ils considèrent que la récolte des recettes douanières n’est pas favorable à leurs intérêts économiques (Martínez Almánzar, 1996, p. 414). Retour au texte

40 C’est ce que j’appelle « l’obliquité historique », c’est-à-dire occulter ou dévier volontairement une partie de l’Histoire qui doit être officialisée. Retour au texte

41 En fait, ce n’est pas être la première (celle de 1916-1924), comme on l’a souligné supra. Mais du fait de sa durée, de sa nature purement belliciste et de son impact social sur le peuple dominicain, elle a pris plus d’importance dans les recherches des historiens, dans les manuels d’Histoire et les manuels scolaires. Retour au texte

42 Paradoxalement, Caamaño a participé à l’étouffement (la massacre de Palma Sola) de la renaissance du liborisme sous l’égide des frères dits « Los mellos » en 1962 (cf. Figuereo Agramonte, 1999). Retour au texte

43 Pour approfondir sur cette deuxième occupation (officialisée) usaméricaine, se référer à l’ouvrage de Martínez Almánzar : Abril de 1965… Inolvidable. Retour au texte

44 Pour mieux comprendre le concept d’altérité radicale se rapporter à Lavou (2003, p. 76). Retour au texte

45 Il faut souligner que le mouvement liboriste réapparait sous un contexte d’instabilité politico-sociale et sous la crainte d’une nouvelle intervention usaméricaine. Dont la crainte est devenue effective en 1965 lors de la Seconde Occupation usaméricaine (1965-1966). Retour au texte

46 Le propos de Leopoldo Figuereo, hélas, corrobore cette image : « Liborio est le personnage folklorique du XXe siècle de la République Dominicaine » (cf. documentaire, Papá Liborio : El Santo vivo de Maguana, 2003). Cependant « Ces représentations, loin d’être folklorique, constitueraient un pas important vers un débat public serein […] » tel que le suggère le professeur Lavou (2003, p. 297). Je dirais plutôt qu’Olivorio Mateo Ledesma est la figure historique dominicaine par antonomase du XXe siècle, conjointement avec le dictateur dominicain Rafael Leónidas Trujillo Molina et le professeur Juan Bosch Gaviño. Retour au texte

47 Les mêmes montagnes (Sierra de Bahoruco [Chaîne de Bahoruco]) où se sont réfugiés Guarocuya, Sébastien Lemba tout comme d’autres Taïnos et Africains esclavisés fuyant de l’oppression des colons espagnols (Franco Pichardo, 2009, p.71). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

ARIEL OSVALDO TAPIA MEDINA, « Papá Liborio, entre Révolution et mystification : hybridation socio-culturelle postcoloniale déniée  », Sociocriticism [En ligne], XXXVI-1-2 | 2022, mis en ligne le 17 avril 2023, consulté le 20 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/sociocriticism/3121

Auteur

ARIEL OSVALDO TAPIA MEDINA