A propos de la traduction collective de Waldemarwolf de Michel Decar

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Waldemarwolf, Michel Decar, traduction collective

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Waldemarwolf, Michel Decar, collective traduction

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« Ici, le temps devient espace. » (Gurnemanz à Parsifal dans R.Wagner, Parsifal)

Poissons, états limites et replis biographiques : c’est à une méditation sur l’absence de soi, à soi, que convie la pièce Waldemarwolf du jeune auteur allemand Michel Decar (DECAR, 2014). Décoché en pleine ville, le mélancolique Cornelius Crabe rencontre Mine, âme volatile, que Boy Hornbach, colocataire bellâtre, ne tarde pas à prendre entre ses serres. Peu à peu, chaos et violence sourde s’invitent. Véritable syrinx ex machina, la fringante Mlle Schneider, vétérinaire dévouée, apporte à la chambrée l’impulsion tant attendue : bondir, s’élancer en arrière, c’est tuer son avenir, ce dictateur, c’est oublier, c’est déposer les armes.

Dilection du retour

À l’issue de la traduction collective de la pièce et parce que cette expérience fut pour certains la première, nous nous proposons d’en rédiger le modeste épilogue, drageon d’impressions personnelles fortes et, partant, nécessairement subjectif.

Faire ses premiers pas, prendre confiance en traduisant est moins, et cela pourrait s’appliquer à toute activité proprement technique ou artistique, l’acquisition d’une compétence définitive, graduellement perfectible, suivie de son application, que le développement d’une qualité d’écoute. Loin de nous conduire cependant à poser le primat d’un talent littéraire sur toute formation par la pratique, notre expérience révèle, à l’issue des phases de traduction individuelle et collective, que la battue d’un texte arraché à sa chair d’origine, sa recomposition pondérante et densifiante, suscitent une participation enjouée du médiateur linguistique, tout en le plaçant en position de déférence. Apprendre se fait au gré du métier.

La bravade du premier de la classe ou même du professionnel aguerri face au réservoir d’épreuves que constitue l’œuvre insolemment déposée sous ses yeux, toujours neuve et qu’il croirait enceindre, peut se solder par un échec : je l’ai traduit, mais je ne l’ai pas traduit ; pas senti, pas dit. Mon esthétisme flatté en ses critères, le souffle du texte reste étranger à mon chant, demeuré à mi-voix. Reconnaissant, et s’il veut faire vibrer les fils de son métier, l’apprenti s’improvisera servant. Il n’est pas rare que nombre de préjugés et d’indélicatesses brûlent alors, et tant mieux, pourvu que le feu du verbe en soit nourri. Si la traduction littéraire envisagée comme concept technique ne s’apparente pas entièrement à la fulgurance de l’écriture d’un poème, sa pratique exige du médiateur la même disponibilité totale, la même disposition à être traversé par le mot – littéralement.

En quoi l’objet traduit a-t-il orienté l’apprentissage de façon spécifique ? Comme on aura pu le dire dans une recension de la pièce (KUIPERS, 2014), Waldemarwolf possède une qualité de transparence qui tient à un tissu dramatique crépusculaire, suffisamment lâche et resserré pour permettre un déploiement de ses motifs dans l’esprit du lecteur-spectateur, tant du fait de l’écriture qu’au vu de la dernière mise en scène de la pièce, qui donnait à la dimension espace sa pleine entente. Lorsqu’il s’agit, concrètement, de traduire, on voit le miroir de sa propre licence : un horizon du « ci » et du « là » qui appelle une ouverture entière, sans arrière-pensée, sans complaisance, un bond du cœur dans l’épreuve de tout possible. Aucun modèle en trois dimensions ne peut représenter de manière satisfaisante la virtualité infinie de l’exercice. Traduire, c’est aussi expérimenter l’intangible (l’arbitraire ?) ponctuel de la justesse – parce que « ça sonne ici » – et – pour peu que l’on s’y offre – la parfaite « déclosion » des schémas de légitimité langagière ; au-delà des normes nécessaires de l’expression, et selon sa connaissance de la langue, c’est à un spectre beaucoup plus large que prévu qu’on se retrouve confronté, pour son instruction la plus complète. À titre d’exemple, c’est bien le plaisir, intense, d’embrasser le lacis des registres, des tons et des lexiques que provoque la verve d’un Gargantua. Les thèmes les plus crus sont abordés dans une langue exquise, toute de verdeur et d’élégance, avec une gratuité caustique qui désolidarise la parole de son objet. Or c’est précisément cette épreuve de transparence, cet élargissement, que rend possible Waldemarwolf en traduction, avec certes moins de luxuriance.

On a parlé dans la recension de la rigidité poreuse des personnages de la pièce, à la fois inhibitrice et catalyseur de projections, d’identification. Née du support unifié de son texte, cette propriété physique offre le loisir paradoxal de se mouvoir avec fluidité dans un milieu aride. Car c’est de l’indéterminé comme terrain de jeu, contenu en germe dans le texte, conditionné et limité par les traits propres de ce dernier qu’il est question ; on traite certes une œuvre théâtrale, mais son écriture présente un degré de rugosité minimal, gage d’une aisance trompeuse. Pour reprendre le propos de Cornelius, « un cercle est une mauvaise géométrie », lisse, insaisissable. De quel mieux se réclamer ? Du rond fuyant ou du vif de l’angle ? Finalement c’est l’incertitude qui l’emporte et guide le processus. Ni virtuosité, ni mysticisme. La traduction est une affaire d’experts débutants, et n’a d’âpre que ce que sa conduite exige : une présence de tous les instants. Au traducteur alors d’en guider le flot à travers mer, d’autrui en soi, comme un retour.

Citer cet article

Référence électronique

Tristan Kuipers, « A propos de la traduction collective de Waldemarwolf de Michel Decar  », La main de Thôt [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 19 décembre 2023, consulté le 26 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/482

Auteur

Tristan Kuipers

Université de Toulouse Jean Jaurès

Etudiant de Master

trikuipers@gmail.com

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