De Baleizão à Lisbonne, de Catarina Eufémia à Teresa Torga : la lutte émancipatrice selon José Afonso ?

  • De Baleizão à Lisbonne, de Catarina Eufémia à Teresa Torga : la lutte émancipatrice selon José Afonso ?
  • De Baleizão a Lisboa, de Catarina Eufémia a Teresa Torga: a luta emancipadora segundo José Afonso?
  • From Baleizão to Lisbon, from Catarina Eufémia to Teresa Torga: the emancipatory struggle according to José Afonso?

« Cantar alentejano » et « Teresa Torga » sont deux chansons de José (« Zeca ») Afonso inspirées d’événements à résonnance politique incarnés par deux figures féminines : d’une part, l’assassinat de Catarina Eufémia en 1954 dans l’Alentejo ; d’autre part, les remous causés par une ancienne vedette du théâtre de revue qui apparaît nue dans les rues de Lisbonne et qu’un journaliste décide de prendre en photo. Ces femmes deviennent le symbole de causes qui les dépassent et incarnent la quête de liberté face à un régime castrateur ou dans une période où l’idéal démocratique fait son lent chemin dans le Portugal post-25 avril. En revenant sur les circonstances dans lesquelles elles ont été composées et éditées, nous essaierons de comprendre comment peut se dessiner à partir de ces deux chansons une réflexion autour de la lutte émancipatrice d’un peuple opprimé : José Afonso chante moins la lutte que les lendemains qu’elle promet, en prenant le contrepied d’un arbitraire politique et social, dont on peut s’émanciper par la célébration d’un geste et la construction de symboles.

“Cantar alentejano” e “Teresa Torga” são duas canções de José (“Zeca”) Afonso inspiradas em acontecimentos com ressonância política centrados em duas figuras femininas: por um lado, o assassinato de Catarina Eufémia em 1954 no Alentejo; por outro, o rebuliço causado por uma ex-estrela do teatro de revista que surge nua nas ruas de Lisboa e que um jornalista decide fotografar. Estas mulheres tornam-se o símbolo de causas que as ultrapassam e personificam a busca da liberdade frente a um regime castrador ou num período em que o ideal democrático avança lentamente no Portugal pós 25 de abril. Retomando as circunstâncias em que foram compostas e editadas, tentaremos perceber como, destas duas músicas, pode emergir uma reflexão sobre a luta emancipadora de um povo oprimido: José Afonso canta menos a luta do que o futuro que esta promete, opondo-se a um arbítrio político e social, do qual nos podemos emancipar pela celebração de um gesto e pela construção de símbolos.

“Cantar alentejano” and “Teresa Torga” are two songs by José (“Zeca”) Afonso inspired by events with political resonance embodied by two female figures: on the one hand, the assassination of Catarina Eufémia in 1954 in Alentejo; on the other hand, the turmoil caused by a former star of the revue theater who appears naked in the streets of Lisbon and whom a journalist decides to take a picture of. These women become the symbol of causes that go beyond them and embody the quest for freedom in the face of a castrating regime or in a period when the democratic ideal is making its slow way in post-April 25 Portugal. By returning to the circumstances in which they were composed and edited, we will try to understand how these two songs can draw a reflection around the emancipatory struggle of an oppressed people: José Afonso sings less about the struggle than about the future it promises, taking the opposite view of political and social arbitrariness, from which one can emancipate oneself by celebrating a gesture and constructing symbols.

Plan

Texte

Véritable icône de la chanson d’intervention, bien qu’il ait toujours privilégié son indépendance et refusé de dépendre d’un « comité central »1, José Afonso dit « Zeca » Afonso, offre dans ses textes acérés un portrait de l’oppression vécue par le peuple portugais sous la dictature. Au-delà des multiples aspects d’une œuvre qui a contribué à renouveler la musique portugaise (Pereira 106)2, José Afonso dénonce tout particulièrement le caractère absolument arbitraire de l’exercice du pouvoir par le régime en place, comme le montre la chanson « Os vampiros », interdite par la censure en 1963 (Duarte 24), qui décrit les sbires de Salazar suçant le sang du peuple et donnant la mort quand bon leur semble. C’est à son retour du Mozambique en 1967, où il était parti rejoindre sa famille et où il a enseigné, que José Afonso est exclu de l’enseignement public et que la professionnalisation musicale apparaît comme l’option la plus logique, même si elle reste fragile ; il s’investit à plusieurs niveaux, politiquement, culturellement et est sans cesse surveillé et traqué (Teles 2015-1, 31)3. Dans ses chansons, il use habilement du langage métaphorique afin de contourner la censure tout en tissant des liens avec la situation sociale et politique de l’époque ; souvent, même, un événement est le déclencheur de l’écriture ou la source d’inspiration directe d’une chanson4 ; nous pouvons dire que la chanson « à texte » va de pair avec ce que nous pourrions appeler une chanson à « contexte » – c’est bien le sens de l’expression canção de protesto, qui recouvre une pluralité de dénominations, mais que David Mc Donald, mentionné par Hugo Castro, nous incite à considérer non pas seulement comme « une catégorie fondée sur des seuls attributs stylistiques, mais comme un ensemble de pratiques qui peuvent être lues en articulation avec des processus musico-politiques identifiés au sein de projets élargis de changement social » (Castro 3). Déjà, Côrte-Real considérait que la formule de Fernando Lopes-Graça, « stimuler l’action à travers l’union de la poésie et du chant » constituait la base des caractéristiques stylistiques de la canção de protesto (Castro 4)5. Le message claironnant du geste de la faucheuse dans la célèbre chanson de José Afonso « A morte saiu à rua », qui laisse résonner une promesse de vengeance, en est l’un des célèbres exemples : « Aqui te afirmamos dente por dente assim / Que um dia rirá melhor quem rirá por fim / Na curva da estrada há covas feitas no chão / E em todas florirão rosas duma nação »6.

La promesse d’un soulèvement, la foi en un avenir meilleur pour un peuple opprimé sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de José Afonso. Nous nous proposons d’analyser deux de ses chansons qui associent cette thématique à un évènement centré sur une figure féminine7. D’un côté, l’événement tragique de l’assassinat de Catarina Eufémia en 1954 à Baleizão, village de l’Alentejo, inspire « Cantar alentejano » chantée pour la première fois en 1964 puis éditée en 1971 dans l’album Cantigas do Maio ; de l’autre, l’événement apparemment anecdotique lors duquel des badauds se précipitent pour voir Teresa Torga danser en plein strip-tease dans la rue à Lisbonne et l’empêcher d’être photographiée inspire la chanson « Teresa Torga » dans l’album Com as minhas tamanquinhas édité en 1976, habituellement décrit comme un album de chroniques post-25 avril8, reflet du mode d’action que préférait José Afonso, c’est-à-dire l’intervention directe et l’immédiateté (Teles 2015-2, 23).

Bien que très différents, les événements à l’origine de ces deux chansons, et les chansons auxquelles ils ont donné naissance, peuvent être lus comme des symboles politiques. La chanson « Teresa Torga » est à l’image de ce disque de l’urgence, en prise directe avec l’effervescence démocratique qui parcourt le pays et la société : elle capte un instant qui devient le symbole du passage lent et complexe à la démocratie. « Cantar alentejano », elle, porte en elle la voix collective d’une terre oubliée, berceau fécond de résistance. Nous chercherons à démontrer qu’à travers ces deux héroïnes, José Afonso chante moins la lutte que les lendemains qu’elle promet, en prenant le contrepied d’un arbitraire politique et social, dont on peut s’émanciper par la célébration d’un geste et la construction de symboles9.

Cantar alentejano

https://music.youtube.com/watch?v=vRUVeckVUJU&list=OLAK5uy_lcW32UhzFE5rqkzL6piiuAZ9E7tlu2_L4

Chamava-se Catarina
O Alentejo a viu nascer
Serranas viram-na em vida
Baleizão a viu morrer

Ceifeiras na manhã fria
Flores na campa lhe vão pôr

Ficou vermelha a campina
Do sangue que então brotou

Acalma o furor campina
Que o teu pranto não findou
Quem viu morrer Catarina
Não perdoa a quem matou

Aquela pomba tão branca
Todos a querem p’ra si
Ó Alentejo queimado
Ninguém se lembra de ti

Aquela andorinha negra
Bate as asas p'ra voar
Ó Alentejo esquecido
Inda um dia hás-de cantar

José Afonso, Cantigas do maio, 1971.

Figure 1 : Couverture de l’album Cantigas do Maio, disponible sur https://aja.pt/discografia/cantigas-do-maio-1971/

Figure 1 : Couverture de l’album Cantigas do Maio, disponible sur https://aja.pt/discografia/cantigas-do-maio-1971/

Teresa Torga

https://music.youtube.com/watch?v=vsZk-RrYXjU&list=OLAK5uy_kd9BO_uYWG3mtGbK592xoHmxv9-jU4c6M

No centro da Avenida
No cruzamento da rua
Às quatro em ponto perdida
Dançava uma mulher nua

A gente que via a cena
Correu para junto dela
No intuito de vesti-la
Mas surge António Capela

Que aproveitando a barbuda10
Só pensa em fotografá-la
Mulher na democracia
Não é biombo de sala

Dizem que se chama Teresa
Seu nome é Teresa Torga
Muda o pick-up em Benfica
Atura a malta da borga

Aluga quartos de casa
Mas já foi primeira estrela
Agora é modelo à força
Que o diga António Capela

Teresa Torga Teresa Torga
Vencida numa fornalha
Não há bandeira sem luta
Não há luta sem batalha

José Afonso, Com as minhas tamanquinhas, 1976.

Figure 2 : Couverture de l’album Com as minhas tamanquinhas, disponible sur https://aja.pt/discografia/com-as-minhas-tamanquinhas-1976/

Figure 2 : Couverture de l’album Com as minhas tamanquinhas, disponible sur https://aja.pt/discografia/com-as-minhas-tamanquinhas-1976/

I/ Quelles héroïnes ?

Selon Joaquim de Sousa Rodrigues Anacleto, José Afonso affectionne dans ses chansons l’évocation de personnages réels (Anacleto 71), ce que l’on note avec les deux figures féminines à l’étude ici. Catarina Eufémia fait partie des journaliers qui se sont rebellés à Baleizão en 1954 pour exiger une hausse de salaire et qui ont refusé de se remettre au travail tant que leur revendication ne serait pas entendue. Le patron fait alors appel à une autre main-d’œuvre, venue d’un village voisin, qu’on paie moins cher et que les journaliers en grève essaient de dissuader de travailler (Fonseca 180)11. Le pouvoir local envoie la gendarmerie (GNR, Guarda Nacional Republicana) pour contenir le mouvement de révolte ; Catarina Eufémia s’interpose et le lieutenant Carrajola tire trois coups à bout-portant qui atteignent Catarina Eufémia dans le dos ; elle décédera avant son arrivée à l’hôpital12. La défense de Carrajola reposera sur le présupposé qu’il n’a pas, volontairement ou non, appuyé sur la gâchette13; il sera acquitté pour l’assassinat de Catarina Eufémia en novembre 1954 et sera même décoré quatre ans plus tard de la médaille d’or pour « Comportement Exemplaire » et fait en 1958 Chevalier de l’Ordre Militaire d’Avis (Fonseca 173) – ses « qualités militaires remarquables », son « esprit d’initiative », sa « pondération », son « bon sens », son « intégrité morale » et son « absolue impartialité » seront alors officiellement louées (Fonseca 17)14.

De nombreuses rumeurs et fausses informations, dont nous ne pouvons donner ici les détails, se sont répandues sur Catarina Eufémia, figure vite récupérée par le Parti Communiste Portugais (PCP), alors que plusieurs personnes qui l’ont bien connue affirment qu’elle n’y était pas affiliée15. Mère de trois enfants, analphabète, enterrée à la va-vite dans le village de Quintos, situé à moins de dix kilomètres de Baleizão, pour éviter les attroupements, ce n’est que le 19 mai 1974 que sa dépouille rejoint le village de Baleizão en présence de Álvaro Cunhal, figure incontournable du PCP, rentré de son exil après le 25 avril.

Beaucoup de ces éléments biographiques n’étaient pas connus ou ne s’étaient pas encore produits à l’époque où José Afonso compose « Cantar alentejano ». La chanson intègre l’album Cantigas do maio édité en 1971 chez Orfeu, considéré comme l’un des meilleurs albums de la musique populaire portugaise (il a coûté dix fois plus cher qu’un album traditionnel de l’époque)16. L’histoire de la genèse de cette chanson est particulièrement intéressante : elle est chantée pour la première fois en 1964 dans l’Alentejo auprès de la Sociedade Musical Fraternidade Operária Grandolense; et c’est après cette rencontre avec les ouvriers que José Afonso, très ému par l’accueil qui lui avait été réservé en ce lieu, a composé la fameuse chanson « Grândola, vila morena », devenue l’hymne de la révolution des Œillets alors qu’elle a été composée à l’origine pour rendre hommage au peuple de ce territoire rural. L’album qui intègre, entre autres, ces deux chansons, sera enregistré en France dans le château d’Hérouville. Les musiciens présents ce jour-là racontent comment « Cantar alentejano » y a été enregistrée : ne parvenant pas à produire les sons qu’il souhaite, José Afonso a besoin de sortir prendre l’air ; à son retour, l’enregistrement sera celui de la première prise, captée à chaud, face à l’assistance émue17. Cette chanson, et les circonstances dans lesquelles elle a été enregistrée, sont donc au cœur d’un triple événement : d’un côté, la mémoire d’un assassinat odieux ; de l’autre, la profonde relation émotionnelle qui se noue entre José Afonso et cette région de l’Alentejo (on note d’ailleurs dans le même album une autre chanson qui célèbre la femme de l’Alentejo à travers une description très réaliste de la misère dans « Mulher da erva ») ; enfin, l’émotion de l’enregistrement, une émotion explicitement assumée par José Afonso qui présente ainsi la figure de Catarina :

A mulher a quem é dedicada esta tentativa de A B C é uma heroína popular bem conhecida no Alentejo onde há anos se deu o facto a que o autor faz discreta mas comovida referência. Numa versão primitiva o tenente dirige­se à ceifeira e diz-lhe: “Quando eu te furar a pança / Muda a dança / P’ra vocês”. Para além do episódio, Catarina vive na memória dos homens e da própria terra que a viu nascer e morrer. Os versos foram modificados por carência de elementos biográficos mas as ceifeiras continuam a pôr flores na campa de Catarina18.

José Afonso décrit cette chanson comme un abécédaire, tant les données biographiques sur Catarina sont minces et tant le message se veut être à la fois simple et clair. Dans la chanson, ces données se résument aux trois moments-clés de la naissance, de la vie et de la mort, le personnage étant enfanté et recueilli dans le même lieu, pratiquement en même temps, sans avoir eu le temps de vivre (Catarina meurt à l’âge de 26 ans). La chanson ne porte pas tant sur Catarina que sur le lieu qui la fait vivre après-coup et sur la résonnance de sa mort dans cet espace chargé d’histoire contestataire et communiste, mais oublié du pouvoir, marginalisé, qui un jour, promet la chanson, renaîtra de sa voix. Plus que la mort de Catarina et que les circonstances de cette mort qu’il ne peut raconter faute d’éléments factuels, c’est le geste par lequel sa mémoire est perpétuée (les paysannes qui fleurissent la tombe) que célèbre José Afonso, comme si c’était la seule manière de faire honneur à la lutte qu’elle symbolise : la chanson comble par la force des images et des symboles la carence en termes de données biographiques. Notons le titre de la chanson, « cantar19 alentejano » où le nom même de Catarina est absent : cantar a le sens générique de chanson, associé plus particulièrement à un chant traditionnel ou à une composition poétique qui fait l’éloge de quelqu’un. Ici, la chanson fusionne cette pluralité de sens en portant en elle l’identité du territoire à travers l’évocation d’une figure martyre ; sa structure simple, l’accompagnement musical dépouillé, la répétition systématique des vers deux à deux en font une sorte de litanie rituelle, d’hymne, mimant, en quelque sorte, ce geste répété qui redonne vie à la jeune femme. Dans une lettre à ses parents, José Afonso commentera en ces termes l’importance de cette chanson et de la Sociedade Musical Fraternidade Operária Grandolense pour laquelle il l’a écrite :

Ofereci-lhes uma canção feita na véspera [...] uma espécie de evocação da terra alentejana e do seu símbolo ainda vivo na lembrança do homem do povo: Catarina Eufémia, uma ceifeira de Baleizão morta pela Guarda Republicana em circunstâncias que forneceriam matéria para uma canção de gesta. É claro que é isto que interessa manter nos contactos efémeros com os “mujiks” do nosso tempo. Se alguma vez tiver de deixar esta terra é a lembrança destes homens que conheci em Grândola e noutros lugares semelhantes que me fará voltar20.

Une chanson du peuple pour le peuple, incarnée par une héroïne épique et dans un territoire, voilà l’authenticité du lien qui unit José Afonso à cette terre et à ces travailleurs et qu’il cherche à exprimer dans « Cantar alentejano » – il emploie le terme « mujiks » qui désigne les paysans russes, comme un clin d’œil à l’héritage communiste de cette terre. Nous retrouvons dans cette chanson l’importance de l’élément populaire chez José Afonso, soit qu’il apparaisse comme source d’inspiration directe, soit qu’il devienne l’ingrédient essentiel du processus de création et recréation – à tel point que bien des chansons et des airs semblent enracinés dans l’héritage de la tradition orale, alors qu’ils émanent de l’intériorisation de ses canons et de la capacité recréatrice de José Afonso (Ribeiro 6-7, 10-14).

Pour « Teresa Torga », les sources sont plus nombreuses : José Afonso écrit cette chanson après la lecture d’un article publié dans le Diário de Lisboa le 7 mai 1975, intitulé « Ex fadista nua em plena cidade »21. Le journaliste Rogério Rodrigo y décrit une femme de 41 ans, divorcée, actrice de théâtre de revue, ayant émigré au Brésil et qui un jour, entre deux traitements à l’hôpital psychiatrique Júlio de Matos, se déshabille en dansant dans une rue de Lisbonne en plein après-midi. L’article donne des informations sur son passé, sa vie au moment où a eu lieu l’événement, mais aussi sur le mystère qui entoure ce personnage, comme l’illustre l’une des phrases de l’article : « Quem se despiu na via pública, ontem, às 4 da tarde ? »22. En effet, « Teresa Torga » est le nom de scène à travers lequel cette femme s’est construite comme personnage (un nom lié à son goût, affirme-t-on, pour la littérature et notamment pour l’œuvre de Miguel Torga). Avant la publication de l’article du Diário de Lisboa, la revue Plateia avait déjà consacré un article à Teresa Torga en 196623. Le blog « Rua dos dias que voam » mentionne deux pages de cette revue contenant des photographies de Teresa Torga et deux extraits d’article portant sur sa vie (l’un de ces extraits est signé Óscar Alves), sans mentionner, toutefois, s’il s’agit d’extraits tirés du même numéro de la revue ou de deux numéros différents24. Le journaliste y évoque le retour de l’actrice au Portugal après un séjour au Brésil de sept ans et rappelle son parcours, en insistant sur son « expérience » (un mot qui apparaît plusieurs fois dans ces pages) : en 1952, elle est révélée dans une pièce de théâtre de revue à Lisbonne, mais décide de partir à Rio peu après pour bénéficier d’une formation artistique internationale, après que deux projets de films dans lesquels elle avait été pressentie pour l’un des rôles n’ont pas abouti au Portugal. Au Brésil, elle a été actrice, chanteuse, a donné des concerts dans des discothèques et revient au Portugal en 1963 après la mort de sa mère. On la convainc de revenir sur scène, notamment au casino d’Estoril. Le journaliste insiste sur les talents sous-exploités de cette artiste au Portugal :

[…] regressou aos palcos do teatro musicado, embora não lhe tenham entregue trabalho digno da sua categoria. Mas é a própria actriz que nos diz que “é necessário ganhar a vida e então aceita-se tudo” [...] Gostava realmente de fazer cinema, em papéis que se adaptassem ao seu temperamento. Aqui fica o alvitre dos senhores produtores e realizadores25.

Hormis une photo qui la montre en compagnie d’un perroquet (probablement l’un de ceux qu’elle possédait dans sa maison au Brésil, comme l’article l’évoque), les clichés qui illustrent l’article la dévoilent comme une artiste aux multiples facettes : en costume, en « statue » pour un rôle, en musicienne et chanteuse avec une guitare à la main26. L’article de 1975 (celui dont José Afonso s’est inspiré) tranche complètement avec cette image. S’il rappelle la carrière de l’artiste, il insiste sur la dépression qu’elle a vécue et qui l’a menée à devoir suivre des soins psychiatriques. Le fait de jouer sur son identité et de confronter son nom civil à son nom d’artiste (Maria Teresa Gomes Baptista vs Teresa Torga) souligne la dimension étrange du personnage, qui reste incompris, insaisissable et aurait presque tout d’un imposteur. Cette femme semble avoir joué de malchance et son passé d’artiste semble à présent bien lointain, voire condamné, comme peut le suggérer la dernière phrase de l’article : « Quando abandonei o local, tinha ela, de seu nome artístico Teresa Torga, seguido num carro da Polícia, para a esquadra do Matadouro ».

En la nommant par son nom de scène, José Afonso s’empare donc du personnage qu’elle a construit, en y associant tous les éléments biographiques mentionnés dans l’article de 1975 et qui s’enchaînent dans la chanson : la description de l’événement dont Teresa Torga est à l’origine (se donner en spectacle nue dans la rue), son travail nocturne dans les discothèques (muda o pick up em Benfica / Atura a malta da borga), les chambres qu’elle loue pour arrondir ses fins de mois, et, enfin, ce qu’on pourrait qualifier de déchéance (mas já foi primeira estrela / agora é modelo à força). Ce qui semble avoir le plus choqué les passants, c’est qu’un photographe (António Capela, nommé dans l’article et dans la chanson) ose la photographier nue :

No meio da confusão, surge o repórter fotográfico António Capela que começa a disparar. Os populares indignados com o que consideraram uma « baixeza moral », investem sobre ele, insultam-no, empurram-no, agridem-no e só a intervenção do proprietário de uma drogaria vizinha impede que não lhe partam a máquina. É obrigado a entregar o rolo que é destruído no próprio local onde a acção decorre. Os protestos são muitos, o repórter fotográfico António Capela acha por bem desaparecer da cena (Rodrigues).

José Afonso ne reprend pas cette scène de violence exercée contre le journaliste et ne mentionne pas la destruction de la pellicule. Mais il refait en quelques couplets l’histoire de la déchéance de Teresa Torga, en faisant paradoxalement renaître le personnage, qu’il déshabille puis rhabille devant nos yeux, en lui rendant sa dignité et sa vérité. Il nous raconte son histoire en réinventant la scène d’après le point de vue d’un spectateur qui serait à mi-chemin entre le badaud et le photographe, le voyeur et le simple témoin, et nous amène ainsi à nous interroger : qu’aurions-nous fait à leur place ? L’aurions-nous photographiée, comme António Capela ? L’aurions-nous protégée des regards, comme l’ont fait certains passants ? Aurions-nous détruit la pellicule, ou l’aurions-nous gardée ? C’est surtout le poids des convenances sociales qu’interroge la chanson : en cachant la nudité, que ou qui veut-on protéger ? Teresa Torga, ou les bonnes mœurs ? Et inversement, en la montrant, que veut-on révéler ? Une société prude, castratrice, ou une société qui peut et doit sortir enfin de son carcan ? Avec « Cantar alentejano », José Afonso s’empare d’une héroïne populaire martyre déjà présente dans les esprits et qui n’a pas encore été politiquement instrumentalisée à l’époque où la chanson est composée ; avec « Teresa Torga », il construit une nouvelle héroïne pour demain.

Figure 3 : Extrait de l’article consacré à Teresa Torga dans la revue Plateia en 1966, disponible sur le blog http://diasquevoam.blogspot.com/2010/12/teresa-torga.html

Figure 3 : Extrait de l’article consacré à Teresa Torga dans la revue Plateia en 1966, disponible sur le blog http://diasquevoam.blogspot.com/2010/12/teresa-torga.html

Figure 4 : Extrait d’un article consacré à Teresa Torga (dans la revue Plateia ?) disponible sur le blog http://diasquevoam.blogspot.com/2014/11/teresa-torga.html

Figure 4 : Extrait d’un article consacré à Teresa Torga (dans la revue Plateia ?) disponible sur le blog http://diasquevoam.blogspot.com/2014/11/teresa-torga.html

II/Quel geste ?

Dans « Cantar alentejano », la véracité du témoignage est renforcée par l’utilisation du verbe ver à trois reprises dans trois vers du premier couplet : O Alentejo a viu nascer / Serranas viram-na em vida / Baleizão a viu morrer. Le je se fait ainsi le porte-parole de choses vues par d’autres. La figure de Catarina Eufémia se dessine donc en filigrane par le récit qui en est fait et l’image qui en est progressivement construite : entre les serranas (paysannes) et les ceifeiras (faucheuses), on la sent protégée par une communauté de femmes de la terre, dont elle fait aussi partie et dont elle n’est sortie qu’après sa mort tragique. Le passage du prétérit du verbe ver au présent du geste qui perpétue sa mémoire (Flores na campa lhe vão pôr), puis le prolongement graphique et phonique entre les mots campa (la tombe) / campina (la plaine) tissent entre Catarina et la terre-écrin à laquelle elle appartient des liens éternels ; à travers l’image de la tombe fleurie qui fait jaillir le sang de Catarina (le passage du présent au prétérit avec les verbes ficou, brotou, renforce à la fois le récit de l’événement et la portée toujours actuelle que celui-ci peut avoir dans le présent), Catarina recouvre et donc s’approprie, en quelque sorte, la terre qui la recueille, son assassinat hantant les mémoires comme une malédiction, comme s’il fallait expier une terre maudite, en appelant indirectement à la vengeance : Quem viu morrer Catarina / Não perdoa a quem matou. Cet appel s’adresse d’ailleurs directement à la campina, c’est-à-dire au lieu qui porte en lui le deuil et la vengeance, mais aussi le lieu et le fruit du labeur, car la révolte partira de l’endroit même où le drame a eu lieu (nous retrouvons l’image présente également dans la chanson « A morte saiu à rua »27, dans laquelle les fleurs naissent des tombes). Dans les deux derniers couplets, le symbole s’étend : la vengeance de l’assassinat de Catarina, c’est aussi celle d’un l’Alentejo oublié, auquel on promet une renaissance : Ó Alentejo queimado / Ninguém se lembra de ti ; Ó Alentejo esquecido / Inda um dia hás-de cantar – cela fait écho à la manière dont Pedro Prostes da Fonseca contextualise l’Alentejo dans lequel vivait Catarina Eufémia, marqué par la misère, la faim, la pénurie chronique d’aliments et le chômage au sein d’une population qui vivait essentiellement de la culture du blé et dont une grande partie émigre vers d’autres régions ou à l’étranger (Fonseca 51-56). L’appel à la révolte et le désir de paix se traduisent également dans la gradation des couleurs mentionnées : vermelha (campina), branca (pomba) queimado (Alentejo) et negra (andorinha) : du symbole du sang et de la révolte – Baleizão, lieu permanent de tensions sociales, était surnommé par les autorités, à l’époque, le village « rouge » (Fonseca 80)28 – nous passons à celui de la pureté, renforcé par l’image de la colombe ; si les adjectifs queimado / negra renvoient à la réalité de cette terre aride endeuillée, l’image de l’hirondelle vient tempérer ce qui ne pourrait que signifier la fatalité : l’hirondelle, qui revient toujours là où elle a fait son nid, est communément tenue pour le symbole de la fidélité et du renouveau, et promet ici la résurrection de cette terre oubliée.

L’assassinat de Catarina Eufémia est le fruit d’une transgression, comme le sont les gestes décrits dans « Teresa Torga ». Au geste transgressif de Teresa Torga répond le geste opportuniste du photographe29, qui transgresse à son tour l’ordre établi (aproveitando a barbuda / só pensa em fotografá-la) : alors que les badauds veulent rhabiller Teresa, le photographe la déshabille une deuxième fois, en quelque sorte, en la photographiant nue – José Afonso joue avec cet instinct du photographe, en utilisant le terme barbuda (cf. note 8) et en donnant au pronom COD de fotografá-la un sens ambigu (-la reprend barbuda, Teresa Torga, ou les deux ?). En captant à la fois le geste de Teresa Torga et celui du photographe, José Afonso reconstruit la photographie que nous ne verrons jamais et réinterprète l’événement en lui donnant une portée politique : Mulher na democracia / Não é biombo de sala ; Teresa Torga Teresa Torga / Vencida numa fornalha / Não há bandeira sem luta / Não há luta sem batalha. Si l’article de presse mentionne que la pellicule du photographe a été confisquée, José Afonso ne retient de ce geste (photographier) que ce qu’il signifie : il cache autant qu’il révèle et permet à José Afonso de faire de Teresa Torga le symbole de la femme vivant en démocratie et donc celui d’un nouvel ordre politique et moral dans lequel la femme n’est plus un ornement décoratif (biombo de sala) qui cache pudiquement une société patriarcale, « [dans] une ville] qui se réveille d’un sommeil de cinquante ans fondé sur le dieu, la patrie et la famille […] et où toutes sortes de choses se sont produites, des choses jamais vues alors. L’explosion de la liberté pendant une brève période avant la normalisation. Ces périodes brèves, non répétables, où tout peut arriver, même dans des épisodes apparemment marginaux », comme nous pouvons le lire à propos de « Teresa Torga » sur une plateforme collaborative dédiée aux chansons pacifistes et anti-militaristes du monde entier30. À travers les détails biographiques, c’est une femme de la marginalité, de la nuit, qui est révélée au grand jour, mais dont la nouvelle instrumentalisation est critiquée : Aluga quartos de casa / Mas já foi primeira estrela / Agora é modelo à força / Que o diga António Capela. La photographie pour laquelle elle n’a pas librement posé interroge donc à nouveau la liberté de cette femme, des femmes portugaises, bâillonnée pendant la dictature. La femme est ici en position de faiblesse, rappelant sans doute à travers l’expression Vencida numa fornalha ces hérétiques brûlés, ces êtres sacrifiés au nom d’un ordre moral érigé en principe castrateur et exécutés sur la place publique. Nous retrouvons dans la chanson « Com as minhas tamanquinhas », éponyme de l’album, ce mot fornalha (“four”, “fournaise”): “Depois da festa, menina / Muita gente se amofina / E o fanqueiro? A ferrugem? E o canalha? / Mete-os na forma queime-os na fornalha”. Il s’agit ici d’affirmer le pouvoir des petits sur les plus riches associés à la « canaille » méprisable. Teresa Torga joue donc ici le rôle de celle qu’on méprise parce qu’elle dérange. La chanson capte à son tour la captation que le photographe a souhaité réaliser. Si la photo a disparu, la chanson, elle, reste et, ce faisant, elle interroge l’objet même de l’événement : en nous parlant de Teresa Torga, elle nous parle de Teresa Torga photographiée, immortalisée dans une position qui aurait pu aussi bien instrumentaliser sa position de faiblesse que se transformer en étendard victorieux de la lutte pour l’émancipation des femmes. José Afonso donne donc un sens à l’histoire que ce personnage impulse, en imaginant la revanche qu’elle pourrait prendre sur une photo qui l’aurait emprisonnée. Finalement, il interroge toutes les interprétations qu’un document d’époque peut suggérer et que la chanson vient remplacer, en se faisant l’écho de ces interrogations. Gaetano Manfredonia, dans l’article « De l’usage de la chanson politique : la production anarchiste d’avant 1914 », remet en cause la manière dont le matériau de la chanson est selon lui sous-utilisé par les historiens :

[…] au-delà des stéréotypes ou des lourdeurs idéologiques qui la traversent de part en part, la chanson permet de saisir de l’intérieur, bien mieux que toute autre source écrite, l’idée que les militants peuvent se faire d’eux-mêmes et de leur cause. De ce fait la chanson, surtout quand elle est l’expression directe des militants, permet d’avoir accès à ce que l’on peut appeler l’imaginaire d’un courant politique, c’est-à-dire, non seulement son idéologie mais également ses espoirs et ses rêves. (Manfredonia 44-45)

Comme nous l’avons déjà évoqué, on ne peut réduire José Afonso au militantisme d’un parti quelconque ; pour lui, intervenir, c’est rencontrer les gens, parler avec eux. S’il doute du pouvoir transformateur de la chanson, comme il l’affirme31, il nous semble que nous sommes bien ici face à l’imaginaire, aux espoirs, aux rêves qui sous-tendent sa perception de l’évolution de la société non répressive et démocratique, qui doit apprendre à se défaire de son passé et à adopter de nouveaux codes. Pour ce faire, ces deux chansons captent l’air du temps en se saisissant du collectif de manière différente : dans « Cantar alentejano », la figure de Catarina finit par incarner un collectif qui est comme dilué en elle ; dans « Teresa Torga », le collectif donne naissance à la figure de Teresa Torga, le photographe faisant exister le personnage comme émanation de la barbuda, un chaos associé à des mœurs légères et débridées, mais associé également à ce sexe féminin qui, en se montrant sans atours, affirme aussi son pouvoir et sa liberté. Du chaos naît une sorte de pureté transgressive alors que dans « Cantar alentejano », la pureté de Catarina donne naissance à l’impur – ce sang qui souille l’espace et réclame vengeance, pour atteindre lui aussi à une nouvelle pureté. Ces deux chansons connotent deux espaces différents, à travers un langage et un lexique qui le sont également : d’un côté, un champ lexical de la ruralité avec serranas, campina, ceifeiras, pomba, andorinha, Alentejo ; de l’autre, celui de l’espace transgressif de la ville connoté par un langage populaire plus hors-normes et par une scène obscène, au sens propre, qui montre ce qu’on ne doit pas voir : rua, barbuda, pick-up, malta da borga32. Notons la différence de ton des deux chansons : « Cantar alentejano », dans sa musicalité dépouillée et la voix de José Afonso qui fait résonner le message en écho, en répétant les vers deux à deux, garde une dimension solennelle qui s’accorde avec le tragique du personnage – Sophia de Melo Breyner fera d’ailleurs de Catarina Eufémia une nouvelle Antigone33 ; « Teresa Torga » est quant à elle une chanson teintée d’ironie, comme le révèle par exemple l’expression que o diga António Capela, pointé finalement comme le véritable déclencheur de l’événement en ayant souhaité utiliser la femme et capter sans son autorisation l’image qu’il voulait en garder – s’il n’avait pas essayé de la photographier, peut-être n’aurions-nous jamais entendu parler de cet épisode, Teresa Torga aurait sans doute été réduite à une folle échappée de l’asile. Que dire également de la profession de disc-jokey qui lui est assignée à travers l’expression muda o pick-up em Benfica ? Faut-il y voir un euphémisme, voire une hypocrisie, comme le rapporte Marco Valdo M.I : « la même société qui veut la rhabiller de force, la fait danser nue pour de l’argent et annonce hypocritement qu’elle est « disc-jockey » » 34? La nudité cantonnée aux bas-fonds ne gêne donc pas la morale publique, qui la tolère dans des circonstances données. Il semblerait que cet épisode impliquant Teresa Torga fasse écho à une scène similaire survenue le 1er mai 1974 sur la place du Rossio. Des photos consultables en ligne sur un blog montrent une femme nue entourée de la foule et sont accompagnées de ce post :

No dia 1 de Maio de 1974 – conhecido ainda hoje como “o primeiro 1º de Maio” – uma mulher decide festejar a liberdade em pleno Rossio. O fotógrafo Carlos Gil captou esta sequência extraordinária: a mulher despindo-se de roupa e preconceitos, proclamando que o fazia porque se sentia livre da opressão. Em redor, alguns “mirones” algo embasbacados. Um repórter estrangeiro, vindo de fora para cobrir a Revolução, falou com ela, enquanto o cinzento agente da Polícia de Segurança Pudica35 a mandava compor-se na praça pública. Diz-se que o agente da PSP consultou o povo presente sobre se a deveria deter para ulteriores averiguações. Foi positiva a resposta a este referendo improvisado, com escrutínio feito ali mesmo, em plena Praça de Dom Pedro IV. E assim a levaram para a esquadra, enquanto o repórter estrangeiro ensaiava uma derradeira tentativa de diálogo com a autoridade democrática36.

Nous aurions presque envie de croire que ces photos sont bien celles de la barbuda Teresa Torga, tant les circonstances décrites ci-dessus semblent être proches de celle dans lesquelles Teresa Torga a dérangé les consciences. Cette coïncidence vient révéler une fois encore cette liberté en puissance que la société doit encore apprivoiser pendant la période post-25 avril, particulièrement lorsqu’on évoque la condition féminine. Marco Gomes rappelle à quel point le 25 avril a été essentiel pour le surgissement de mouvements populaires divers, en particulier des mouvements féminins : la femme gagne une place dans tous les domaines de la société, elle fait porter sa voix et crée de multiples manières, en utilisant les moyens de communication divers et en s’emparant des virtualités des signes ; au-delà des luttes professionnelles et syndicales dans lesquelles de nombreuses femmes se sont illustrées, elles agissent sur les sujets du quotidien (le logement, par exemple) et font valoir leurs idées dans les débats idéologiques, bien que le débat sur l’émancipation de la femme ne soit pas considéré comme une priorité pendant le processus révolutionnaire post-25 avril – il importait d’abord de lutter contre le fascisme (Gomes 2014). Marco Gomes revient sur la manière dont l’espace public, pendant le processus révolutionnaire, a été envahi par les diverses formes de langage visant à exprimer ou susciter l’action politique, en particulier chez les femmes :

A proliferação incontrolada de imagens comunicantes constituiu uma das particularidades da “Revolução dos Cravos”. Portugal foi simultaneamente actor e figurante de uma história processada a um ritmo alucinante. É interessante perceber o carácter público de uma linguagem colectiva, até então amordaçada, que emite e recebe na esfera pública. A prática social e a acção política adquiriram as mais diversas formas. Falar, cantar, pintar, escrever, ou dançar, passou a fazer parte de um conjunto de elementos expressivos que assinalaram a nova ordem comunicacional.

Uma excitação livre que obrigou à experimentação desta nova condição de ser e poder. Teresa Torga, de 41 anos, não enjeitou essa oportunidade. [...] A liberdade que o 25 de Abril proporcionou excedeu a retórica da comunicação política, dos discursos políticos, incidindo também nos aspectos simbólicos da memória colectiva e nas mais diversas formas de comunicação. A praceta da rua de Pedrouços, em Lisboa, foi denominada Largo Maria Isabel Aboim Inglês, professora e militante antifascista. Como se tratasse de suprimir o tempo antes e perpetuar o depois. Multiplicaram-se os tributos a Catarina Eufémia, ceifeira alentejana assassinada pela polícia e transformada pelo Partido Comunista numa lenda da resistência antifascista. (Gomes)

De figurantes, Catarina Eufémia et Teresa Torga en viennent à être les actrices d’une construction qui les dépasse, dans un Portugal euphorique à la recherche de nouveaux modèles. Elles seraient toutes deux des figures excessives, qui débordent d’elles-mêmes pour occuper l’espace public. Emblèmes d’un Portugal qui veut penser par lui-même et expérimenter dans sa chair cette nouvelle vague de liberté, ces deux femmes incarnent les mythes dont le pays avait besoin pour mener à bien sa reconstruction à travers le combat contre le fascisme et pour l’émancipation de la femme.

Ces deux chansons peuvent configurer deux étapes du combat politique contre l’oppression à travers ce qu’Hugo Castro nomme l’utilisation de la « poésie de résistance » (Castro 21) : il s’agit aussi bien de dénoncer l’usage arbitraire du droit de vie et de mort exercé sur les citoyens par les représentants du pouvoir, que d’annoncer les nouvelles étapes d’un combat loin d’être achevé. Rappelons qu’à la période même où Teresa Torga s’exhibe nue dans la rue, des femmes ouvrières luttent pour leurs droits en se réappropriant leur outil de travail (Gomes). Les combats évoqués dans ces deux chansons font de la figure féminine l’héroïne d’un message qui la dépasse : la femme résistante récupérée par l’idéologie communiste (Fonseca 127-140) et la femme actrice de son émancipation. Elles viennent se mêler à d’autres images, d’autres voix : celles de la femme-objet admirablement chantée par Carlos Mendes dans « Calçada de Carriche »37, où Luísa, dans son mouvement incessant par lequel elle surmonte toutes les humiliations, est une simple force de travail exploitée à l’usine, chez elle ou dans la rue, ou encore celles du carcan dénoncé par les « trois Marias » dans Novas Cartas Portuguesas (1972).

Bibliographie

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ARAÚJO, Jorge. “O senhor Catarina Eufémia”. O Independente, 23 a 29 de abril de 1999, p. 15-18.

CASTRO, Hugo. “Discos na Revolução: A produção fonográfica da canção de protesto em Portugal na senda da Revolução do 25 de Abril de 1974” [En ligne]. TRANS-Revista Transcultural de Música/Transcultural Music Review, 2015, 19, p. 1-28. [consulté le 11 mai 2023] URL. https://www.sibetrans.com/trans/article/506/discos-na-revolucao-a-producao-fonografica-da-cancao-de-protesto-em-portugal-na-senda-da-revolucao-do-25-de-abril-de-1974.

DUARTE, António A.. A arte eléctrica de ser português. 25 anos de de Rock’n de Portugal, Lisboa, Bertrand, 1984.

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PEREIRA, Victor. « Chanson et immigration portugaise en France : une musique du retour ? ». Volume ! [En ligne]. 2015,12 : 1, mis en ligne le 30 novembre 2017, p. 101-121. [consulté le 13 novembre 2021]. URL. http://journals.openedition.org/volume/4601.

MANFREDONIA, Gaetano Manfredonia. « De l’usage de la chanson politique : la production anarchiste d’avant 1914 », Cités 2004/3 (n° 19) [En ligne], p. 43-53 [consulté le 12 janvier 2023]. URL. https://www.cairn.info/revue-cites-2004-3-page-43.htm.

PACHECO, Nuno. « Notícias renascidas canções », Público, 18 de agosto de 2013.

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RODRIGUES, Rogério. « Ex fadista nua em plena cidade », Diário de Lisboa, 7/05/1975 nº 18757, Ano 55, Fundação Mário Soares / DRR - Documentos Ruella Ramos disponible sur http://hdl.handle.net/11002/fms_dc_4620 (2023-1-26).

SALVADOR, José A.. José Afonso, o rosto da utopia (4ª ed.), Porto, ed. Afrontamento, 2006 (1ª ed. 1999).

TELES, Viriato. José Afonso, maior que o pensamento (2 vol.: vol. 1 “Uma história da resistência”, vol. 2 “Uma história de liberdade”), RTP edições, 2015.

SITES WEB

Associação José Afonso. Multimédia [En ligne], URL. https://www.aja.pt/multimedia/

Observatório da Canção de Protesto. URL. https://ocprotesto.org

BLOGS

http://diasquevoam.blogspot.com/2014/11/teresa-torga.html

https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=10645

http://torredemoncorvoinblog.blogspot.com/search?q=teresa+torga.

http://malomil.blogspot.com/2012/07/passa-por-mim-no-rossio.html

ARCHIVES

CATARINA. UMTP, 1974. Nº 1; 1975. Nºs 2, 4, 5, 6 in Espólio de Ana Maria Fialho de Figueiredo Dias & António Carriço, Centro de Documentação do 25 de Abril, Coimbra.

CD

José Afonso. Cantigas do maio et Com as minhas tamanquinhas, Mais Cinco, 2022.

Notes

1 Cf. José Afonso cité par Viriato Teles: “Sou um tipo que não pertenço a nenhum partido. Tive, em tempos, ligações com a LUAR, mas também tive ligações com outras forças políticas [...] E, como todos os indivíduos que não têm um comitê central por cima de si, sou obrigado a analisar o que se passa e a tomar atitudes em conformidade com isso”, in Viriato Teles, José Afonso, maior que o pensamento, vol. 2: Uma história de liberdade, RTP edições, 2015, p. 16. Retour au texte

2 José Afonso rompt avec le fado traditionnel de Coimbra en introduisant la balada. Il affirme avec un certain humour qu’il a appelé ces chansons baladas moins parce qu’il connaissait le sens de ce terme que pour se différencier du fado de Coimbra, “saturé”, selon lui. Cf. Viriato Teles, José Afonso, maior que o pensamento, vol. 1: Uma história da resistência, RTP edições, 2015, p. 20. Retour au texte

3 Il décrit notamment les nombreuses sollicitations auxquelles il a dû répondre, souvent sans être payé. Il signera avec la maison Orfeu un contrat qui lui permettra de s’assurer des revenus réguliers. Voir également les textes de José A. Salvador, « José Afonso, o rosto da utopia », qui retrace les principales étapes du parcours de l’artiste, ainsi que « José Afonso ao vivo », fruit d’une conversation de l’auteur avec José Afonso entre juin et novembre 1983, dans José Afonso, O rosto da utopia (4ª ed.), Lisboa, ed. Afrontamento, 2006 (1ª ed. 1999). José Afonso évoque dans ce dernier les actions de la PIDE qui l’empêchaient constamment de se produire sur scène et réprimaient également les responsables des structures dans lesquelles il était invité : “Por vezes, os acontecimentos a que davam lugar estas interrupções, a repressão exercida sobre os dirigentes dessas colectividades e sobre mim próprio […] funcionavam como estimulante de ordem política muito mais importante do que se houvesse uma intervenção cantada. A história da minha actuação e das futuras actuações com o Adriano Correia de Oliveira foi sobretudo a história de todos os artifícios, de todos os impedimentos e de todas as violentações exercidas pelos poderes políticos para evitar que nós chegássemos às pessoas”, Ibid., p. 66. Ces circonstances chaotiques en disent ainsi au moins aussi long que les chansons elles-mêmes. Retour au texte

4 José Afonso évoque l’importance du premier « lien culturel » qu’il tisse avec la société portugaise par l’intermédiaire des histoires que lui racontait la bonne de la tante qui l’hébergeait, ce qui a influencé sa formation empreinte de surréalisme, selon José A. Salvador. Ibid., p. 17. Retour au texte

5 L’article propose une recontextualisation rapide de l’émergence de la canção de protesto au Portugal, à partir de la création par le compositeur Fernando Lopes-Graça d’un cancioneiro ouvrier et révolutionnaire, puis décrit le rôle de la canção de protesto dans le processus révolutionnaire et la transition démocratique au Portugal, ainsi que la formation de coopératives d’édition discographique qui ont voulu prendre le contrepied de l’exploitation commerciale des maisons de disques, à travers des projets qui défendaient l’égalité d’accès à la culture. Voir également à ce sujet Marcos Cardão, «Pois Claro! Música, política e desejo no Festival RTP da Canção (1975-1982)». Ler História [En ligne], 2014, n°67, p. 27-43 [consulté le 11 mai 2023]. URL. http://journals.openedition.org/lerhistoria/805, p. 30: “Independentemente das divergências poliítico-ideológicas e das diferentes opções estéticas, todas as organizações de intervenção cultural e política acreditavam na importância da canção de intervenção no movimento revolucionário, fosse por razões eminentemente comunicativas e pedagógicas, como mecanismo de agitação, mobilização e transformação social, ou como forma de congregar energias, reforçar a fraternidade e mobilizar a esperança”. Notons que José Afonso dénonçait les limites de la chanson d’intervention réduite à un simple mot d’ordre, à « un bien de consommation », à un « alibi de consciences », faisant par là même écho à la nouvelle définition de la « chanson » recherchée par José Mário Branco et Sérgio Godinho, qui reposait sur une conception de la chanson comme un langage signifiant par lui-même. Cf. João Lisboa, « Uma canção é um objecto novo » in Nuno Galopim e João Lisboa, « A revolução de 1971 », revista E (revista do Expresso), n°2549, 3/09/2021, p. 23. Retour au texte

6 Chanson écrite en hommage à son ami peintre et militant communiste José Dias Coelho, assassiné en 1961 par la PIDE. Cette chanson ouvre l’album Eu vou ser como a toupeira, enregistré à Madrid en 1972, et a été choisie par José Afonso pour représenter le Portugal au VIIème Festival International de la Chanson populaire de Rio en 1972. Cf. Viriato Teles, José Afonso, maior que o pensamento, vol. 1, op. cit., p. 34 et p. 42. Retour au texte

7 Selon Joaquim de Sousa Rodrigues Anacleto, la femme apparaît rarement chez José Afonso évoquée pour elle-même et pour ce qu’elle représente spécifiquement en tant que femme ; on la retrouve surtout à travers la figure tutélaire de la mère ou de la paysanne de l’Alentejo, ou encore dans le cadre d’une évocation lyrique qui fait de la femme le symbole d’un élément qui la dépasse (Anacleto 109-110). Voir aussi Mário Correia, As mulheres cantadas por José Afonso, Sons da Terra, 2013 (ouvrage que nous n’avons malheureusement pas encore pu consulter). Retour au texte

8 Le mot tamanquinha signifie un petit sabot ; l’expression idiomatique firmar-se/pôr-se nas tamanquinhas signifie ne pas céder, imposer sa position avec fermeté. Le titre connote donc à la fois un univers humble, attaché au quotidien et au labeur, mais aussi l’affirmation d’une résistance, le refus d’abandonner. Ce disque, selon Viriato Teles, est particulièrement révélateur de l’implication sociale du chanteur, qui se produit aussi bien dans des quartiers pauvres que dans des usines occupées ou des propriétés héritées de la réforme agraire. Cf. José Afonso, maior que o pensamento, vol. 2, op. cit., p. 19. Voir également à ce sujet la page de l’« Observatoire de la Chanson d’Intervention » (Observatório da Canção de Protesto), https://ocprotesto.org/dossier-tematico-2/. Voir également le podcast de l’émission de radio consacrée à cet album (URL. https://www.aja.pt/multimedia/) dans lequel le musicien Vitorino, de la même génération que José Afonso, affirme que cet album est un disque risqué, un “romanceiro” des chroniques écrites dans un langage direct, après le coup dur du 25 novembre 1975 [une période de grandes tensions entre révolutionnaires et modérés, après l’« été chaud » de 1975]. Cet album intègre aussi bien une chanson sur l’ancien prêtre Alípio de Freitas, prisonnier politique au Brésil, que sur l’occupation de la Palestine, et compte notamment avec la participation de Fausto ou encore de Quim Barreiros. José Afonso affirmait que Com as minhas tamanquinhas était son meilleur disque, alors que beaucoup le considèrent comme son pire travail, en raison notamment d’arrangements considérés comme peu soignés. Retour au texte

9 Sur la fresque peinte en hommage à Catarina Eufémia sur le mur de la mairie de Baleizão, on peut lire : « Catarina Eufémia mulher comunista símbolo da luta emancipadora ». Cette inscription a inspiré le titre de cet article. Retour au texte

10 Le mot barbuda crée ici un effet assez surprenant. En tant qu’adjectif, il est le féminin de barbudo (« qui a une grande barbe », « poilu » et peut faire penser à la « femme à barbe »). En tant que nom commun, il désigne un casque du XIVème siècle ou une ancienne monnaie en argent. Selon un dictionnaire en ligne de la langue informelle au Brésil, ce mot est également un mot vulgaire qui désigne le sexe de la femme. Enfin, dans le Dicionário aberto de calão e expressões idiomáticas publié en ligne par José João Almeida en octobre 2020, de l’Université du Minho, on apprend que l’expression andar numa grande barbuda décrit un comportement inadapté dans un contexte où les mœurs « s’adoucissent » et est donnée comme l’équivalent de l’expression « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent » (Patrão fora, dia santo na loja). Les diverses occurrences répertoriées dans ce dictionnaire associent toutefois toujours l’expression à une situation dans laquelle l’absence d’autorité laisse cours à des comportements inappropriés, « bordéliques », « débraillés », associés à l’idée de confusion et de promiscuité. A barbuda peut donc aussi bien désigner « a (mulher) barbuda » = « la (femme) poilue / à barbe », qu’une situation confuse et choquante. L’ambiguïté est évidemment très intéressante ici, puisque ces deux sens fusionnent l’image et l’effet qu’elle provoque – le tableau choquant de ce sexe dévoilé sans pudeur, qui aujourd’hui ne peut qu’être imaginé. Retour au texte

11 Dans l’entretien accordé à Pedro Prostes da Fonseca, la fille de Catarina Eufémia explique bien que ce jour-là, sa mère n’était pas en train de travailler (d’où le fait qu’elle ait son fils dans les bras), mais est allée avec d’autres femmes voir ce qu’il se passait, à la suite des rumeurs selon lesquelles le propriétaire allait faire appel à des faucheuses d’autres villages. Retour au texte

12 Pour connaître les différentes versions des témoins interrogés, cf. Pedro Prostes da Fonseca, O assassino de Catarina Eufémia, Op. Cit., notamment le chapitre 2, p. 27-48. Retour au texte

13 Dans le livre qu’il consacre à l’assassinat de Catarina Eufémia, à l’enquête qui a été menée ensuite et au procès du lieutenant Carrajola, notamment à partir d’archives inédites, Pedro Prostes da Fonseca affirme très clairement au début de l’introduction que cet élément reste impossible à confirmer : « não é possível afirmar se o GNR carregou no gatilho de forma voluntária, se o fez sem querer ou se nem sequer o acionou, por ter ocorrido uma avaria. É um assunto que ficará sempre em aberto, mas nunca será o mais decisivo. Apesar da forma complacente como foi tratado em tribunal, o juiz deu como provado que [...] João Tomás Carrajola encostou o cano de uma pistola-metralhadora nas costas de uma trabalhadora rural. E que dessa pistola-metralhadora saiu uma rajada de três tiros que estilhaçou o corpo da camponesa”, Op. Cit., p. 15 et p. 95-96. Retour au texte

14 Pour l’auteur, c’est là l’élément le plus choquant. Retour au texte

15 Voir notamment l’interview accordée par l’époux de Catarina Eufémia, António Joaquim do Carmo (dit “Carmona”) en 1999 au journal O Independente : « […] tal como muitas outras jovens da sua idade, começou a transportar panfletos subversivos escondidos no fundo da sua bilha de ir à água. “Era danada”, reconhece “Carmona”. Mas atenção. “Ela nunca foi militante comunista. Apenas simpatizante”, garante o viúvo”, in Jorge Araújo, “O senhor Catarina Eufémia”, O Independente, 23 a 29 de abril de 1999, p. 16. Notons la publication du journal Catarina, avec pour sous-titre « Órgão da União das mulheres trabalhadoras de Portugal », dont le premier numéro est publié en novembre 1974. Dirigée par T. M. Gaspar et basée à Lisbonne, cette publication mensuelle souhaite inciter les femmes à lutter pour leurs droits et dénonce l’exploitation des femmes par le système capitaliste. Les références constantes, dans ce journal, à la figure inspirante de Catarina Eufémia mais aussi à Mao, à la révolution d’octobre 1917 en URSS, à Staline comme « um grande lutador pela emancipação da mulher » (n°2, janeiro 1975, p. 7) ou encore aux exemples de femmes luttant pour leurs droits dans le monde entier, montrent à quel point Catarina Eufémia a été assimilée à l’idéologie communiste, en plus d’avoir été un modèle de lutte émancipatrice de la femme dans la société patriarcale. Voir par exemple l’article « O exemplo de Catarina », journal Catarina, n° 5, maio 1975, p. 1 : « A história da morte de Catarina Eufémia é um grande exemplo da luta de resistência que os trabalhadores alentejanos travaram contra o fascismo e o capital, combatendo por uma sociedade justa, sem exploração do homem pelo homem [...] Tinha 29 anos [sic] e era comunista [...] Catarina encontrava-se na vanguarda da luta revolucionária dirigida pelo Partido Comunista de José Gregório e Militão Ribeiro. Porém, a partir de 1956, a sua luta é atraiçoada, pois a direção do Partido Comunista é usurpada por renegados [...] O partido Comunista abandonou completamente a linha revolucionária, que levou Catarina e outros militantes a sacrificar a sua vida pela causa do proletariado [...]”. Dans ce même numéro, une amie de Catarina affirme dans un entretien accordé au journal que Catarina lisait des livres qui lui étaient envoyés de Lisbonne, « eram lá livros do comunismo » (p. 7). Nous avons pu consulter les numéros 1, 2, 4, 5 et 6, publiés entre novembre 1974 et juin 1975, conservés au Centro de Documentação do 25 de Abril à Coimbra. Retour au texte

16 Voir le podcast “Cantigas do Maio”, António Macedo, Emissão Especial Antena 1, disponible sur https://www.aja.pt/multimedia/, à l’occasion de la réédition remastérisée de l’œuvre de José Afonso en 2012. Retour au texte

17 Ce studio français d’Hérouville (où allaient enregistrer en 1972 les Pink Floyd et Elthon John, entre autres) était considéré l’un des meilleurs d’Europe et adapté aux exigences techniques de José Afonso. Voir Nuno Galopim, « A revolução de 1971 », revista E (revista do Expresso), n°2549, 3/09/2021, p. 18-27, pour l’histoire du lieu et de la manière dont il va changer l’histoire de la musique portugaise avec l’enregistrement des albums de José Mário Branco, Sérgio Godinho et José Afonso. C’est le premier studio en France à offrir aux musiciens et techniciens une structure capable de les accueillir sur plusieurs jours, à une trentaine de kilomètres de Paris, dans la campagne. Les circonstances de l’enregistrement de « Cantar alentejano », pendant lequel José Afonso a dit qu’il avait besoin d’ « aller voir les vaches », sont mentionnées dans cet article p. 26, et sont également explicitées par plusieurs témoins sur https://aja.pt/discografia/cantigas-do-maio-1971/. Cf. aussi Pedro Prostes da Fonseca, qui reprend une partie de ces témoignages dans la note 88 p. 127. L’auteur mentionne que la chanson « Cantar alentejano » a été mise en musique à partir d’un poème de Vicente Campinas. D’autres sources affirment que le texte est bien de José Afonso, et c’est bien ce qui apparaît dans la description de l’album. Retour au texte

18 José Afonso in « Cantares », cité sur https://www.aja.pt/letras/ à l’article « Cantar alentejano » Retour au texte

19 Voir notamment l’article “cantar”, Dicionário infopédia da Língua Portuguesa [em linha]. Porto: Porto Editora. [consult. 2023-03-31]. URL. https://www.infopedia.pt/dicionarios/lingua-portuguesa/cantar. Retour au texte

20 Cité par José A. Salvador, Op. Cit., p. 34-35. Retour au texte

21 Cf. le podcast de l’émission de radio consacrée à Com as minhas tamanquinhas, déjà cité. Retour au texte

22 Rogério Rodrigues, « Ex fadista nua em plena cidade », Diário de Lisboa, 7/05/1975 nº 18757, Ano 55, Fundação Mário Soares / DRR - Documentos Ruella Ramos disponible sur http://hdl.handle.net/11002/fms_dc_4620 (2023-1-26). L’extrait de Os dias loucos do PREC de Adelino Gomes e José Pedro Castanheira (Ed. Expresso/ Público, 2006) publié sur le Blog de l’Associação José Afonso et dans lequel est commenté cet article qui a donné lieu à la chanson de José Afonso, mentionne une date et un titre erronés. Cf. https://www.aja.pt/teresa-torga/ Retour au texte

23 Extraits disponibles sur http://diasquevoam.blogspot.com/2014/11/teresa-torga.html Retour au texte

24 Ibid. Retour au texte

25 Ibid. Retour au texte

26 Des enregistrements de Teresa Torga au Brésil, mentionnés par le chercheur Alan Romero en 2011 sur le blog https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=10645, étaient, jusqu’à il y a peu, disponibles en ligne. Il s’agit des chansons “De degrau em degrau” (composition de Nóbrega e Sousa et Jerónimo Bragança) et “Rua sem luz” (composition de António José et Nóbrega e Sousa). Retour au texte

27 Piste 1 de l’album Eu vou ser como a toupeira, Orfeu, 1972. Cf. note 5. Retour au texte

28 L’influence du parti communiste dans l’Alentejo pendant la dictature est bien connu. Pedro Prostes da Fonseca détaille la manière dont la propagande communiste, considérée comme « subversive » par le pouvoir, a trouvé dans la misère de ce peuple un terrain fertile, permettant de créer des réseaux clandestins de résistance. Retour au texte

29 Rogério Rodrigues raconte qu’il était le seul journaliste présent sur les lieux ce jour-là. Voir l’article de Nuno Pacheco, « Notícias renascidas canções », Público, 18 de agosto de 2013, qui revient sur les sources d’information disponibles sur la figure de Teresa Torga. Voir aussi le post de Rogério Rodrigues sur son blog le 4 juillet 2009 intitulé « Uma canção de Zeca Afonso », dans lequel il revient sur les circonstances de l’écriture de sa chronique, disponible sur http://torredemoncorvoinblog.blogspot.com/search?q=teresa+torga. Retour au texte

30 Riccardo Venturi, post « Donna nella democrazia... » du 8/07/2009, disponible sur https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=10645 [page consultée le 17 janvier 2023]. Cette plateforme « Chansons contre la guerre », disponible en anglais, français et italien, se présente comme « un recueil collectif de paroles de chansons pacifistes et antimilitaristes de tous les temps et du monde entier, sous forme de base de données. Les lecteurs et les collaborateurs peuvent donc contribuer librement à sa formation, à sa gestion et à son amélioration constante. » Les paroles des chansons étudiées, contextualisées, commentées sont également traduites. Dans ce même article, on apprend que le photographe António Capela est l’un des plus célèbres photojournalistes sportifs du Portugal, décédé en 1996, lié à l’histoire du club du Sporting de Lisbonne. Retour au texte

31 ‘Talvez porque tenha uma deformação de 16 anos de ensino, dou a minha preferência à intervenção directa, prefiro levar o ouvinte a fazer a sua própria festa com o imediatismo que a canção suscita’ (interview accordée à António Macedo, Se7e, 20/04/1979)”, Viriato Teles, José Afonso, maior que o pensamento, vol. 2, Op. Cit., p. 23. Retour au texte

32 Le pick-up désigne l’équipement du DJ; borga est un mot familier et populaire qui désigne une distraction, une réunion festive où les gens boivent et mangent, ou encore une vie désordonnée ; malta désigne une bande, un groupe, et sous-entend souvent un sens péjoratif associé à l’idée de gens peu fréquentables. Retour au texte

33 Sophia de Mello Breyner Andresen, “Catarina Eufémia” in Dual, Obra poética III, 2a ed., Lisboa, Caminho, 1972. Texte disponible sur https://www.pcp.pt/actpol/temas/pcp/catarina/poemas-sophia.htm Retour au texte

34 Post de juillet 2009 par Marco Valdo M. I, disponible sur la plateforme suscitée, https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=10645# [page consultée le 12 janvier 2023]. Retour au texte

35 Notons le jeu de mots entre le véritable sens de l’acronyme PSP (Polícia de Segurança Pública = Police de Sécurité Publique) et le sens qui est donné ici (« Police de Sécurité Pudique »). Retour au texte

36 Post du 16 juillet 2012, disponible sur le blog MALOMIL, http://malomil.blogspot.com/2012/07/passa-por-mim-no-rossio.html [page consultée le 17 janvier 2023] Photos également disponibles sur https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=10645#, et qui laissent entendre que ces photos pourraient même être celles de Teresa Torga. Elles sont reprises sur d’autres blogs qui associent ces photos à Teresa Torga, mais rien ne le prouve, d’autant plus, ne l’oublions pas, que les photos de Teresa Torga prises ce jour-là sont censées avoir été détruites… Retour au texte

37 Sur un poème d’António Gedeão, dans l’album Fala do homem nascido, 1972, Orfeu. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Sandra Teixeira, « De Baleizão à Lisbonne, de Catarina Eufémia à Teresa Torga : la lutte émancipatrice selon José Afonso ? », Reflexos [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 04 janvier 2024, consulté le 28 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/reflexos/1650

Auteur

Sandra Teixeira

Université de Poitiers, Laboratoire FORELLIS-Unité de Recherche 15076

sandra.teixeira@univ-poitiers.fr

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