Une pause au cours du voyage : « A Estória de Lélio e Lina », de João Guimarães Rosa

Résumé

Ancré sur les théories narratologiques, cet article a pour but de saisir comment, à l’intérieur d’un topos spécifique, le « sertão » du Minas Gerais, marqué essentiellement par le mouvement et par le passage, le jeune protagoniste Lélio, qui clôt la trilogie des trois âges de la vie formée  par le premier volume de Corpo de Baile, de João Guimarães Rosa, se permet « une pause » illusoire. En effet, si pause il y a, dans cet univers où tout est parcours géographique, social et humain, elle n’est en fin de compte qu’une étape d’apprentissage vers un nouveau départ, destin auquel est voué tout homme du « sertão ».

Index

Mots-clés

João Guimarães Rosa, Corpo de Baile, « A Estória de lélio e Lina », conte brésilien

Index géographique

Sertão

Index chronologique

XXe

Texte

[...] as criaturas tôdas dêste mundo, com mais ou menos pressa, quisessem ou não quisessem, estavam tôdas encaminhadas para alguma outra parte. (LEL, p. 355)

"A Estória de Lélio e Lina" clôt le premier volume de Corpo de Baile1. Les deux «tranches de vie» (enfance et âge mûr), illustrées par chacun des «personnages» principaux des contes précédents, sont ici complétées par l'histoire de Lélio, le jeune vacher.

L'histoire présente deux grands mouvements d'égale longueur. Dans le premier, le lecteur apprend que, ayant quitté son ancien lieu de travail, la ferme de Tromba-d'Anta, en raison de problèmes d'ordre sentimental, Lélio arrive «par hasard» à une nouvelle ferme, celle du Pinhém, où il est immédiatement employé. Lélio se liera d’amitié à ses collègues et à leurs familles, vivra une passion charnelle pour la compagne de l'un de ses camarades et cherchera, parmi les jeunes filles de la région, une éventuelle épouse.

Dans un second mouvement très marqué de l'histoire, Lélio connaîtra Dona Rosalina, une dame âgée à laquelle le lie un profond sentiment d'amitié, et qui devient, peu à peu, son alter ego. A la fin, ayant compris un certain nombre de choses sur lui-même et sur la vie, notamment grâce à la «clairvoyance» de Dona Rosalina, Lélio prend la décision de partir du Pinhém. Dona Rosalina décide de l'accompagner. Au cours d'une nuit très étoilée, les deux «personnages» «fuient» ensemble.

L'histoire est donc extrêmement simple : elle se compose d'incidents relatifs à l'activité professionnelle de Lélio, d'événements importants dans la vie privée de ses amis, de déboires amoureux du «personnage» principal dans sa quête d'un amour et/ou d'une compagne et de ses visites à Dona Rosalina.

Comme dans "Campo Geral", l'histoire est doublée d'un parcours «initiatique» du «personnage» principal, aux contours plus clairs que celui du premier conte. Cette affirmation impose la référence au «voyage initiatique», défini comme l'interprétation du voyage géographique d'un héros épique. Le «voyage» du héros épique symbolise le développement même de l'être humain, la rencontre et l'acceptation de la souffrance, la persévérance dans l'effort pour atteindre de nobles objectifs, même si cela demande beaucoup de temps. La fin du «voyage», donc la fin des épreuves imposées durant ce voyage, symbolise l'ascension vers la sagesse, la plénitude psychique.

Etudiant l'épopée camonienne, Hélder Macedo affirme :

«Un poème épique tend à signifier, en tant que discours avec arrière-pensées, un parcours spirituel, un voyage initiatique personnalisé par un héros. Et il y a un schéma sous-jacent à tout voyage initiatique, lequel correspond, à son tour, à une amplification de la formule cristallisée dans les rites de passage. Ce schéma définit trois moments fondamentaux : l'appel, le voyage proprement dit, et le retour. Pour que son aventure devienne une véritable initiation, le héros devra réussir à affirmer son identité personnelle, en affrontant et en dépassant des obstacles successifs, jusqu'à ce que, dans sa rencontre avec la Magna Mater - moment indispensable et but implicite de sa quête -, il ait assumé le pouvoir paternel dont dépend la continuité de la communauté qu'il incarne.»2

Même si notre grille de lecture ne prétend pas étudier l'émergence de l'epos dans "A Estória de Lélio e Lina", ni n'entend aborder l'occultisme ou la théosophie, nous retiendrons la notion de «voyage» pour décrire la trajectoire de Lélio dans la «vie» et dans l'«espace» :

Então êle ia; ia. Tinha vivido, extrato, no Pinhém - demais, em tempo tão curto. Ali não cabia. Aquêle lugar o repartia em muitos, parava como uma encruzilhada. (LEL, p. 380)

L'arrivée et la vie de Lélio à la ferme du Pinhém constituent, en quelque sorte, deux événements d'une histoire plus vaste, dont le début et la fin sont pratiquement escamotés par le récit, ou, plutôt, la description de l'une des «étapes» de son «parcours existentiel». Du début à la fin du récit, le «personnage» est voué à se déplacer constamment et à subir un certain nombre d'épreuves. Dans ce sens, l'escale dans la maison de Lina est une pause régénératrice, permettant à Lélio de mieux repartir.

L'originalité de la "psychologie" du personnage vient de sa dépendance à l'égard de la topographie : la “crise psychologique” est, presque toujours, une crise qui affecte le personnage franchissant une frontière, crise à la fois de type cognitif (le personnage perd ou acquiert un souvenir, pose une prophétie, acquiert une information sur l'avenir ou le passé) et de type affectif : “l'inquiétude”, le “malaise”, le “frisson”, “l'agacement” qui affecte alors le personnage n'est, bien souvent, que le signal et le symptôme d'une transformation ultérieure importante du récit [...]3

Le principal trait physique distinctif du «personnage» est sa «jeunesse». Elle concourt largement à l'«effet de réel» de la narration, elle est responsable de son «existence» en tant que «personnage» central, car elle lui assure une autonomie à l'intérieur de sa «classe sociale». Autrement, si Lélio n'était pas le «jeune», il y aurait interchangeabilité des traits sémantiques du «personnage» avec ceux des autres «personnages», puisque Lélio n'est, en fin de compte, qu'un vacher parmi d'autres. Du point de vue narratologique, cette jeunesse va de pair avec la «nouveauté», essentielle au récit et à l'histoire.

Au niveau du récit, Lélio, venant d'arriver, pose un nouveau topos, le Pinhém, inconnu du «personnage» principal, et métaphore de l'horizon d'attente qui s'ouvre alors dans le texte pour le lecteur. L'arrivée du «personnage» justifie, avant tout, le regard des gens sur lui - son portrait physique -, dont toutes les variations portent sur le thème unique de la «nouveauté». Il est le sujet et l'objet du descriptif :

De pronto, relancearam o que nêle havia a ver, a ôlho de vaqueiro: rapaz môço, bôa cara e comum jeito, sem semêlho de barba nenhuma, ar de novidade; com sua roupinha bem tratada: só o chapéu-de-couro baixava, muito maior que a cabeça do dono. (LEL, p. 249)

Il est donc le point de convergence des regards des autres «personnages». En même temps, son propre regard justifie la narration : le texte «est» à la fois le regard de Lélio sur sa nouvelle territorialisation et le regard des autres sur le topos, retransmis au lecteur depuis la perspective de Lélio «personnage» focalisateur. Le lecteur prend ainsi connaissance du topos en même temps que Lélio, qui reçoit des autres «personnages» ces informations essentielles justement parce qu'il est «nouveau» :

- "Vai vigia sua pinga, que os outros bebem tudo embora... Aqui, a gente tem de estar com u'a mão no nariz e outra no lenço..." (LEL, p. 253)

Delmiro vinha noticiando. Dizia do Pinhém. Dos apêrtos em que o seo Senclér ùltimamente navegava [...] (LEL, p. 263)

La «jeunesse» de Lélio est également un trait distinctif fondamental pour l'histoire, elle aura une incidence directe sur les événements. En tant que jeune vacher, il aura à faire ses preuves et à apprendre de nouvelles choses auprès des collègues plus expérimentés; en tant que jeune homme, il aura des leçons à tirer de ses premières expériences amoureuses et beaucoup à apprendre sur la vie elle-même avec l'aide de Dona Rosalina :

- "De você eu gosto demais, para saber, meu Mocinho. Você é o sol - mas só ao sol mesmo é que nuvem pode prejudicar..." (LEL, p. 310)

L'introduction de "A Estória de Lélio et Lina" pose un regard qui sera amplement développé tout au long du premier moment du texte et que nous appellerons le «coup d'œil professionnel» :

De pronto, relancearam o que nêle havia a ver, a ôlho de vaqueiro : rapaz môço, boa cara e comum jeito, sem semêlho de barba nenhum, ar de novidade; com sua roupinha bem tratada: só o chapéu-de-couro baixava muito, maior que a cebça do dono. Alforges cheios, saco de dôbro na garupa, capa na capoteira; laço estaço - um "corda" bem cuidada; hampa de vara-de-topas que provava prestança. O cavalo - recém-bem-ferrado dos quatro, relimpo de liso - estadava vistoso: assim alto oito palmos da cernelha ao casco, com as largas malhas vermelhas desenhadas em fundo de belo branco. (LEL, p. 249)4

Au niveau du récit, le fait que le «personnage» principal (un vacher) soit en redondance avec son topos (une ferme d'élevage des Gerais où vivent des vachers) permettra de justifier économiquement la précision des termes «techniques» de la description (le voir de Lélio ou de ses camarades est justifié par un savoir). La notation de la «compétence professionnelle» du regardant justifie la précision du vocabulaire descriptif tout comme le «trait psychologique» de la «jeunesse» explique son désir de regarder (désir de voir, de voyager, de s'instruire) :

Antes, nous outros lugares onde morara, tudo acontecia já emendado e envelhecido [... ] ; e agora êle via que era dessa quebra que a gente precisava às vêzes, feito um riachinho num ribeirão ou rio precisa de fazer barra. A tanto sentia falta de uma confusão grande, que ajudasse a um não carecer de curtir a confusão pequena das coisas de todo dia da gente, derredor. E ter tempo para ir se lembrando devagarinho das melhores horas, consumindo. Avante e volta, gostava de galopar, no campo, o galope, o galope. [...] (LEL, p. 256)5

Le «personnage» du vacher dans le «sertão» est un homme «libre». Au niveau du récit, cela se traduira non seulement par la liberté qu'a Lélio de passer de la Tromba-d'Anta au Pinhém, puis à Peixe-Manso, destination explicitée à la fin du conte, mais aussi par son caractère «mobile» : il lui faut toujours passer d'un espace à un autre, il est toujours en mouvement, comme ses pairs :

Galopavam, atalhavam, perseguiam, cercavam. (LEL, p. 268)

Cette mobilité fait partie de la «vie professionnelle» et surtout de la «psychologie» de Lélio, «chevalier errant» :

Se ela olhasse e mandasse, êle tinha asas, gostava de poder ir longe, até à distância do mundo, por ela estrepolir, fazer o que fôsse, guerrear, não voltar - essas ilusões. [...] (LEL, p. 259)

Le texte présente un grand nombre d'occurrences de «verbes de mouvement», tels «atravessar» (p. 251), «entrar» (p. 252), «galopar» (p. 256), «se aventurar» (p. 256), «varar» (p. 267), «desembocar» (p. 268), «sinuosear» (p. 271), «sair» (p. 271), «reandear» (p. 279), «tocar» (p. 289), «dobrar» (p. 290), «desvir» (p. 293), «voltar» (p. 324), «passar» (p. 332), «rumar» (350), mais aussi des substantifs désignant des endroits par où l'on passe, tels «passo» (p. 251), «pastos» (p. 249), «cerradão» (p. 250), «campo» (p. 256), «caatingal», «caminho» (p. 325), «estrada» (p. 331), entre tant d'autres noms qui se rapportent au milieu naturel du «sertão» ou à des espaces plus généraux.

En outre, l'une des marques du nouveau et du mouvement, c'est le motif insistant de la frontière, soit matérielle : «terreiro» (p. 253), «rêgo» (p. 253), «pátio» (p. 253), «pouso» (p. 261), «beira-d'água» (p. 289), «janela» (p. 290), «porta» (325), «atalho» (p. 350), entre autres ; soit temporelle : «mês de setembro» (p. 260), «dia-de-sêxta» (p. 288), «sábado» (p. 292), «entrada-das-águas», «subir de outubro» (p. 317), «março a meio» (p. 365) entre deux espaces cognitifs. Récit et histoire construisent un être de passage, dans un topos qui est lui-même marqué par l'instabilité et par le mouvement. Le métier du personnel de "A Estória de Lélio et Lina" est étroitement lié à la nature environnante et impose aux hommes une condition errante. Ils vont de ferme en ferme, de pâturage en pâturage, ils se déplacent avec leurs troupeaux. Tout comme ces derniers, le « personnel » est transhumant.

Le nouveau topos de Lélio, où vie professionnelle, nature et vie privée se confondent, est marqué par un certain déséquilibre :

Mas tudo nesta vida ia indo e variava, de repente: eram as pessôas tôdas se desmisturando e misturando num balanço de vai-vem, no furta-passo de uma contra-dansa, vago a vago. Ou num desnorteio de gado. (LEL, p. 360)

Peu avant que Lélio ne commence à faire le «résumé» des désastres survenus au Pinhém durant l'année où il y a vécu, la nature semble les prédire :

Chove raio. Dava mêdo. As asas de um fôgo feio, morte, a claridade triste, aquêles coriscões, feito morcêgos amarelos e vermelhos, os rasgões no prêto, espadantes, um emendado com outros, não esbarravam. [...] Aí Lélio ainda ficou um tempo, olhando. Por mais esquecido, vendo como no Rôjo lavravam aquelas frias labaredas, sem som, sem fim, parecia que íam pôr fôgo no mundo. (LEL, p. 316-317)

Faisant contrepoids à ce topos du premier mouvement du texte, le topos du deuxième mouvement sera marqué par la paix. Lélio, le «nouveau», vivra un certain temps entre les deux, car ils sont indispensables à son apprentissage.

Il est intéressant de remarquer que le passage de Lélio d'un topos à un autre pose une disjonction de deux lieux antithétiques, situés pourtant sur un territoire contigu (Pinhém/Lagôa-de-Cima). Il pose aussi deux statuts différents du «personnage» par rapport au topos : dans le premier topos, il devient inclus, il s'acclimate :

- "Bom, que cê veio. A gente já estava esperando, poder avistar o nôvo, como é..." (LEL, p. 299)

Dans le deuxième, il est inclus par avance, comme s'il en avait toujours fait partie :

Lélio então estivesse vivendo aquilo de cór. A bem, achava, certo, que devia de estar ali comendo e conversando, naquela casa, e não em nenhum outro lugar. (LEL, p. 311)

Ces deux situations différentes semblent pourtant réitérer le statut d'«initié» qu'a Lélio.

Ce que Philippe Hamon appelle la description de l'histoire du «personnage», c'est la description assumée, d'une part pour l'histoire récente, par une conversation, par exemple, et d'autre part, pour l'histoire plus ancienne par un «souvenir».6 Nous nous arrêterons ici aux éléments anaphoriques du texte (rappels du passé) permettant de définir les topoï du «souvenir» du «personnage» : des lieux très vagues, rapidement cités dans le récit ; la ferme de la Tromba-d'Anta ; Pirapora ; puis Paracatú.

A côte de ces analepses stricto sensu, nous retrouvons également dans le texte - que nous appellerons ici, avec Genette, le récit premier7, des analepses constituées du propre récit. En d'autres termes, le récit premier devient lui-même analepse.

Dans l'édition dont nous nous servons pour ce travail, le passage du temps est marqué par un signe graphique - trois astérisques. L'auteur utilise le même marquage du temps («Na entrada das águas») qu'au tout début du conte :

Na entrada-das-águas, subir de outubro, dado o revôo das tanajuras, trovejou forte campos-gerais a fora, ao redor de tudo. Prêsos debaixo do céu, os homens e os bois sabiam sua distrição. [...] De um modo, o que se acabava era o Pinhém, em quieta desordem e desacôrdo de coração. E tantas coisas tinham se passado, que deixavam na gente menos uma tristeza marcada, do que a idéia de uma confusão tristonha. (LEL, p. 317-318)8

Ce marquage du temps, qui pourrait suggérer une continuité de l'histoire, donc, une invariabilité du topos, permet à Lélio d'introduire la rétrospective de l'année qui vient de s'écouler à Pinhém et les transformations qui s'y sont opérées :

A Jiní, o Tomé, o J'sé-Jórjo, o Ustavo, Seo Sencléer et Dona Rute, não estavam mais lá. Quando um boi matara o Ustavo, no confim do pasto do Palmital, o Aristó exclamou: - "No fim, a gente esbarra é em Deus!" (LEL, p. 318)

Quelques données de ce «résumé» lui permettent de reprendre le fil du récit premier :

Derradeira vez que a vira, ela estava magra, sêca, séria, e com um avermelhado de olhos chorosos [...] (LEL, p. 319)

Ce premier récit est abandonné aussitôt au bénéfice d'une longue analepse. Cette imbrication entre «récit-analepse» et «récit-présent» est telle que les deux finissent par se confondre. Certaines notations permettent cependant de retrouver, de temps à autre, le récit premier :

Ia embora. Então, por que ainda não tinha ido? (LEL, p. 320)
Agora mesmo, Lélio estava indo para lá.
(LEL, p. 321)

Ce qui prédomine pourtant, ce sont de longues analepses narratives - l'aventure amoureuse de Lélio avec Jiní, la fête de Noël offerte par Seo Senclér à ses employés, la brouille de Lélio avec Canuto au sujet de Manuela, la folie de J'sé-Jórjo, la déception sentimentale de Lélio avec Mariinha, le départ de Seo Senclér et Dona Rute - jusqu'à la reprise finale du récit premier, qui sert d'élément cataphorique au dénouement proprement dit :

Então ele ia; ia. Tinha vivido, extrato, no Pinhém - demais, em tempo tão curto. Ali não cabia. Aquêle lugar o repartia em muitos, parava como uma encruzilhada. Ia. (LEL, p. 380)

Ces analepses semblent occuper, dans l'«esprit» du «personnage», un «temps réel» d'un mois environ, étant donné que le «résumé» est fait au «subir de outubro» et que la décision de partir proprement dite est prise lorsque «outubro acabava» (p. 381). De telles considérations nous amènent à affirmer qu'il y a deux Pinhéns, textuellement très marqués. Le premier, le topos du «présent», qui occupe 68 pages, contient une division très claire : le Pinhém de la connaissance des autres (p. 250 à 305) et le Pinhém de la connaissance de l'autre soi-même, D. Rosalina (p. 305 à 317), ce dernier pouvant être considéré comme un espace à part, intermédiaire, compte tenu des implications qu'il a dans «l'histoire de vie» de Lélio. Dans le deuxième Pinhém, le topos du «passé», qui occupe 64 pages (p. 317-381), Lélio associe les deux précédents, «racontant» ses rapports avec les autres, sous l'orientation «clairvoyante» de Dona Rosalina. Le départ des deux «personnages» est textuellement précipité (p. 381-383), mais la longue narration de son «apprentissage» dans le topos du «passé» prépare la narration (donc le lecteur) à ce dénouement.

Nous n'hésiterons pas à affirmer ici que l'équilibre textuel entre le «topos du présent» et le «topos du passé» est remarquable. De cet équilibre ressort la «condensation» de l'espace textuel consacré à la relation avec la seule Dona Rosalina, qui a une incidence sur l'histoire elle-même et qui fait de la maison de Dona Rosalina un topos à part, intermédiaire. En effet, tout se passe comme si le rapport de Lélio avec la petite dame âgée coulait de source, sans qu'il y ait besoin de l'expliquer :

Tão à vontade, Lélio achava estúrdio que o conhecimento dela tivesse sido só daquela mesma hora, parecia poder puxar lembrança comprida. (LEL, p. 308)

Le topos du «souvenir», comme nous le disions ci-dessus, est composé de certains lieux très vagues, cités par Lélio au début de l'histoire, de la ferme de Tromba-d'Anta, où il a vécu une expérience amoureuse avec une femme mariée, Maria Felícia, de la ville de Pirapora, topos inédit et lieu de nouveaux métiers, de la ville de Paracatú, d'où il part pour accompagner un groupe de voyageurs jusqu'à la ferme de la Novilha Brava, et, finalement, de certaines escales qu'il fait lors de ce voyage. Ces divers topoï sont en rapport avec sa «psychologie» et avec son «histoire de vie» proprement dite.

Au début du récit, nous apprenons que l'arrivée au Pinhém constitue un changement bénéfique, un fait qui marque le début d'une nouvelle phase de la «vie» du «personnage». Les souvenirs évoquent alors le point de départ de son «voyage» et les motivations de son errance :

Lélio se estendeu, feliz de seu bom descanso. Já se abençoava de ter vindo para o Pinhém; principalmente, se conseguia sôlto, dono de si e sem estôrvo. Era um novo estirão de sua vida, que principiava. Antes, nos outros lugares onde morara, tudo acontecia já emendado e envelhecido, igual se as coisas saíssem umas das outras por obrigação sorrateira - os parentes, os conhecidos, até os namoros, os divertimentos, as amizades, como se o atual nunca pudesse ter uma separação certa do já passado; e agora êle via que era dessa quebra que a gente precisava às vêzes, feito um riachinho num ribeirão ou rio precisa de fazer barra. A tanto sentia falta de uma confusão grande, que ajudasse a um não carecer de curtir a confusão pequena das coisas de todo dia da gente, derredor. E ter tempo para ir se lembrando devagarinho das melhores horas, consumindo. Avante e volta, gostava de galopar, no campo, o galope, o galope. (LEL, p. 256)

Le topos-point de départ apparaît vague, tout comme les relations alors établies paraissent de moindre importance. Le désir de fuir la monotonie de son existence antérieure, tout comme celui d'un changement qui pourrait proscrire la banalité de l'existence elle-même, semblent bien définir une «personnalité» jeune, aventurière. Parallèlement, à côté du jeune soucieux de nouvelles expériences, l'ancien topos fait naître un «sage», un «vieil homme» imprégné de platonisme :

Assim queria já ter vivido muito mais, senhor aproveitado de muitos rebatidos anos, para poder ter maior assunto em que se reconhecer e entender. A um modo, quando descobria, de repente, alguma coisa nova importante, às vêzes êle prezava, no fundo de sua idéia, que estava só se recordando daquilo, já sabido há muito, muito tempo sem lugar nem data, e mesmo mais completo do que agora estivesse aprendendo. (LEL, p. 256)

Chronologiquement, le topos immédiatement postérieur à ces endroits imprécis semble être la ferme de la Tromba-d'Anta, topos également peu marquant:

Lélio não gostaria de voltar para a Tromba-d'Anta, as pessôas de lá, bôas ou ruins, faziam só uma lembrança simples, de mistura. (LEL, p. 282)

La ville de Pirapora lui offre l'occasion de s'amuser, de faire de nouvelles connaissances, de tenter un nouveau métier, de réitérer son goût du métier de vacher :

Em cidade, o melhor era ir no cinema, tomar sorvete e variar de mulheres, na casa pública. […] Mais aí, ficou conhecendo também um môço montesclarense, que era arrieiro de profissão, estava de saída, com uma pequena tropa de comitiva, roteiro do Paracatú. Perguntou se êle queria vir junto. O montesclarense se chamava Euclides, levou-o ao Assis Tropeiro, seu patrão. (LEL, p. 258-259)

Elle lui permet surtout de rencontrer une jeune fille dont il tombe «platoniquement» amoureux, ce qui suscite en lui de grandes ambitions :

E viu a moça. Naquele momento, o que êle sentiu foi quase diferente de sua vida tôda. A modo precisasse de repente de se ser no pino de bonito, de forçoso, de rico, grande demais em vantagens, mais do que um homem, da ponta do bico da bota até o tope do chapéu. Tinha vexame de tudo o que era e do que não era. (LEL, p. 259)

Finalement, c’est cette expérience vécue à Pirapora qui l’entraîne vers son topos «présent» :

Assim mesmo, por causa dela, e do instante de Deus, tinha aventurado o sertão dos Gerais, mais ou menos por causa dela terminara vindo esbarrar no Pinhém. (LEL, p. 258)

Voilà que dans le topos Paracatu, Lélio rencontre l'éternel féminin, au sujet duquel le Dictionnaire des Symboles9 affirme :

Pierre Teilhard de Chardin "voyait dans cette expression le nom même de l'amour, comme la grande force cosmique. C'est la rencontre d'une aspiration humaine à la transcendance et d'un instinct naturel, où se manifestent: 1e la trace la plus expérimentale de la domination des individus par un courant vital extrêmement vaste; 2e la source en quelque sorte de tout potentiel affectif; 3e et enfin une énergie éminemment apte à se cultiver, à s'enrichir de mille nuances de plus en plus spiritualisées, à se reporter sur des objets multiples, et notamment sur Dieu.

C'est donc en tant qu'incarnation d'un idéal que Sinhá-Linda parcourt l'«histoire» de Lélio d'un bout à l'autre :

Pensava nela, assim só como se estivesse rezando. (LEL, p. 262)

Pensar nela dava a sôbre-coragem, um gole de poder de futuro. (LEL, p. 262)

Dona Rosalina dévoile à Lélio la véritable dimension «platonique» de la jeune fille et y rattache ses déboires amoureux :

A conforme foi dizendo: - "Você viu, meu Mocinho, da Mariinha você não gostava. Só que você achou nela alguma coisa que relembrava a Menina de Paracatú... O amor tentêia de vereda em vereda, de serra em serra... Sabe que: o amor, mesmo, é a espécie rara de se achar..." (LEL, p. 377)

Tout au long du texte, Sinhá-Linda paraît s'affirmer de plus en plus comme le double de Lélio, un être en errance :

Tudo era ao contrário: agora, sim, sentia a Sinhá-Linda mais sua. Se ela fôra, por aí, por essas lonjuras do mundo, então estava tão perto dêle, de um modo que não doía. Agora, que a perdera ganha. Agora, que não sabia nada. Se abraçou com dona Rosalina, e reschorou; talvez fôsse de alegria. - "É nada ?" - perguntou. - "É tudo..." - ela respondeu. (LEL, p. 377)

Le topos Paracatú est essentiellement l'espace de l'idéalisation de l'autre - de l'éternel féminin -, et de l'idéalisation de soi-même. C'est Dona Rosalina une fois encore qui pointe cette ambiguïté :

Às vêzes, eu acho que você gosta é mesmo daquela môça de Paracatú, a filha de um senhor Gabino... Só porque ela está tão fora de alcances, tão impossível, que você tem licença de pensar nela sem a necessidade de pensar logo também no que você é e não é, no que você queria ser... De tão distante e apartada, ela pode ser bem enxergada, no fim de um enorme limpo campo... (LEL, p. 349-350)

L'identification paraît d'autant plus grande que, lorsqu'il apprend que Sinhá-Linda n'est ni morte, ni folle - comme l'avait laissé entendre l'un des toucheurs de bœufs rencontré à São-Bento -, Lélio y voit la marque de sa propre destinée. Tout ce qui arrive à la jeune fille ne lui arrive-t-il pas à lui-même ?

Assim no flagrante mesmo do instante, êle não conseguia sobrepensar - faltava o estêrco do real: ah, ele, com a Sinhá-Linda, possuía muito poucas marcas. Mas, depois, mais tarde, as verdades vinham retornar, o dêle, sòmente soante. (LEL, p. 376)

La dernière référence du texte à Sinhá-Linda traduit ainsi un certain apaisement chez Lélio et semble élargir le topos Paracatú :

Aí, a bôa lembrança de Sinhá-Linda pertencia a êle, a todo momento, livre de todo ascoroso, tão linda e não era malaventurada, ela estava em tôda a parte. (LEL, p. 378)

Lélio n'est pas libéré du topos du «souvenir», mais l'idéalisation perçue et assumée au bout de son «voyage» au Pinhém laisse croire au lecteur que le départ de Lélio le conduira vers un amour «véritable».

"A Estória de Lélio e Lina" pourrait être lue comme une véritable «histoire d'amour», celle de la passion d'un jeune vacher pour une dame âgée rencontrée au hasard, une petite vieille sage, qui parle par proverbes et maximes sur la passion amoureuse et sur les dangers du monde. Elle serait alors Sophie, «vieille dame rajeunie», la spiritualisation d'Eros, au demeurant recherchée par le jeune Lélio, amant, fils et ami, mais surtout pèlerin en quête de ce but purificateur. La relation entre Lélio et Dona Rosalina est un peu tout cela.

Considérons les éléments du texte qui permettent de voir la Lagôa-de-Cima comme le topos intermédiaire entre le topos du «présent» et le topos du «souvenir» dans l'«histoire de vie» de Lélio. Au niveau de la narration proprement dite, ce topos joue un rôle annonciateur du dénouement de l'histoire - la prochaine «étape» du «voyage» du héros.

Ce topos intermédiaire est essentiellement celui de la relation Lélio-Lina. C'est un lieu où Dona Rosalina règne en maîtresse absolue, d'où l'importance de son portrait. Le regard de Lélio la décrit souvent par synecdoque.

Ses yeux, son regard :

Mas dona Rosalina, que rastreava a alma da gente com o quite do olhar, se sorriu e mais falou: [...] (LEL, p. 349)

E dona Rosalina, que nunca mudava, tinha como que naqueles olhos, diversos de todos, um exato de coisas que êle precisaria de um existir sem fim para aprender, mas que cabiam também no momento de um só olhar de bem-querer. (LEL, p. 380)

Ses vêtements :

[...] vestida de claro [...] o pano verde na cabeça. (LEL, p. 305)
[...] com o vestido verde-escuro, chapéu da mesma côr, com a grande pluma de pássaro ; [...] (LEL, p. 381)

Mais surtout sa voix, ses paroles :

O que falava - a gente fazia. Mandava sem querer. (LEL, p. 308)
A cada qualquer coisa que ela notava e falava, a gente mesmo ia se dando mais valor. (LEL, p. 312)
Vai, a voz dela, era bom, punha a gente pequenino.
(LEL, p. 347)

Tous ces détails font de Dona Rosalina un être à part relativement à tous les topoï que Lélio a connus :

Mas zonzava, entanto, desconhecendo se parte dêsse alívio não manava da voz, do justo olhar, do feitiço da pessôa de dona Rosalina - que ela semelhava pertencer a outra raça de gente, nela a praxe da poeira não pegava. (LEL, p. 348)

D'ailleurs, son regard sur les autres est différent, plein de sagesse :

Delmiro, au sujet de Aristó :

O Aristó é que merece menos do que tem, mandão-chefe..." (LEL, p. 264)

Dona Rosalinda, au sujet de Aristó :

- "Buriti de homem. Pedra feita para mil anos, deixa cem anos chover..." (LEL, p. 310)

Delmiro, au sujet de Fradim :

- "Daí, tem o que não é tôlo, mas que quer muito ser o que não é, êsse espolêta de Fradim..." (LEL, p. 254)

Dona Rosalinda, au sujet de Fradim :

- "Êsse, aprendeu com tanta fúria a fazer bom queijo, que agora vive com mêdo de têta de vaca mudar para dar garapa - e êle não saber fazer rapadura melhor do que os outros..." (LEL, p. 310)

Même sa maison est différente :

E ali reinava um sossêgo. (LEL, p. 308)

Mesmo, ali tudo se passava diferente de em outras partes. (LEL, p. 312)

Ia dizer a êles o que era poder estar ali perto dela, entrar naquela casa? Chegava lá, e tinha coração. (LEL, p. 320)

Contrairement au mouvement qui caractérise la vie du jeune vacher au Pinhém, c'est un lieu de repos que Lélio trouve chez Dona Rosalina. Le toponyme Lagôa-de-Cima, d'ailleurs, fait penser aux cieux :

Depois do almôço, ela foi dizendo que Lélio devia de tirar o paletó e descansar à vontade a gôsto, e armou a rêde para êle na sala de fora. (LEL, p. 312)

" - A senhora assente d'eu passar a noite aqui, na rêde de sua sala?" (LEL, p. 347)

Au bout d'un an de séjour, Lélio analyse les raisons pour lesquelles il n'a pas encore quitté le Pinhém. Cela lui permet de «résumer» ses rapports avec Dona Rosalina :

Que ali tinha uma pessôa, que êle só a custo de desgôsto podia largar, triste rumo de entrar pelo resto da vida. Assaz essa pessôa era dona Rosalina. Desde aquêle ano todo, quase dia com dia, se acostumara a buscar da bondade dela, os cuidados e carinho, os conselhos em belas palavras que formavam o pensar por caminhos novos, e que voltavam à lembrança nas horas em que a gente precisava. Sua voz sabia esperanças e sossêgo. Às vêzes, olhado por aquêles olhos, homem destremia da banzeira da vida, se livrava de qualquer arrôcho e ria de si mesmo um pouco, respirando mais. Assim dona Rosalina tinha gostado dêle, como mãe gosta de um filho: orvalho de resflôr, valia que não se mede nem se pede - se recebe. (LEL, p. 320)

A chaque «passage à vide», à chaque expérience malheureuse, c'est chez Dona Rosalina que Lélio vient chercher plus qu'une consolation, une plus grande compréhension de l'existence et de lui-même. Dona Rosalina est une sorte d'alter ego :

E, quando saía de lá, Lélio se socorria do abarco de correr para a Lagôa de Cima, à casa, sentar-se no banquinho baixo, perto de dona Rosalina, escutar o que ela achasse de significar. Ela vinha de longes festas. Dali mesmo a gente parecia ter se apartado fazia muito, muito tempo. A ela um podia perguntar o que quisesse: a voz da Velhinha nunca se espantava. E respondia: - "Ara, fala, meu Mocinho. Mas fala sem punir. O que existe na gente, existe nos outros..." A vida andava. (LEL, p. 364)

O que as palavras de dona Rosalina abriam era só uma claridade em seu espírito - uma claridade forte, mas no vazío: coisa nenhuma para se avistar. (LEL, p. 348)

En effet, elle lui apprend à se méfier de son caractère impulsif avant tout «passage à l'acte » :

- "Pois, meu Mocinho, você espalha pétala de flôr de cova, em cima de criatura viva?!" Lélio hesitou. Por palavra, vida salva: - por ter se lembrado disso, êle se tirara de pôr mãos para alguma loucura; mas, se nele mesmo o engano era corpo, e repente do corpo, que dirá da Jiní; quem culpa tinha? Estava certo? Estava errado? - "Esteja sempre certo, meu Mocinho. E ninguém não sabe: talvez o céu não cai é só mesmo por causa do vôo dos urubús..." (LEL, p. 368)

Dona Rosalina est la grande responsable de la transformation de Lélio. Chez elle, il «passe d'un état à un autre», il parfait un apprentissage, il s'identifie à l'«initiateur» :

Aprendera a adivinhar, a torna e vem, o que dona Rosalina pensava, e assumia para si aquela resposta. (LEL, p. 363)

Dona Rosalina lui apprend que «son arbre»10 doit rester là où il est :

E, indo, pois, para a Vereda, lá estava o pau-d'arco crescido, varudo, entre o capim-bezerro e môitas de varvasco, com que pique - e Lélio tinha pensa de deixá-lo assim. - "Deixa. Todos respeitam, e a árvore cresce, marcada a sinal, é a sua árvore, que ficou, Meu-Mocinho..." (LEL, p. 383)

Et lorsqu'il décide de partir du Pinhém, c'est chez Dona Rosalina qu'il quête un encouragement. La vielle dame fait du Pinhém un lieu de passage :

- "Vai, meu Mocinho. Chegou o de ir. Não por fuga, nem por canseira daqui, nem por mêdo. Mas, o que eu sei, e seu coração sabe, é que a razão da vida é grande demais, e algum outro lugar deve de estar esperando por você..." (LEL, p. 380)

Dona Rosalina est l'intermédiaire dans la relation «platonique» qui lie le jeune vacher à Sinhá-Linda. Toutefois, certains rapprochements entre la jeune fille de Paracatú et la petite vieille de Lagôa-de-Cima font croire que Dona Rosalina, elle aussi, incarne l'éternel féminin :

Um dia a môça Sinhá-Linda de Paracatú podia ter rido assim. De que coisa êle estava querendo se lembrar? De onde? (LEL, p. 308)

Elle est Sinhá-Linda à un âge déjà très avancé, ou bien l'un des amours équivoques de Lélio :

- "Agora é que você vem vindo, e eu já vou-m'embora. A gente contraverte. Direito e avêsso... Ou fui eu que nasci de mais cedo, ou você nasceu tarde demais. Deus pune só por meio de pesadêlo. Quem sabe foi mesmo por um castigo?..." (LEL, p. 311)

Pour s'expliquer le trouble qui l'étreint lorsqu'il rencontre Dona Rosalina, Lélio lui parle ainsi :

Por um falar, êle disse: - "A senhora é uma santa..." (LEL, p. 309)

Le Dictionnaire des Symboles11 rapporte l'observation de Teilhard de Chardin, selon laquelle la Vierge-Mère, Notre-Dame, est la plus parfaite incarnation de l'éternel féminin :

Le féminin authentique et pur est, par excellence, une Energie lumineuse et chaste, porteuse de courage, d'idéal, de bonté = la bienheureuse Vierge Marie. Le féminin symbolise la force attractive et unitive des êtres...

Il précise aussi l'acception de ce terme dans la théorie jungienne:

Le féminin personnifie, chez Jung, un aspect de l'inconscient nommé anima. [...] L'anima est la personnification de toutes les tendances psychologiques féminines de la psyché de l'homme, comme par exemple les sentiments et les humeurs vagues, les intuitions prophétiques, la sensibilité à l'irrationnel, la capacité d'amour personnel, le sentiment de la nature, et enfin, mais non des moindres, les relations avec l'inconscient. [...] L'anima peut aussi symboliser un rêve chimérique d'amour, de bonheur, de chaleur maternelle (le nid) [...]12

Dans cette perspective, le topos Lagôa-de-Cima, avec la relation privilégiée qu'il abrite constitue le but implicite du «voyage» de Lélio. :

- "Meu mocinho... - ela disse -... antes eu não encontrei você, não podia, meu filho, porque a gente não estava pronta de preparada..." "- E eu, mãe?" - êle perguntou, sem primeiro se esclarecer. - "Uma estrelinha brilha, um átimo, na barra da madrugada, antes d'o sol sair..." - assim ela respondeu. (LEL, p. 340)

S'il peut en repartir, c'est parce qu'il a intégré ce topos à sa vie :

- Por isso, nem. Mas, Meu-Mocinho, uma velha não se carrega. Estou em fêcho de meus dias... Que é que você vai fazer com uma velhinha às costas?
- Mãe, vamos juntos. Se não, eu sei, eu tenho a sorte tristonha.
- Mas, você não se arrepende, não, Meu-Mocinho? Por se dar o caso de você querer casar com uma moça que não goste de mim...
- Mãe, vamos. (LEL, p. 382)

La fusion de Dona Rosalina à Lélio se rattache, dans la perspective de Hélder Macedo, à la symbolique de l'androgyne des temps primordiaux, une androgynie qui se réalisera à nouveau à la fin des aventures du héros épique - le retour aux origines.

Récit et histoire forgent encore une fois un être de passage, un «double» de l'Homme en quête de perfectionnement et à la recherche de sa «place» dans le monde. Dans "A Estória de Lélio e Lina", c'est en synthétisant des topoï opposés que Lélio parvient à se situer dans le monde ; son «voyage» est la succession des diverses étapes nécessaires à la transformation de son for intérieur.

Le premier volume de Corpo de Baile dessine trois profils d’«homme» à trois étapes différentes de la vie. Exposés tous les trois à une topographie semée d’embûches, les protagonistes parfont tous les trois, à la suite des rapports qu’ils entretiennent avec leur monde naturel et humain, des connaissances qui déterminent chez eux une «nouvelle psychologie». C’est pourquoi le dénouement de l’histoire se traduit forcément par un mouvement de départ vers un topos nouveau ou, du moins, un topos qu’ils auront à affronter déjà dotés d’un «nouvel esprit».

Le «sertão» apparaît, dans les trois contes du premier volume, comme le grand initiateur : c’est lui qui oppose des obstacles aux protagonistes, c’est lui qui forge les êtres avec lesquels ces derniers coexistent le temps de l’histoire, c’est lui qui, les ayant produits, les chasse vers quelque chose d’autre. Le processus d’apprentissage vécu, qui les arme pour aller vers d’autres «réalités» sûrement tout aussi dures, est le seul résultat de l’affrontement «homme» - «sertão».

Bibliographie

CHEVALIER, Jean et GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982.

GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Editions du Seuil, 1972, Coll. « Poétique ».

HAMON, Philippe, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, Coll. « Hachette Supérieur ».

______, Le Personnel du Roman – Le Système des personnages dans les Rougon-Macquart

d’Emile Zola, Paris, Droz, 1998.

MACEDO, Hélder, Camões e a Viagem Iniciática, Lisboa, Moraes ed., 1980.

ROSA, João Guimarães, Corpo de Baile (Sete Novelas), Rio de Janeiro, Editora José Olympio, 1956, 1a. edição, Vols. 1 e 2.

Notes

1 CORPO DE BAILE - I. "Gerais" (Os romances) : Campo Geral ; A Estória de Lélio e Lina ; Dão-Lalalão ; Buriti ; II. Parábase (Os contos) : Uma Estória de Amor ; O Recado do Morro; "Cara-de-Bronze". Dans ce travail, pour les citations de passages du conte , nous avons utilisé l’abréviation (LEL). João Guimarães Rosa, Corpo de Baile (Sete Novelas), Rio de Janeiro, Editora José Olympio, 1956, 1a. edição, Vols. 1 e 2. Retour au texte

2 Hélder Macedo, Camões e a Viagem Iniciática, Lisboa, Moraes ed., 1980, p. 33. Retour au texte

3 Philippe Hamon, Le Personnel du roman – Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Emile Zola, Paris, Droz, 1998, p. 226-227. Retour au texte

4 C’est nous qui soulignons le passage. Retour au texte

5 Idem. Retour au texte

6 Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, Coll. « Hachette Supérieur », p. 227. Retour au texte

7 «Nous appellerons désormais “récit premier” le niveau temporel de récit auquel une anachronie se définit comme telle». Gérard Genette, Figures III, Paris, Editions du Seuil, 1972, Coll. « Poétique », p. 90. Retour au texte

8 C’est nous qui soulignons. Retour au texte

9 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982, p. 432. Retour au texte

10 «Symbole de la vie, en perpétuelle évolution, en ascension vers le ciel, l'arbre évoque tout le symbolisme de la verticalité. D'autre part, il sert aussi à symboliser le caractère cyclique de l'évolution cosmique : mort et régénération ; les feuillus surtout évoquent un cycle, eux qui se dépouillent et se recouvrent chaque année de feuilles.» Jean Chevalier, Alain Gheerbrant et al., op. cit., p. 62. Retour au texte

11 Op. cit., p. 432. Retour au texte

12 Idem, ibidem. Retour au texte

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Référence électronique

Haci-Maria Farina, « Une pause au cours du voyage : « A Estória de Lélio e Lina », de João Guimarães Rosa », Reflexos [En ligne], 2 | 2014, mis en ligne le 25 mai 2022, consulté le 27 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/reflexos/679

Auteur

Haci-Maria Farina

Paris III

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