Théâtre italien contemporain : du Nuovo Teatro à la postscena

Résumés

Ce travail propose un parcours historique à travers les différentes manifestations théâtrales de la seconde moitié du XXe siècle à nos jours en Italie. Il s’agira de répertorier et de présenter les pratiques qui s’éloignent des cadres traditionnels et expérimentent un nouveau langage, leur propre langage scénique, que les spécialistes du théâtre italien ont tenté de conceptualiser par le biais de différentes nomenclatures (Nuovo teatro, avant-garde, Post-avant-garde, néo-avant-garde, nouvelle spectacularité, théâtre expérimental, postscène, etc.). Un parcours à travers ces théories nous permettra de situer la scène théâtrale italienne contemporaine et ses possibles dérivations esthétiques.

This work offers a historical journey through the various theatrical manifestations from the second half of the 20th century to the present day in Italy. This journey is an approach to a series of practices that move away from traditional frameworks and that opt ​​for the experimentation of their own scenic language that Italian theater studies have tried to conceptualize through different nomenclatures (Nuovo teatro, avant-guarde, Post-avant-garde, neo-avant-garde, new spectacularity, experimental theater, postscene, etc.). The recovery of these theories will allow us to situate the contemporary theatrical scene with its possible aesthetic derivations.

Plan

Texte

p. 65-85

Dans Epopea della polvere. Il Teatro della Socìetas Raffaello Sanzio 1992-1999 (2001), un livre clé de la théâtrologie de la Socìetas Raffaello Sanzio, Romeo Castellucci affirme que son théâtre ne peut pas être considéré comme le résultat d’un nouveau mouvement d’avant-garde ni de l’un de ces courants qui ont vu le jour au début du siècle dernier. En fait, les propos de Castellucci mettent en évidence la posture postmoderne1 qu’il revendique pour son œuvre : « Non c’è nessuna guardia: la battaglia è già stata combattuta. Non c’è nessuna avanguardia, perché non c’è più direzione.2 » Il s’appuie clairement sur la réflexion du théoricien allemand Hans-Thies Lehmann qui estime nécessaire une analyse sérieuse de ces nouvelles pratiques théâtrales, indépendamment de leur continuité ou discontinuité historique : « L’avant-garde est un concept qui est né dans la pensée de la Modernité et qui nécessite une révision urgente. Qu’il s’agisse de l’exaltation de l’avant-garde ou du témoignage de son profond échec, la vision de la fin du XXe siècle à nos jours doit concevoir le théâtre d’une manière différente3 ».

Analyser le théâtre italien de la seconde moitié du siècle dernier et du début du présent siècle peut être une tâche difficile. Surtout au regard de la vaste production critique fort détaillée que les études théâtrales ont connue ces dernières décennies en Italie, et de la grande variété d’étiquettes et de classifications proposées pour identifier et décrire les nouvelles stratégies théâtrales.

Peut-être l’étiquette Nuovo Teatro, que Giuseppe Bartolucci a créée dans les années soixante et que Franco Quadri a reprise à la fin des années quatre-vingt, est-elle celle qui s’est imposée dans les études théâtrales pour décrire ce théâtre4. Ce Nuovo Teatro commence son périple par les avant-gardes historiques du début du XXe siècle, puis, dans les années soixante, l’impulsion est donnée, en Italie comme dans le reste de l’Europe, avec la naissance de la performance art. Cependant, au terme de ce parcours, l’adjectif “nouveau” n’est peut-être plus aussi adapté. Il met l’accent sur la nouveauté de l’œuvre, qui signerait donc son originalité. Il n’y a pas à s’en étonner dans le contexte de notre monde actuel, qui réclame et stimule le renouvellement incessant comme la seule voie pour atteindre le plus haut niveau de compétitivité. Il en découle que l’œuvre d’art est évaluée en fonction de son degré de “nouveauté” et non de sa “nécessité”. L’impératif « (se) renouveler ou mourir », que le capitalisme le plus féroce nous impose, est bien là, tapi dans l’adjectif “nouveau”.

Viviana Gravano lui préfère les adjectifs “actuel” et “contemporain”, s’inscrivant dans la voie ouverte, respectivement, par Walter Benjamin et Giorgio Agamben :

Non è dunque la novità che determina il valore de una certa produzione artistica ma la contemporaneità al suo osservatore/fruitore. Vorrei insomma rivendicare la necessaria possibilità di porsi come contemporanei davanti a una data materia, e non a considerare quella materia come tale5.

Penser le théâtre du XXIe siècle à partir de son “actualité” et de sa “contemporanéité” nous éloigne d’une conception qui s’appuie sur sa qualité de “nouveauté” ou d’“originalité”. C’est le lecteur et le spectateur, depuis leur contemporanéité, qui donnent à l’œuvre sa valeur, et, par conséquent elle n’a pas à être justifiée : elle existe ou non au moment de sa transformation naturelle et incessante à travers les lectures qui en sont faites. Au-delà des étiquettes ou des nomenclatures, dont le but est d’unifier une série de caractéristiques communes à une certaine tendance, une cartographie de l’histoire des arts de la scène en Italie se doit de rendre compte de la riche diversité de courants qui font que ce phénomène soit à la fois intermittent et continu.

La décennie des manifestes

Les années soixante, en Italie comme dans le reste de l’Europe, sont une époque de grands bouleversements et transformations sur les plans social, politique et culturel. Ce sont les années des révoltes étudiantes qui éclatent en France en 1968, et se répandent dans le reste de l’Europe, notamment en Italie, donnant forme à l’utopie d’une possible révolution. Au cours de ces années, l’Italie connaît une production culturelle et littéraire riche et effervescente, en particulier grâce au Gruppo 63 – également appelé “néo-avant-garde littéraire” –, composé de poètes, de critiques et d’écrivains comme Umberto Eco, Nanni Balestrini ou Edoardo Sanguineti6. Le boom économique des années soixante, grâce au développement de l’industrialisation qui s’ouvre au champ culturel, impose également un nouveau type de production culturelle déterminé par les médias de masse et, plus précisément, par la télévision. Après la crise de 1968, les intellectuels et les artistes cherchent de nouveaux modèles de production culturelle alternatifs à ceux des médias de masse.

En ce qui concerne le domaine théâtral, même si dès la fin des années 1950 le texte dramatique est déjà soumis à des expérimentations par des auteurs tels que Carmelo Bene7, Carlo Quartucci, Giuliano Scabia, Claudio Remondi, Giancarlo Celli et Mario Ricci8, nous avons encore affaire à une littérature dramatique qui se tourne vers des auteurs européens comme Sartre, Ionesco et Genet, et vers le nouveau réalisme anglais de Harold Pinter, John Osborne, Arnold Wesker et John Arden, plutôt que vers le théâtre de l’absurde de Beckett. Ce n’est que vers les années Soixante, notamment grâce aux réflexions du Gruppo 63 sur la question des relations entre le théâtre et la littérature, que la figure du metteur en scène en tant qu’auteur théâtral est revendiquée fermement et que les nouveaux paradigmes de l’écriture scénique sont élaborés et mûris. Certaines des pièces clés du théâtre de Dario Fo correspondent à cette période : par exemple, Mistero Buffo (1969) et Morte accidentale di un anarchico (1970). Fo y explore des problématiques liées à l’oralité et à l’improvisation. Et de son côté, la critique italienne a fixé le Congrès d’Ivrea en 1967 comme la date clé du Nuovo Teatro.

Organisé du 9 au 12 juin, ce congrès a été pensé comme une rencontre entre artistes et critiques de théâtre pour jeter les bases d’une scène qui commençait déjà à germer à travers l’œuvre de Carmelo Bene et sous l’influence d’autres groupes étrangers en Italie comme le Living Theatre, ou de metteurs en scène comme Peter Brook, Jerzy Grotowski ou Tadeusz Kantor. Selon les mots d’Oliviero Ponte di Pino, le congrès « fu piuttosto un’occasione d’incontro e visibilità per un’area marginale, ma ampia e vivace9 ».

Présenté à cette occasion, le manifeste intitulé « Elementi di discussione per un convegno sul Nuovo Teatro » et signé par des critiques tels que Giuseppe Bartolucci, Ettore Capriolo, Edoardo Fadini et Franco Quadri jetait les bases d’une novlangue plus adaptée au nouveau phénomène théâtral (théâtre-laboratoire, espace scénique, espace sonore, théâtre collectif, etc.), présentait une analyse des mécanismes de production artistique, et proposait d’autres alternatives à ce que l’on appelle les Teatri Stabili10 en termes de structures organisationnelles, capables de générer un nouveau public.

C’est ainsi que la décennie suivante voit naître un grand nombre de circuits théâtraux alternatifs aux institutionnels comme le Terzo teatro, dont la référence était l’Odin Teatret d’Eugenio Barba, pourtant fondé au Danemark. Parallèlement au manifeste du congrès d’Ivrea, un autre manifeste a obtenu une répercussion immédiate : « Arte povera » de Germano Celant, publié en 1967 à Gênes, soit un an avant la publication de l’essai de Jerzy Grotowski, Vers un théâtre pauvre11. Celant y décrit un nouveau champ artistique qui oscille entre les arts plastiques et le théâtre, et dont l’objectif est « ridurre ai minimi termini, nell’impoverire i segni, per ridurre ai loro archetipi 12 ». Il s’agit d’éviter toute tentative de commercialisation de l’œuvre d’art, aussi celle-ci n’est-elle plus conçue comme un objet artistique, l’attention se déplaçant vers une réflexion esthétique sur sa matérialité et ses procédés de fabrication. Le manifeste de Celant a été interprété comme signe de l’effondrement de l’artifice théâtral face à la réalité. Des années plus tôt, en 1959, le sociologue canado-américain Erving Goffman publiait The Presentation of Self in Everyday Life, un texte dans lequel il prend le théâtre comme modèle pour comprendre la vie sociale, l’individu étant dès lors conçu comme acteur et dramaturge de sa propre vie quotidienne, travaillant à développer une politique de l’expérience.

Le théâtre-monde sera le modèle de travail de Judith Malina et Julian Beck avec le Living Theatre, dont l’influence sur la scène italienne des années Soixante-dix a nourri un type de théâtre qui a favorisé l’action (présentation) sur la représentation et a déserté les espaces théâtraux conventionnels. Ce seront les premières années de ce phénomène du théâtre hors les murs. Parmi les groupes ou créateurs qui, au cours des années 1970, se sont distingués par cette mutation vers des contextes non théâtraux citons, entre autres, Loredana Perissinotto e Assemblea Teatro, Remo Rostagno, Auro Franzoni, Guiliano Scabia, Franco Passatore, Ricardo Dalisi, Collettivo Giocosfera, Spaziozero, Teatro Gioco Vita.

Post-avant-garde, postmodernité, posthumes

Vers la fin des années Soixante-dix, au plus fort des mutations de la scène théâtrale, Giuseppe Bartolucci proclame la naissance de la post-avant-garde13, et il y inclut les compagnies Carrozzone, Simone Carella et Gaia Scienza. Cette liste, comme le précisent Gabriella Giannachi et Nick Kaye (2002), s’élargit à d’autres compagnies comme Socìetas Raffaello Sanzio ou Mario Martone avec Falso Movimento, qui ont commencé à faire du théâtre au début des années Quatre-vingt.

Le théâtre des années Soixante et du début des années Soixante-dix a servi de base pour établir les principales caractéristiques de la post-avant-garde. Cependant, alors que l’avant-garde des années Soixante abordait l’œuvre classique moderne sur le mode transgressif en déconstruisant le canon dramatique traditionnel, la post-avant-garde trouvait son point de départ dans « une contamination des caractères propres à l’événement théâtral lui-même » – « found its early points of departure in a contamination of the very terms of the theatrical event itself14 » –, cette « contamination » commençant par une réduction ou une minimisation de l’événement théâtral. Ce sont les débuts de ce que Giuseppe Bartolucci et Lorenzo Mango (1980) appellent la « scène analytique » du théâtre post-avant-gardiste15. Pour Valentina Valentini, la post-avant-garde se caractérise par un rejet du « produit-spectacle », entraînant de ce fait un rejet des dispositifs conventionnels de production et d’organisation, ainsi qu’un déni de la dyade acteur/personnage16. Le théâtre post-avant-gardiste en Italie proposait un programme qui privilégiait le caractère performatif de la pièce : juste « des études, des tests, rien de terminé, des objets qui changent selon l’espace qu’ils occupent17 ».

Il ne faut pas oublier que la post-avant-garde théâtrale coïncide avec la crise de la modernité et la mise en place de la pensée postmoderne. Des concepts tels que la dialectique, le conflit, l’antagonisme, l’utopie, la révolution et la subversion, qui fonctionnaient comme des outils conceptuels pour les avant-gardes des années Soixante, ont été délaissés et remplacés par la catastrophe, l’ironie, la fin de l’histoire et du progrès, l’irrationalité, la dissolution de l’articulation sujet et objet, le nomadisme, la perte de centre ou le simulacre. Tous ces termes viennent constituer le nouveau répertoire conceptuel artistique de ces années18. Nous avons affaire à une nouvelle esthétique comme le signale Valentina Valentini : « il sentimento della fine, vissuto come lutto non risarcibile e provocato dalla sconfitta delle rivoluzioni, trovava nel pensiero posmoderno una sorta di risignificazione e inversione di senso19 ».

Parmi les troupes théâtrales dont les travaux se distinguent par cette esthétique postmoderne, citons Magazzini Criminali dans sa deuxième étape. La compagnie privilégia les lieux de rassemblement de masse comme les stades de football (Verso lo zero, 1980) ou l’utilisation de la science-fiction, qui servit de matériau pour la création d’atmosphères et d’images complètement décontextualisées (Crollo nervoso, 1980). Elle expérimenta le mélange de médias et de genres – le cinéma, la télévision, la publicité, le sport, la bande dessinée, la musique, la fantaisie – dans les différents formats : concerts en direct (Last concert palaroid, 1976 à Rome ou Zone Calde, 1981 à Bologne) ; production de disques sous le nom de « Magazzini Criminali Music » (Crollo nervoso, 1980 ; Notte senza fine (1983), dont le principal intérêt était la musique d’ambiance et l’appropriation de pièces musicales existantes. Par ailleurs, la troupe publia une revue qui prit le nom du groupe – Il Carrozone, pour le premier numéro, puis Magazzini Criminali– et servit la stratégie de communication du groupe. Le travail de compagnies comme celle-ci mit en évidence les relations entre l’art et la culture de masse, élément central de la nouvelle esthétique postmoderne. 

Gabriella Giannachi et Nick Kaye (2002) signalent cependant que la post-avant-garde italienne de la fin du siècle dernier a pris ses distances à l’égard de cette esthétique postmoderne pour re-signifier la scène et trouver ses propres références historiques et culturelles. Le théâtre post-avant-gardiste s’éloigne ainsi de l’appropriation culturelle, pratique traditionnelle de la scène postmoderne orientée vers la société de masse, pour proposer de nouvelles formes d’appropriation.

Une autre date clé dans l’histoire de la critique du Nuovo Teatro en Italie a été le congrès Le forze in campo qui s’est tenu à Modène en 1986. La plupart des participants y ont reconnu la nécessité pour le théâtre de se dégager de l’esthétique postmoderne du spectaculaire, trop liée aux médias de masse, et d’adopter de nouvelles stratégies20. Il s’agirait dès lors de concevoir le spectacle comme une œuvre aspirant à son intégrité sans renoncer pour autant à l’esthétique de la fragmentation, apport majeur de la postmodernité. Ce qui conduirait à récupérer l’art de raconter, mais au moyen de nouvelles formes narratives. Toutes les personnes présentes au congrès ont reconnu que la dimension analytique du Nuovo Teatro (Giuseppe Bartolucci et Lorenzo Mango, 1980) et la spectacularité postmoderne étaient désormais dépassées, et, qu’en conséquence, il fallait se confronter à la complexité de l’écriture scénique, qui implique le texte littéraire et le travail de l’acteur. C’est ainsi, par exemple, que la nouvelle dramaturgie scénique va aller chercher ses outils du côté du langage de l’enfance : l’onomatopée, les sons des animaux et tout un répertoire sonore-textuel-phonique de représentation enfantine du monde. La post-avant-garde ne rejette pas la tradition, elle veut plutôt se la (ré)approprier par une “re-signification”. Elle retourne au texte classique à travers d’autres formats narratifs, ce sera sa marque, aussi imperceptible soit-elle, et surtout le point de départ de son esthétique et de ses expérimentations :

It is in this context, too, that the post-avant-garde returns, in the course of its development, to re- approach ‘classical’ texts (…) It is finally in this combination of radical formal experimentation and engagement with the historical and cultural legacies in which it acts that the post-avant-garde’s character is defined21.

Les spectacles du milieu et de la fin des années quatre-vingt, tels que Ganet a Tangeri (1984), Ritratto dell’autore giovane (1985) et Vita immaginaria di Paolo Uccello (1985) de Magazzini, Il labro d’anime (1985) de Giorgio Barberio Corsetti, ou encore Lo spazio della quiete (1984), Le radici dell’amore (1985) et Atlante dei misteri dolorosi (1986) du Teatro Valdoca, Philoctetes 1987 (1987)de Mario Martone, Alla bellezza tanto anticha (1987), La discesa di Inanna (1989), Gilgamesh (1990) et Iside e Osiride (1990) de la Socìetas Raffaello Sanzio, accueillent ces nouvelles transformations de la scène post-moderne. Tous ces spectacles se caractérisent par une préoccupation permanente concernant les limites de la représentation. Ces préoccupations s’étendent également à la scène des années 1990 et ont nourri d’autres groupes nés au cours de cette dernière décennie du XXIe siècle.

Les années Quatre-vingt-dix ont été également témoins du tournant social22 qui modifia le paradigme du spectateur. Par exemple, la compagnie Studio Azurro, avec des pièces comme Coro (1995) ou Tavoli (1995), eurent recours au dispositif et à l’espace du site specific comme le plus à même de créer une nouvelle configuration des relations entre temps, espace et spectateurs. Au cours des années Quatre-vingt-dix, de nouveaux groupes sont apparus : Fanny & Alexander, Masque Teatro, Motus, Accademia degli Artefatti ou Teatrino Clandestino. Tout en s’inscrivant dans le sillage des compagnies déjà bien établies, ils refusent de s’inscrire dans un mouvement, esthétique ou idéologique, déterminé. Des critiques comme Valentina Valentini ont cependant souligné une série de traits communs : « una propensione all’autoriflessione, il rifiuto dell’eredità dei maestri, l’uso del banale e del trash, della TV, l’horror, l’esaltazione delle pratiche basse, Luther Blisset e l’anonimato, il rifiuto dell’autore, i raves parties23 ». Pour sa part, Massimo Marino leur a reconnu un autre point commun : leur capacité à expérimenter les formes théâtrales les plus diverses et éclectiques : « contaminato con le arti visive, basato sugli estremi del corpo e della poesia, vicino alla performance e suggestionato da universi digitali e cyborg24 ».

Dans un manifeste de 1996, Motus, l’un des plus représentatifs parmi les groupes nés après les années post-avant-gardistes, revendiquait le rôle central de la tradition et de l’héritage récent du passé, le recyclage continu, et rejetait l’esthétique postmoderne en ces termes :

Qui si sta immersi in una condizione di continui trapassi inconsapevoli, a-direzionali, che scolpiscono i nostri processi percettivi e creativi, così come sono stati impressi dai cartoon giapponesi e dai documentari dysneyani, noi, prima generazione cresciuta a tv di stato e spot pubblicitari, adolescenti nei magnifici anni Ottanta, per le mode degli anni della contestazione, del teatro italiano che esce dai binari della drammaturgia classica, che si infiamma per le nuove artificialità e si avventura sulle superfici plastiche delle scritture sceniche... tutto poi riassorbito, sedimentato, narcotizzato, ma pur sempre presente... e allora come si può continuare a tenere fuori dal teatro questo magma pulsante di sollecitazioni!25.

« Quelle place pour cette voie ? », interrogeait le Manifeste. Pour cette nouvelle génération, une génération posthume, rien n’est nouveau et tout est nouveau en même temps. Face à la centralité, ils défendent la périphérie et la marginalité. Contre la dyade acteur/personnage, ils exaltent le corps, un corps disséminé sous l’effet du virtuel, qui dépasse les limites physiques.

Le théâtre de la fin du millénaire incarne la volonté de régénérer et de refondre la scène, en orientant son regard vers l’avenir – à travers les nouvelles technologies –, mais en même temps vers le passé, vers la scène « pré-théâtral ». Valentina Valentini a résumé les aspirations de ce théâtre en ces termes : « superare le prescrizioni dell’estetica posmoderna e […] segnare un territorio in cui […] si potesse volgere lo sguardo in molteplici direzioni; anche all’indietro, verso una tradizione da riscoprire, come a sentimenti e emozioni da reintegrare, solcando la medietà dell’essere transitori, sincretici e revisionisti26 ».

Le théâtre du nouveau millénaire

« Stiamo vivendo un’epoca post-teatrale. Quella che segue, non è una nuova ondata di teatro, ma qualcosa che prenderà il suo posto »
(Jerzy Grotowski, 1989)

Avec l’arrivée du nouveau millénaire, la critique théâtrale a inventé d’innombrables étiquettes pour définir le théâtre de ces jeunes compagnies nées à partir des années 2000 : de Generazione T27 au Teatro Zero ou Doppiozero28, La Nuova ou Quarta ondanta, Iperscene29 et même Terza avanguardia30, cette dernière me semblant la moins appropriée. En effet, pour Mei (2015) cette appellation met l’accent sur la continuité historique des pratiques théâtrales de ces nouveaux groupes, mais, parler d’avant-garde c’est considérer qu’il y a une réaction spécifique contre un contexte donné. Or là n’est pas la revendication de ces nouveaux groupes. Leur travail reflète plutôt la recherche et le consolidement de formes radicalement liées aux besoins expressifs du moment, de formes propres à la transition culturelle commencée il y a déjà plus d’un siècle. Selon Grotowski, le théâtre performatif du nouveau millénaire « a déjà pris sa place ». La critique et la théorie théâtrale – pas le monde du théâtre pour qui les choses sont claires – se doit à la fois de reconnaître ces pratiques comme propres au théâtre et éviter les étiquettes creuses qui risquent de faire perdre de vue que ce nouvel objet d’étude est à examiner aussi dans son rapport au canon traditionnel.

Cependant, au-delà des étiquettes et de leur efficacité ou non, ces nouvelles formations théâtrales partagent une série de traits qui les placent sur une trajectoire à la fois de continuité et de discontinuité par rapport aux générations précédentes. Tout d’abord, elles refusent fermement de se considérer comme une génération, préférant mettre plutôt l’accent sur une multiplicité et une variété poétique, esthétique et matérielle. Elles accentuent de ce fait un sentiment d’orphelin ou, plus exactement, pour reprendre le néologisme italien, de bastardaggine. En d’autres termes, il n’y a pas de rejet direct d’une « paternité », mais plutôt la reconnaissance d’un système plus large et plus complexe d’affiliations et d’identités qui n’inclut pas un maître ou une icône spécifique qu’il faudrait suivre, mais plutôt un conglomérat de « parents » appartenant à différentes disciplines, fondamentalement extra-théâtrales :

Più che di orfananza parlerei di bastardaggine.[…] Nel nostro caso, avendo a disposizione più riferimenti, l’esperienza che si cerca di mettere in campo non fa capo soltanto a quello che ha realizzato quindici anni fa un determinato regista. Il nostro riferimento è quello che è successo nella performance, nel cinema, nella fotografia e in tutti i linguaggi che a noi sono accessibili. Questo rende il tutto più complicato, perché in realtà qualcuno ha sempre fatto prima di te quel che tu vuoi fare ed è difficile usare l’aggettivo ‘nuovo’. Portiamo avanti, tuttavia, una continua rielaborazione di cosa è successo e cosa potrebbe succedere in un altro campo, usando degli strumenti e delle domande che si sono aperte e non necessariamente chiuse 31.

Ainsi, pour reprendre les analyses de Mauro Petruzziello (2014), nous n’avons pas affaire à un phénomène qui naît de la nécessité de rompre avec les anciens codes théâtraux, ou de restaurer un « degré zéro » du théâtre ; les compagnies partent d’un point de départ, d’un fait, d’un « code génétique » et leurs membres sont issus de disciplines différentes32. Ce « code génétique » fait d’eux, précisément, des enfants de leur temps. Ils sont pleinement conscients des codes variés qu’ils manipulent et qu’ils se gardent bien d’organiser hiérarchiquement. Le théâtre pour eux se présente donc comme un moyen d’expression capable de synthétiser les différentes formes artistiques dont il est issu : depuis les arts plastiques, les arts visuels, le cinéma ou la musique, jusqu’à l’ingénierie informatique ou l’architecture.

Cette vision renouvelée de l’ensemble fait que les nouveaux artistes préfèrent parler de « concept » ou « d’idée » plutôt que de « mise en scène ». De cette manière, chaque code utilisé sur scène contient sa propre dramaturgie interne qui, à son tour, fait partie de la conception ou de l’idéation de la pièce. De même, face à la rupture du couple acteur/personnage qui s’est produite dès le milieu du XXe siècle, ce théâtre thématise le corps de l’acteur et introduit une dimension autoréférentielle, jusqu’à basculer même dans l’autobiographique ; les créateurs du nouveau millénaire préfèrent parler d’une « figure33 », de l’ordre de l’indicible et de l’indécidable, entre le réel et le fictif.

Par ailleurs, contrairement à la plupart des compagnies de la fin du siècle dernier, qui ont bénéficié d’aides institutionnelles substantielles, tant économiques qu’organisationnelles, les nouvelles formations théâtrales sont des enfants de la précarité, notamment au cours de la dernière décennie, années de la généralisation de la crise économique et de son aggravation, marquée pour l’Italie, comme pour les autres pays européens méditerranéens, de coupes sombres dans le domaine culturel. Cette situation les a amenés à reconfigurer leurs formes de production et de gestion artistique, pour la plupart converties en autoproduction ou en production interceptant des fonds occasionnels ne permettant pas de planification à long terme. Cela a eu aussi un impact sur leurs pratiques artistiques, remodelées par ce contexte précaire. Peut-être l’une des formules qui tient le mieux compte à la fois du projet artistique – mettre l’accent sur le caractère performatif – et de la réalité économique est-elle le « projet » tel que défini dans la citation suivante de Valentina Valentini :

Il progetto, e non lo spettacolo, diventa il contesto cui ricondurre una operatività che adotta il formato “studio”, il formato “trilogia” e insieme la performance, l’installazione, la produzione musicale, il DJ-set, le installazioni trans mediali, quelle site-specific, il video; inventi che possono anche prescindere dal confluire nello spettacolo, oppure essere il risultato dello spettacolo34.

Parmi les nouveaux groupes de la dernière décennie qui ont suivi cette voie les critiques s’accordent pour mentionner les compagnies suivantes : Anagoor, Babilonia Teatri, Città di Ebla, Codice Ivan, CollettivO CineticO, Cosmesi, Dewey Dell, Fiber Parallele, gruppo nanou, Menoventi, Muta Imago, Opera Bianco avec Vincenzo Schino et Marta Bichisao, Orthographe, Pathosformel, Silvia Costa/Plumes Dans La Tête, ricci/forte, Santasangre, Alessandro Sciarroni et Teatro Sotterraneo. Elles apparaissent dans un contexte où les échanges mutuels entre les arts visuels et les arts de la scène se sont désormais pleinement consolidés, le premier devenant un art plus performatif et le second un art plus visuel.

Le croisement des genres et des formats est devenu une pratique ancrée dans les territoires de l’expérimentation. Les différents langages propres à la scène sont exploités et rassemblés, au point que le texte dramatique a été remplacé par le travail sur la scène – ou une « cura della visione » – à travers une dramaturgie de l’espace, de la lumière, du son et de la présence d’un acteur qui nous est présentée comme un signe parmi les autres signes.

Notes

1 Sur le concept de « postmoderne », voir par exemple Alessandro Leiduan, « Umberto Eco et les paradoxes de l’esthétique postmoderne », in Alexandre Prstojevic, Vies et morts de la postmodernité, Berne, Peter Lang, 2018, p. 39-51 [hal-04176058]. Retour au texte

2 « Il n’y a pas de garde : la bataille a déjà été livrée. Il n’y a pas d’avant-garde, car il n’y a plus de direction » : Romeo Castellucci, Chiara Guidi, Claudia Castellucci, Epopea della polvere. II teatro della Socìetas Raffaello Sanzio 1992-1999, Milano, Ubulibri, 2001, p. 222. Retour au texte

3 Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, Traduction Philippe-Henri Ledru, Paris, L’Arche, 2002 [1999], p. 48. Retour au texte

4 Aux termes d’avant-garde, post-avant-garde, néo-avant-garde, nouvelle spectacularité, théâtre expérimental, etc. Franco Quadri, dans son son article « Avanguardia? Nuovo Teatro » (1987) leur préféra cette étiquette pour son “classicisme”, son acceptation et son ancrage dans la critique internationale. Au cours de ces mêmes années, Marco de Marinis publia Il nuovo teatro : 1947-1970 (Milano, Bompiani, 1987) où il aborde l’étude de l’émancipation de la scène théâtrale par rapport au texte dramatique, et, un an après, Il Nuovo Teatro italiano 1975-1988 (Firenze, La casa Usher, 1998, d’Oliviero Ponte di Pino). Des années plus tard, Valentina Valentini édita Nuovo Teatro made in Italy (1963-2013) (Roma, Bulzoni Editoriali, 2015), reprenant à son compte cette même étiquette pour analyser ce type de phénomène scénique et assurer une certaine continuité dans l’analyse malgré les fluctuations autour de ce terme. Retour au texte

5 « Ce n’est donc pas la nouveauté qui détermine la valeur d’une certaine production artistique mais la contemporanéité de son observateur/utilisateur. Bref, je voudrais revendiquer la possibilité nécessaire de se poser en contemporains devant un sujet donné, et non de considérer cette matière en elle-même comme telle. », Viviana Gravano, ibid., p. 331. Retour au texte

6 Pour une approche du travail du Gruppo 63, voir Paolo Chirumbolo, Mario Moroni, Luca Somigli, Neoavanguardia : Italian Experimental Literature and Arts in the 1960, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 3-18. La monographie de Renato Barilli, La néo-avant-garde italienne : dalla nascita del “Verri” alla fine di “Quindici” Lecce, Manni, 2007, est également intéressante. Retour au texte

7 La figure de Carmelo Bene a suscité un grand intérêt hors des frontières italiennes, non seulement pour l’aspect expérimental de son œuvre, mais aussi en raison de la lecture que le philosophe français Gilles Deleuze en a fait à travers des textes emblématiques comme « Un manifeste de moins » de 1979. Dans ce document, Deleuze définit le travail de Bene comme un processus de « minoration » du texte dramatique. Bene coupait les textes dramatiques et en ajoutait ou en superposait d’autres, car il considérait le texte original comme un matériau que l’acteur devait réécrire sur la scène comme un auteur. Retour au texte

8 Voir Daniela Visone, La nascita del nuovo teatro in Italia, 1959- 1967, Carazzano, Titivillus, 2010, p. 23-55. Retour au texte

9 « C’était plutôt une occasion de rencontre et de visibilité pour un territoire marginal, mais vaste et vivant », Oliviero Ponte di Pino, Romeo Castellucci e Socìetas Raffaello Sanzio, Milano, Doppiozero (E-Book), 2013, p. 145. Retour au texte

10 Voir « Elementi di discussione per un convegno sul Nuovo Teatro dans Giuseppe Bartolucci », Testi critici 1964-1987, 2007, p. 119. Gabriella Giannachi et Nick Kaye dans Staging Post-Avant-Garde. Italian experimental performance after 1970, Bern, Peter Lang, 2002, p. 15-31, analysent cette date comme un moment clé dans la définition collective du nouveau mouvement théâtral qu’ils préfèrent pourtant qualifier d’avant-garde théâtrale”. Giannachi et Kaye incluent Carmelo Bene, Carlo Quartucci, Leo de Berardinis, Carlo Cecchi et Memé Perlini dans le catalogue des artistes qui font partie de l’avant-garde théâtrale des années soixante. Marco de Marinis (1987) dans Il nuovo teatro : 1947-1970 souligne une influence particulière de l’art expérimental nord-américain sur le théâtre de ces années en Italie. Plus précisément, il fait référence au travail de John Cage et fait de cette figure un lien entre le Nuovo Teatro et les avant-gardes historiques du futurisme, du dadaïsme et du surréalisme, et signale aussi l’influence des textes d’Antonin Artaud (p. 17). Retour au texte

11 Outre ces deux manifestes, dans les années soixante, apparaîtront d’autres manifestes : celui de Pier Paolo Pasolini, publié dans Nuovi Argomenti, janvier-mars 1968 ; « Nel ventre del teatro », de Giovanni Testori, publié dans Paragone, nº219, juin 1968; et, en dehors des frontières italiennes, Six Axioms for an Environmental theatre, de Richard Schechner. Au cours de cette décennie, le manifeste est devenu – comme ce fut le cas au début du siècle avec les avant-gardes historiques – un genre littéraire et un instrument de transformation artistique et sociale. Retour au texte

12 Germano Celant : « réduire au minimum, en appauvrissant les signes, pour les réduire à leurs archétypes », in « Arte povera. Appunti per una guerriglia », Flash Art, nº 5, novembre-dicembre, Milano, 1967, p.14. Retour au texte

13 Voir Giuseppe Bartolucci, «The Post-Avant-Garde», The Drama Review, vol. 22, n.1, 1978, p. 103-107 et Teatro Italiano: postavanguardia/Italian Theatre: Post-avant-garde, Salerno, Cooperativa Editrice, 1983. Retour au texte

14 Gabriella Giannachi et Nick Kaye, op. cit., p. 32. Retour au texte

15 À cet égard, il convient de citer le Teatro del silenzio, de Federico Tiezzi avec Magazzi Criminali, ou le Teatro zero, de Mario Martone. Voir Giuseppe Bartolucci et Lorenzo Mango, Per un teatro analitico esistenziale, Torino, Studio Forma, 1980. Retour au texte

16 Voir Fuchs, The Death Of Carachters: Perspectives On Theatre After Modernism. Bloomington, Indiana University Press, 1996. Retour au texte

17 « studi, prove, niente di compiuto, oggetti che cambiano a seconda dello spazio che occupano » Valentina Valentini, op. cit., p. 76-77. Retour au texte

18 Bien que Gabriella Giannachi et Nick Kaye (2002) maintiennent le nom de post-avant-garde, qui a été développé en 1976 par le critique italien G. Bartolucci, ce dernier, cependant, des années plus tard, a introduit le mot nuova spettacolarità pour désigner la scène de caractère postmoderne. À cet égard, nous pouvons souligner le rôle du congrès Paessaggio Metropolitano, qui s’est tenu à Rome en 1981, où des troupes de théâtre, des universitaires et des critiques de différentes disciplines se sont réunis autour des principaux représentants des théories postmodernes, entre autres, François Lyotard et Jean Baudrillard. Le résultat de cette rencontre a été la monographie Paessaggio Metropolitano, éditée par Giuseppe Bartolucci, Marcello Fabbri, Mario Pisani et Guilio Spinucci. Milano, Feltrinelli, 1982. Voir aussi Renata Molari (1998) « Terza ondata » dans Alla ricerca di un altro sguardo, p. 7. Une étude également importante sur les relations entre le théâtre et le postmodernisme en Italie est Flora Pitrolo, What was before isn’t Anymore : Image, Theatre and the Italian New Spectacularity 1978-1984, London, University of Rachampton, 2014. Retour au texte

19 Valentina Valentini, op.cit. p. 90 : « le sentiment de la fin, vécu comme un deuil irréparable et provoqué par la défaite des révolutions, a trouvé dans la pensée postmoderne une sorte de re-signification et d’inversion de sens ». Retour au texte

20 À ce stade de notre étude, il nous semble nécessaire de répertorier les participants au Congrès : Franco Quadri, Paolo Ruffini, Oliviero Ponte di Pino, Mario Martone, Barberio Corsetti, Federico Tiezzi, Claudia Castellucci ou Cesare Ronconi. Tous coïncidèrent sur un point : mettre en évidence ce moment de transition au sein des arts de la scène aussi significatif, proclamant de nouvelles perspectives à la fois pragmatiques et esthétiques. Voir Le forze in campo. Per una nuova cartografia del teatro. Atti del convegno di Modena, Modena, Mucchi, 1987. Retour au texte

21 Gabriella Giannachi et Nick Kaye, op.cit., p. 34-35 : « C’est dans ce contexte aussi que la post-avant-garde, au cours de son développement, aborde à nouveau la question des textes “classiques” […] C’est enfin dans cette combinaison d’expérimentation formelle radicale et d’engagement avec l’histoire et les héritages culturels que se trouve le caractère de la post-avant-garde. ». Retour au texte

22 Voir Claire Bishop, Artificial Hells. Participatory Arts and the Politics of Spectatorship, New York, Verso Books, 2012. Retour au texte

23 « […] une propension à l’introspection, le rejet de l’héritage des maîtres, l’usage du banal et du trash, de la télé, de l’horreur, l’exaltation des basses pratiques, Luther Blisset et l’anonymat, le refus de l’auteur, les soirées raves » Valentina Valentini, op. cit., p. 115-116. Il est intéressant de souligner l’origine géographique que partagent tous ces nouveaux groupes : la région d’Émilie-Romagne, qui est aussi le lieu où d’autres compagnies telles que Teatro Valdoca, Teatro delle Albe ou Socìetas Raffaello Sanzio sont nées une décennie plus tôt. Cette région se distingue du reste de l’Italie par la capacité de ses institutions à soutenir et pérenniser les initiatives théâtrales de nouveaux groupes expérimentaux ainsi que celles de groupes déjà consolidés. Ce phénomène, de grande production artistique, a même été appelé Romagnafelix en raison des conditions créatives exceptionnelles dont bénéficient les artistes qui présentent leurs œuvres et travaillent dans cette région. À cet égard, voir Renata Molinari (1986) « R/Romagna », p. 236-238 et Lorenzo Donati (2015) » Romagna anni Zero. Prepararsi a un terreno di scontri più ampio ». Retour au texte

24 « […] contaminée par les arts visuels, basée sur les extrêmes du corps et de la poésie, proche de la performance et influencée par les univers numériques et cyborg » Massimo Marino, « Nuovi gruppi in scena tra orgoglio di casta e voglia di visibilità », Hystrio. Trimestrale di teatro e spettacolo, nº 2, aprile-giugno, 1998, p. 23. Le terme terza ondata est également courant pour désigner le théâtre des années quatre-vingt-dix. Sa définition a été développée par Renata Molinari et Cristina Ventrucci dans Certi prototipi di teatro. Storie, poetiche, politiche e sogni di quattro gruppi teatrali, Milano, Ubulibri, 2000. Pour sa part, Gerardo Guccini rejette le terme et la nature « ondulatoire » du mouvement : « […] la natura dell’onda non corrisponde a un fenomeno teatrale principalmente costituito da casi isolati e, talvolta, in reciproca relazione: punti emergenti più che onde, poiché dell’onda manca loro l’essenziale proprietà che unisce, solleva, travolge, unendo in un unico organismo in movimiento la cresta e la massa », Renata Molinari et Cristina Ventrucci, op. cit., p. 12. Retour au texte

25 « Ici, nous sommes plongés dans un état de transitions inconscientes et adirectionnelles continues, qui sculptent nos processus perceptifs et créatifs. Nous avons tout autant été marqués par les dessins animés japonais et les documentaires Disney, nous, la première génération élevée à la télévision d’État et aux publicités, adolescents dans les magnifiques années 1980, que par les modes des années contestataires, du théâtre à l’italienne qui déraille des voies de la dramaturgie classique, qui s’enflamme au contact des nouvelles artificialités et s’aventure sur les surfaces plastiques des écritures scéniques... Tout cela a alors été réabsorbé, sédimenté, drogué, mais est toujours présent... et alors comment continuer à garder ce magma palpitant de sollicitations hors du théâtre ! » : Motus dans Franco Quadri, Patalogo, n°19, Milano, Ubulibri, 1996, p. 224. Retour au texte

26 Valentina Valentini, op. cit., p. 122 : « dépasser les prescriptions de l’esthétique postmoderne et [...] marquer un territoire dans lequel [...] on pourrait regarder dans de multiples directions ; également à rebours, vers une tradition à redécouvrir, vers des sentiments et des émotions à réintégrer, traversant les terrains de l’éphémère, du syncrétisme et du révisionnisme ». Retour au texte

27 Voir Renato Palazzi, « È nata la Generazione T », Delteatro, 5 agosto, 2009. Retour au texte

28 Voir Mauro Petruzziello, « Attore, performer, recitazione nel nuovo teatro italiano degli anni Zero », Acting Archives Review. Rivista di Studi sull’attore e la recitazione, año 4, n. 8, novembre, 2014, p.61-86. Doppio Zero est devenu une revue en ligne, dirigée par l’écrivain Marco Belpoliti (www.doppiozero.com), dont l’activité est orientée vers l’analyse et la critique du théâtre italien contemporain. Retour au texte

29 Voir Paolo Ruffini, Ipercorpo: spaesamenti nella creazione contemporanea, Roma : Editoria&Spettacolo, 2005 ; Mauro Petruzziello, Iperscene, Roma : Editoria & Spettacolo, 2007 ; Jacopo Lanteri, Iperscene 2, Roma : Editoria&Spettacolo, 2009 ; Andrea Nanni, Teatri del tempo presente. Dieci progetti per la nuova creatività, Roma : Editoria&Spettacolo, 2009. Ruffini, Petruzziello, Lanteri et Nanni s’accordent pour décrire la nouvelle scène comme une sorte de duplication de sa puissance figurative et plastique, de telle sorte qu’à travers de nouveaux médias électroniques et un savoir-faire technologique précis, elle se transforme en une « hiper-scena » où l’acteur se multiplie et mute constamment. Il suffit de mentionner quelques performances comme Eco (2012), du collectif Opera Bianco de Vincenzo Schino et Marta Bichisao. Retour au texte

30 Dans un article intitulé « Gli anni dieci della nuova scena italiana. Un tracciato in dieci punti », Annali Online di Ferrara-Lettere, VII/2, 2012, p. 232-245, Silvia Mei reconnaît dans la première décennie du XXIe siècle une nouvelle avant-garde, la troisième : « vorrei proporre per quest’ultima scena sperimentale italiana la denominazione di terza avanguardia, nella misura in cui essa eredita le esperienze più radicali della prima e della seconda avanguardia artistica del XX secolo che oggi rilancia […] ma anche nell’ordine in cui apre su un nuovo secolo, il XXI, nel segno di quella rottura e di quella discontinuità delineatesi a partire dagli anni Ottanta » (p. 233). Voir aussi Silvia Mei, « Premessa » dans La terza avanguardia. Ortografie dell’ultima scena italiano, Firenze, Casa Usher, 2015, consacrée aux nouveaux langages de la scène connue sous le nom de « Années zéros » (voir Lorenzo Donati « Gli anni Zero, il teatro e l’autobiografia » dans Passione e ideología. Il teatro (è) político, S. Casi y E. Di Gioia (eds.), Spoleto : Editoria&Spettacolo, 2012). Pour Mei, la troisième avant-garde « apre a un nuovo, imprevedibile tempo del teatro che, dilatando fino alle estreme conseguenze le radici della ricerca e della sperimentazione storicizzate, arriva addirittura a non essere più teatro, almeno in senso stretto, pur ritrovando in pieno il suo antico ruolo di connettore vivente delle arti » (p.11).
Voir aussi Matteo Antonaci et Chiara Pirri, « Nativi digitali e iperlink. Perché non è auspicabile una terza avanguardia teatrale », Alfabelta2, n. 30, juin, 2013, p. 29-30. Retour au texte

31 Mauro Petruzziello, « Attore, performer, recitazione nel nuevo teatro italiano degli anni Zero », p. 72-73 : « Plus que d’orphelin, je parlerais de bâtardise. [...] En ce qui nous concerne, nous avons plus de références disponibles, aussi l’expérience que nous essayons de mettre en place n’appartient pas seulement à ce qu’a fait tel ou tel réalisateur il y a quinze ans. Notre référence est ce qu’il s’est passé dans la performance, le cinéma, la photographie et dans toutes les langues qui nous sont accessibles. Cela rend tout plus compliqué, car en réalité quelqu’un a toujours fait avant vous ce que vous voulez faire et il est difficile d’utiliser l’adjectif “nouveau”. Nous réalisons cependant une réélaboration continue de ce qu’il s’est passé et de ce qu’il pourrait se passer dans un autre domaine, à l’aide d’outils et de questions qui sont ouvertes et pas nécessairement fermées ». Retour au texte

32 Mauro Petruzziello, loc.cit., p. 71. Retour au texte

33 Le terme “figure” a fait florès dans différentes disciplines de l’esthétique, de la philosophie, des sciences humaines et des arts visuels. Patrice Pavis dans son Dictionaire de la performance et du théâtre contemporain, Paris, Armand Colin, 2014, p. 230, la définit comme « ce qui ressort de la représentation, ce qui se pose et se découpe au premier plan sur un arrière-fond. C’est aussi l’aspect extérieur, le contour des choses que nous percevons ». Pour une étude approfondie de la transformation du personnage théâtral en figure, voir Julie Sermon L’Effet-figure : états troublés du personnage contemporain (Jean-Luc Lagarce, Philippe Minyana, Valère Novarina, Noëlle Renaude). Musique, musicologie et arts de la scène. Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2004 (Thèse de doctorat). Retour au texte

34 « Le projet, et non le spectacle, devient le contexte dans lequel une opération qui adopte le format ‘studio’, le format ‘trilogie’ et, en même temps, la performance, l’installation, la production musicale, le DJ-set, les installations trans-médias, spécifiques au site, la vidéo ; ces inventions peuvent également être séparées de la fusion dans le spectacle, ou être le résultat du spectacle », Valentina Valentini, op.cit., p. 130. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Belén Tortosa Pujante, « Théâtre italien contemporain : du Nuovo Teatro à la postscena », Line@editoriale [En ligne],  | 2023, mis en ligne le 08 mars 2024, consulté le 28 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lineaeditoriale/2113

Auteur

Belén Tortosa Pujante

Université de Strasbourg